Remembering Christopher Priest (1943-2024)

Christopher Priest, towering writer of a clever, multifaceted, poignant science fiction passed away this week-end. My deepest thoughts go his wife, Nina, of whom he spoke so often and so fondly, and his family.

I’m writing this in English, because, well, this seems only fitting and more natural to me at this moment. I had the luck of meeting him through my translator work at Imaginales, where I have been blessed to accompany for a few days legends of the field – and, for reasons that will never be clear to me but for which I am profoundly grateful, he took a liking to me, and we started exchanging beyond his journeys to France, developing what I hope I can call a friendship. 

This, in a nutshell, will tell you who Chris was: this giant of a man (both physically – he was tall! – and culturally, with such a refined, successful career) took a genuine, caring interest in the random guy allocated to him for just a few days. He was such a gentle, discreet presence – and yet so funny, of course, so witty in that English way I’ve always admired. Having dinner with him was always to promise of lots of laughs, sudden deep questions about art and life, and funny, biting anecdotes about the Golden Age of SF. We discovered we had a common love for Australia and Scotland, and a common hatred for Brexit.

When you learn that you will be following such a legend as Christopher Priest, you are of course quite anxious to do your job right, and to do service to anything that he says – because you are, in essence, his voice for the French audience. I will always remember – and cherish, among other things – the first time we met; I was quaking a little inside, put on my most professional face of course, and said something inane along the lines of « Hello, I am Lionel, I will be your translator, are you Christopher Priest? » He immediately answered: « Yes, but do not call Christopher. That’s too formal. If you’re my translator, you call me Chris. » 

I still cannot believe that he treated me as an equal, that I got to speak and joke with him – and he may possibly be quite irritated at me to read me speak so highly of him, as he was always so humble and disregarding of honors; but again, I am so grateful to have been able to know him a little. There is a whole section in Comment écrire de la fiction ? that I owe to talking with him, to benefitting from his vast experience simply through our talks – near the end of the book, about the fact that your judgment on your writing will always move faster than your skill, leading to potential despair. As I was skirting burn-out, and I kind of whined about it in our correspondence, he never judged, but instead led me, with humility, to understand and grasp this vital lesson for myself. This is how kind and masterful he was.

He loved to tease me during our panels together and find the most wacky things to say, or even do on stage, to have me translate or imitate. There’s a story he often told around The Prestige, about a magician who would spend his whole life walking stooped like a very old man so that nobody could ever guess that he could actually walk upright, which allowed him to produce on stage, from under his clothes, a huge fishbowl seemingly out of thin air. He would show the struggling gait to the audience; and then be adamant that I « translate » it, which of course I was only delighted to do. I remember fondly the twinkle in his eye as we played that unspoken game, as I answered his tricks and traps with some of mine. 

There was another panel where, to make things interesting, he said among a bunch of fantasy writers that good books should never come with maps (actually making very good points about how the words themselves should produce the sense of space, landscape and exploration). After the panel, I showed him smiling the maps in my own books – he was immediately so embarrassed, thinking he had been insensitive to me; that’s how gentle he was. Of course, he had not been – he did raise some excellent points about maps – and this became a long-standing joke.

Not long enough, I’m afraid, even more as I’m a terrible correspondent (as some of you here might know) and started about every email with apologies as to why I had not written for the past three months (as some of you here might also know). 

I am not sure he would like me to feel so terribly sad as I am now, feeling I have missed so much. I try my very best to feel grateful and fortunate instead. Thank you, Chris, for giving me the wondrous gift of your friendship. And for giving me your most precious advice:

The secret of a good book is NO BLOODY MAPS.

At Imaginales 2015, with Christophe de Jerphanion (moderator, left) and Chris in the middle (vidéo ActuSF)
2024-02-04T07:47:55+01:00lundi 5 février 2024|Journal|1 Commentaire

Exercice, inconscient et Rihil

Petit exercice proposé par Jean-Claude Dunyach au cours de la Masterclass des Imaginales que nous avons donnée la semaine dernière (temps imposé : dix minutes) :

Le Rihil inclina sa tête communicante, invitant Jethra à franchir le palier de laminaires tressées. Peu rassurée, mais peu disposée à contrarier un individu qui la dépassait d’un bon demi-mètre et aux pseudopodes terminés de lourdes massues osseuses, elle s’exécuta avec un sourire embarrassé – en espérant tout à coup que montrer les dents ne serait pas perçu comme un signe d’agression.

L’intérieur de l’habitat dégageait une puissante odeur de jasmin inexplicable sur une planète gazeuse. Jethra maudit une nouvelle fois ses préjugés ataviques de primate évolué en contemplant l’austère sérénité de la sphère. Le fond était rempli d’un sable noir ultra-fin qui épousa la semelle de ses bottes avec le moelleux d’un épais tapis. Les parois courbes arboraient d’étranges images géométriques monochromes réalisées sur un papier brun – mais, pour autant que la jeune femme le sache, il aurait tout aussi bien pu s’agit de calligraphies exquises, des diplômes du Rihil ou de la variante locale du test de Rorschach. Une lanterne à huile de baleine-ciel pendait à la voûte – probablement la source de l’odeur de jasmin.

Le Rihil la dépassa de son étrange démarche chaloupée pour s’asseoir en tailleur sur le sable devant elle ; un exercice fascinant pour une espèce munie de quatre membres inférieurs dotés d’articulations à 360°. D’un pseudopode à massue, il invita Jethra à l’imiter.

Celle-ci réfréna un raclement de gorge gêné.

Portant le traducteur universel à sa tête communicante, le Rihil démarra la séance :

« Pour commencer notre travail ensemble, préférez-vous me parler de votre enfance, ou bien de votre mère ? »

C’est amusant de constater comment l’inconscient fonctionne : j’avais besoin d’un nom immédiatement pour mon personnage (en dix minutes, on n’a pas le temps de finasser) et c’est “Jethra” qui s’est imposé à mon esprit, comme étant à la fois compréhensible, féminin et exotique. Je me suis évidemment rappelé aussitôt que c’est le nom d’une des îles de l’Archipel du Rêve, de Christopher Priest ; or, j’avais le plaisir d’être son interprète pendant les Imaginales proprement dites, qui commençaient le lendemain, et je venais de me replonger pas mal dans son œuvre pour faire sa traduction correctement. Visiblement, mon inconscient était resté “connecté” en sous-main à ses histoires.

2018-05-28T10:31:52+02:00lundi 28 mai 2018|Journal|1 Commentaire

Ce week-end, retrouvons-nous aux Imaginales !

Affiche Julien Delval

Et voilà, auguste lectorat, le plus grand rendez-vous de la fantasy de l’année (et l’un des quelques majeurs dans le domaine de l’imaginaire) se déroule cette fin de semaine. “Fin de semaine” au sens français et non québécois, car le festival commence jeudi 18 mai et se termine dimanche 21. Pour ma part, il commence le mercredi, puisque se tient la masterclass des Imaginales que j’ai la joie d’animer cette année encore avec Jean-Claude Dunyach.

Je présenterai La Messagère du Ciel, premier volume de la trilogie « Les Dieux sauvages », et j’aurai aussi bien sûr aussi la réédition poche de Port d’Âmes chez Folio SF. Je participe également à nouveau cette année à l’anthologie officielle du festival, mais ce sera pour l’entrée de demain (j’avais prévenu que j’avais beaucoup de choses à rattraper…). J’aurai l’honneur d’accompagner deux invités étrangers en traduction sur les tables rondes, cette année Christopher Priest et Jim C. Hines (je m’occupe de sa série Magie Ex Libris à L’Atalante par ailleurs, dont le deuxième tome, Lecteurs Nés, vient de sortir – là aussi, j’en reparlerai dans une future entrée).

En attendant, voici le programme des cafés littéraires où j’interviendrai autour de mon travail. Je signale tout particulièrement la présence d’un entretien d’une heure  autour de l’univers d’Évanégyre, dimanche à 12h et mené par Christophe de Jerphanion : on parlera probablement de la genèse de l’univers, de son propos, de son rapport à l’histoire… et des meilleures portes d’entrée. (Spoiler, il n’y en a pas – tout est indépendant.) Christophe confie sur Facebook que “chaque année, un auteur viendra présenter l’univers qu’il a imaginé” ; je suis ravi d’ouvrir le bal de cette initiative avec Évanégyre !

avril

pas d'événement

Je suis vraiment impatient d’y être, même si je finis chaque année sur les rotules, mais ces journées, c’est du plaisir en barres ! À Épinal, donc !

2017-05-23T16:19:12+02:00mardi 16 mai 2017|À ne pas manquer|7 Commentaires

L’impératif moral de l’histoire

Couv. Hulton Archive / Getty Images et Times & Life Pictures / Getty Images

Couv. Hulton Archive / Getty Images et Times & Life Pictures / Getty Images

En quelques jours, tout a été dit sur le résultat des élections de dimanche soir, qui font une impression de gueule de bois après la fête qu’étaient les Imaginales, ou de débat sur l’uchronie qui aurait persisté dans le réel par une mécanique toute priestienne. Je ne peux m’empêcher de me demander combien, parmi ceux qui se lamentent aujourd’hui du triomphe du FN aux européennes, sont allés voter ou avaient établi une procuration, parce que ces 60% d’abstention sortent bien de quelque part. J’ai lu qu’en chiffres absolus, paradoxalement, le nombre de suffrages exprimés en faveur du FN est en réalité plus faible qu’au scrutin précédent, mais, par le jeu des pourcentages, cela augmente mécaniquement leur importance et donc leur nombre de sièges à Bruxelles.

Qu’on ne vienne plus jamais me raconter que “voter, ça ne sert à rien de toute façon ».

Christopher Priest s’est exprimé plusieurs fois sur l’uchronie pendant le festival, sur les points de divergence de l’histoire et sur son cours. Si j’essaie de résumer sa pensée, pour lui, l’histoire est empreinte d’un impératif moral qui dépasse et transcende les décisions des chefs d’État, les événements ponctuels, etc. Si le Sud avait gagné la guerre de Sécession, dit-il, peut-on croire qu’aujourd’hui, avec Internet et toutes les technologies modernes, les États-Unis seraient encore une nation esclavagiste ? Le régime nazi se serait effondré sous son propre poids et Hitler aurait été destitué, voire assassiné par des factions au sein même de son parti, si la Deuxième guerre mondiale s’était poursuivie. L’histoire, pour lui, est avant tout construite par les individus, et cela vise, si je ne trahis pas ses propos, à une élévation globale au fil des siècles.

Hélas, cela n’empêche pas les tragédies, les guerres, les conflits, les atrocités : la guerre de Sécession comme la Deuxième guerre mondiale se sont résolues en faveur, pourrait-on dire, de l’éthique. Mais, si je puis oser modérer les propos du maître, cela n’empêche pas qu’elles ont lieu. L’abolition de l’esclavage est un soulagement pour la marche de l’histoire ; cela fait une belle jambe à ses victimes. Cela n’empêche pas les ténèbres. Il faut espérer et donc se battre pour qu’elles soient les plus courtes possibles.

Loin de moi l’idée de faire de l’alarmisme outrancier parce que le FN remporte 25% de nos sièges au Parlement européen et de hurler, façon point Godwin, au fascisme immédiat. Internet crie si souvent au loup qu’on peine à y croire. En revanche, si l’histoire nous donne bien un avertissement, c’est quand même bien celui-là, et je commence à redouter que nous tombions à court d’avertissements avant que la merde ne cogne le ventilateur, si je puis emprunter une fort graphique expression à l’anglais. C’est une maigre consolation de se dire que l’histoire vise à une élévation globale au fil des siècles quand l’on vit au fil des semaines, voire des jours, l’une des périodes de ténèbres de l’histoire et que l’on espère simplement qu’on survivra pour la voir de ses propres yeux, cette résolution. Il va vraiment falloir éviter qu’on s’impose un tel réveil difficile, maintenant, de l’homme politique à l’électeur, et que nous agissions tous, à notre échelle – “sois le changement que tu veux voir dans le monde” disait Gandhi, probablement l’une des phrases les plus simples et les plus pertinentes quand on s’interroge sur sa place dans le monde et pour guider la direction de sa vie.

Je découvre que dans certains pays, le vote est obligatoire. Je n’aime pas les obligations, mais dans certains cas, et en particulier celui de la mollesse citoyenne ambiante, je pense qu’il serait fort bon de distribuer quelques coups de pied au cul.

2014-05-27T10:12:11+02:00mardi 27 mai 2014|Humeurs aqueuses|82 Commentaires

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