Joies de la société de l’information

Mon article anti-abstentionnisme hier a déclenché des tollés, ce à quoi je m’attendais, mais surtout, il a déclenché un certain tonnerre de réactions qui, franchement, suscite en moi presque davantage d’inquiétude sur le discernement de mes concitoyens que le triste résultat du scrutin de dimanche.

Par conséquent, il convient, dans l’intérêt de la raison (big up à Korzybski) de clarifier un ou deux points.

Déjà : il y a une différence entre l’abstention et le mouvement abstentionniste. Chacun fait bien ce qu’il veut, et le truc génial avec une société moderne, c’est qu’on peut être en désaccord et continuer de ce se parler. Quand je parle d’abstentionnisme, c’est faire l’apologie de l’abstention. Ce qui entraîne le point suivant :

Scoop : je ne suis pas l’alpha et l’oméga d’Internet. Renversant, je sais. Quand je bannis jusqu’à nouvel ordre le discours abstentionniste, c’est sur MES réseaux (blog, réseaux sociaux). Je ne suis tenu en rien de fournir une tribune (à mes frais) à des discours qui me déplaisent. Ici, c’est chez moi. Je considère à titre personnel ce discours délétère et je n’ai pas l’énergie d’en discuter actuellement. Je n’ai pas envie de contribuer indirectement à sa propagation (à l’instar d’autres idées). Il est donc banni ICI. Cela devrait aller sans le dire, mais tout le monde a (encore) le droit de discuter de ce qu’il veut ailleurs. Aussi, quand j’endigue un flot de commentaires scandalisés de gens qui débarquent pour la première fois sur le blog proclamant à la censure ou qui s’offusquent de mon fascisme, je suis très inquiet sur la confusion des notions. La liberté d’expression est garantie par l’État, pas par moi. Quand vous êtes chez un végétarien, vous ne lui bourrez pas le mou sur son choix de vie et que pourquoi y a pas de l’entrecôte à dîner nom de dieu : vous lui foutez la paix (ou bien on vous fout dehors). Ici, c’est exactement la même chose. C’est un sujet dont on ne parle pas ici jusqu’à nouvel ordre parce que j’en ai marre. Vous avez vos raisons, okay, elles vous regardent, vous m’excuserez d’en disconvenir ; si, en plus, vous vous abstenez sans prosélytisme, je ne suis toujours pas d’accord avec vous mais je salue votre cohérence ; le prosélytisme sur ce sujet, en revanche, m’exaspère et m’épuise. C’est un peu comme avec la religion, quoi.

Quand je constate l’énergie et le temps que certains ont passé à essayer de contourner mes mesures de modération, à rédiger des tartines sur l’abstention comme en provocation, à balancer insultes et grossièretés, à se sentir exister en disant “je m’en carre de faire partie de tes potes”, j’ai juste envie de dire : CQFD. Pour un mec qui lâche sa tartine, quelle énergie dépensée en vain ? Qui aurait pu être employée à plus utile ? Il faut un quart d’heure pour rédiger un long commentaire, je n’ai besoin que de cinq centièmes de seconde (aussi vite que la transmutation d’X-Or) pour l’annihiler sans remords s’il contrevient aux règles exposées. Si c’est comme ça que certains espèrent changer le monde, en vociférant sur Internet dans le vent, on n’est pas sorti du sable.

Par ailleurs, j’ai un petit conseil d’ami pour tous les révolutionnaires candides en puissance. Prenons l’exemple de Bob (le prénom a été changé – étonnant, non -, mais le cas est réel, et j’en ai d’autres). Bob est très énervé par ce que Davoust raconte chez lui et se sent très obligé de lui expliquer qu’il a tort et qu’il marche au bruit des bottes des partis démocratiques, houlàlà.

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Source (immortelle)

Bob pense bien ce qu’il veut, hein, hé. Mais Bob se sent obligé de commenter quand même sur le blog, et ses commentaires sont passés en file de modération. Les commentaires contrevenant à la charte, je les oblitère les uns après les autres.

Mais Bob est toujours énervé, alors Bob va expliquer cette fois sur Facebook, dans les mêmes termes, avec des copier-coller, qu’il a raison. Peut-être bien, mais osef ; comme cela contrevient toujours à la règle du jeu, les mêmes réactions sont effacées. Au bout d’une demi-douzaine de tentatives, Davoust a quand même piscine et finit par bloquer Bob histoire d’avoir la paix.

Maintenant, un petit cours de fonctionnement d’Internet. Après ce bref échange, je possède, sans avoir levé le petit doigt :

  • L’adresse mail de Bob (qu’il a obligeamment renseignée dans le formulaire de commentaires sans en mettre une bidon…) ;
  • Son vrai nom (qu’il met obligeamment en clair sur Facebook), sa photo, plein d’informations publiques le concernant ;
  • Son adresse IP (laquelle est loggée à chaque commentaire – procédure antispam standard de toutes les plate-formes de blogging).

Tout ça sans faire le moindre effort : Bob m’a donné toutes ces infos de lui-même. Je ne veux pas dire, mais si un État mal intentionné arrivait au pouvoir, il retrouverait Bob sans difficultés avec une seule de ces informations (pour lui loger une balle dans la nuque, par exemple).

Le jour où Bob “se lèvera contre l’oppression”, comme il le promet, je garantis qu’il ne fera pas un pas hors de chez lui (plus probablement parce que c’est en réalité un rebelle de canapé, mais c’est une autre histoire) : s’il m’a fourni à moi, un particulier, toutes ces informations de lui-même, que peut-on imaginer que Google, Facebook ou l’État possèdent sur son compte ?

Ben merde alors. Si même ceux qui doivent me protéger de mon aveuglement et des méfaits du système démocratique montrent une telle incompétence révolutionnaire, mais sur qui vais-je pouvoir compter, à la fin ?

2015-12-08T10:08:19+01:00mardi 8 décembre 2015|Humeurs aqueuses|63 Commentaires

L’impératif moral de l’histoire

Couv. Hulton Archive / Getty Images et Times & Life Pictures / Getty Images

Couv. Hulton Archive / Getty Images et Times & Life Pictures / Getty Images

En quelques jours, tout a été dit sur le résultat des élections de dimanche soir, qui font une impression de gueule de bois après la fête qu’étaient les Imaginales, ou de débat sur l’uchronie qui aurait persisté dans le réel par une mécanique toute priestienne. Je ne peux m’empêcher de me demander combien, parmi ceux qui se lamentent aujourd’hui du triomphe du FN aux européennes, sont allés voter ou avaient établi une procuration, parce que ces 60% d’abstention sortent bien de quelque part. J’ai lu qu’en chiffres absolus, paradoxalement, le nombre de suffrages exprimés en faveur du FN est en réalité plus faible qu’au scrutin précédent, mais, par le jeu des pourcentages, cela augmente mécaniquement leur importance et donc leur nombre de sièges à Bruxelles.

Qu’on ne vienne plus jamais me raconter que “voter, ça ne sert à rien de toute façon ».

Christopher Priest s’est exprimé plusieurs fois sur l’uchronie pendant le festival, sur les points de divergence de l’histoire et sur son cours. Si j’essaie de résumer sa pensée, pour lui, l’histoire est empreinte d’un impératif moral qui dépasse et transcende les décisions des chefs d’État, les événements ponctuels, etc. Si le Sud avait gagné la guerre de Sécession, dit-il, peut-on croire qu’aujourd’hui, avec Internet et toutes les technologies modernes, les États-Unis seraient encore une nation esclavagiste ? Le régime nazi se serait effondré sous son propre poids et Hitler aurait été destitué, voire assassiné par des factions au sein même de son parti, si la Deuxième guerre mondiale s’était poursuivie. L’histoire, pour lui, est avant tout construite par les individus, et cela vise, si je ne trahis pas ses propos, à une élévation globale au fil des siècles.

Hélas, cela n’empêche pas les tragédies, les guerres, les conflits, les atrocités : la guerre de Sécession comme la Deuxième guerre mondiale se sont résolues en faveur, pourrait-on dire, de l’éthique. Mais, si je puis oser modérer les propos du maître, cela n’empêche pas qu’elles ont lieu. L’abolition de l’esclavage est un soulagement pour la marche de l’histoire ; cela fait une belle jambe à ses victimes. Cela n’empêche pas les ténèbres. Il faut espérer et donc se battre pour qu’elles soient les plus courtes possibles.

Loin de moi l’idée de faire de l’alarmisme outrancier parce que le FN remporte 25% de nos sièges au Parlement européen et de hurler, façon point Godwin, au fascisme immédiat. Internet crie si souvent au loup qu’on peine à y croire. En revanche, si l’histoire nous donne bien un avertissement, c’est quand même bien celui-là, et je commence à redouter que nous tombions à court d’avertissements avant que la merde ne cogne le ventilateur, si je puis emprunter une fort graphique expression à l’anglais. C’est une maigre consolation de se dire que l’histoire vise à une élévation globale au fil des siècles quand l’on vit au fil des semaines, voire des jours, l’une des périodes de ténèbres de l’histoire et que l’on espère simplement qu’on survivra pour la voir de ses propres yeux, cette résolution. Il va vraiment falloir éviter qu’on s’impose un tel réveil difficile, maintenant, de l’homme politique à l’électeur, et que nous agissions tous, à notre échelle – “sois le changement que tu veux voir dans le monde” disait Gandhi, probablement l’une des phrases les plus simples et les plus pertinentes quand on s’interroge sur sa place dans le monde et pour guider la direction de sa vie.

Je découvre que dans certains pays, le vote est obligatoire. Je n’aime pas les obligations, mais dans certains cas, et en particulier celui de la mollesse citoyenne ambiante, je pense qu’il serait fort bon de distribuer quelques coups de pied au cul.

2014-05-27T10:12:11+02:00mardi 27 mai 2014|Humeurs aqueuses|82 Commentaires

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