Cachez cette prédation que je ne saurais voir

Mon agacement du moment, c’est un détail, mais révélateur d’une tendance omniprésente de la société qui commence à me sortir de plus en plus par les yeux.

Sur Flickr, entre autres activités parfaitement bénignes, il existe un groupe dédié à des compétitions amicales et informelles sur la photo animalière, auquel je participe quand j’ai une image qui convient au thème. Le groupe refuse les photos d’animaux malades, morts, en souffrance, etc. Cela me semble normal : il s’agit de célébrer la beauté de la nature.

Toutefois, les administrateurs viennent d’étendre cette règle : elle concerne dorénavant les animals eating lunch – les animaux mangeant leur déjeuner – on constate en passant la haute précision éthologique de l’expression ; cela signifie-t-il que les animaux au dîner, sont acceptés… ? Au titre que la proie, eh bien, est en souffrance.

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Je n’en peux plus de cette pudeur idiote, absurde et généralisée. La prédation fait partie de la nature, point. Plus que cela : le monde animal a développé quantité de stratégies fascinantes, diverses, incroyablement adaptées à une variété d’environnements afin d’assurer sa survie. Y voir une maltraitance relève de l’anthropomorphisme pur et simple avec option stupidité. Que certains dans l’espèce humaine désirent s’éloigner de la prédation pour leurs convictions personnelles, c’est tout à fait recevable, mais on parle ici de la nature1. L’image ci-contre, prise en milieu pleinement naturel et qui a d’ailleurs eu son petit succès, choque-t-elle donc les consciences ? Plutôt que de préoccuper de choquer lesdites consciences, j’ai quand même envie de m’interroger dans certains cas sur la façon dont on pourrait les rendre un peu moins molles.

La baleine filtrant le krill se livre-t-elle un à un acte de maltraitance ?

La méduse absorbant du plancton se livre-t-elle un à un acte de maltraitance ?

L’araignée tissant sa toile est-elle animée de malveillance ?

Une amie proche, lors d’un volontariat étendu en Antarctique, m’a un jour raconté que les touristes se montrent parfois horrifiés de voir des oiseaux poursuivre et dévorer des poussins de manchots restés seuls. “Pauvre petite bête ! Vous ne pouvez pas faire quelque chose ? C’est atroce !”

Les amis, c’est la nature. Le prédateur est lui aussi une pauvre petite bête, avec peut-être des jeunes à nourrir que vous trouveriez tout aussi mignons. Les animaux, ça mange. Vivez avec. Au lieu de projeter sans cesse, avec vanité, nos biais humains sur le monde, nous devrions nous efforcer de toujours mieux le découvrir, l’apprendre et l’accepter tel qu’il est, parce que c’est notre espèce qui se trouve hors de la nature, pas l’inverse. Et ce, pour le meilleur et pour le pire.

(Si vous avez envie de râler vous aussi sur Flickr, ma gueulante d’origine est ici.)

  1. Excluons simplement les photos “faciles” prises lors des nourrissages des zoos, ou bien de lions avec le museau enfoui dans les entrailles fumantes des gnous, potentiellement un peu gores.
2015-05-06T13:10:26+02:00jeudi 7 mai 2015|Humeurs aqueuses|230 Commentaires

Comment l’Etat se torche avec le droit d’auteur

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Image reprise de cette page.

Oui, il y a une vulgarité particulière, relativement inhabituelle, dans le titre de ce billet.

Mais les mots sont dûment pesés. Il y a trois mois, sur la gabegie ReLIRE, je titrais “l’État légalise le piratage, mais que le sien, faut pas déconner” en me disant : “mec, c’est la réalité de la situation, mais tu y vas peut-être un peu fort ».

Mais le courrier reçu par une consoeur, en réponse à une requête, dépasse les limites de l’absurdité et de l’indécence.

Je vous résume l’histoire. Notre consoeur (appelons-la A.) remarque un texte court d’un auteur de ses amies dans la base ReLIRE, figurant initialement au sommaire d’une anthologie parue avant 2001 – donc, tombant théoriquement sous la coupe de l’inique loi. Depuis, le texte en question est reparu dans une version augmentée. Il s’agit donc d’un texte disponible, donc ne devant pas tomber sous le coup de la loi. Simple, non ? A. le signale comme une incorrection à la base.

La réponse laisse sans voix (gras de ma part) :

Nous avons bien reçu votre signalement de disponibilité n°XXXX concernant [l’anthologie d’origine]. Cette demande ne peut être validée, car la disponibilité d’une seule nouvelle de ce recueil n’a pas d’incidence sur le statut du recueil, qui est actuellement indisponible dans le commerce.

[Suivent les formalités d’usage pour s’opposer à la gestion collective]

A. précise qu’elle a trouvé ce texte parce qu’elle avait cherché le titre de l’anthologie, rien n’apparaissant au nom de l’auteur concerné (encore une belle façon se faire entourlouper sans s’en rendre compte).

Cela confirme que des textes peuvent entrer en gestion collective et être numérisés, même s’ils ont été réédités par ailleurs, même si cette numérisation risquerait de faire une concurrence déloyale au nouveau livre.

C’est plus qu’un braquage, là, c’est carrément un braquage assorti d’un majeur brandi bien haut avec le sourire. L’auteur, en principe souverain sur son oeuvre (c’est le principe fondamental du droit moral), est le seul à pouvoir décider où et quand elle se trouve exploitée. À présent, non seulement l’État peut se l’approprier si elle a le malheur d’avoir été publiée avant 2001, mais en plus, il tortille avec sa propre notion d’indisponibilité en s’attachant non pas au texte en lui-même (l’oeuvre) mais son support (ce qui est en parfaite violation avec toutes les législations, y compris la convention de Berne, dont la France est signataire).

Édifiant, non ?

Heureusement, la résistance s’organise. La Nitchevo Squad relaie les actualités, contresens, recense les auteurs floués et autres actions, à travers un effort collectif de belle envergure – merci à eux.

Et, joie, le collectif le Droit du Serf a déposé un recours pour Excès de Pouvoir contre le décret, recours validé par le Conseil d’État (article entier) :

Cette requête porte sur les multiples violations de la loi que compte le décret, contraire à la Convention de Berne, au Traité de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), au droit de l’Union européenne, ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il n’est en outre pas conforme à la loi du 1er mars 2012 (sic).

On notera avec amusement que le décret d’application n’est même pas conforme à la loi qu’il est censé faire appliquer.

Au-delà de la fureur que suscite ce bafouement, ce vol d’État, je déplore profondément le fait que cette loi absurde, bancale et léonine ne fasse que dégrader encore davantage les relations entre acteurs de la chaîne du livre, notamment celles entre auteurs et le milieu éditorial, déjà bien tendues par la contraction du marché et l’arrivée du livre électronique. Ce n’est pas comme si le livre avait besoin de se tirer, en plus, une balle dans le pied.

Bravo, technocrates, bravo pour votre myopie, votre cupidité, votre ignorance et votre abyssale stupidité. Bravo pour vos séances d’autocongratulation, bravo pour vos rires légers échangés dans des salons à boiseries, bravo pour vos cocktails tièdes et vos discours interminables : vous faites tout ce qu’il faut pour faire couler le bateau collectif tout en vous félicitant de votre culture et de votre finesse. Mais je vais vous dire : vous ne savez rien. Vous ne connaissez du monde que ce qu’on vous en a dit. Vous n’aimez de lui que ce qu’on vous a désigné. Mais il y aura toujours des opposants pour vous contester avec intelligence, pour douter avec raison, il y aura toujours un espace qui ne vous appartiendra pas : l’esprit. Si vous lisiez des livres, comme vous prétendez vous en gargariser, vous le sauriez, car il en est le terrain privilégié.

(Heureusement qu’il y a de vrais éditeurs, qui bossent et défendent les intérêts de leurs auteurs. Gloire leur soit rendue, car, sans eux, il n’y aurait plus qu’à fermer boutique – peut-être même à l’aide d’une corde et d’une solive.)

Pour mémoire, il est toujours possible de signer la pétition lancée par le Droit du Serf contre la loi ici.

2013-06-27T10:07:53+02:00jeudi 27 juin 2013|Le monde du livre|12 Commentaires

De la nécessité des CRS

Dessin http://www.philippetastet.com

(Ouais, c’est bon comme titre, ça, coco, c’est polémique, ça fait du buzz, ça va augementer ton SEO et ton impact factor, je t’avais dit que tu étais un marketeux né.)

Ce qu’il y a de chouette avec Laurent Gidon, c’est qu’en plus d’être super sympa, on n’est pas toujours d’accord, ce qui donne des discussions intéressantes et, forcément, pousse à sortir les arguments et à réfléchir soi-même sur ses positions, à les remettre en question pour, éventuellement, parvenir à une meilleure conscience du monde transcendant (ou, du moins, à apprendre des trucs).

Laurent publiait avant-hier un très intéressant et très juste article sur la vacuité du contenu médiatique et combien il faut refuser de tolérer l’intolérable – non sans louer la plume d’Ayerdhal, qui est, à mon humble avis que je partage, un des plus grands auteurs que nous ayons aujourd’hui en France (Allez lire Transparences. Tout de suite. C’est un grand bouquin qui plaira aux amateurs d’imaginaire comme de polar.)

En revanche, c’est à la fin de l’argumentation de Laurent que j’exprime respectueusement mon désaccord :

Devenir adulte, c’est peut-être aussi reconnaître chez l’autre sa part d’adulte. L’écouter s’il parle, l’aider même s’il ne demande pas, et surtout penser qu’on peut lui faire confiance, sans loi ni police, pour être humain.

Ben oui, idéalement… mais non. (Ce qui suit pourrait être résumé par : LD, 5 ans, apprend à faire un trackback.) Cliquez pour la philosophie de comptoir

2010-07-07T11:55:48+02:00mercredi 7 juillet 2010|Humeurs aqueuses|16 Commentaires

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