Annonce de service : droits des médias présents sur ce site

pirate_catBien, encore un article type “annonce de service” de manière à conserver une information quelque part pour référence ultérieure.

Je viens de modérer a priori un commentaire du type “l’image utilisée en illustration n’est pas sous licence libre, donc reproduite sans autorisation ».

J’ai une conscience aiguë du droit d’auteur, je le répète fréquemment, je suis photographe amateur par ailleurs, donc je suis très sensible à la question. Hélas, ce qui entoure les droits sur les images en ligne est bancal. Rien n’est plus facile à copier – de toute manière, tout ce qui est présent sur le web est souvent condamné à être repris, remixé, avec citation de la source quand on a de la chance. Ce n’est pas joyeux, mais c’est un fait difficilement contrôlable.

Pour être parfaitement clair, les images et autres médias, qui illustrent abondamment ce site et ce blog, ont toujours été :

  • Soit pris par mes soins
  • Soit achetés par mes fonds (eh ouais)
  • Soit crédités (les images génériques l’étant ici)
  • Soit trouvés ailleurs sur le Web, en illustration d’autre chose, à condition qu’ils soient dépourvus de toute mention de droits. (Les lolcats, par exemple.)

Mon attitude est globalement celle de la presse, comme celle de la rédaction de Canard PC, qui s’en expliquait clairement sur ce post de forum (gras de ma part) :

La question est compliquée. En réalité, absolument toute image ou texte appartient à son auteur. Si l’on applique le droit à la lettre, aucun site au monde n’a le droit de prendre la moindre image.

Et surtout, il ne suffit pas de citer la source pour avoir l’autorisation de l’utiliser, sauf lorsque cela est explicitement précisé comme dans la licence GNU.

Seul problème, c’est impossible. D’ailleurs, citer la source est souvent difficile car il faudrait remonter pour cela à l’auteur ayant pris la photo, et sur internet beaucoup de personnes s’approprient le travail des autres. […]

D’un autre côté, nous utilisons effectivement des banques de photos libres de droits (environ 1 dollars la photo) pour les illustrations du mag et certaines autres du site [NDLD : en ce qui me concerne, je fais appel aux images sous licence libre]. Mais il est impossible de le faire systématiquement. On fait donc comme tout le monde, on utilise ce qui existe sur internet et qui ne comporte pas de mention du genre ‘utilisation interdite’, mais de manière la plus modérée possible.

Oui, cela prête le flanc à une critique : si quelqu’un a piqué l’image d’un autre et l’a placée sur son site sans crédits, et que je reprends ça, je propage une erreur, c’est vrai. C’est justement pour cela que je mets toujours le lien de la page d’origine pour qu’on puisse éventuellement remonter la chaîne et tracer d’où ça vient, s’il y a effectivement réutilisation interdite. Si vous êtes concerné, vous saurez qui vous a blousé en premier. Quant à moi, je suis facile à joindre, et raisonnablement réactif. Je ne suis pas comme ReLIRE, je n’ai pas de nom sur la couverture ou la photo pour savoir que ça appartenait à quelqu’un à la base. Et si c’est marqué dessus que c’est interdit, je laisse gentiment où c’est. Si c’est autorisé, je crédite gentiment comme c’est demandé. Et si rien n’est dit, je précise d’où ça vient.

Donc, dorénavant, les cocos qui se croient malins avec ce genre de commentaire anonyme, faites donc un truc utile : renseignez votre site et/ou votre mail dans les champs idoines, histoire que je puisse vous contacter et tirer ça au clair avec vous. Sinon, abstenez-vous gentiment de troller si vous n’êtes pas concerné.

Encore mieux : si vous êtes effectivement l’auteur d’un contenu employé ici contre votre volonté, envoyez-moi simplement un mail par la page idoine en disant “mec, c’est ma photo que tu as utilisée, regarde ici, tu seras gentil de me l’enlever tout de suite, kthxbai ». Rien ne me fera plus plaisir que de vous envoyer un mail de plates excuses, de retirer aussitôt le document incriminé et même, si j’en ai en stock, de vous envoyer un bouquin en dédommagement, à mes frais. Ou une boîte de caramels au beurre salé. Ou une bouteille de chouchen. Un truc sympa pour dire pardon, quoi.

Par contre, si vous voulez juste faire les malins avec des messages anonymes pour me souffler dans les bronches et jouer au plus finaud sur le droit d’auteur, je rappelle que je suis sans pitié.

Et pour terminer sur une note plus agréable, je rappelle aussi les textes du blog (sauf mention contraire) – et bien les textes seuls, et du blog seul – sont sous licence Creative Commons.

Voilà, nous pouvons reprendre les activités habituelles. Bon week-end !

2013-06-27T18:17:48+02:00vendredi 28 juin 2013|Dernières nouvelles|3 Commentaires

Il faut cesser d’amalgamer droit d’auteur et copyright

Tandis que les anciens modèles économiques de distribution et de production de la culture se fissurent avec la dématérialisation et le téléchargement, un certain nombre de nouvelles théories émergent, des réflexions se forment, sur l’évolution de l’art et la rémunération de ses acteurs, du créateur au distributeur.

Parmi ces discussions, et puisque la plupart des initiatives viennent des États-Unis, on voit régulièrement la traduction, maladroite et erronée, de “copyright” par “droit d’auteur” en français.

Cet article vise à démontrer, de façon claire et définitive, pourquoi cet amalgame, en plus d’être une ânerie, représente un danger pour la création, et pourquoi, au lieu de considérer la question comme accessoire, les tenant du libre devraient au contraire s’en soucier au plus haut point.

Par ailleurs, cet article a été relu et validé par un spécialiste du droit d’auteur, qui étudie sur le plan juridique son application et les différences de régime entre US et France. Caveat : merci de ne pas venir protester en commentaires pour dire que les choses ne fonctionnent pas comme ça : mon métier me fait pratiquer cela au quotidien, ces questions font la profession de mon relecteur, ce qui, pardonnez-moi d’être abrupt, ne fait pas le poids face aux oui-dire, aux rumeurs et aux conceptions erronées.

Maintenant, avanti.

Quels sont les droits sur une oeuvre de l’esprit ?

Les droits relatifs à une oeuvre de l’esprit s’articulent selon deux axes.

Le respect de l’oeuvre : le droit moral

Le droit moral concerne la reconnaissance de la souveraineté du créateur sur sa création. Puisqu’il en est le créateur, sans qui rien n’existerait, il a tout pouvoir sur son oeuvre. Il peut notamment exiger que soit respectée l’intégrité de son oeuvre, et qu’elle ne soit pas exploitée d’une façon qui lui déplaise. Par exemple, le droit moral signifie, mais ne se limite pas aux points suivants :

  • L’oeuvre ne doit pas être altérée. (Le galleriste ne peut pas rajouter un Mickey sur mon tableau ; l’éditeur ne peut pas me sucrer un chapitre sans mon consentement.)
  • Elle doit être exploitée conformément à mes voeux. (Je peux refuser que Marine Le Pen utilise ma chanson pour introduire un de ses meetings si je déteste ses idées ; si un éditeur charcute une de mes traductions, je peux refuser que mon nom apparaisse pour ne pas être associé à ça.)
  • J’en suis le créateur et c’est inaliénable1. C’est le droit de paternité.

L’exploitation de l’oeuvre : les droits patrimoniaux

Avec les droits patrimoniaux, nous quittons le monde pur de l’idée. Quand une création est disséminée, elle est exploitée, et cela relève classiquement de la logique économique : le public va jouir de l’oeuvre, en retirer un plaisir (ou un avantage, si, par exemple, une entreprise veut illustrer sa publicité avec ma chanson), et va donner de l’argent en échange de ce travail. Sachant que dans la logique de marché2, la jouissance d’un produit se rapporte à l’achat de celui-ci, l’exploitation de la création se fonde, en première approche, sur la production d’exemplaires et leur commercialisation.

C’est ce que recouvrent les droits patrimoniaux : une oeuvre fait partie du patrimoine d’un créateur, droits qui sont exploités contre, espérons-le, rémunération. Notons que ces droits appartiennent à la base, eux aussi, au créateur ; mais que, la plupart du temps, il n’est pas armé pour les exploiter (on est rarement auteur, éditeur, distributeur et libraire à la fois), aussi va-t-il les céder, contre rémunération, à un acteur qui va, lui, les exploiter, et dont c’est le métier.

C’est pourquoi les contrats d’édition etc. s’appellent techniquement des “contrats de cession de droits d’exploitation ».

Maintenant, abordons les particularités des deux régimes : copyright et droit d’auteur.

Copyright Vs. Droit d’auteur

Même Wikipédia, en préambule de la page copyright, fait un distinguo clair :

Le copyright relève plus d’une logique économique et accorde un droit moral restreint, là où le droit d’auteur assure un droit moral fort en s’appuyant sur le lien entre l’auteur et son œuvre.

Entrons dans les détails.

Qu’est-ce que le copyright ?

Le copyright est une marchandise.

Le copyright, étymologiquement, concerne the right of the copy, ce qui n’est pas, contrairement à ce qu’on lit partout (autre ânerie), le droit de copie, mais le droit relatif à l’exemplaire, soit, en réalité, avant toute chose, le droit relatif à l’exploitation des oeuvres, soit les droits patrimoniaux. Le copyright, reconnu à l’échelle mondiale, mentionne un droit moral, mais celui-ci – et c’est toute l’importance du distinguo – est secondaire aux droits patrimoniaux. En d’autres termes, pour simplifier, pour qu’il existe une exploitation d’une oeuvre, il faut quelqu’un à qui l’attribuer, donc cela implique la nécessité d’un droit moral, mais celui-ci est réduit. Le droit moral, dans ce régime, peut être cédé de manière irréversible. Dans le régime du copyright, tout droit est achetable, et son acquéreur en fait ce qu’il veut. Je n’aime pas l’expression, mais le copyright est, pour simplifier, la loi de l’argent.

Par extension, le copyright peut s’appliquer à toute oeuvre de l’esprit originale – un logo, comme celui des Jeux Olympiques – et peut être déposé par un producteur, un éditeur, une entreprise, sur une oeuvre, collective ou non. C’est une première évidence qui fait de la traduction de “copyright” par “droit d’auteur” une absurdité : comment peut-il y avoir un droit d’auteur quand on a affaire à la création d’une entreprise américaine qui a acheté le droit de paternité d’une oeuvre, au point qu’il n’y a donc plus d’auteur ?

Pour résumer : Copyright = Droits patrimoniaux > Droit moral

Qu’est-ce que le droit d’auteur ?

Le droit d’auteur protège l’Homme.

Il protège avant toute chose, non pas l’oeuvre, mais les droits du créateur sur sa création. Ils sont inaliénables, et seuls les droits patrimoniaux sont cessibles.

Hérité du droit romain et repris en 1789 avec la Révolution, le droit d’auteur, en vigueur en France et dans certains pays européens, emploie la logique inverse du copyright. Il place le droit moral – donc le créateur, souverain sur son oeuvre, celui sans qui, rappelons-le, rien n’existerait – au centre du dispositif, et les droits patrimoniaux découlent de son désir d’exploitation. Seul un créateur dispose de droits d’auteur. Pas une compagnie, une entreprise, un acteur économique3, seulement un créateur (ou un groupe de créateurs), ce qui place l’art au centre du dispositif économique, et subordonne, autant qu’il est possible et contrairement au copyright, l’importance de la création aux impératifs de marché, et non l’inverse.

Selon le droit d’auteur, le droit moral est souverain, non pécuniaire, incessible et inaliénable.

Pour résumer : Droit d’auteur = Droit moral > Droits patrimoniaux

Pourquoi il faut faire la différence

Même si les deux régimes s’efforcent de répondre aux mêmes impératifs, ils le font de manière opposée, répondant à deux conceptions différentes de l’économie, l’une anglo-américaine et libérale, l’autre européenne et d’ascendance romaine. Dans le droit d’auteur, le droit moral prime, ce qui place la création avant la logique économique, alors que dans le copyright, les droits patrimoniaux priment, ce qui place l’économie avant la création.

Répétons-le :

Le copyright est une marchandise.

Le droit d’auteur protège le créateur.

Or, droit moral, par exemple, il ne pourrait exister les licences Creative Commons chères aux libristes. En effet, dans une licence CC-By, par exemple, un artiste abandonne ses droits patrimoniaux, MAIS – et c’est le pilier de la licence, une des façons par lesquelles bien des créateurs se sont faits connaître, comme Cory Doctorow – il exige que l’oeuvre lui soit attribuée. C’est encore plus prégnant dans le cas de la licence CC-By-SA, où l’auteur autorise à ce que son travail soit “remixé”, adapté, édité, MAIS uniquement si la nouvelle oeuvre résultante est distribuée selon le même mode libre. C’est une expression très forte du droit moral.

Quelle équivalence ?

Il n’y en a pas, même si une certaine partie des régimes se calquent l’un sur l’autre. Mais, en défintive, c’est très simple.

Le “copyright” en anglais, c’est le “copyright” aussi en français, car, on l’a vu, cela fait appel à une conception et un régime anglo-américains des choses.

Le “droit d’auteur », c’est “author’s rights” en anglais. Car cela fait appel à quelque chose de différent de leur conception des choses.

Il est capital de faire la distinction car, quand nombre d’activistes veulent torpiller le copyright et qu’ils traduisent par droit d’auteur, ils s’attaquent justement au pilier qu’ils souhaitent valoriser et défendre le plus souvent : le droit moral. La loi est un domaine rigoureux, où le vocabulaire a un poids, un sens précis, et qui ne tolère par l’à-peu-près.

Si l’on veut parler de ces sujets, il convient de savoir exactement de quoi l’on parle et d’employer les mots justes, en sachant ce qui se place derrière, si l’on veut commencer à être écouté.

EDIT : Franck Macrez, juriste et spécialiste du droit d’auteur, apporte ces précisions à l’article : 

Dans le droit moral, il n’y a pas que le droit au respect, dommage de le réduire à cela (le droit de divulgation c’est fondamental). Dans les droits patrimoniaux, il y a reproduction et représentation (important car le copyright ne connaît que la copie, d’où les textes absurdes qui nous viennent de Bruxelles, p. ex. sur les copies provisoires).

  1. Pas aux USA – ou le droit de paternité est cessible.
  2. On peut vouloir changer de logique. On conviendra qu’avant de réformer le copyright, il va d’abord falloir une révolution bolchevique pour changer la société, et ce n’est pas le thème de cet article.
  3. Hormis dans le cas d’ayant-droits après décès du créateur, mais il s’agit d’un transfert de droits.
2014-08-30T18:32:02+02:00vendredi 19 octobre 2012|Best Of, Le monde du livre|27 Commentaires

Créer du lien : souris à tumeurs, boum-ksi boum-ksi, Paul Valéry, coming-out et hey.

Créons du lien, tel un bon petit idéaliste à cheveux longs inscrit au potager communal, car j’en garde bien trop de côté dans l’espoir d’en faire des articles qui ne voient jamais le jour. Et c’est l’occasion aussi de répercuter certaines des bêtises dont seuls Facebook et Twitter profitent, c’est quand même ballot, des bêtises si bêtes. (Merci à ceux qui m’en recommandent également.)

Parlant de potagers, on a déjà causé de l’étude-buzz sur la nocivité des OGM, continuons en signalant deux articles qui démontent la statistique de l’étude et prouvent, de façon didactique, que l’article ne prouve rien.

Les droits des créateurs sur leurs oeuvres sont menacés, nouvelle pièce à verser au dossier : les scientifiques, dont les travaux sont réalisés grâce à l’argent public, diffusent gratuitement leurs publications (ça semble la moindre des choses). Sauf que certaines bases documentaires les vendent à des prix exorbitants. Soit dit en passant, c’est la parfaite démonstration par l’exemple de l’importance du volet moral du droit d’auteur – ici bafoué – alors qu’il n’y a pas de copyright – certains de ces articles sont diffusés sous licence libre. On en reparlera en détail.

Jean-Luc Romero, premier homme politique à avoir fait son coming-out, donne une magistrale leçon au cardinal Barbarin (pour qui l’homosexualité ouvre la voie à l’inceste) à travers cette lettre ouverte, faisant la magistrale et pacifique démonstration que bien des prétendus messagers d’amour de l’Église ne sont guère plus que des coquilles vides protégeant des valeurs desséchées.

Un peu de poésie, alors ! Pour Léviathan : Le Pouvoir, je cherchais une citation précise dans le Cimetière marin de Paul Valéry. Le texte n’est pas dans le domaine public chez nous, mais dans d’autres pays, oui, ce qui le rend accessible en ligne. Aqui esta.

Trop mou ? Je suis en train d’indexer ma collection de musique, alors je voulais me renseigner sur les genres de l’électro. J’ai eu peur.

Et sinon, hey.

2012-10-10T11:05:49+02:00mercredi 10 octobre 2012|Juste parce que c'est cool|11 Commentaires

Des solutions de 1990 pour des défis de 2010

L’idée n’est pas nouvelle, mais sa généralisation l’est : la société Open Garden – qui propose déjà son application au téléchargement – se propose d’ouvrir à tous un accès Internet gratuit où que l’on se trouve dans le monde. Il s’agit simplement pour chaque particulier d’offrir un point d’accès à son réseau, en échange de ceux que lui offriront les autres abonnés à Open Garden, à la manière des accès sans fil dont bénéficient les abonnés à Free en échange de l’ouverture de leur propre Wi-Fi. La différence, c’est qu’ici, la solution est indépendante de l’opérateur.

Pour que cela marche, évidemment, il faut qu’assez d’utilisateurs installent Open Garden pour constituer un réseau suffisamment dense – en d’autres termes, que l’idée décolle et atteigne une masse critique qui la rende véritablement intéressante.

Indépendamment de sa viabilité, difficile de s’empêcher un rapprochement avec la verrue qui orne notre code de la propriété intellectuelle depuis juin 2009 : la loi Hadopi, bien sûr, pour laquelle j’ai un amour sans bornes. À travers une pirouette rhétorique digne du Cirque Pinder cette funeste et ubuesque loi crée le délit de non-sécurisation de l’accès à Internet, afin de s’assurer qu’il n’en soit fait que des usages conformes aux bonnes moeurs.

Mais quid si, en bon hippie aux cheveux gras, j’ouvre volontairement mon réseau aux gens qui passent, parce que – scandale – je suis un mec qui partage ce que je paie, à travers une application comme Open Garden par exemple ? Les données se délocalisent de plus en plus à travers les services du cloud. Si, demain, Internet ne devient qu’une vaste toile sans point d’accès précis, qui doit sécuriser sa ligne ? Contre quoi, comment ?

Encore une fois, la technique devance l’incompréhension du législateur face à une technique qu’il ne comprend que très partiellement, et dont il ignore les vrais usages : la loi du tomahawk et de la bombe atomique. Pendant ce temps, création et édition essaient désespérément de s’en sortir face à l’exploitation non autorisée des oeuvres, le manque à gagner démoralisant qu’il représente et l’inefficacité démagogique d’un arsenal législatif souvent aux antipodes de ses désirs (rappelons par exemple que la SACEM, souvent désignée comme grande méchante par ignorance, réclamait l’interopérabilité des mesures de protection dès la loi DADVSI et préférait que soit tout simplement prélevée une compensation financière sur les abonnements Internet plutôt que le délire psychotique Hadopi). Le consommateur voit ses droits bafoués avec des DRM abusifs. Et le contribuable verse des sommes astronomiques dans des gouffres ineptes et inefficaces.

Alors oui, je critique, mais je n’ai pas d’idée géniale, non, hélas. En revanche, je sais reconnaître une idée idiote – Hadopi – quand j’en vois une, et je sais au moins dire pourquoi. Preuve supplémentaire à l’appui.

2012-09-07T10:09:22+02:00vendredi 7 septembre 2012|Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Des solutions de 1990 pour des défis de 2010

Divers incendies dans le monde du livre

Photo April Sikorski (licence CC-BY-SA-2.0)

J’aimerais bien proposer une analyse de fond des deux dossiers qui agitent en ce moment le monde du livre, l’un à portée générale puisqu’il s’agit d’une loi, l’autre constituant plutôt une illustration de la complexité du droit d’auteur et de l’édition à l’heure actuelle, mais les passions sont déjà tellement déchaînées – et on lit tellement d’absurdités qui brocardent l’expression “droit d’auteur” qu’honnêtement, je suis un peu blasé. Puisque tu es intelligent, auguste lectorat, tu sais te faire une opinion, tu sais chercher des articles défendant des points de vue dans un sens ou dans l’autre, alors je vais me contenter de porter les dossiers à ton attention si tu n’es pas déjà au courant, en m’efforçant de présenter seulement les faits sans cris d’orfraie, mais je ne peux pas ne pas m’en faire l’écho.

L’exploitation des oeuvres épuisées

Première question, la plus sérieuse car relevant d’une loi : l’exploitation des livres épuisés au XXe siècle. L’État se propose de créer un cadre juridique où les livres indisponibles puissent être ré-exploités sous forme numérique dans l’intérêt de leur diffusion, et par une société de perception des droits type SACEM. Là où le bât blesse pour les auteurs, c’est que cette exploitation peut se faire de manière automatique sans l’accord des ayants droits à moins de s’y opposer au préalable. En clair : j’ai écrit un livre en 1950 qui n’a jamais été réimprimé, on peut le republier sans me demander mon avis. Si je veux me charger de l’exploitation ou si je désavoue l’oeuvre (car une version corrigée a été publiée ensuite, si j’en ai honte, etc.), je dois m’opposer activement à la démarche. Ce qui est totalement contraire au droit du créateur.

Car le droit d’auteur est inaliénable : il est le seul à décider ce qu’on fait de son oeuvre ou pas – en tout cas tant qu’elle n’appartient pas à la postérité, ce qui ne saurait se décider avant sa mort et plutôt un bon moment après (c’est le rôle du domaine public). Le collectif Le Droit du Serf a mis en ligne une pétition qui explique très bien la position des auteurs en préambule (extrait) :

Pour information, il est rarissime que l’indisponibilité d’un ouvrage ressortisse à la volonté délibérée de l’auteur ou de ses ayants droit. Dans une immense majorité des cas, elle est le fait des éditeurs auxquels les auteurs ont cédé le droit d’exploitation commerciale et qui ont cessé d’exploiter ce droit sans toutefois leur en rendre l’usage. Or, le projet de loi que vous allez réexaminer prévoit que l’éditeur en défaut de commercialisation bénéficie au même titre que l’auteur des dispositions de la loi.
Pour réflexion, il arrive également qu’un auteur ne souhaite pas que tel ou tel de ses ouvrages soient remis dans les circuits de diffusion, par exemple parce qu’il a depuis publié un autre ouvrage plus complet auquel la publication numérique du précédent ferait concurrence.
L’auteur seul – ou à défaut ses ayants droit – peut décider d’une nouvelle diffusion de son œuvre. Tout éditeur – numérique ou papier – qui souhaiterait exploiter son œuvre se doit en premier chef de lui proposer un contrat.

Si vous êtes convaincu, elle se trouve ici, avec l’argumentation complète.

Les traductions d’Hemingway

Autre affaire qui illustre la complexité du droit littéraire : les traductions d’Hemingway sont considérées comme lourdingues et en grand besoin de rénovation. Sauf que, malgré la tombée dans le domaine public de certains de ses livres dans certains pays, il est impossible de se les approprier pour en réaliser une nouvelle traduction sur le territoire français. Je cite cet article, qui résume bien la situation1 :

L’écrivain François Bon, l’éditeur Publie.net et ses diffuseurs ont reçu ce jour un courrier des éditions Gallimard leur demandant le retrait de la nouvelle traduction du Vieil homme et la mer que venait de publier François Bon sur Publie.net […]. Gallimard rappelle dans ce courrier qu’il dispose des droits d’édition (y compris numériques) pour toute édition française de l’ouvrage (pas seulement celle de Jean Dutourd réalisée en 1954 qu’exploite la maison de la feu rue Sébastien Bottin) : cette traduction non autorisée constitue donc une contrefaçon.

Reconnaissant son erreur, Publie.net a immédiatement retiré l’ouvrage de son site et les diffuseurs également.

Cette méprise est bien évidemment due à la complexité du droit d’auteur, qui diffère en durée selon le pays d’origine des auteurs et les pays où il s’applique. Ainsi, si l’oeuvre d’Ernest Hemigway est entièrement libre depuis cette année au Canada qui dispose de la règle des 50 ans de droit après la mort de l’auteur (Hemingway s’est suicidé en 1961) quel que soit son pays d’origine […], cela n’est pas le cas aux Etats-Unis, où, si quelques oeuvres d’Hemingway sont libres (la loi par défaut étant de 50 ans après publication sauf prorogation qui porte alors à 75 ans après la mort), ce n’est pas le cas du roman paru en 1952 dont les droits ont été prorogés et qui appartient jusqu’en 2047 à son éditeur Scribner dont le fond désormais appartient à Simon & Schuster propriété de CBS corporation. Ce n’est pas le cas donc en France, où Gallimard dispose des droits sur toute traduction française jusqu’à ce que ceux-ci s’élèvent dans le domaine public aux Etats-Unis, car, comme le soulignait Numerama, l’article L123-12 du code de la propriété intellectuelle impose une durée de protection similaire à celle du pays d’origine de l’oeuvre, soit 2047. La durée de droit de la traduction de Jean Dutourd, mort en 2011, elle devrait courir jusqu’en 2081 (70 ans après la mort de l’auteur)…

Bonus Track : l’accréditation des auteurs au Salon du Livre

EDIT : Apparemment, tous les auteurs peuvent être à nouveau pré-accrédités sur le site du SdL.

Allez, un troisième incendie pour le prix de deux, je le mentionne parce que ça va arriver en commentaires : cette année, les auteurs ne sont plus gratuitement accrédités au Salon du Livre de Paris s’ils n’ont pas une dédicace ou une actualité sur l’année passée. Pour changer, un avis sur la question : je découvre cette année que les auteurs étaient gratuitement accrédités à travers ce mini-scandale, c’est dire si je me sentais concerné. Le Salon du Livre fait ce qu’il veut, c’est un événement à portée marchande, et non une institution publique tenue de quoi que ce soit. Pour ma part, je n’y ai jamais fichu les pieds de toute ma vie, même en touriste, et ça ne m’a jamais empêché de travailler. (C’est peut-être très sympa, je n’en sais rien, mais l’occasion ne s’est jamais présentée, j’habite à 450 km et je n’ai jamais fait le voyage pour.) Les événements fonctionnent sur leur renommée et leur affluence, soit l’offre et la demande : je pense que si la politique ou les conditions d’un salon ne conviennent pas à un auteur, il n’y va pas – ce qui n’empêche pas de rester bons amis. Ce ne sont rien de plus que des affaires, comme les conditions d’un contrat.

  1. Même si j’ai toujours beaucoup de mal avec la désignation des industries culturelles comme grandes méchantes : à mon humble avis, les industries lourdes et les États se contrefichent de la culture et s’en servent uniquement comme prétexte “honorable” à leurs noirs desseins (Hadopi, ACTA, SOPA, etc.) et indépendamment de la réflexion qui se conduit sur le droit et l’usage de l’information, mêler Gallimard et SOPA dans un même article me fait un peu l’effet de relier des événements sans rapport entre eux.
2012-02-20T17:40:29+01:00lundi 20 février 2012|Le monde du livre|23 Commentaires

Parlons sérieusement d’Internet (5) : vers l’infini et au-delà

Les débats sur Hadopi sont actuellement figés jusqu’au 24 septembre – le temps pour nous de souffler un peu avant la reprise de cette navrante pantalonnade. D’ici là, ce blog sera loin, j’espère, avec une reprise à peu près normale du cours de ces expériences en temps réel. Je m’efforcerai d’ailleurs de trouver un accès wifi dans les jours qui viennent pour vous faire partager un peu l’ambiance de la Worldcon, ce qui sera hautement plus marrant.

Mais avant, bouclons cette série d’articles. Dans les entrées précédentes, nous avons plaidé contre Hadopi, contre le principe de loi visant à contrôler ou réprimer la circulation de l’information sur Internet (rappellons-nous le vieux mantra hacker : « Information wants to be free »). Mais l’on ne peut évidemment laisser la création dans la crise économique où elle se trouve, car, au-delà des innombrables emplois concernés dans la filière, la culture est une composante fondamentale de toute société humaine ; or elle ne se travaille, ne s’affine et ne s’améliore convenablement que si le contexte économique, la rémunération, le lui permet.

(suite…)

2010-02-01T18:27:57+01:00lundi 3 août 2009|Humeurs aqueuses|2 Commentaires

Parlons sérieusement d’Internet (3) : pose cette loi, tu vas te faire mal

Je vis depuis ce matin un cauchemar croissant en mesurant avec une consternation mêlée de colère l’imbécilité crasse de nos parlements – ou leur danger, choisissez. La nouvelle loi Hadopi, qui vise à compléter le dispositif décapité par le Conseil Constitutionnel, a été votée ce matin par le Sénat dans l’indifférence totale et le calme le plus complet. Alors, que, quand même, rappelons que cette loi :

  • Oblige l’internaute à sécuriser sa ligne (donc à installer un logiciel espion sur son poste, comme présenté en part deux)
  • Ouvre la boîte de Pandore de la surveillance de la correspondance électronique privée (infos par exemple ici)

Je crois qu’il est maintenant indiscutable que le droit d’auteur est le simple épouvantail rhétorique (comme l’est la pédophilie pour la loi LOPPSI 2) visant à établir une surveillance et un filtrage odieusement disproportionnés par rapport à l’objectif visé. La technique de manipulation est simple : brandir un argument irréfutable (qui s’opposerait aux droits des artistes ? à la protection de l’enfance ?) pour installer des mesures abusives et souvent sans commune mesure avec le but proclamé.

Je t’avoue, ô auguste lectorat, ma fatigue et mon écoeurement en cette matinée estivale, mais, tel un gouvernement sourd et aveugle, je continuerai, implacable, ma route et ma démonstration par l’absurde ; pour ce qui est de l’activisme, d’autres font ça bien mieux que moi.

(suite…)

2010-02-01T18:28:35+01:00jeudi 9 juillet 2009|Humeurs aqueuses|4 Commentaires

Parlons sérieusement d’Internet (2) : l’absurdité HADOPI

Le problème avec cette série d’articles, c’est que l’actualité va bien trop vite pour mes maigres doigts. Peu importe ; il existe des sites d’informations bien spécialisés dont c’est le travail… si l’on lit entre les lignes et qu’on résiste à la démagogie un peu anarchiste qui les teinte parfois. Notre but ici, ensemble, consiste à nous efforcer de voir à tête reposée tous les points de vue pour en tirer des leçons et, peut-être, des solutions. Cela impliquera un temps, pour les besoins du raisonnement, d’adhérer à des opinions discutables, afin de traquer les incohérences où qu’elles se trouvent.

Je t’ai laissé, ô lectorat haletant, suspendu à la promesse d’une approche différente, tel un homme politique en campagne électorale ou le spectateur découvrant que le wagon où s’est faufilé Fox Mulder vient d’être bombardé à la fin de la saison 2 d’X-Files.

(suite…)

2010-02-01T18:28:42+01:00mercredi 1 juillet 2009|Humeurs aqueuses|2 Commentaires

Parlons sérieusement d’Internet (1) : caveats et prolégomènes

Pour conserver du respect pour les saucisses et les lois, il ne faut point les regarder faire. – Bismarck

Le conseil constitutionnel a décapité le concept de riposte graduée de la loi HADOPI, le gouvernement prépare une nouvelle étape dans la régulation d’Internet (loi LOPPSI 2), les ventes de disques sont en chute libre, le livre s’intéresse à l’édition électronique, the times, they are a-changin’…

Les débats sur le téléchargement, la consommation de la culture, l’information et l’expression en ligne durent depuis une bonne dizaine d’années, de la bulle Internet (qui fit un retentissant ploc) aux autoroutes de l’information en passant par le jeu en ligne, les réseaux sociaux, la mutation de la presse. Seulement, récemment, le législateur français a  décidé de s’y intéresser de près, d’abord avec la loi DADVSI et surtout avec la tristement célèbre loi Création et Internet, dite HADOPI, qui fait encore des vagues.

Sauf qu’il fait un peu nawak.

Et que, pendant que nos députés s’amusent à comprendre la différence entre un pare-feu et un logiciel de bureautique (« Mais sur les logiciels libres vous pouvez également avoir des pare-feux […] Par exemple, nous au ministère, nous avons un logiciel libre, qui s’appelle Open Office » – célèbre bourde de Christine Albanel) , qu’ils s’efforcent de réglementer un système dont leur ignorance crasse ne vaut que celle de leurs prétendus experts, la culture, ses acteurs et ses artistes se débattent en nombre pour garder la tête hors de l’eau et s’efforcer de survivre (« Nous allons continuer à nous battre contre le droit des auteurs » – Malencontreux lapsus de la même).

Et ça, ça me rend méchant.

Bref, on n’est pas là pour déconner.

Euh… bref.

(suite…)

2010-02-01T18:28:48+01:00lundi 22 juin 2009|Humeurs aqueuses|3 Commentaires

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