Pièges et difficultés du point de vue omniscient

Le point de vue omniscient (cf inventaire des points de vue) attire souvent dans la narration : c’est vrai que la capacité de pouvoir sauter à l’envi dans la tête de chaque personnage, de prendre autant de distance ou de proximité avec eux qu’on le souhaite est tentant. L’intention louable est la liberté, et la capacité de dramatiser chaque action de la façon la plus efficace. L’intention plus problématique, qui apparaît de temps à autre en atelier, consiste à vouloir esquiver les contraintes des points de vue de narration plus classiques. Or l’expérience tend à montrer qu’en art, quand on veut s’affranchir d’une difficulté, on finit souvent par s’en créer une plus considérable encore.

Je viens ici, auguste lectorat, descendant de ma montagne avec sur mon iPad les tables des peut-être-lois-mais-pas-vraiment-vous-faites-ce-que-vous-voulez (consignées dans Airtable) te dire que, eh bien, le point de vue omniscient n’est pas une idée si géniale que ça dans un grand nombre de projets.

Le point de vue est une des règles du jeu les plus fondamentales que le récit propose (promesse narrative) : il décrit par quel artifice l’information sera transmise. Or, la littérature n’est que de la transmission d’information, puisqu’elle repose sur le langage. Dès lors, le point de vue omniscient entraîne un problème de taille si l’on n’est pas prudent·e (et/ou expérimenté·e) : en autorisant les basculements arbitraires de narration, il peut donner l’impression de tricher avec ses propres règles (ou de n’en avoir aucune), ce qui brise l’implication du lecteur qui ne sait pas à quoi se rattacher et dans quoi s’investir émotionnellement.

Ce qui entraîne une difficulté considérable : il est compliqué, avec une narration omnisciente, de faire monter une tension narrative. En effet, celle-ci repose très souvent sur l’information incomplète des personnages : Jean-Eudes m’aime-t-il ? Y a-t-il un tueur en série au coin de cette rue sombre ? Saroumane est-il du côté des gentils ?

Habituellement, le lecteur ignore les réponses parce que les protagonistes, sur qui la narration est centrée, l’ignorent. Et donc, il les désire, pour savoir comment l’histoire va se dénouer. En revanche, le point de vue omniscient fait voler en éclats la rambarde précieuse qui donne à l’auteur une raison parfaitement acceptable de cacher tout ça : si la narration n’a pas de règle intrinsèque (autre que l’arbitraire) pour cacher les sentiments de Jean-Eudes, la présence de Jack l’Éventreur dans l’ombre ou les allégeances géopolitiques réelles de Saroumane, alors elle devrait les donner, ce qui pète tout de suite le game. Et si elle ne le fait pas, le lecteur se sent floué.

Comme avec tout, c’est bien sûr un effet que l’on peut vouloir rechercher, mais on tombe alors davantage dans le post-moderne ou l’expérience littéraire que dans la fiction pure. (Éventuellement dans la tragédie.) Et d’ailleurs, en général, le point de vue omniscient rattrape le déficit de tension narrative en suscitant l’intérêt d’une autre façon, comme un commentaire sur les événements, souvent humoristique ou satirique. C’est valide, évidemment, mais ça n’est pas du tout la même chose qu’écrire une aventure ou une romance : les enjeux reposent moins sur le destin des personnages que ce qu’ils représentent.

Notons que le point de vue omniscient est résolument distinct du roman choral, dont on a parlé ici (le roman choral emploie une succession de points de vue limités et contenus, donnant au lecteur une vision plus globale du récit, mais toujours incomplète).

2022-09-24T02:58:41+02:00lundi 26 septembre 2022|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

Il n’y a qu’une seule bonne raison de ne pas se faire vacciner

Et c’est : si vous avez une contre-indication médicale très, très spécifique qui vous place déjà dans quantité de situations à risques depuis le début de votre vie (et c’est sacrément emmerdant, et vous le savez, et vous aimeriez justement bien pouvoir avoir des vaccins, parce que vous comprenez mieux que personne la bénédiction qu’ils représentent).

Autrement, si vous êtes en mesure de vous faire vacciner contre le Covid, vous devez le faire. “Oui mais…” NON. “Mais imaginons que…” NON NON. “Non mais et si…” TUT TUT NON DÉSOLÉ MAIS QUE DALLE.

Il n’y a pas de conspiration, pas de machination mondiale, pas de puce 5G, et vous faites tous les jours des trucs un million de fois plus risqués que prendre un vaccin contre le Covid (surtout concernant une maladie qui circule énormément et qui peut, genre, vous tuer ?). Dans les mots de Linus Torvalds (connu pour ses coups de gueule, mais pour une fois qu’il en pousse un à bon escient, ça vaut le coup de le signaler) :

Les vaccins ont sauvé les vies de dizaines de millions de personnes. […]

Ne vous imaginez pas tranquille et bien au chaud parce que les cas de Covid ont grandement chuté autour de vous. Oui, toutes les personnes vaccinées de votre entourage vous protègeront, mais s’il y a une autre vague, potentiellement due à un variant bien plus transmissible, vous et votre famille encourrez un risque largement supérieur aux personnes vaccinées, tout cela à cause de votre ignorance et de votre mésinformation.

Vaccinez-vous. Arrêtez de croire les mensonges des antivax.

Ne pas se vacciner, c’est en plus mettre en danger les personnes qui ne peuvent être vaccinées pour diverses raisons d’intolérance ou qui sont immunodéprimées, et qui ne vous ont fucking rien demandé – non seulement vous risquez, encore davantage avec le variant Delta, de développer une forme grave et fatale de la maladie, mais vous pouvez la transmettre autour de vous, vous conduisant, indirectement, à peut-être tuer quelqu’un.

Si, à l’heure actuelle, vous refusez de vous vacciner et qu’en conséquence vous le chopez (et que vous développez une forme grave et que vous y restez), déjà, c’est vraiment très con. Mais ça, c’est littéralement criminel.

Les cas ont décru récemment avec la combinaison des mesures d’isolement mais aussi avec la croissance de la vaccination. Si vous croyez le contraire, ma foi, ouvrez un journal scientifique au lieu de Facebook où “quelqu’un qui sait” vous assure que “quelqu’un qui travaille à l’hôpital de Plan-de-Cuques” a juré sous le sceau du secret que le vaccin allait vous transformer en jaune d’œuf. Nous avons la chance en Occident d’avoir des doses, et y en a encore pour faire la fine bouche ! Si c’est pas du first world problem, ça, bon dieu.

Il y a des rendez-vous partout en ce moment. Vous pouvez vous faire vacciner sur votre lieu de vacances. C’est gratuit. Si vous êtes en mesure de le faire, vaccinez-vous ; si vous ne le faites pas, franchement, à ce stade, vous faites le choix délibéré de vous mettre en danger comme de mettre en danger autrui, et ça commence à devenir difficile de trouver de la compassion.

Vivez, et faites vivre les gens autour de vous, connus ou inconnus.

Ce. N’est. Pas. Compliqué.

2021-07-08T10:48:54+02:00lundi 12 juillet 2021|Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Il n’y a qu’une seule bonne raison de ne pas se faire vacciner

974 représente, malgré toi

Howdy, auguste lectorat, me voici donc bien arrivé, à peu près remis de la courte nuit, l’ordre soigneux de ma valise n’est plus qu’un souvenir, mes souvenirs de démarrage en côte avec une bagnole manuelle ont intérêt à redevenir un ordre soigneux, j’ai rencontré mes premiers bugs imprévus sur le PC, mangé des samoussas sur le front de mer de Saint-Pierre, constaté qu’il fait super bon et que déjà, presque, je pourrais trouver qu’il fait un brin frisquet quand le soleil se cache, hein, à force qu’il me tape sur le crâne toute la journée.

Problèmes de riche. Tu peux me haïr. Tu as raison.

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L’installation se déroule donc tranquillement et nous prenons doucement nos marques. L’île est aussi belle que dans mes souvenirs, et cette fois je vais pouvoir la découvrir un peu plus posément, au quotidien, m’arrêter sur les petits détails, ce qu’on ne voit que sur la durée.

En revanche, je constate déjà avec consternation et un agacement croissant à quel point l’île est tranquillement oubliée, ou ignorée, par la métropole, à une foule de petits détails. Tu veux t’équiper en menus bidules, tu as le réflexe du XXIe siècle : tu te renseignes sur Internet avec tes habitudes. Tu découvres vite que, ah, tu veux être livré – mettons par Amazon pour du petit matériel – mais mon pote, tu habites où, là ? La quoi ? Connais pas. Bon, admettons, les frais d’envoi sont plus élevés, etc.

Là où ça devient carrément du foutage de gueule :

Salut, Conforama, je voudrais une info sur une dispon... euh...

Salut, Conforama, je voudrais une info sur une dispon… euh…

… OH WAIT

... dis-donc, Conforama, tu te foutrais pas de ma gueule ?

… dis-donc, Conforama, tu te foutrais pas de ma gueule ?

Les imbéciles sont tous nés quelque part, disait Brassens, et si un truc m’horripile, c’est l’aveuglement borné, la supériorité prétendue de ceux qui se croient au centre du monde – une certaine vision parisienne par rapport à la province ; une certaine vision métropolitaine par rapport aux îles. La psychologie sociale appelle cela le biais intra-spécifique ; dès lors qu’on appartient à un groupe, quel qu’il soit, on le considère intrinsèquement supérieur et une rivalité s’installe avec l’extérieur. L’expression la plus simple se retrouve dans (ne rigolez pas) ce grand succès des réfectoires étudiants – c’est à bâbord qu’on gueule le plus fort, etc.

Sans rire, tentez l’expérience la prochaine fois que vous vous trouvez artificiellement séparé.e dans un groupe arbitrairement constitué : lâchez un innocent “ouais, on est mieux à gauche / en bas / sous le panneau vert” (sous-entendu : que les autres à droite / en haut / sous le panneau bleu) et voyez sous vos yeux ébahis éclore une rivalité aussi instinctive que stupide avec ceux d’en face tandis que la cohésion se renforce au sein du groupe même (s’il y a ici des joueurs de MMORPG qui ont fait des raids nécessitant une division arbitraire en groupes, vous devez bien voir ce dont je parle : mon groupe à moi il est forcément trop mieux que celui de l’autre).

Bref, 1) tout ça n’a peut-être (probablement ?) aucun rapport avec la choucroute, 2) je suis assurément le plus mal placé de l’univers entier pour parler de ça mais il n’empêche : hey, la métropole, les îles existent, et ça serait bien que tu fasses un tout petit peu genre que tu es au courant, surtout si tu es une entreprise qui aime avoir des clients qui dépensent des sous chez toi. Et au minimum pour respecter les gens qui vivent ailleurs que chez toi. Sérieux, ce genre d’ignorance paternaliste charrie implictement tant de choses désagréables, moi, ça me fait honte.

Mais ça, c’est parce que tu es jalouse du beau temps et de la mer. Je sais. Chut. Viens faire un câlin.

2015-07-20T16:03:46+02:00mardi 21 juillet 2015|Carnets de voyage|6 Commentaires

Tu vois, petit, ceci est un livre

Vu sur un site agrégateur de nouvelles, au contenu généré en grande partie automatiquement :

wtf_livre

OK. Le contenu est généré automatiquement. L’extrait de Wikipédia a été récupéré par le site. Il n’empêche. Voir ce genre de définition sur la page d’un bouquin suscite, l’espace d’une fraction de seconde, un étrange vertige cognitif et donne l’impression d’avoir fait un hypothétique bond en 2060, où, eh bien… :

2013-04-26T17:23:29+02:00mercredi 1 mai 2013|Expériences en temps réel|Commentaires fermés sur Tu vois, petit, ceci est un livre

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