Outer Wilds a une expansion, et vous pouvez y aller

Je vous ai bassiné avec, mais je vous rassure, je bassine aussi tout mon entourage IRL avec Outer Wilds. Je ne dirai absolument rien, puisqu’une immense part du plaisir repose sur la découverte et la révélation, mais disons que le jeu de base semblait tellement parfait et achevé, comment ajouter une extension à une œuvre qui ne laisse rien dépasser presque par définition ?

Eh bien c’est possible.

Je ne vous ai rien dit sur le jeu la première fois, je vous ai raconté à la place comment je l’avais découvert, je vais évidemment vous en dire encore moins. Mais, dans la pure tradition de nos premières sessions à toutes et tous, nous avons organisé un week-end religieux de retrouvailles à cinq fondus du jeu1 pour lancer le DLC, intitulé Echoes of the Eye et, du haut de notre goût d’esthètes de première catégorie ayant poncé le moindre texte, la moindre théorie du jeu d’origine, le faire à plusieurs et décider si l’ajout était à la hauteur de l’original.

Verdict : oui. Nous l’avons fini sur ce seul week-end, mais n’y voyez pas une faible durée de vie : à cinq cerveaux accoutumés à la façon de penser d’Outer Wilds, nous ne sommes jamais restés bloqués très longtemps sur des énigmes (il y en avait toujours un pour avoir l’idée qui relançait l’exploration). Seul, j’aurais certainement mis cinq fois plus de temps. Et l’ajout, tout en offrant des mécaniques décidément différentes de l’original, vient répondre à une question secondaire mais, à la réflexion, troublante, qui pouvait se poser. Echoes of the Eye a une personnalité décidément distincte, ce qui constitue à la fois une prise de risque et une preuve de la créativité renversante du studio. Tout le monde ne sera pas forcément fan de certaines mécaniques (certains pans de gameplay du DLC ne sont pas ma tasse de thé, je l’admets), mais c’est une question de goût, pas d’implémentation, qui est irréprochable.

Comme je ne peux pas vous en dire plus, je vais répondre aux questions que j’ai vu se poser, et que je me posais moi-même avant de commencer le DLC, si c’est votre cas.

Est-ce que c’est bien ? Oui. Mais si vous avez fini le jeu de base, vous savez qu’on ne se baigne pas deux fois dans la même rivière. Vous avez ouvert la boîte de Pandore, vous savez, et Echoes of the Eye ne pourra pas recréer ce même vertige. C’est impossible. Acceptez-le, et dégustez l’extension comme ce qu’elle est : une extension, une manière de prolonger le miracle avant de faire vos adieux définitifs à ce microcosme.

L’histoire prolonge-t-elle dans celle du jeu de base ? Un peu. Mais n’attendez pas une révélation d’envergure : encore une fois, vous savez. Par contre, ça prolonge un truc de manière drôlement futée et bien cool. Et vous vous direz après coup : mais oui, en fait, cette question se posait bien, et maintenant je sais aussi.

Est-ce que je dois reprendre ma sauvegarde d’origine ? Si vous l’avez, oui. D’ailleurs, et les développeurs le conseillent. Mais pas pour la raison que vous pensez sans doute. Sinon, ce n’est pas indispensable, mais c’est dommage de ne pas le faire.

J’ai entendu dire que ça faisait méga peur et j’ai trop peur d’avoir peur. C’est vrai ? Quand même pas. Tu es allé à Sombronces ? Okay : eh bien certains passages sont un peu pire, d’accord, mais on n’est pas non plus dans du survival horror, comme certains tests l’affirment, faut pas déconner non plus.

Si je ne connais pas Outer Wilds, je découvre le jeu avec le DLC intégré ou pas ? Excellente question à laquelle je ne crois pas qu’il existe de réponse claire et franche. Tout de suite après l’expérience, je pensais qu’il valait mieux d’abord faire le jeu de base, puis intégrer Echoes of the Eye, mais je n’en suis plus si certain. Je crois que les deux approches sont faisables. Voyez donc ce que vous avez sous la main et faites avec ce que vous avez. Je pense que ça sera forcément bien.

  1. Dont un qui atterrit sur la station solaire en manuel. Tout le temps.
2021-11-12T16:01:30+01:00jeudi 18 novembre 2021|Geekeries|Commentaires fermés sur Outer Wilds a une expansion, et vous pouvez y aller

Outer Wilds est le meilleur jeu du monde

Et en fait, la meilleure manière d’en parler, c’est de ne surtout pas en parler. Que vous ne vous documentiez surtout pas. Je vous en ai déjà donné le titre, et c’est peut-être déjà trop.

Regardez, je vais même trouver une image qui ne dit quasiment rien.

Je vais plutôt vous raconter comment je l’ai découvert, et c’était absolument parfait. Il faudrait que vous le découvriez de la même manière, si vous pouvez. D’ailleurs, je vais faire la même chose à d’autres copains, du coup. Bref.

Un jour, un copain me mentionne en passant : “Tel week-end, j’organise un petit rassemblement chez moi entre gens de bon goût. Il y a un jeu formidable que je veux vous faire découvrir. Je ne vous dis rien, vous ne savez rien, vous me faites confiance, vous venez juste et vous découvrez, j’offre le gîte et le couvert. T’es chaud ?”

J’étais tellement en phase que j’imaginais qu’on allait faire un week-end jeu de plateau, pour tout dire.

J’arrive le vendredi soir et, le temps de boire quelques coups, d’échanger quelques news, il était évidemment temps de commencer convenablement à deux heures du matin, comme il se doit. Finalement, avec les désistements, nous étions seulement deux gars devant le projecteur, avec notre pote commun derrière (car je venais de rencontrer mon binôme d’aventure – magnifique manière de faire la connaissance de quelqu’un), lequel ne dit rien, mais profite presque autant que nous de revivre à travers notre regard neuf et innocent ce qu’il avait lui-même vécu. (Et aujourd’hui, je me réjouis, donc, de proposer à mon tour la même expérience à quelqu’un, après avoir poncé le jeu dans tous les sens, vu toutes les fins, et écrit douze fiches dans mon Zettelkasten à son sujet.)

Outer Wilds a un côté Into the Wilds (la similitude est assurément voulue, car rien, absolument rien dans ce chef-d’œuvre est laissé au hasard) : “happiness only real when shared”. Ce serait trop vous en dire de vous expliquer pourquoi, mais même si c’est un jeu parfaitement solo, il se découvre encore mieux à deux ou en petit comité, en ignorant tout de ce qui se passe, avec des gens qui se passent la manette à tour de rôle, qui commencent à échanger des idées, à formuler des hypothèses sur nan mais en vrai c’est quoi ce bordel ? C’est un formidable jeu à partager en couple, tout simple en apparence, avec un gameplay exploité au maximum, et surtout, oh mes aïeux, surtout, une explosion de l’esprit quand tu commences à faire oh mais mon dieu en fait c’est ÇA qui se passe.

Je.

Outer Wilds livre une expérience de jeu intelligente, réfléchie, qui utilise à la perfection la grammaire du gameplay en fondant sa courbe de progression sur un mécanisme à la fois tout simple et quasiment jamais vu, qui distille l’essence même de ce que cela signifie d’avancer dans un jeu vidéo.

Je ne peux pas en dire davantage, à part que si vous êtes ici, vous avez certainement vaguement entendu parler d’un genre appelé la SF un jour dans votre vie, et que Outer Wilds réussit les doigts dans le nez à évoquer le vertige de l’immensité, le sense of wonder, l’intelligence que le cinéma de genre des années récentes peine parfois à toucher. Il flotte sur son berceau les influences de 2001, Interstellar, Premier Contact, Babylon 5, mais le jeu les a digérées, comprises, et se dresse de lui-même, avec son propre univers un peu fou, un peu baroque, pour faire jeu égal avec ces monuments.

Prenez votre conjoint·e, votre chat, un ou quelques amis proches, préparez du thé, une couette, et jouez ensemble à Outer Wilds. Parmi les meilleures vingt heures vidéoludiques de mon existence entière, encore au-delà de Gris et de Hellblade : Senua’s Sacrifice – c’est dire (je serais prêt à acheter une Xbox pour jouer à Hellblade 2, rendez-vous compte).

En plus, un DLC sort fin septembre. Pile le temps pour vous de le finir, puis de repartir à l’aventure.

2021-08-26T17:26:19+02:00mercredi 1 septembre 2021|Geekeries|4 Commentaires

Journey est un classique du jeu vidéo poétique

Donc 8 ans après sa sortie, j’ai enfin fait Journey, l’ancêtre de Gris, que j’avais adoré ( https://tinyurl.com/vbhxzuj ).

Splendide aventure brève mais intense, poétique et hautement recommandée (mais attention, ça peut secouer, à vous de voir si c’est bien le bon moment).

2020-03-22T11:07:54+01:00jeudi 26 mars 2020|Brèves, Geekeries|Commentaires fermés sur Journey est un classique du jeu vidéo poétique

Apprends la magie de jeter 100 pages avec la méthode Marie Kondo

Donc, comme beaucoup de gens qui aiment les bouquins, les jeux vidéo, la musique, la culture geek, les trucs et les machins, qui habitent depuis longtemps au même endroit et donc l’âge commence à monter en dizaines, j’ai comme qui dirait un léger problème de bordel. (Oui maman, je sais, j’ai toujours eu un problème de bordel. Sors de cet artifice rhétorique qui servira juste à me dédouaner si jamais tu tombes là-dessus, steuplaaaaît.) J’ai en plus une propension à l’accumulation, du genre, hé, si ça peut servir, faut garder, non ? J’ai une grande cave. Ça sert à ça.

Avalanche Dat GIF - Find & Share on GIPHY
En exclusivité mondiale, voici ce qui se passe quand j’ouvre la porte de ma cave.

Alors donc voilà, j’ai lu le bouquin à la mode, La Magie du rangement1, de Marie Kondo, énorme vente internationale, et maintenant une série Netflix.

Le principe fondamental de la méthode Marie Kondo est globalement connu : “conserve ce qui te donne de la joie“. Mais plus intéressant, elle recommande, quand tu jettes / donnes / supprimes un objet de ton environnement, de le remercier pour le plaisir qu’il t’a donné, et je trouve ça plutôt chouette. Ça ne mange pas de pain, et si l’on considère que les possessions sont d’une certaine manière un reflet de l’individu ou même une projection, cela revient à se remercier soi-même avant de clore le (micro) chapitre de sa vie que représente l’objet. Pourquoi pas ?

Là où ça devient intéressant, c’est qu’elle libère aussi l’individu de la culpabilité des achats impulsifs2… ou du rejet des cadeaux moches. Tu as acheté un pull en promo dont tu aimais vraiment la couleur mais tu te rends compte avec le recul que, franchement, il ne te va pas et ne t’ira jamais, eh bien tu t’en débarrasses, mais tu le remercies du plaisir qu’il t’a donné sur le moment quand tu pensais vraiment que c’était une bonne affaire. De ce point de vue, il a rempli son office sur le moment. Idem pour le pot de chambre de mariage3 qu’on t’a offert et qui, franchement, fait un peu désordre dans ton 350m2 de Bali cinquante ans plus tard. Tu peux t’en débarrasser, Marie t’en donne le droit, non sans le remercier pour l’intention avec laquelle il t’a été offert et le plaisir qu’il t’a donné. Il a, encore une fois, rempli son office.

Le rapport avec l’écriture ?

Aimer le processus et le chemin davantage que la destination.

Une des causes de la procrastination dans le domaine créatif (lire : les sept causes de la procrastination et comment y remédier) touche à la complexité du travail, ce qui le rend intimidant (et donc, on se trouve d’un coup pris d’une irrésistible passion pour la vaisselle). Je tâtonne, j’explore, et parfois, je me plante.

Sauf que c’est déjà assez dur comme ça, alors j’ai pas envie de me planter. Que de temps perdu ! Que de frustration ! Non ?

Quand j’avais vingt ans et que je commençais, j’écrivais assez lentement parce que j’essayais de faire bien du premier coup. J’étais concentré sur le rendu autant que sur le contenu, ce qui est l’équivalent discursif de réfléchir à une réponse avant même d’avoir trouvé comment formuler la question. Ça fait bobo la tête. Alors, à force, ça marchait, mais j’ai vite découvert que travailler le rendu, la forme, l’efficacité, c’était plutôt le rôle des corrections. Comme disait Terry Pratchett, “le premier jet n’est là que pour s’expliquer l’histoire”.

À trente ans, avec davantage d’expérience, j’ai fini par accepter (avec réticence) le fait qu’écrire des trucs “pour rien”, des pages entières qu’on jette (j’élague entre 10 et 30% de mes premiers jets de manuscrits), ce n’est pas du travail inutile. Tâtonner dans une direction dont on se rend compte a posteriori qu’elle n’était pas adaptée au projet n’est pas du temps perdu, c’est écrire ce qu’il ne fallait pas pour pouvoir mieux découvrir ce qu’il fallait. Après, quand t’es à la bourre sur ta date de rendu, la consolation est un peu maigre, et t’aimerais bien tomber juste du premier coup, ça pourrait pas marcher un peu plus comme ça ?

Aujourd’hui, je me suis aperçu d’un seul coup (avec le confort que donne un peu de recul et une date de rendu un peu plus relax, quand même) que je m’en tape d’écrire 100 pages pour rien si je me suis amusé à les faire, ou si, du moins, j’y ai trouvé du sens. Au contraire, presque. Si elles m’ont apporté quelque chose dans l’exploration, si j’y ai trouvé une forme de compte, quelle importance qu’elles ne servent pas le projet ? L’acte est sa propre récompense – le reste forme à mon sens des illusions dangereuses.

Telle Marie Kondo, je remercie alors ces pages pour le plaisir et le sens qu’elles m’ont apporté sur le moment. Et je les supprime sans une once de regret. Car elles ont rempli leur office.

Et le plus merveilleux, c’est qu’en général… elles restent. Car, écrites dans la joie et la vérité, ce sont souvent les plus intéressantes. Mais pour ça… il faut être sincèrement prêt à les bazarder. On ne peut pas faire semblant de lâcher-prise.

  1. Je m’aperçois à cet instant que j’ai une abréviation TextExpander pour le mot « rangement », ça ressemble à un appel désespéré de mon inconscient.
  2. Ok, oui, faire des achats impulsifs c’est pas terrible d’un point de vue environnemental, et même financier, donc autant éviter, mais que celui ou celle qui n’a jamais acheté un truc qu’il a regretté ensuite me jette la première paire d’escarpins qui font mal aux pieds.
  3. Ça existe. Je vous laisse chercher.
2019-08-30T19:31:13+02:00lundi 2 septembre 2019|Best Of, Technique d'écriture|6 Commentaires

Trouble d’achat compulsif-réactif de logiciels de gestion de l’information [des brèves et des liens]

Toujours ça que les réseaux commerciaux n’auront pas. Tu te rappelles, auguste lectorat, l’époque où l’on faisait des compilations de liens pour nos blogs MySpace ? C’était mieux avant ? Non, clairement pas, mais il y a un certain nombre de choses qu’il vaut mieux conserver pour sa propre plate-forme. Donc, expérimentation avec un retour sur une forme de compilation de brèves, d’idées aléatoires, de liens rigolos ou pas, mêlée d’une petite compilation des posts des semaines passées.

… d’ailleurs, mon éloignement avait démarré pour un tweet anodin complètement interprété de travers sur les outils numériques potentiellement utiles dans l’écriture. Un peu en réponse à la chose, l’auteur Olivier Saraja propose une compilation d’outils d’intérêt à visée plus moins professionnelle et plutôt pas trop chers (voire gratuits).

J’aime le terme “CRIMP” trouvé sur OutlinerSoftware.com :

CRIMP stands for a make-believe malady called compulsive-reactive information management purchasing.

“Le terme tacrelgie désigne une maladie fictive appelée Trouble d’Achat Compulsif-Réactif de Logiciels de Gestion de l’Information.” Yep, I haz it.

Pas de mal de VPN gratuits n’offrent pas l’anonymat qu’ils promettent, soit parce qu’ils gardent des logs, soit parce que… ils sont détenus par des compagnies (souvent chinoises) aux pratiques opaques. Cette enquête fait le point.

Apple a révélé les prochains emojis à rejoindre les plate-formes. 2019, il y a trois foutus emojis distinct pour le cochon dont un pour son groin, son groin BORDEL, et toujours pas d’emoji orque. Je veux dire, pendant ce temps, il y a un emoji FLAMANT ROSE.

Des fois, tu avances ton manuscrit de 15000 signes. D’autres fois, tu te rends compte que tu dois en supprimer 11000. Mais il fallait les écrire pour pouvoir écrire les bons à la place.

Ce fil Twitter est épique : concours d’objets magiques idiots. (à dérouler)

Merci à Jérôme pour la recommandation de cet article fascinant : comment les divers réseaux sociaux libres s’interfacent pour former une galaxie d’écosystèmes communicants. Alors là, je veux bien parler de réseau social, et peut-être retrouver une forme de foi dans le principe.

En 1984, Steve Jobs disait :

En Europe, l’échec, c’est très grave. Si, en sortant de l’université, vous loupez votre coup, cela vous suit toute votre vie. Alors qu’en Amérique, à Silicon Valley, on passe son temps à échouer ! Quand on se casse la figure, on se relève et on recommence.

Quitte à passer pour un macroniste chantre de la start-up nation pratiquant le mépris de classe envers les jeunes auteurs (j’ai demandé à ce qu’on mette à jour ma bio sur nooSFere), cela me semble une observation fort juste, de ce que j’ai pu approcher ici et ailleurs. Nous sommes terrifiés par l’échec en France, et le cas échéant, c’est un stigmate que l’on porte presque toute sa vie. C’est un réel problème dans les milieux créatifs, car l’échec, temporaire, me paraît nécessaire pour avancer : en effet, l’échec est une part inhérente de l’exploration.

Cet article de Léa Silhol sur la fantasy comme démarche est à lire. Il a déjà pas mal tourné mais je souscris entièrement à ce discours sur les potentialités du genre et sa volonté inhérente de péter les classifications qui voudraient chercher à le cadrer.

L’humanité est fascinante dans sa capacité à régler temporairement des symptômes d’une façon idiote et individualiste : Sony a mis au point un conditionneur d’air à porter sous ses vêtements. Le réchauffement global est réglé !

Après les coupures de papier aux mains, douloureux accident du travail dans notre métier, cette semaine, je me suis fait une coupure de papier à la paupière. Cet élément à lui seul devrait vous donner une idée d’à quel point il est VITAL que je range cet appartement.

Enfin, c’est très con. (merci Bert)

2019-08-07T16:44:54+02:00jeudi 8 août 2019|Expériences en temps réel|10 Commentaires

Axiom Verge – le meilleur Metroid depuis Metroid

Ces temps-ci, j’ai à peu près l’occasion de finir un jeu vidéo tous les trois ans (véridique : le précédent était – si l’on exclut le temps passé à tester Psycho Starship Rampage, bien sûr – Sleeping Dogs). Je crois que je paye encore ma dette en vitamine D à World of Warcraft – ooooh, c’est joli à l’extérieur de la maison, le moteur graphique est vachement poussé et y a plus de 16 millions de couleurs. Cherchant un truc rapide pour me poser devant ma PS4, j’ai donc lancé Axiom Verge, et si le jeu est sorti en 2015 (2017 sur Switch), j’ai envie d’en dire un mot, parce qu’il me semble relativement unique à plein d’aspects.

Qu’est Axiom Verge ? Un Metroid, dans sa plus pure expression : c’est assurément le fils spirituel des versions d’origine sur NES et Super NES dans son expression distillée avec amour, recréant les sensations à l’époque des consoles 4k. Je veux dire, suffit de regarder une capture d’écran pour comprendre direct :

Mais Axiom Verge est aussi bien davantage que cela : il reprend ce gameplay éprouvé et millimétré et y ajoute ses propres variations, l’amène à notre époque, et parvient avec brio à se détacher de son modèle pour devenir sa propre œuvre. Le jeu est le fruit du travail d’un seul homme, Thomas Happ, pendant cinq ans (dont une partie financée par Sony, qui sentait le potentiel du titre) : code, graphisme, musique (du chiptune étrange, débordant sur le glitch, du plus bel effet) et histoire. Et cela se sent. Ce que je retiendrai assurément d’Axiom Verge, c’est son ambiance qui va clairement lorgner du côté de chez Gyger et son scénario très sombre, dont on ne donne au joueur que les éléments absolument nécessaires, l’encourageant à aller interpréter la moindre parcelle d’information, à se poser ses questions, à réfléchir, à la fin du jeu, sur ce qui s’est vraiment passé. Ça commence traîtreusement comme Another World – un scientifique se trouve propulsé dans un monde parallèle à l’issue d’un accident d’accélérateur de particules – mais celui-ci se retrouve à la surface d’un monde mourant, face à des entités entre la divinité et la machine, qui ont désespérément besoin de réparations. Et très vite, les questions commencent et les mensonges suivent, jusqu’à ce que le personnage, comme le joueur, s’aperçoive des énormes failles dans les renseignements qui lui sont donnés, et qu’il manque beaucoup.

On peut traverser Axiom Verge le plus rapidement possible, en mettant en avant la skill, la recherche des plus grosses armes (dont beaucoup sont optionnelles, Metroidvania oblige), mais le jeu n’est pas très long (je l’ai fini en un peu moins de 14h sans avoir tout trouvé, ce qui semble la moyenne d’après les forums). Le jeu a mis du sens et de l’amour dans ses références, dans son esthétique, et il serait vraiment dommage de le rusher de la sorte (on peut toujours le refaire ensuite en mode speedrun si on le souhaite). Axiom Verge s’efforce réellement d’amener à notre époque de satisfaction immédiate le plaisir et, oui, la frustration à l’ancienne d’être perdu, de mourir quinze fois devant un boss parce qu’on n’a pas compris la stratégie (sans aller vers la violence d’un Souls, bien entendu), mais à une dose humainement acceptable dans la seconde moitié des années 2010. Le jeu a toujours des solutions en stock, il ne prend jamais le joueur en défaut ; si quelque chose coince dans un combat de boss, ce n’est pas un bug, ce n’est pas un oubli, ce n’est pas (souvent) un problème de skill – c’est qu’il y a une combinaison d’objets que l’on possède à laquelle on n’a pas pensé.

Le jeu m’a cependant semblé souffrir d’une petite perte de rythme vers ses 2/3 où l’espace ouvert devient un peu vaste et exige beaucoup d’allers-retours parfois un peu frustrants dans des tableaux labyrinthiques, mais il faut admettre que cela fait partie du concept. Une fois les débuts franchis, il faut donc jouer à Axiom Verge avec au moins 2h devant soi à mon sens, pour se donner le loisir d’explorer, de se perdre, d’essayer de comprendre où est la suite, de tenter des choses, pour avoir la satisfaction d’enfin trouver la solution et avancer. Une énorme quantité d’informations sur le scénario se trouve dispersée sous forme de notes optionnelles à dénicher, très allusives, dont il faut élucider le sens.

Axiom Verge est une sorte d’œuvre totale, qui n’oublie pas qu’elle est avant tout un jeu vidéo, et qui irrigue son atmosphère, son expérience, de ses mécanismes mêmes, comme le font tous les bons jeux. Toutes les questions relatives à la nature même des événements de l’histoire, et leurs réponses, se nourrissent de cette errance, de cette atmosphère désespérée, oppressante, dérangeante, que le joueur se met à ressentir viscéralement (et tout ça sans moteur 3D dernier cri…). Metroid est à peu près la licence la plus sombre de l’univers Nintendo, mais on est clairement ici dans un discours beaucoup plus mature, qui pose des questions proprement dickiennes. Et Axiom se paye en plus le luxe de briser discrètement le quatrième mur en jouant avec la nature de son propre média (un outil principal du jeu est le disrupteur d’adresse, qui permet de créer des bugs dans le jeu comme on pouvait en voir autrefois sur NES), ou en faisant des références explicites à ses inspirations (comme le boss qu’on peut tuer très facilement en passant derrière lui – hommage à un exploit célèbre de Super Metroid). Et rien de tout cela n’est gratuit.

En définitive, si l’on aime un tant soit peu le jeu à l’ancienne, si l’on apprécie les frustrations ponctuelles propres aux Metroidvania, Axiom Verge est un indispensable, qu’il faudra siroter comme un bon whisky en résistant absolument à la tentation de regarder gameFAQs au moindre blocage (tout est à peu près trouvable avec de la persistance, en tout cas pour finir l’histoire) et qu’on envisagera (je ne dis pas ça souvent) de boucler à 100% pour avoir vraiment toutes les informations en main. Et se demander ensuite ce que l’annonce d’un Axiom Verge 2, toute récente, peut signifier…

2018-07-15T19:35:07+02:00mardi 17 juillet 2018|Geekeries|2 Commentaires

La photo de la semaine : orques en maraude

Rencontre(s) incroyable(s) cette semaine. (Car j’avoue, je suis de retour en Islande pour quelques jours, uniquement pour aller les voir…)

Foraging orcas

Cliquez pour agrandir

2017-04-17T10:13:00+02:00vendredi 14 avril 2017|Photo|Commentaires fermés sur La photo de la semaine : orques en maraude

De la double acception du mot luxe

Image trouvée ici.  Je ne pouvais pas passer à côté.

Image trouvée ici. Je ne pouvais pas passer à côté.

La controverse autour de Rêver 2074 a de quoi laisser baba : un projet qui semblait tout de même globalement inoffensif a polarisé le microcosme de l’imaginaire avec une puissance si radicale qu’on est forcé de suspecter que le vrai discours, le vrai “problème », si problème il y a, se trouve ailleurs. À présent que les réseaux sociaux sont carbonisés, que les insultes ont volé, que des amitiés ont été brisées  – le tout dans un cercle d’une cinquantaine de personnes au maximum, car il faut bien concevoir que le vaste monde, lui, le lecteur, n’a guère cure de qui se passe – et c’est très bien ; à moins que ce cercle de cinquante personnes représente le cercle réel du lectorat fidèle, auquel cas nous avons de bien plus graves problèmes littéraires que le financement de cette anthologie de science-fiction -, si je puis, timidement, m’essayer à un post mortem qui essaie de comprendre cette polarisation, dans l’espoir de tirer des leçons sur la chose, il me semble que le différend – une anthologie financée par un comité promouvant le luxe – vient de la double acception du mot luxe.

S’il y a bien une chose que cette tempête dans, moins qu’un verre d’eau, un dé à coudre, prouve, c’est que le luxe entraîne les fantasmes. Mais la science-fiction également, vue avant tout comme une littérature sérieuse, d’idées, et d’idées plutôt sociales. On a prêté toutes sortes d’intentions à ce projet, aux limites du conspirationnisme, et on peut s’amuser, comme le faisait remarquer Charlotte Bousquet sur Facebook, que la question ne se serait probablement même pas posée en fantasy, laquelle ne véhicule pas cette image de littérature sérieuse. J’ai envie de dire : grand merci pour la liberté de création que cela nous donne – y compris d’être sérieux, mais clandestinement.

Qu’on ouvre un dictionnaire, et la double acception du mot saute aux yeux, l’ambiguïté est présente : il s’agit de dépenses “somptuaires” associant “raffinement” et “ostentation”. Le luxe, au-delà des fantasmes qu’il suscite, se trouve ainsi ramené dans les débats à une seule de ses dimensions.

1. Le raffinement évoque immédiatement l’art et la culture ; il porte l’idée générale de progrès – c’est ce qu’aborde Charlotte Bousquet sur son blog, par exemple, mais également plusieurs commentateurs dans la discussion poussée qui s’est déroulée ici, évoquant la valeur de rêve, la motivation au progrès. Il faut également considérer que bien des progrès, intégrés depuis dans notre quotidien, ont commencé sous la forme d’un luxe, en des temps où la société fonctionnait différemment. Jadis, posséder un ordinateur familial était un luxe, aujourd’hui ne pas en avoir un constitue un handicap ; avoir du temps libre était un luxe, c’est aujourd’hui un élément inhérent à la qualité de vie, et ce temps dégagé, cette aisance, nourrit toute l’industrie culturelle, laquelle est empreinte d’une certaine “superficialité” au sens qu’elle est, sensu stricto, dispensable. Je fais pleinement partie de cette catégorie ; dans l’absolu, nul n’a besoin de lire mes livres ; même si je m’efforce d’y élargir les thèmes avec quelques questions historiques et philosophiques, ça ne sera jamais aussi dense – et donc nécessaire, dans une conception utilitariste du monde – qu’un essai sur la question (mais peut-être un peu plus rigolo, du moins je l’espère). Le luxe, dans cette acception, représente la marge de manoeuvre de l’humanité, le défrichage de terrains adjacents, l’exploration de possibilités nouvelles qui donneront, ou pas, d’authentiques progrès. C’est un jeu élaboré, pour adultes.

2. Et puis le luxe évoque le superflu, quand d’autres n’ont même pas le nécessaire ; il cristallise tous les péchés du monde capitaliste, le symbole d’inégalités scandaleuses où certains dépensent des fortunes pour des sacs de marque quand d’autres crèvent de faim. C’est l’aspect “ostentatoire” intolérable pour beaucoup, qui représente à son plus haut point les excès d’une société marchande, c’est le symbole de l’impuissance du simple citoyen face à un système qui l’oublie et lui donne l’impression de se construire sans sa voix, malgré l’étiquette “démocratie” censément portée par les civilisations modernes. Colère, impuissance.

Le truc, c’est qu’aucune des deux définitions n’est fausse, et qu’en plus, les deux peuvent se rencontrer dans le même phénomène. Prenons pour exemple les Médicis : sans leurs dépenses “somptuaires” en art et en architecture, la Renaissance n’aurait pas eu le même visage, voire n’aurait pas eu lieu. Elle engendra tout un bouillonnement et un progrès culturels ; ils financèrent et entretinrent des intellectuels de haut vol, qui travaillèrent à faire progresser l’époque où ils vivaient. Laurent le Magnifique protégeait par exemple Léonard de Vinci ou Marsile Ficin, traducteur de Platon.

À côté de ça, Laurent de Médicis faisait preuve d’une brutalité méticuleuse envers ses opposants.

Qui est le véritable homme ? Le protecteur des arts, ou bien l’homme politique sans merci ? Les cathédrales florentines se sont-elles bâties sur la spoliation de la famille Pazzi ?

N’est-ce pas un peu simpliste ? Cette question a-t-elle seulement un sens ?

Les phénomènes ne connaissent pas de cause unique, et la complexité est bien la seule règle qui régisse l’univers, en particulier social, et, dès lors qu’on se décide humaniste, nul homme n’est réductible à une seule dimension. Si j’ai bien fini par cerner un truc dans cette affaire (big up à Lam Rona sur Facebook pour la discussion qui m’a aidé à mettre le doigt dessus), c’est que, bien souvent, la mésentente vient du fait que les interlocuteurs n’emploient pas la même acception du thème, lesquelles charrient des sous-ensembles sémantiques différents, aux connotations différentes, allant de vaguement positives à une négativité confinant à la haine (du système). Je reste convaincu que se scandaliser de ce petit projet (petit par son impact sur le vaste monde en regard des inégalités qu’on entendrait combattre) revient à prendre le problème par un bout particulièrement microscopique de la lorgnette, et qu’il s’agit de s’outrer d’un arbrisseau qui cache une forêt mille fois plus dense et complexe ; qu’on n’abattra pas le système capitaliste en vociférant sur Rêver 2074 et que, au-delà de cela, ça n’a franchement pas grand-chose à voir avec la lutte dont il est question – pas plus que de militer pour le développement durable mondial en se focalisant sur le chlore employé pour blanchir les tickets de métro de Plan-de-Cuques, ou qu’on obtiendra une révolution économique et intellectuelle mondiale en commençant par dynamiter les droits des créateurs, qui sont les plus isolés et les plus fragilisés du secteur, par exemple. Rêver 2074 cristallise un épouvantail rhétorique et, si l’on veut lutter contre le système en commençant  par ce point-là, par cohérence et par traitement identique de toute interaction avec l’économie contemporaine, il faut cesser toute collusion de toute sorte et élever des poules sur un bateau en autarcie. Sinon, je crois qu’il faut composer avec le réel de manière à choisir ses combats et où investir le maximum d’énergie.

Si le débat autour du thème doit se poursuivre, de grâce, prenons au moins conscience d’une chose : avant de s’écharper, qu’on se mette d’accord sur le sens du thème qu’on emploie ; le raffinement ou bien l’ostentation, qu’on comprenne au moins de quelle position l’on parle, pour commencer.

Dans l’intervalle, par exemple, BP a été condamné à verser 4,5 milliards de dollars de plus pour la marée noire du golfe du Mexique, mais ça, ça fait bien moins buzzer les réseaux sociaux, parce que c’est loin, ça ne parle pas de SF, c’est vague, on n’y peut rien. On ne se sent paradoxalement pas concerné. Cela ne nous donne pas, en discutant avec véhémence, l’impression d’une action immédiate sur notre monde. Lentille déformante des réseaux sociaux et de leur immédiateté. 

XKCD avec annotation personnelle

XKCD avec annotation personnelle

Juste un dernier mot pour finir pour te remercier, auguste lectorat, de ta civilité générale dans la discussion idoine, malgré les polarisations, les frustrations perceptibles ; globalement, tout le monde est resté dans les clous d’argumentations construites. Je disais sur Facebook que je ne prétendais pas avoir la science infuse, c’est bien pour ça qu’il y a les commentaires ; si au moins, sur ce blog, tout le monde arrive à discuter en assez bonne intelligence, y compris les gens mieux documentés que moi et surtout ceux d’un avis différent, ma foi, on n’aura pas tout perdu, hey.

Maintenant, passons à autre chose. Parlant de financement, Mythologica et Fiction ont tous deux réussi leur financement participatif, et ça, c’est super chouette ! 

2014-12-10T10:14:35+01:00mercredi 10 décembre 2014|Humeurs aqueuses|82 Commentaires

Interstellar, ou du cochon ?

Vous avez entendu les critiques, les avis tranchés, dithyrambiques ou blasés, et vous ne savez pas encore s’il faut y aller, ni même quoi penser, car les goûts de vos amis, d’habitude si faciles à cerner, semblent s’emmêler les pinceaux, se contredire par rapport aux référentiels habituels. N’ayez crainte ! J’arrive, et je vous dis tout ce qu’il faut penser sur Interstellar, et ce sans une once de modestie ni de spoilers.

Ahem, plus sérieusement…

interstellar

À moins d’avoir passé les trois derniers mois dans une caverne avec Platon, vous savez qu’Interstellar, c’est LE film ambitieux du réalisateur Christopher Nolan, connu pour Inception et les derniers Batman. (Batmen ?) Dans un Hollywood surformaté, Nolan navigue avec une aise remarquée et remarquable, mêlant avec talent effets spéciaux et scénarios plus fouillés que les standards habituels, comme en témoigne le très réussi Inception. Avec une monumentale épopée spatiale de trois heures, il est donc très attendu au tournantInterstellar sera-t-il un classique mêlant profondeur et bonne histoire ?

Le film commence dans un futur très proche, où la Terre se meurt : les fléaux environnementaux se succèdent et l’humanité a faim. Dans ce contexte de survie globale, Cooper, un ancien pilote d’essai de la NASA, tombe sur un projet spatial ultra-secret. Un trou de ver, conduisant à une autre galaxie et à des planètes potentiellement habitables, a été découvert en orbite de Saturne. Il faut y envoyer un équipage réduit pour chercher une planète candidate à la colonisation humaine, mais avec les effets de dilatation temporelle dus à la relativité, il pourrait bien s’agir d’un voyage sans retour. Cooper, déchiré entre l’appel des étoiles et l’attachement à ses enfants, finira par partir pour le plus vaste inconnu qui soit.

Interstellar connaît son ascendance, c’est visible, mais ne se contente pas de l’hommage : il y a une réelle volonté de pousser plus loin le film d’exploration spatiale prospective que le monument 2001, l’Odyssée de l’Espace, et ce en se fondant sur le savoir astrophysique, les problématiques et les moyens cinématographiques des années 2010 (odyssée deux ?). Les accords d’orgue prolongés de Hans Zimmer ramènent à Strauss, les robots assistant l’équipage rappellent régulièrement que leur obéissance est absolue (histoire qu’on ne craigne pas une resucée d’HAL 9000). Et c’est clairement sur le niveau visuel, sur la grandiloquence et la splendeur des plans spatiaux, sur leur lenteur (relative, nous sommes au XXIe siècle) et leur vraisemblance (pas de bruits dans l’espace ; tous les corps sont physiquement isolés) qu’Interstellar est le plus réussi. Le vertige de l’immensité spatiale, son hostilité, sa froideur, les distances incommensurables que l’univers met en jeu, tout est palpable pour le spectateur, le prend aux tripes, le colle à son siège, le déracine de ses repères familiers et il peut entendre un écho de ses propres pensées quand l’un des explorateurs déclare en tremblant : “nous ne sommes pas faits pour venir ici.” Sense of wonder, vertige cognitif, Interstellar est un bijou de ce point de vue ; et très peu de films y sont parvenus avec un tel brio (il faut dire qu’ils sont rares à s’y être essayés).

La production martèle qu’un astrophysicien, Kip Thorne, a été associé à l’écriture afin de proposer une représentation aussi réaliste que possible des phénomènes dépeints (trou de ver, trou noir) et de garantir la fidélité à la relativité générale, notamment aux effets de dilatation temporelle dus à l’accélération d’un corps1. Oui, c’est (globalement) cohérent, mais de là à qualifier Interstellar de hard science comme je l’ai vu ici ou là, il ne faut pas pousser, on n’est pas chez Bear ou Benford. Il faut toutefois louer l’effort de didactisme, invisible, accompli dans l’écriture, pour porter ces notions au grand public, et elles sont mises en jeu de manière assez juste. On pourrait en revanche s’interroger sur le fait que la relativité générale, une théorie âgée d’un siècle et fondamentale à notre compréhension du monde, soit aussi méconnue du grand public, au point que les critiques généralistes se renversent de l’intelligence du film.

Le trou noir du film. Grandiose, incompréhensible, presque lovecraftien.

Le trou noir du film. Grandiose, incompréhensible, presque lovecraftien.

Parce que c’est un peu là que le bât blesse. Interstellar est un beau film ; Interstellar est un film vertigineux : Interstellar est un vibrant plaidoyer pour l’exploration spatiale, en nous ramenant à la nécessité fondamentale d’explorer ce qui nous entoure (et peut-être de sauver notre peau en nous trouvant une planète neuve au lieu de nous éteindre bêtement sur celle que nous avons abîmée) ; rien que pour cela, il mérite un profond respect. Mais s’il y a une chose qu’Interstellar n’est pas, c’est un film intelligent.

Il n’est pas question de fustiger la potentielle vacuité des réflexions philosophiques sur la survie, sur l’amour, sur la cohésion de l’espèce, sur les impératifs évolutifs qui gouvernent encore les pulsions humaines ; il me paraîtrait bien ingrat de le faire, dès lors qu’on se rappelle qu’un film tel qu’Interstellar est avant tout une oeuvre de narration et non philosophique, et que les questions qu’il pose sont de toute façon très efficacement véhiculées par l’image et le scénario seuls. Interstellar est un film long, mais il n’est pas ampoulé par ses dialogues, par la tentative de pensée qu’il s’efforce d’introduire, et qui, bien que superficielle, tient la route. 

Interstellar patine hélas à cause de stupides erreurs narratives, de facilités et surtout d’occasions manquées qui sont regrettables quand on voit l’envergure du film par ailleurs. Sans dénaturer l’intrigue, si la production a embauché un astrophysicien pour bétonner le scénario, il aurait été judicieux d’ajouter un agronome et un océanographe. La famine subie par la Terre est soit mal expliquée, soit ne tient pas debout ; quant aux vagues hautes du plusieurs kilomètres qui traversent régulièrement une planète-océan qui semble profonde de vingt centimètres, et ce sans provoquer le moindre ressac, euh… Et passons sur la mécanique des communications dans le trou de ver qui change en fonction des exigences du scénario, des décisions parfois absurdes prises par l’équipage…

Mais admettons tout cela au nom de la volonté de l’histoire. Plus dommage, et plus décevant, alors qu’Interstellar s’efforce d’offrir une réflexion poussée sur la place de l’homme dans l’univers, les personnages qui la portent dégénèrent à grande vitesse en des clichés tout juste bons à servir d’antagonistes ponctuels, au cours d’effets narratifs qu’on sent venir à cent mètres. Tous ces astronautes, scientifiques de haut vol, triés sur le volet, volontaires pour leur mission, craquent de façon un peu trop systématique : d’accord, on a compris, l’espace, c’est grand et ça fait peur, mais il aurait été bien plus émouvant de voir ces gens lutter pour garder leur sang-froid et se fissurer peu à peu qu’exploser régulièrement comme des divas. Et là, alors que c’est une pierre angulaire du discours, c’est rageant. Et nous éviterons de regarder de trop près les dix dernières minutes, qui tiennent probablement à ce stade de la figure imposée par le cinéma moderne à gros budget, mais regrettons-les un peu quand même, discrètement, là, comme ça.

De façon plus vaste, le défaut majeur d’Interstellar est peut-être sa conclusion, sa chute, le gros PAIEMENT de la promesse narrative du début du film. Soit je deviens blasé, ou bien intellectuellement surpuissant (oui, voilà, c’est forcément ça), mais je peine à comprendre comment un spectateur vaguement attentif, et surtout passionné d’imaginaire, ne pourra pas la voir venir dès le premier quart d’heure, conclusion appuyée lourdement par des mises en place, répliques disséminées ici et là avec la subtilité d’un monolithe noir. Interstellar place le spectateur dans une drôle d’oscillation continuelle, entre “ouaaaah c’est beau, c’est grand, j’ai peur” et “ah, bon, ça y est, merci, j’ai compris depuis une heure : la suite, svp”.

Suis-je assassin ? Suis-je en train de te dire, auguste lectorat, qu’Interstellar est un gros pavé bouffi sans intérêt et que la SF vaut mieux que tout cela ?

Eh bien, certainement pas, et même tout le contraire. Interstellar est un film majeur, peut-être un futur classique – ce qu’il mérite. Mais attention, ce n’est pas un grand film, comme le sont Bienvenue à Gattaca, Blade Runner ou L’Armée des douze singes. Mais c’est un film marquant, notable, un jalon de l’histoire de la science-fiction. J’irai jusqu’à affirmer qu’on peut le désigner comme successeur au trône symbolique occupé par 2001.

Sacrilège ? 2001 était un jalon marquant, longtemps inégalé, qui a atteint le statut de culte, et donc, par là-même, considéré inégalable par beaucoup. Mais – au risque d’égratigner la statue – descendons un peu de nos piédestaux de hauts intellectuels. Franchement, sérieusement ; à sa sortie, qui a pigé la fin de 2001 ? Qui, avant que les big dumb objects comme le monolithe noir ne deviennent un trope répandu du genre, avait instantanément pigé le lien entre l’os lancé en l’air par le primate et le fondu vers le vaisseau orbital humain ? Soyons sérieux deux minutes. 2001 est un classique, une oeuvre majeure, mais nous savons tous que, quand on en parle à un non-spécialiste, il dira qu’il n’a pas très bien compris ce qu’il a vu (en termes plus ou moins châtiés). 2001 – en tout cas son dénouement – est incompréhensible sans explication de texte ou sans avoir lu le livre de Clarke. La vénération de l’oeuvre, dirais-je, découle aussi de ce plaisir d’initié : 2001 est un chef-d’oeuvre, parce que moi, je l’ai compris, et c’était tellement en avance, vous comprenez.

2001 est donc, à mon humble avis (qui me vaudra peut-être le bûcher2), une oeuvre majeure, splendide, puissante, mais aussi puissamment imparfaite.

Interstellar l’est aussi, quoique pour d’autres raisons. Interstellar pousse plus loin le vertige spatial, le réactualise, offre une oeuvre d’une grande cohérence (jusqu’à ses défauts) et présente l’immense avantage de l’intelligibilité. Ergo : allant plus loin, c’est un successeur, moderne, à la hauteur de 2001. Et un film qu’on peut montrer à quasiment n’importe qui pour parler d’espace, de l’importance de son exploration, pour le faire voyager et frémir, sans qu’il vous regarde à la fin avec un air mi-bovin mi-contrarié. Interstellar est une grande contribution à la science-fiction et à son accessibilité. C’est un film majeur. 

Mais, eh bien, cela n’en fait pas un chef-d’oeuvre pour autant. Et c’est, malgré tout, un peu dommage.

  1. Si vous n’êtes pas au top, lisez les livres de la série La Science du Disque-monde, tout y est très bien expliqué et de façon plus drôle que chez Stephen Hawking, et oui, je sais, je les ai traduits, mais c’est bien pour ça que je peux en parler.
  2. Et je rappelle, pour mémoire, ma grille de lecture critique : parte ouane, parte tou.
2014-11-14T17:02:35+01:00vendredi 14 novembre 2014|Fiction|39 Commentaires

Dans les détails de la technique d’écriture, avec DraftQuest

draftquestDraftQuest est une jeune application destinée à l’écriture, complétée par un cours en ligne, qui fédère déjà autour d’elle une communauté active et dynamique. Son originalité, c’est de combattre l’angoisse de la page blanche par une approche ludique, à base de pictogrammes, de quêtes et de points d’expérience, et en intégrant des outils de communication entre auteurs ; surtout, le programme est destiné autant aux apprentis auteurs désirant faire de l’écriture leur métier qu’à ceux qui souhaitent simplement s’y essayer sans optique de publication, juste à titre d’exploration. Ce qui est une approche rafraîchissante dans le paysage des programmes d’aides à l’écriture, qui délaissent souvent le plaisir et le jeu pour des cadres parfois rigides.

Avec David Meulemans, qui dirige et programme DraftQuest, nous avons parlé, bien sûr, technique d’écriture, dans le détail des rouages et des boulons :

David Meulemans : Lionel Davoust, vous avez écrit plusieurs romans. Vous semblez désormais consacrer l’essentiel de votre temps à l’écriture. Pouvez-vous-nous décrire une journée type de Lionel Davoust ?

Lionel Davoust : C’est effectivement le cas, à l’écriture de fiction, principalement, et parfois un peu de traduction ou d’éditorial. De manière générale, je ne suis pas du matin (le matin est un endroit froid et hostile où le seul réconfort s’appelle café). Du coup, je me réveille doucement en entretenant le lien avec la communauté sur les réseaux sociaux, le site, puis en m’occupant de ce que j’appelle les « affaires courantes » : courrier électronique, et les dizaines de petits à-côtés dont il faut s’occuper quand on est travailleur indépendant (contrats, articles brefs, relations avec presse etc.). Je fais une pause à midi et je coupe toute distraction l’après-midi pour me consacrer pleinement à l’écriture sans interruption, autant que possible, m’interdisant cette fois toute incursion en ligne. En phase de rédaction, je me fixe en général un quota d’écriture, allant de 15 à 20 000 signes en fonction de la sévérité de la date-butoir et de mon énergie.

Pour lire l’entretien complet, c’est sur le blog de DraftQuest : partie 1, partie 2.

2023-03-03T04:01:59+01:00jeudi 24 avril 2014|Entretiens|Commentaires fermés sur Dans les détails de la technique d’écriture, avec DraftQuest

Titre

Aller en haut