Il est interdit de passer à l’Orange (Article R412-31 du code de la route)

[LD]
[Du haut de sa tour d’ivoire qui est carrée… ivoire est carrée… Hou hou hou]

[Service client d’Orange]
[Troisième verger après le soleil]

Messieurs,

Veuillez noter que, par la présente, je résilie mon abonnement Internet à Orange (formule 8 mégas). C’est pour moi une grande tristesse de quitter vos services que j’ai connus depuis les
balbutiements de l’ADSL.

C’est un pan d’histoire qui s’effondre. Ah, que de noms secrets, sortis de l’imagination fertile des commerciaux : Netissimo, Wanadoo ! Formules imprécatoires qui se voulaient magiques, mais
qui sonnaient plutôt comme des efforts poussifs visant à convaincre le client vaguement appréhensif face aux mystères de « l’Internet » que sa pratique était facile et amusante. Des noms
ésotériques, construits sur des principes qui ne l’étaient pas moins, obéissant à des formules cachées, transmises seulement au coeur des nuits les plus sombres parmi la très fermée confrérie
des Consultants : un nom branché se doit de comporter les syllabes « issime » ou « doo ». Le problème, comme vous l’avez bien vu, messieurs, c’est que le « branché » est une denrée périssable.
Espérons qu’au contraire, la nouvelle « Orange » le sera moins, du moins tant qu’elle ne sera pas dévorée par Vodaphone – un nom fort peu heureux en langue française, lui, évoquant l’atroce
image d’un émétique administré par 0811 (13 centimes d’euros la minute de consultation, mais le temps de mise en relation est gratuit).

Hélas, messieurs, je pardonnai vos errements – les déconnexions intempestives qui ne furent résolues que par une enquête physique sur le DSLAM ; le service technique qui ne rappelle jamais
quand il promet de le faire ; même, messieurs, même, votre usage abusif de ce pauvre David Bowie en musique d’attente qui, s’il n’a peut-être rien contre l’usage et l’abus, serait probablement
consterné de se voir progressivement associé à la frustration du temps d’attente. Mais je fus terrassé par une latence excessive due à des problèmes de transaction entre Orange et OpenTransit,
ce que les techniciens de la hotline, à la compétence inférieure à la mienne, n’ont jamais daigné comprendre ; je l’avoue, messieurs, à ma grande honte, j’en gourmandai sévèrement certains qui
ignoraient jusqu’à l’existence du traceroute. Mais peut-on travailler sérieusement sur les autoroutes de l’information en ignorant l’existence de leur GPS ? Je crois, messieurs, que si nous
pouvons nous enorgueillir d’un si beau réseau routier, c’est que nos ouvriers savent différencier le bitume de l’asphalte.

En conclusion, en guise d’adieu, messieurs, il me reste à vous léguer un modeste don, une citation de Robert Sabatier trouvée sur Internet qui nous concerne, vous et moi : « À notre époque où
l’on parle tant de communication, la vraie communication est poétique. »

Je l’ai trouvée via ma connexion… Free.

Lionel Davoust
(Par lettre simple)
2018-07-17T14:32:41+02:00lundi 10 novembre 2008|Expériences en temps réel|1 Commentaire

Rasade d’humanité dans un monde surréaliste (L.VII – VIII)

Livre VII

« Monsieur, poursuivit mon interlocutrice de ce ton enjoué qui, à l’accoutumée, ne sied qu’aux démarcheurs, j’ai seulement lu à l’instant votre missive de résiliation de notre entente commune car elle ne fut pas portée à ma connaissance plus tôt. L’eussé-je connue, monsieur, que je vous en aurais parlé la veille, lors de notre rencontre! »

Je dois avouer que, tel un jockey lecteur de Lao-Tseu saisi en plein élan d’une interrogation métaphysique sur les chemins et les destinations au point de douter du bien-fondé de l’idée de course hippique, je commençais à me sentir désarçonné. Comme l’oiseau en vol à qui la volonté propre manque, pris d’une langueur qui le condamne à une chute aussi résignée que fatale, entrevoyant les nébuleux prémisses d’un existentialisme aviaire fondé sur l’idée de gravitation universelle.

« Je tenais, en toute sincérité, à vous faire part de mon profond amusement et de mon admiration, poursuivit-elle. Ainsi qu’à saluer courtoisement l’humour dont vous fîtes preuve. Quelle audace! Écrivez-vous donc, monsieur? »

Il me fallut bien, timidement, lui répondre par l’affirmative. Étrange jeu des circonstances! Mais elle ne tarissait pas d’éloges et la joie dans sa voix a achevé de faire fondre ma morgue.

« Sachez, Monsieur, que je suis une amoureuse des lettres et que votre beau langage a séduit la passionnée de culture que je suis! Je vais conserver avec soin votre missive par-devers moi et la présenter à tous mes amis férus de littérature afin qu’ils partagent mon amusement. Si j’avais connu cette lettre, monsieur, je vous en aurais parlé hier. Je tire ma révérence à votre talent. C’était la seule raison de mon coup de fil! »

Madame sait que je ne suis pas un affamé de la louange; je donc suis convaincu qu’elle me croira quand je lui affirmerai que cette retranscription est nécessaire à la compréhension de cette aventure et qu’il ne s’agit point de la vantardise creuse d’un ego insatisfait passé à son insu en contrebande. Mais, que me damné-je! Madame a l’esprit plus vif et fin que je ne saurais le dire; cette précision est superflue, elle aura déjà compris le fin mot de ce piètre divertissement, et la lecture du livre suivant, le dernier, lui sera donc superflue.

Au revoir, Madame, et merci!

Livre VIII

Diantre! Madame me fait trop d’honneur en daignant lire ce dernier livre, malgré son inutilité!

Ainsi, donc, se terminèrent mes relations avec cette agence, qui s’étaient entamées sous le signe le plus rigoureux et déshumanisé des documents justificatifs et autres feuilles d’impôts. Je dois admettre à Vos Excellences, car c’est mon modeste projet que de mettre à nu mon âme sous leurs yeux critiques et vigilants, que je restai hébété de cette communication aussi inattendue qu’élogieuse. Il y avait une leçon à en tirer, me dis-je. Elle est double.

Moi qui, précédemment, me posais en fier parangon du locataire opprimé par la machine administrative et ses lois aveugles, tel un Don Quichotte d’opérette – ce qui n’est pas peu dire -, fièrement dressé dans mon armure de bohême, jean, T-shirt et cheveux longs, voilà que mon interlocutrice posait sur moi un tout autre regard.

La lecture même de ce regard ne vaut-elle pas qu’on s’y attarde quelque peu? Si je l’avais accueillie avec méfiance, peut-être, et sans effort vestimentaire, ce n’était pas parce que j’étais une sorte de va-nu-pieds irrespectueux, pensa-t-elle à coup sûr. Mais j’étais simplement devenu pour elle un excentrique tel qu’on les imagine dans la plus
grandiose des traditions romantiques. Qu’étais-je, si ce n’était l’incarnation même de l’Artiste, cette entité intellectuelle volant au-dessus du monde, dévouée entièrement au Beau et dont le destin et la fantaisie ne suivent de loi que la sienne propre? Ainsi, ma montre illisible au bracelet mordillé par des chiens pestiférés sortis d’égoûts méphitiques* n’était plus l’indice d’un léger laisser-aller mais la marque d’une indépendance d’esprit – que dis-je! C’était une déclaration de guerre face à l’ordre établi, une oeuvre en soi, une prise de position politique! Une mode future, à n’en pas douter.

Ah, tristesse, malheur des préjugés qui font d’un vaurien un aventurier ou d’un prince un oppresseur!

Mais ce jeu de regards n’est qu’un épiphénomène car, Madame, celui qui fut le mieux pris au piège, ce fut votre humble serviteur, et qu’il subsiste en ces mots déposés sur ces lieux électroniques, ce vent magnétique soufflé du néant la trace que moi, Lionel Davoust, me suis fendu d’un vaste et grand sourire en raccrochant le combiné, riant de la rasade d’humanité que venait de me renvoyer la graine de surréalisme que j’avais plantée en ce monde. J’ai fait mes aveux en prélude et les ai répétés moult fois lors de ce récit, ma missive originale était teintée d’une morgue homéopathique, comme une pirouette à la face du destin aveugle, mordillant par jeu, mais sans griffer. C’est la vérité.

Et voilà que la machinerie aveugle – car la raideur et l’attitude hautaine de la structure n’étaient en rien une illusion – que je m’amusais à tancer courtoisement venait de renvoyer à ma propre image le simple message que j’espérais lui faire parvenir: tout simplement, qu’elle traitait avec des êtres humains, faillibles certes, mais aussi – quand ils ne l’oublient pas – capables d’individualité, et donc, en tant que tels, séparés et différents de la machine dont ils ne sont en définitive
qu’un faible rouage.

Mais, dus-je m’interroger, n’avais-je pas aussi légèrement péché de même en confondant légèrement le “Messieurs” de la structure avec la “mademoiselle” qui mania le coupe-papier incisant l’enveloppe de mon courrier?

Quoi qu’il en soit, voilà un dénouement tout aussi surréaliste et absurde que la lettre que j’avais envoyée et qui débuta tout. Que la vie vous renvoie une certaine forme de synchronicité, de grand rire cosmique au visage, n’est-ce pas la joie suprême de la folie, de l’impulsion – son euphorie? N’est-ce pas le véritable grand plaisir de la magie, de l’introduction volontaire du surréalisme dans le quotidien? Que Vos Excellences acceptent dès à présent de me pardonner pour cette si longue diatribe traînant depuis des mois. Je doute que cette leçon vale bien un fromage, sans doute, mais, qu’elles daignent me l’accorder, je pense qu’elle ne vaut pas non plus un coup de règle sur les doigts.

J’ai hâte de recommencer ce genre d’expérience et de voir ce qui se produira.

Je suis, Madame, incorrigible.

FIN
Shandy Hall, le 15 juillet 1768
(Ou du moins, à quelques siècles et à quelques kilomètres de là,
avec mes profonds respects à Sterne,
qui n’aurait, je pense, pas froncé les sourcils sur mes emprunts.)

(Enfin, j’en sais rien, mais moi, je me suis bien marré.)

* J’exagère peut-être un peu. Mais j’ai quand même changé de montre. (Note de l’auteur)

2011-02-01T19:23:52+01:00mardi 15 juillet 2008|Expériences en temps réel|Commentaires fermés sur Rasade d’humanité dans un monde surréaliste (L.VII – VIII)

Rasade d’humanité dans un monde surréaliste (L.I – II)

En clin d’oeil à la talentueuse alchimiste LS, je dirai simplement en introduction:
The manner of this post (and those that will follow) is a very, very humble tribute to Sterne and his Tristram Shandy.

“Les mots sont comme les glands… Chacun d’eux ne donne pas un chêne, mais si vous en plantez un nombre suffisant, vous obtiendrez sûrement un chêne tôt ou tard.”
– William Faulkner

Livre I

Dans une entrée précédente, je révélais au monde ébahi un fragment de ma correspondance privée – non pas quelque aventure croustillante aux frontières de la déviance et m’affirmant par le scandale – mais, plus prosaïquement, ma lettre de résiliation à mon agence immobilière. On fait les scandales que l’on peut.

L’histoire de cette missive lancée dans l’éther et pour laquelle je ne m’attendais pas à recevoir de réaction a connu ce matin un rebondissement fort amusant et sur lequel, j’en suis sûr, il y a un sens plus profond à élucider. Mais, si vous le voulez bien, un peu de contexte d’abord.

Il me faut tout d’abord avouer que je n’ai pas envoyé cette lettre de façon purement gratuite; j’agissais un peu par réaction. Le ton légèrement polisson et ampoulé du courrier était une réponse codée aux méthodes de ladite agence dans le traitement de ses locataires. Ayant eu affaire aux intéressés du côté du locataire – traîne-savates, fauché, le jean troué, l’oeil vitreux, l’élocution traînante – et du propriétaire – bourgeois, aisé, prévoyant, l’investissement sain, la chemise repassée, la carte de visite immaculée – je n’ai pu m’empêcher de noter une certaine différence de traitement selon le rôle.

Je dois derecher convenir – et même reconnaître – que, parfois, j’accorde peut-être une importance démesurée au plus infime détail – mais le diable est dans les détails, dit-on, et, si j’aime autant le diable, c’est parce qu’il est révélateur. L’agence en question, donc, place plus que jamais le locataire dans la peau du fautif a priori, quémandeur d’un logement où vivre son insignfiante existence – qu’il fasse preuve de gratitude si on le lui octroie et qu’il n’oublie pas, avec le virement bancaire, d’adresser un e-mail de
remerciements et une boîte de chocolats à la nouvelle année.

Non, bien sûr.
J’exagère.

Livre II

Je suis, je pense, un gentil garçon, qui paie son loyer à l’heure, qui évite de faire du bruit le soir après 22h, qui dit bonjour à la dame (et au chien) dans l’ascenseur, qui fournit toutes les attestations qu’on lui demande, etc. Revers de la médaille: si je me sens soupçonné à tort, je deviens très vite très con, surtout dans le cas d’exigences léonines. Et l’agence enchaîne lesdites, probablement par excès de prudence, dans des courriers-types dont les formules sont d’une séchresse exemplaire. Cher locataire, “vous voudrez bien faire… ” (En fait, là, j’ai pas envie.) Cher propriétaire, “nous vous remercions de bien vouloir trouver…” (Ah, mais c’est très aimable, merci à vous.)

Ma lettre d’origine, je l’avoue, s’amusait donc toute seule de ces tournures, aparté entre moi-même et vous, lecteurs de ces futiles et stupides expériences, tout en clôturant le dossier d’un implicite et joyeux “tout cela n’importe guère, somme toute”. Et, en effet, je recevais, trois jours plus tard, d’un air tout aussi guilleret, une autre lettre circulaire de leur part où l’on exigeait cette fois, lors de l’état des lieux, la remise d’un duplicata de la facture de location de la shampouineuse à moquette. Je suppose que c’est pour le locataire indélicat et surpris dans sa saleté une manière de se dédouaner: “je sais, les sols sont immondes, mais regardez, j’ai quand même loué une shampouineuse”. Que leur prévenance en soit remerciée! La shampouineuse comme mot des parents. Et, autrement, j’imagine que constater la propreté leur serait insuffisante; il leur en faut connaître le moyen d’action, car, il est vrai, comment s’assurer autrement que nul esclavage, nulle servitude, nulle action contre nature ou contre l’environnement, nulle déviance, nulle atteinte aux bonnes moeurs ne sont intervenus dans le nettoyage des sols? La shampouineuse comme caution morale!

2011-02-02T13:22:03+01:00mardi 12 février 2008|Expériences en temps réel|Commentaires fermés sur Rasade d’humanité dans un monde surréaliste (L.I – II)

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