De la technique artistique et des autodidactes prodiges

Autre serpent de mer assez régulier sur la pertinence de la technique artistique et de son apprentissage, quand il existe (c’est vrai) des contre-exemples ponctuels qui ont tout appris tout seuls (l’exemple du guitariste qui apprend tout dans sa chambre et revient avec une approche novatrice). L’existence de prodiges autodidactes prouve-t-elle l’inutilité de la technique, voire, comme on peut le lire, sa nocivité en dévoyant les instincts ?

Ces contre-exemples (évoqués à l’occasion d’une conversation sur Twitter) sont souvent brandis comme la preuve qu’en art, la théorie artistique est inutile, voire contreproductive.

C’est faux (et la conversation est tellement importante que j’en ai dit un mot dans Comment écrire de la fiction).

Tout d’abord, absolument, il existe des autodidactes géniaux en art. Dans la conversation sus-nommée, il était question de Martin Gore, on pourrait mentionner quantité de jazz people. Ce que l’on oublie très fréquemment quand on parle de ces cas particuliers, c’est le boulot qu’il faut pour en arriver là. Si vous pensez qu’il est difficile d’apprendre une langue étrangère, imaginez-vous le faire sans méthode ni prof. Est-ce possible ? Absolument. Est-ce que cela vous donnera une perception unique et personnelle ? Sans doute. Est-ce que c’est difficile sa mère ? Voyons ça comme ça : combien de fois êtes-vous passé.e devant un instrument de musique / un pinceau et n’avez-vous PAS décidé de vous y investir corps et âme au détriment de tout le reste ?

Pour un prodige autodidacte, il existe trois millions (estimation non contractuelle) de personnes qui avaient mieux à faire que prendre la guitare pour en faire leur mission. Je veux dire. Combien de fois n’avez-vous PAS pratiqué l’instrument pour lequel vous preniez pourtant des cours ?

Ensuite, et c’est beaucoup plus important, la technique et la théorie n’ont jamais fait des génies, mais elles expliquent comment les choses fonctionnent. Quand on sait comment elles fonctionnent, on peut y adhérer quand c’est indiqué, les déconstruire et/ou les pousser plus loin. (J’utilise génie comme raccourci, mais – comprenez “personne dont la pratique artistique qualitative entraîne des réalisations couronnées d’un succès marquant son époque”.) Aux prodiges autodidactes, j’oppose Picasso, à qui il a fallu “toute une vie [d’étude] pour apprendre à dessiner comme un enfant”. Ou Pierre Henry, figure de proue de la musique concrète (plus pionnier tu meurs) qui sortait du Conservatoire de Paris.

La bonne voie, c’est celle qui nous permet d’avancer et d’appréhender l’art que l’on veut faire. Ni plus, ni moins. Sauf que c’est un apprentissage bougrement difficile et qu’il est pertinent d’envisager de ne pas réinventer la roue, en profitant de millénaires de théorie.

Théorie qui ne fait pas des génies. Les génies se font autrement, par la passion, le feu et le dévouement. Théorie ou non, ce n’est pas le sujet : en revanche, la théorie peut souvent faciliter le processus et éviter de vraies maladresses dans les premiers temps du parcours.

Unpopular opinion : ce qui me gêne fondamentalement dans l’argument “la technique est facultative”, c’est que cela devient souvent une justification pour ne pas bosser. Souvent, il y a de la peur derrière, une peur cent fois compréhensible devant l’envergure de la tâche. Mais on n’y échappe pas, que ce soit en bossant la guitare dans sa chambre ou en allant au Conservatoire. On peut avoir des facilités, mais comme disait Brassens, “sans travail, le talent n’est qu’une sale manie”. Seule la pratique (guidée ou non) améliore ce qu’on fait.

L’argument qu’on voit souvent, c’est : “Moi, je brise les codes, je fais différemment, c’est original, je suis à contre-courant !” Hélas, 99 fois sur 100, ça ne fonctionne pas… parce que ça n’est pas abouti. Ça me fend le cœur chaque fois que je vois un jeune (ou moins jeune) auteur prometteur se paralyser dans sa fierté (en réalité sa peur) sans faire l’effort d’humilité nécessaire pour admettre que l’on peut, et doit apprendre toujours1.

Bref: il n’existe encore et toujours qu’une seule chose à notre portée en art, c’est notre travail (par des cours, de la recherche, de la pratique, en proportions variables et personnelles). Il existe des génies, comme le talent existe peut-être, mais je pense toujours plus sûr de ne pas considérer qu’on en fait partie ni qu’on en a.

Que nous reste-t-il quoi qu’il arrive ? Faire notre art, le lire / écouter / voir, s’en imprégner, le bosser. Le travail ne vous trahira jamais. C’est même la seule chose sur laquelle on puisse compter.

Je répète : le seul chemin valable, c’est celui qui vous permet de faire ce que vous souhaitez. Que cela passe par la théorie (c’est recommandé) ou pas (OK, si vous avez une volonté en béton armé). Ce dont vous ne ferez pas l’économie, c’est le travail (motivé par la passion).

Comprendre le fonctionnement des choses n’abîme pas une vision. Cela la renforce, la précise. Et j’arguerais qu’un.e artiste solide ne peut être abîmé.e par un peu de théorie. Sa vision est assez forte pour être transmutée et la transmuter.

Sinon, il y a un autre problème.

  1. Le travail devrait d’ailleurs former sa propre récompense. Ce qui compte, c’est le processus avant le résultat, car on ne pratique QUE le processus, et se concentrer sur le résultat, l’accueil, la publication, c’est se tromper fondamentalement de jeu. C’est un autre débat.
2023-01-10T05:33:00+01:00jeudi 12 janvier 2023|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur De la technique artistique et des autodidactes prodiges

Les deux bases techniques minimales pour écrire de la fiction : point de vue et temps de narration

Et croyez bien que je suis circonspect en écrivant ça, mais après un certain nombre d’ateliers d’écriture, force m’est de constater qu’il est important d’en parler.

Je suis circonspect là-dessus parce que j’ai un souvenir gravé au fer rouge dans ma mémoire. Je devais avoir dix-sept ans, en route pour des études scientifiques, et nous traînions entre copains et copines dans un bar à boire des cocktails de fruits. (J’aimerais bien vous dire que c’est un prude euphémisme pour cacher quelque chose de beaucoup plus rock’n’roll, mais non : nous buvions vraiment des cocktails de fruits. Sans alcool.) Alors que du haut de nos vingt ans à venir nos études nous contemplaient, nous nous sommes évidemment mis à causer rêves et futures hautes responsabilités gouvernementales, et j’ai avoué mon envie d’écrire, et peut-être de faire carrière, si cela pouvait se présenter.

Notez bien : je faisais des études scientifiques. (De garçon.) Il y avait avec nous des filles. (Qui faisaient des études littéraires.) (C’était le siècle dernier. À l’époque, on n’avait pas Internet et nos téléphones portables fonctionnaient avec des antennes télescopiques dans un rayon de 10m autour de leur base. Nous étions des sauvages.) L’une d’elles, promise à une vraie carrière de lettres, elle, a répondu ce qui suit à ma visiblement tragique candeur : “Quoi ? Tu ne peux évidemment pas faire ça, et tu ne peux pas décemment l’imaginer ! Tu n’as pas lu tout ce qu’il y a à lire pour pouvoir t’octroyer le droit d’écrire, et évidemment, tu ne pourras jamais espérer rattraper et acquérir tout ce bagage.”

(On en sait, des trucs, à dix-sept ans.)

Heureusement, la Providence (et un léger esprit revanchard de ma part) en ont décidé autrement. (Surtout le fait qu’écrire de la fiction recouvre un métier différent que celui d’essayiste.) Oui, il est indispensable de lire pour écrire, peut-être avant toute chose parce qu’il est étrange de ne pas avoir le goût de la forme littéraire que l’on entend pratiquer, mais il n’arrive jamais un moment où l’on peut dire “j’ai lu 32678 bouquins, j’ai fini le game, je vais maintenant écrire Germinal” – on peut écrire n’importe quand, mais il faut lire en parallèle.

Donc. Les bases techniques minimales pour écrire de la fiction : c’est avec grande circonspection que je vous le dis. Mais si la fiction littéraire passe par le langage, elle est nécessairement empreinte de codes fondamentaux qu’il est indispensable de posséder avant d’espérer construire davantage. Non, ce n’est pas l’orthographe, ce n’est pas la typographie, ni même (tout au contraire) la mise en page de votre livre électronique. Oubliez la tension narrative, les dialogues, les descriptions, la gestion du rythme, les conflits complexes, la construction de monde imaginaire, si vous ne possédez pas deux choses :

  • La gestion du point de vue,
  • Les temps de narration.

La gestion du point de vue concerne les règles fondamentales par lesquelles le récit va transmettre son information, or dans la fiction, qui passe donc par le langage écrit, il n’y a rien qui ne soit pas information. Un auteur qui ne fait pas l’effort de se familiariser avec ce code (quitte à s’en affranchir ensuite, mais pour s’affranchir de quelque chose, il faut le maîtriser) est condamné à produire des textes flottants, incapables de concentrer l’attention du lecteur et de la guider subtilement pour produire les effets souhaités. Un choix de point de vue n’est jamais neutre (même s’il peut être inconscient, et même si le point de vue lui-même peut être neutre, mais c’est déjà un choix de narration). Donc : autant choisir, puis garder la main, sur la forme narrative qui servira le projet.

Les temps de narration (que vous écriviez au présent ou au passé simple / imparfait) représentent l’autre versant de la gestion de l’information : ils sont directement liés au rythme, au ton et à l’enchaînement relatif des événements. Il y a ce qui se passe avec la narration, la vitesse à laquelle cela se passe, ainsi que ce qui s’est passé avant, voire après relativement à l’action. Être flottant là-dessus, c’est potentiellement détruire la logique même des événements de l’histoire au niveau le plus fondamental : le temps.

Couv. Xavier Collette

La bonne nouvelle, c’est que cela s’acquiert très facilement. Vous avez la quasi-assurance de voir ces codes correctement employés dans n’importe quel livre publié de façon respectable. Si vous voulez écrire, vous avez des livres chez vous (et si vous n’en avez pas, commencez par acquérir le goût de lire, voir plus haut). Ouvrez-les, regardez comment c’est fait. Des pages web et des résumés sur ces notions, on en trouve partout sur Internet (à commencer par ici). Le Comment écrire des histoires d’Elisabeth Vonarburg propose un excellent panorama du point de vue. Dans mon propre Comment écrire de la fiction ?, même si je voulais traiter le moins possible de la langue elle-même pour me concentrer sur la scénarisation, j’en parle aussi, aussi concisément que possible, mais je ne pouvais pas faire l’impasse dessus.

Ces deux notions sont loin d’être suffisantes, et si l’on aime creuser la technique littéraire, on peut l’étudier toute sa vie. Mais : si vous cherchez un point de départ technique dans votre parcours d’auteur•rice, ce sont ceux-là.

2022-11-21T06:00:53+01:00lundi 28 novembre 2022|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

Certaines questions d’écriture sont des solos de guitare

En lien avec l’article de la semaine dernière sur la construction des opinions personnelles avant la consultation d’autrui, une observation sur des questions d’écriture en particulier, artistiques en général, que je vois souvent circuler en ligne. Elles se formulent à peu près toutes de la même manière :

Comment puis-je faire x dans mon histoire ? Quelle technique pour accomplir y ? Vous pensez quoi de faire z ?

Ce n’est pas parce qu’on est en écriture et que l’approche technique a (heureusement) traversé l’Atlantique depuis les États-Unis que l’écriture est devenue une science ; qu’il existe une bonne réponse, un code (ou une poignée) garantissant le succès dans l’exécution. Ça serait trop simple. Je dirais même, au contraire, que chercher cela est prendre le problème à l’envers. Cela revient à demander :

Comment puis-je faire un solo de guitare qui déchire ?

Ben, au-delà de te muscler les doigts, faire des gammes et comprendre l’harmonie, la réponse devient très vite éminemment subjective, tant pour toi que le public, et donc, elle ne peut connaître de réponse objective. En chercher une, je le crains, est même une manière assez sûre de tuer la vie et le naturel d’un projet.

D’accord, mais quand même, comment accomplir un effet donné dans une histoire ? Alors, on peut parler de pistes, bien entendu, on peut étudier des approches, partager son expérience. Mais il est fondamental de se rappeler qu’elles sont une voie parmi une infinité, juste un point de départ pour l’exploration. Trouver la manière d’accomplir quelque chose dans une histoire est nécessairement consubstantiel des événements, des personnages, du stade de l’histoire, et surtout, surtout, de la sensibilité et des intentions de l’auteur ou autrice. De la même façon qu’un solo de guitare émerge de sa chanson, et la nourrit en retour. Au bout du compte, c’est indissociable. Et surtout, ça ne connaîtra jamais de réponse absolue.

La question est légitime. Mais pour y répondre, je crois qu’il faut partir avant tout de son projet, de son envie personnelle, et de creuser en soi la manière dont on veut procéder dans cette instance précise. Car c’est de la création : une réponse ne servira qu’une fois telle quelle dans un contexte donné. Oui, les leçons acquises à cette occasion viendront nourrir les projets suivants, la clairvoyance, de manière à cerner peut-être un peu plus vite ce qui fonctionne ou pas ; mais à nouveau projet, nouvelles réponses, nouvelles exécutions subtilement ou très différentes.

Je sais, c’est pas pratique. Mais en fait, si on se laisse le loisir d’explorer et de se faire plaisir, c’est plutôt cool ! Comme dit le proverbe, on ne se baigne pas deux fois dans le même solo de guitare (ou un truc du genre). Vos réponses, votre personnalité, votre humeur à un moment (et même les difficultés qui peuvent être reliées à l’exécution d’un passage) sont mille fois plus intéressantes que tous les modes d’emploi du monde.

Veuillez ne pas en prendre ombrage, mais dorénavant, je crois que j’appellerai cela des “questions solo de guitare” avec cet article comme point de départ à la conversation – parce que ce genre d’interrogation sur l’approche revient assez souvent.

2022-08-28T08:17:48+02:00lundi 29 août 2022|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

Évidemment qu’on peut donner des conseils d’écriture, enfin

C’est un serpent de mer qui ressort régulièrement (ou plutôt des cris d’orfraie, tandis que l’amadou desséché de l’Internet énervé passe une fraction de seconde dans la lumière du soleil et explose façon supernova) : non, on ne peut pas donner de conseils d’écriture. C’est un processus profondément personnel, lié à des manières intimes de se sonder, et chacun, chacune a une approche et des jugements esthétiques différents. Toute conversation sur le sujet de l’approche romanesque est nécessairement prescriptive, donc (je résume au terme d’échanges tout de suite très énervés) : ta gueule.

En termes châtiés, disons que je trouve cette attitude extrêmement mystérieuse (et mon mauvais fond a envie de dire que ça peut peut-être cacher une forme détournée de gatekeeping ; moi, j’ai trouvé, toi, tu dois en baver). Or, c’est spectaculaire comme l’écriture est le seul art où l’on retrouve à la fois ce discours et les réactions épidermiques qui vont avec. Ça n’existe littéralement pas ailleurs, que ce soit en musique, dans le dessin, le game design, la décoration de bullet journal, etc.

Ça ne choque personne de prendre des cours de guitare pour apprendre la guitare. Ça n’exclut pas non plus les génies intuitifs qui prennent une guitare à quinze ans, font dans leur cerveau “ah OK, ça marche comme ça” et deviennent Jimi Hendrix. Personne ne dit que tu dois faire comme Hendrix ; personne ne t’interdit non plus de prendre des cours de guitare. On te dit juste : si tu veux apprendre la guitare, l’étape logique, c’est prendre des cours. Pourquoi ? Ben pour apprendre, bon sang. C’est un peu plus facile d’avoir quelqu’un qui a l’expérience pour te montrer, c’est juste du bon sens. Mais ah, tu peux aussi apprendre en autodidacte comme Hendrix, absolument. En revanche, sache que tu vas y passer un sacré temps et que tu as intérêt à avoir une sacrée motivation. Tu veux pas te faciliter la vie et prendre des cours ? C’est toi qui vois.

Au final, si tu en sors et que tu es Hendrix, personne ne va te demander ton CV ; t’es Hendrix. On s’en fout de par où t’es passé ; ta réalisation est la preuve de ton expérience – et au final, c’est quand même tout le but de l’apprentissage : réaliser les choses que l’on veut. La technique n’est pas une fin en soi, elle n’est qu’un moyen : en art, tout ce qui compte, c’est ce qu’on réalise (qu’on le diffuse ou pas – c’est une autre question).

Néanmoins, toute pratique soutenue d’un art passe par une pratique et un apprentissage dévoués et réguliers. On s’y prend bien comme on veut ; en narration, par exemple, on peut lire beaucoup, suivre des ateliers, méditer et expérimenter la technique, échanger, potasser des manuels, et évidemment rien de tout ça n’exclut le reste, et je trouve qu’idéalement, on essaie de faire tout ce qui précède. Le but, en tout cas l’idéal platonicien à mon sens, c’est de devenir Hendrix ; c’est de maîtriser son instrument (que ce soient la guitare ou les mots) au point qu’il s’exprime sans obstacle à travers soi, de la manière la plus distillée et aboutie pour être reçu de la manière la plus authentique, tout en ayant conscience (parce que Hendrix ne s’est pas arrêté de bosser, discutez avec n’importe quel musicien professionnel et il vous expliquera le temps constant de pratique qu’il investit chaque jour) que c’est un processus et non un but à atteindre (parce qu’il est inatteignable. C’est un idéal platonicien).

Il me semble que deux fondements pour cela, c’est la curiosité et la conversation. La curiosité pour son art, pour ce qui a été fait, comment on le fait, comment ça fonctionne, sans cesse ; c’est pour cela qu’affirmer qu’un auteur peut se permettre de passer de lire… me semble avoir autant de sens qu’un peintre qui prend soin de marcher dans la rue les yeux baissés “par peur que le réel l’influence”. (seriously?) Et ce qui va de pair avec la curiosité, c’est la conversation, portant sur l’art et sa pratique ; quant à ses résonances, ses courants, mais aussi les approches, les mécanismes qui peuvent être, quand même dans une certaine mesure, disséqués et analysés de façon raisonnée. Des phrases courtes servent généralement mieux une scène d’action. Sauf si l’on cherche à établir un ralentissement artificiel, par exemple pour induire un sentiment d’horreur ou d’inéluctable. Dès lors, quel est le projet ? Quelle est l’intention ? Quel outil vais-je utiliser pour m’efforcer de transmettre au mieux mes intentions, parce que je fais la démarche d’écrire pour être reçu·e par des gens avec qui je voudrais idéalement établir une connivence ? Voilà les questions intéressantes : qu’est-ce qui tend à créer quel effet ? Quel est l’effet que je recherche ? Niveau advanced : comment puis-je tordre l’attente pour créer quelque chose d’entièrement différent en prenant une technique à contre-pied ? Et il y a bien sûr une progression dans toutes ces étapes.

Opinion non populaire : dans certains discours très énervés qu’il m’a été donné de voir passer sur l’inutilité de la technique (et sur l’inutilité de lire), je lis le désir non pas d’écrire, mais d’être écrivain. De pouvoir se réclamer auteur, si possible en évitant le boulot qui va avec. Parce que c’est crevant, ça oui (demandez à Hendrix et à tout artiste pro). Et ça fait peur, aussi – croyez-moi, je sais. Mais il s’agit là de vouloir un prétendu statut, un fantasme, alors que la réalité du job, c’est le job lui-même. Et qu’on se fait beaucoup de bien en comprenant ça et en lâchant prise sur des choses sur lesquelles, en plus, on n’a guère de prise.

Je ne jette la pierre à personne. Tout le monde a le droit d’avoir ses rêves ; par contre, d’une, il faut avoir conscience que les rêves, ça se nourrit et ça se travaille, ça n’arrive pas tout cuit dans la bouche (enfin, ça peut, mais c’est quand même toujours plus sûr de bouger ses fesses, vous savez, dans le doute) ; de deux, on court toujours le risque de tomber de haut et il faut de la bravoure ; de trois, avoir des rêves, des angoisses, des douleurs même que sais-je, ne donne pas pour autant le droit de proférer des âneries qui perpétuent l’image dommageable que tout le monde est le Jimi Hendrix de la littérature dès sa première phrase parce que “ça se juge pas, y a pas de vérité objective”.

Il n’y a pas de vérité scientifique objective en art, certes. Mais entre ça et le grand globiboulga qui voudrait que tout le monde soit Marcel Proust au premier roman parce qu’on ne peut pas juger, il y a une sacrée marge. Il serait tout de même étrange que dans un métier on ne puisse pas parler de technique et de fiabilité d’approche. L’ignorance n’est pas une vertu, ne pas être curieux de son processus (ou de ceux des autres) non plus. Et s’il n’y a pas de règles absolues, si chacun doit apprendre à se connaître pour trouver sa voie, il y a aussi des codes, qui sont des chemins de moindre résistance parce que faisant appel à un ensemble de représentations mentales à peu près communes. Connaître les codes, c’est comme connaître par exemple les lois de la perspective en dessin : d’une, cela ne fera pas forcément de toi quelqu’un de génial, de deux, personne ne t’oblige à t’en servir. En revanche, si tu les ignores (quelle que soit la manière dont tu voudrais les apprendre), il est probable que tu te compliques la vie bêtement. “C’est bien beau de vouloir faire sauter la maison mais il faut connaître le plan pour savoir où placer les charges”, disait Elisabeth Vonarburg lors d’une masterclass que nous avions animée à trois avec Jean-Claude Dunyach.

Je vais sauter au-devant de la réplique facile qu’on pourrait me faire : « Hé, Davoust, tu prêches pour ta paroisse, tu donnes des ateliers, des masterclasses et t’as écrit un bouquin d’écriture, évidemment que tu protèges ton fond de commerce. » Sauf que ça ne fonctionne pas comme ça. Je ne me suis pas mis à le faire sorti du bleu sans avoir d’abord testé, dans l’activité et en conditions réelles, ce que je pouvais commencer à comprendre. (On ne fait jamais que commencer à comprendre.) L’activité sur laquelle je prends toujours soin de placer l’accent est l’écriture romanesque, et s’il m’arrive de le transmettre, c’est parce que je suis au front, tous les jours, à m’imposer à moi-même ce que je prêche, et que je m’efforce d’avoir derrière moi des réalisations pour le prouver. Ce que je raconte ne vous convient peut-être pas – c’est tout à fait légitime –, mais vous pouvez au moins être sûr·e d’une chose, je n’ai pas inventé ça le matin même au petit-déj, c’est parce que j’avais besoin d’outils, d’apprendre, que j’ai fait ce parcours, et je me dis aujourd’hui : hé, cela peut peut-être servir à d’autres. Je ne sais pas si mes romans resteront (et pour être honnête, je ne le crois pas ; mais peu m’importe, je recherche la plénitude dans la réalisation elle-même, non dans la postérité, à laquelle par définition personne d’entre nous n’assiste), mais peut-être ma mission en ce bas monde consiste-t-elle à l’apprendre pour moi-même afin d’arriver à le transmettre, pour que d’autres aient à leur tour les outils pour donner forme à leurs propres rêves. Hé, finalement, si j’arrive à faire ne serait-ce que ça, ce serait une vie pas si malhonnête.

Et ces traces, un jour, un autre être affligé,

Voguant sur l’Océan solennel de la vie,

Pauvre frère en misère, et seul et naufragé,

En les voyant, Peut-être aura plus d’énergie.

– Le Psaume de la vie, Henry Wadsworth Longfellow, trad. de sir Tollemache Sinclair.

Et si vous vous posez la question : dans toute l’équation, je ne suis évidemment pas Hendrix non plus. Dans l’équation, mes Hendrix, ce sont mes idoles, Vian, Zelazny, Le Guin, Danielewski, etc. En comparaison, disons que je suis l’équivalent d’un guitariste de métal qui sort des albums et tourne régulièrement : c’est-à-dire un acteur d’une scène underground, et ne vous méprenez pas, je suis incroyablement reconnaissant (et toujours un peu éberlué) d’avoir l’occasion de continuer à tourner et sortir des albums (heu, tout ça devient confus, mais vous suivez). Mais devant la page, chaque jour, il n’y a qu’une seule vérité : mon clavier, moi, et l’attitude que je vais avoir. Personne ne sait s’il ou elle sera Hendrix. Et au final, ça n’a aucune importance. On est uniquement ce qu’on est au moment d’écrire la phrase qui vient.

Et oui, bien sûr qu’on peut discuter de comment l’écrire du mieux possible. Et bien sûr qu’on peut s’écouter ensemble, réfléchir, expérimenter – et, au final, décider.

2022-02-24T10:42:26+01:00jeudi 24 février 2022|Best Of, Technique d'écriture|11 Commentaires

La naissance de Comment écrire de la fiction ? et l’existence des codes [entretien sur Elbakin.net]

Encore aujourd’hui, il est question des règles qu’il faudrait, ou pas, savoir maîtriser pour réussir à « transformer l’essai » et on rencontre toujours une certaine résistance, comme quoi, écrire, ça ne s’apprend pas. Est-ce un débat sans fin ?

Ce sera un débat sans fin tant qu’il y aura des gens pour générer de la controverse sur les réseaux commerciaux dans le seul but de se faire mousser. (J’imagine que ça veut dire oui ?) Oui, l’écriture s’apprend, la preuve : je sais d’où je viens, et j’affirme que j’ai appris.

Hou. Commencerais-je à être un peu vénère ? Mais gentiment. Pour votre bien. Tout ça. (Maman m’a dit, fais du buzz, mon fils, tu verras Montmartre.) (J’ai répondu : je veux pas voir Montmartre, maman. Le Café de Flore, ça paraît pas super bon, j’ai pas envie de boire du café fait avec des fleurs.) (Là, elle m’a collé un taquet, mais seulement parce que c’est pas au même endroit, et que ma mère est une farouche parisienne.)

Brefffff

Elbakin.net m’a tendu le crachoir à doigts (le clavier, hein) pour qu’on discute de Comment écrire de la fiction ?, d’où ça vient et pourquoi : c’est disponible ici.

2021-06-23T10:47:35+02:00mercredi 30 juin 2021|Entretiens|Commentaires fermés sur La naissance de Comment écrire de la fiction ? et l’existence des codes [entretien sur Elbakin.net]

Procrastination podcast S03E14 : “Un personnage doit-il toujours réussir ?”

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : “Un personnage doit-il toujours réussir ?“.

Les notions de héros et d’antagoniste dans les littératures populaires portent souvent en filigrane celles de réussite et d’échec, respectivement. S’agit-il d’absolus dont l’on peut tirer des codes, des règles, des motifs ? Comment les utiliser pour servir son projet ? Mélanie commence justement par les battre en brèche, arguant qu’ils ne s’appliquent pas à tous les genres ni tous les récits ; Laurent, en revanche, considère que la réussite et l’échec revêtent une grande importance narrative dans la progression de l’histoire, son réalisme et ses enjeux. Pour Lionel, une des grandes forces de la littérature consiste à rôder dans les nuances de gris, à interroger l’interprétation du lecteur, et c’est probablement l’une des formes narratives la mieux armée pour cela.

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2020-10-19T11:37:37+02:00lundi 1 avril 2019|Procrastination podcast, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Procrastination podcast S03E14 : “Un personnage doit-il toujours réussir ?”

Je veux écrire. Je démarre par où ?

bad-advice-675x900C’est une question qui revient souvent, et qui paraît simple en apparence, mais à laquelle on trouve soit des réponses très vagues (“mets-toi à écrire, travaille, fais des efforts, mange macrobiotique”) soit très commerciales (“facile ! achète mes cours par correspondance qui feront de toi un auteur de best-seller, seulement 99,99 € !”). Il faudrait donc tenter de taper entre les deux :

Saurais-tu me conseiller des formations sur l’écriture ? Globalement j’ai des idées, je connais un peu mes points forts et faibles, mais je n’arrive pas à structurer mon projet, peut-être parce que je ne me suis pas encore posé les bonnes questions. Ou un bouquin ?

Si je prends la liberté de reformuler : je débute (ou presque), je veux écrire (commencer / finir mon projet), je prends le problème par quel bout ?

Il s’agira donc ici, pour les grands débutants, de proposer quelques éléments de base, de toutes premières pistes pour pousser au-delà de la simple écriture “pour le tiroir”.

L’art est un mélange de technique et de tripes

Dès lors qu’on veut écrire pour d’autres que soi, on cherche à être compris. Dès lors que l’on cherche à être compris, on cherche à communiquer des intentions (narratives). Dès lors que l’on cherche à communiquer des intentions, il convient de connaître le langage dans lequel on s’exprime. En littérature, ce n’est pas seulement l’orthographe et la grammaire, ce sont aussi, beaucoup, les codes de la narration (qui ne sont en rien des règles, mais permettent de comprendre les attentes d’un lecteur et donc de maîtriser son récit).

Tout art est un équilibre entre :

  • La technique – la domination, disons, de son art, la maîtrise de son langage particulier, de manière à servir au mieux les intentions, les effets que l’on vise à obtenir ;
  • Les tripes – je n’aime pas le terme d’inspiration, qui donne l’impression d’un processus évanescent. Les tripes, c’est l’originalité de sa propre voix ; l’émotion personnelle, le regard individuel sur le monde – tout ce qui fait qu’un auteur, quand il va chercher profondément en lui, est le seul à pouvoir dire ce qu’il a à dire, et joue potentiellement sa vie et son sang dans un texte, parce que ce qu’il a dit a de l’importance pour lui.

La techique se développe, se travaille, s’apprend, potentiellement avec un tiers (cours / atelier / livre / relecteurs / etc.). Cela s’enseigne aussi relativement bien.

Les tripes viennent avec le travail, la maturité, l’affinement du regard. En un sens, elles se “travaillent”, mais ne se travaillent qu’à force d’écrire, de se casser les dents, d’apprendre de ses erreurs : c’est un mûrissement individuel.

La technique peut éventuellement atteindre un degré où l’on n’apprend plus grand-chose (comme un musicien virtuose finit par jouer sans trop de difficultés une grande partie du répertoire et plafonne s’il n’essaie pas de pousser plus loin). Les tripes s’apprennent pendant une vie entière et relèvent du parcours de chacun.

Travailler la technique donne de la structure, de l’unité aux tripes, et aide à affiner davantage leur expression.

Apprendre la technique ?

Qu’est-ce qu’on apprend, en gros, dans la technique ? Liste non exhaustive :

  • Construire un personnage
  • Maîtriser un rythme narratif
  • Affiner le style
  • Échafauder une intrigue intéressante
  • Gérer la tension
  • Etc.

Mais le plus important consiste à apprendre à se connaître soi-même pour employer les outils qui correspondent au mieux à sa façon de fonctionner.

kingwritingquoteApprendre seul

Il y a assez peu, en France, de ressources orientées sur l’approche pratique de l’écriture (même si cela évolue lentement), notamment dans la technique narrative. C’est un discours encore très anglo-américain, où les ressources sont légion : la moindre recherche Google livrera trois kilos de sites plus ou moins bien fichus. Être anglophone donne donc, clairement, un atout sur ce plan : l’approche est bien plus “mécaniste” qu’en France. (Une approche à consommer toutefois avec modération.)

Cependant, on commence à avoir pas mal de choses en français d’intérêt. Je vais forcément citer mes propres articles sur l’écriture, qui visent justement ce but (il faut bien que ça serve !) + les présentations des ateliers et masterclasses réalisés par Jean-Claude Dunyach et moi-même dans le cadre des Imaginales, téléchargeables ici. Cela fait déjà pas mal de matériel, qui donnera quantité d’autres pistes pour aller plus loin.

Question livres francophones, la porte d’entrée incontournable me semble être Comment écrire des histoires d’Élisabeth Vonarburg (chroniqué ici). On pourra enchaîner un peu plus tard avec Mes Secrets d’écrivain d’Elisabeth George (chroniqué ici).

Point de vue anglophone, le pendant du Vonarburg me semble être The Art of Fiction de John Gardner (non traduit), chroniqué ici. Le podcast Writing Excuses est un must (parmi les intervenants réguliers, on trouve Brandon Sanderson, devenu un des plus grands noms de la fantasy US).

Et ensuite ? La première règle de Robert Heinlein est : tu dois écrire. Il faut s’y mettre – s’exercer, se faire lire, recueillir des commentaires, apprendre à se relire, et puis recommencer.

Apprendre avec d’autres

On voit apparaître timidement des masters d’« écriture créative” (suscitant la controverse) alors que c’est très accepté outre-Atlantique. Difficile d’en recommander, vu que je ne les connais pas, mais l’apprentissage de la technique dans un cadre universitaire ne me semble pas aberrant.

Beaucoup plus courant en France : les ateliers d’écriture (virtuels, par forum par exemple, ou en personne). Se répartissent grosso modo en deux grandes catégories :

  • Les ateliers “communautaires” – tout le monde est au même niveau ou presque, tout le monde veut s’entraider et progresser. Chaque participant peut proposer des exercices à tour de rôle, et/ou chacun se lit et commente son ressenti sur les textes des autres. Ils peuvent s’apparenter à des cercles de lecture, où l’on lit sa propre production aux autres dans le but d’avoir des premiers retours. Ils sont rarement payants (ou du moins, ils ne dépassent pas la cotisation annuelle à une association).
  • Les ateliers “encadrés” – un responsable d’atelier, parfois quelqu’un du métier, prépare les séances, donne des exercices d’écriture. La lecture est là aussi souvent publique, avec un retour des participants, mais le maître de séance, en principe plus expérimenté, aide à cerner les failles et propose des axes d’amélioration, à la manière d’un travail éditorial. La version la plus poussée de cette formule est la masterclass, où l’on s’approche du cours magistral. Le prix peut être là bien supérieur, et très variable (allant de l’investissement bien placé à l’arnaque pure).

La qualité d’un atelier d’écriture est directement liée à la bonne volonté des participants, et, dans le cas d’un atelier encadré, à celle de son responsable. Un atelier peut constituer une expérience vraiment enrichissante et instructive comme un gâchis de temps et d’argent. Prudence, donc, en particulier si le responsable de votre atelier encadré fait payer ses séances 250 € par personne et qu’il n’a jamais publié que deux livres à compte d’auteur en 1982.

En conclusion

Ce tour d’horizon très sommaire n’a pour vocation que d’aider au tout premier pas ; d’ailleurs, auguste lectorat, n’hésite pas à citer en commentaires tes ressources favorites pour aider les débutants. Le plus important (que je martèle en atelier d’écriture), c’est qu’apprendre à écrire, c’est apprendre à se connaître. Pour savoir :

  • Ce qui a véritablement du sens pour soi à dire, à mettre en scène, pour ne pas oublier le plaisir et découvrir sa propre originalité, son propre discours ;
  • La façon dont on a, soi-même, besoin de travailer pour déverrouiller sa créativité (tous les moyens sont bons – tant qu’ils restent dans le cadre de la loi, hein)

Tout apprentissage doit passer par ces deux filtres, car il n’y a pas de vérité universelle en art. C’est bien pour ça qu’on continue à en faire après plusieurs millénaires.

2018-07-17T16:55:56+02:00lundi 26 janvier 2015|Best Of, Technique d'écriture|53 Commentaires

Les codes caractères les plus courants [pense-bête]

Ayant vu d’autres discussions sur la ponctuation des dialogues, la difficulté de les insérer, de s’y retrouver… je vous propose un simple petit cadeau à imprimer et à se scotcher (ou à punaiser à vos risques et périls) sous l’écran. Si vous êtes sous Windows et que vous peinez à insérer vos caractères, voici les codes des plus courants, entrés avec Alt + la combinaison de touches correspondante :

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Je rappelle par ailleurs qu’il existe des pilotes de clavier étendus pour faciliter la saisie (et même le Bépo, pour ceux qui veulent pousser l’ergonomie plus loin). Pour retrouver la série d’articles sur le formatage des dialogues, c’est ici.

2018-07-17T16:55:57+02:00lundi 20 octobre 2014|Best Of, Technique d'écriture|17 Commentaires

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