Le placement de genre de « Les Dieux sauvages »

Reçu tout récemment une excellente question par mail, et comme les recherches ne donnent effectivement rien, il est probablement pertinent de poster ma réponse pour que les recherches donnent un peu mieux quelque chose :

Cherchant avidement des livres sur des guerrières de Fantasy qui ne soient pas forcément des passages de l’âge de petite fille à l’âge adulte […], je suis tombée sur votre série de romans sur Mériane [« Les Dieux sauvages » …]. Cette série de romans est elle vraiment fantasy, ou plutôt de la science-fantasy ou du post-apo déguisé ? […] Je vous pose cette question car je ne peux pas y répondre avec certitude avec mes “propres recherches”.

➡️ C’est difficile d’apporter une réponse simple à votre question car une bonne partie de l’univers d’Évanégyre est fondée sur l’ambiguïté entre technologie et magie, justement, et « Les Dieux sauvages » joue beaucoup là-dessus (si vous altérez les règles naturelles du monde, qu’est-ce qui est vraiment magique, qu’est-ce qui est vraiment technologique ?). Je ne fais pas vraiment pour ma part de différence entre les deux (même si je construis et développe mon univers depuis des années, il reste pour moi un décor et c’est l’atmosphère qui dicte un genre avant ses artifices).

Je peux toutefois vous dire que « Les Dieux sauvages » a été résolument écrit comme un hommage à tous les grands motifs de la fantasy traditionnelle dont le médiéval-fantastique, mais justement, je joue aussi sur les archétypes pour prendre le lecteur à contrepied. Normal donc que vous ne trouviez de réponse claire… il n’y en a pas.

Je pense que c’est là que se trouve peut-être votre réponse : si ce jeu de la découverte et de l’ambiguïté de l’univers vous rebute sans doute possible, la série ne vous conviendra pas. Mais si c’est surtout une guerrière de fantasy que vous cherchez, confrontée à toutes les difficultés et les peines que ça entraîne (et, parfois, les terribles compromissions que la victoire peut requérir), alors je pense pouvoir affirmer que la série accomplit son but.

En espérant que ça puisse vous donner un critère de choix,

Merci en tout cas pour votre intérêt,

Bien cordialement.

2022-10-11T15:39:15+02:00jeudi 13 octobre 2022|Dernières nouvelles|2 Commentaires

Une thèse de doctorat sur les femmes guerrières en fantasy disponible en téléchargement libre

La thèse d’Angélique Salaun, docteure en littérature générale et comparée, sur les femmes guerrières dans la fantasy est disponible en libre accès en ligne.

Je suis incroyablement honoré qu’elle ait choisi de faire figurer « Les Dieux sauvages » dans son corpus, aux côtés des œuvres de mes camarades Estelle Faye, Justine Niogret, Jean-Laurent Del Soccoro et Paul Beorn, mais aussi des classiques comme Tolkien (wow). C’est fou de voir ses histoires ainsi creusées et analysées ; merci de l’attention accordée à Mériane, Chunsène et Nehyr ; merci de tout ce travail de recherche sur la fantasy et sur la place de notre travail à toutes et tous dans le courant.

Cette thèse est une étude du personnage de la guerrière dans la fantasy épique anglophone et francophone fondée sur un corpus constitué d’auteur•rice•s phares du genre (Tolkien, M. Z. Bradley, R. Hobb, D. Gemmell) et d’auteur•rice•s français aux romans primés (J-L. Del Soccoro, E. Faye, J. Niogret, L. Davoust, P. Beorn) Ce genre de l’action et de l’aventure se décline traditionnellement au masculin mais plusieurs évolutions notables justifiaient une enquête fondée sur un large corpus. Si on peut rattacher ce personnage à des figures mythico-historiques, il s’est diversifié pour répondre à de nombreux enjeux liés au corps féminin actif et armé –masculinisé ou hyperféminisé –, mais aussi au rapport de la guerrière à la famille, la maternité, la violence, des enjeux qui touchent à la définition du genre féminin. L’étude interroge les objectifs des auteur•rice•s qui font passer au premier plan une héroïne guerrière et les effets de ce choix sur le genre. Elle démontre que le développement de personnages de guerrières permet aux romancier•ère•s d’enrichir le genre de la fantasy épique en lui offrant de nouveaux horizons narratifs, en résonnance avec les préoccupations sociétales contemporaines. En faisant émerger des figures historiques oubliées ou minorées et en les abordant selon des points de vue inédits, ils offrent une contre-histoire, celle des vaincus et/ou des femmes. En imaginant des intrigues autour de sujets peu abordés dans ce genre littéraire – la maternité, la lutte des femmes pour leur liberté, le matriarcat, etc. –, ils sensibilisent leur lectorat à des thématiques féministes et remettent en question les assignations de genre. Oscillant entre reconduction des stéréotypes et renouvellement des codes du/de genre, la fantasy épique, littérature d’évasion et de divertissement, fait donc, à travers ces « mondes secondaires », pleinement écho à notre « monde primaire », aux combats qui impliquent les femmes et aux idéaux d’égalité entre les sexes.

Toutes mes félicitations à Mme Salaun pour son doctorat !

➡️ Angelique Salaun. Femmes guerrières / Femmes en guerre dans la fantasy épique anglophone et francophone. Littératures. Normandie Université, 2021. Français. NNT : 2021NORMR090 . tel- 03523189. Télécharger la thèse en PDF.

2022-04-13T10:58:26+02:00lundi 18 avril 2022|Dernières nouvelles|3 Commentaires

Écrire le féminisme quand on est un homme

Quand j’ai commencé « Les Dieux sauvages », j’avais exprimé l’intention de partager un peu plus les dessous de l’écriture. Je l’ai un peu fait, mais je m’aperçois que je suis globalement incapable de conter par le menu les dessous de l’écriture, parce qu’une part de moi reste convaincue que, eh bien, c’est profondément inintéressant quand il s’agit de mon cas particulier. Ce qui est plus intéressant, ce sont les prises de conscience, les histoires d’écriture, et il n’y en a finalement pas tant que ça, du moins pas tant que ça qui méritent d’être contées.

Mais là, j’en ai quand même une, et c’est une histoire d’humilité, ce qui me semble toujours valoir le coup d’être partagé.

Je suis donc dans La Fureur de la Terre, deuxième tome de « Les Dieux sauvages »1. J’ai dit il y a quelque temps que je ne me réclamais plus activement du féminisme mais que cela ne m’empêchait nullement d’en appliquer les principes tels que je les perçois et de les défendre ; les étiquettes m’ont toujours engoncé et apporté plus d’ennuis qu’autre chose, quand ce qui importe, ce sont les actes, et je préfère rendre des comptes à ma conscience qu’aux gardiens des morales ; d’agir plutôt que dire.

Or doncques, même si j’évite de le revendiquer en vertu de ce qui précède, j’admets totalement que s’il venait à quelqu’un de trouver que « Les Dieux sauvages » a un discours féministe, j’en serais grandement honoré, et j’espère contribuer, de mon humble point de vue, à continuer à interroger les choses.

La toute clé se trouvant dans l’expression “mon humble point de vue”.

Je m’efforce depuis plusieurs années de m’informer sur le féminisme, mais surtout, à travers ce que je lis ici et là d’ami.e.s et camarades investi.e.s bien davantage que moi dans les luttes, dans les réflexions, dans, aussi, la défense des causes LGBT, d’interroger au quotidien mes présupposés de comportement et de voir en quoi les acquis du patriarcat et les privilèges de ma position dont je peux avoir conscience (blanc, cis, hétéro) peuvent influencer, inconsciemment, vision du monde, actes, etc.

Or, il y a peu de choses qui m’énervent autant que les moralisateurs et prosélytes de tout poil, et c’est pourquoi, à travers « Les Dieux sauvages », j’ai eu envie de me replonger (comme je l’avais un peu fait dans Léviathan) dans les questions de religion, mais en ajoutant, cette fois, interrogations (et plutôt énervements) sur le rôle et la place des femmes. Jeanne d’Arc m’a toujours semblé un savoureux (c’est ironique) paradoxe sur ce plan : voici une jeune fille, qui est l’envoyée de Dieu, qui mène les troupes à la bataille, sauve son royaume et son roi, et qui finit, pouf pouf, jugée pour hérésie et brûlée par les représentants de ce même Dieu. (Oui, je sais que c’est plus compliqué et politique que ça, mais il ne me paraît pas dingue d’avancer que, de base, un homme n’aurait jamais connu ce destin.)

Bref. Je pense résolument que l’écrivain peut tout écrire. Je pense que l’empathie est la base de toute création, de tout art, plus encore s’il est narratif, tant de la part du créateur que du lecteur / spectateur etc. et que l’empathie, dès lors qu’on s’y applique avec respect, fait partie des ressources humaines sans bornes. Je me suis aussi toujours fixé des défis d’écriture, j’aime écrire des femmes pour questionner mes propres présupposés du monde, et j’ai toujours été très honoré quand on les a trouvées réussies, c’est-à-dire, simplement humaines. Tiens, je fais un détour, là, mais peu importe : un jour, on m’a posé la question : comment faites-vous pour écrire ces femmes réussies ? (Les exemples cités actuellement étant Masha dans Léviathan et Stannir Korvosa dans “La Route de la Conquête”.) Ma réponse : déjà, merci beaucoup. Je veux vraiment réussir à leur rendre justice au même titre que je tiens à rendre justice à n’importe quel personnage. Ensuite, comment je fais ? Je n’en sais rien. Je n’écris pas des femmes, j’écris des gens. J’écris des êtres humains qui se trouvent être parfois des femmes, ce qui peut influencer un certain nombre de choses dans le parcours, dans l’origine, et donc dans la vision du monde et la façon de l’aborder, potentiellement. On ne naît pas femme, on le devient, dit le titre ; en tout cas, pour moi, et de mon petit bout de lorgnette, c’est aussi le cas pour les personnages.

Tout ça pour dire : fort de cette perspective et, espérais-je, de cette humilité, malgré tout, je me suis heurté à un plafond de verre que je ne soupçonnais pas dans l’écriture de La Fureur de la TerreLa Messagère du Ciel (volume 1 de « Les Dieux sauvages », pour ceux et celles qui découvrent – lisez-les, c’est vachement bien – je ne vais pas vous dire le contraire, hein) parle évidemment beaucoup de la société weriste et de son patriarcat institutionnel et religieux, avec trois points de vue féminins principaux dont deux tout particulièrement en butte contre ladite société (Mériane et Izara), au long d’1,2 millions de signes (c’est déjà pas mal beaucoup, c’est à peu près deux romans de taille “conventionnelle”) – dans La Fureur de la Terre, je suis à peu près à 680 000 signes au moment où j’écris ce billet, soit un livre de taille “conventionnelle” de plus, et voici l’écueil : arrivé à ce stade du voyage, je me rends compte de quelque chose. J’ai beau espérer avoir tout l’élan de fraternité / sororité humaines pour la cause féministe, j’ai beau m’efforcer de faire tout mon possible pour rendre justice et hommage à mes personnages humains qui se trouvent être des femmes, je n’en suis pas une. Et j’ai beau constater les oppressions du patriarcat tous les jours ou presque dans les infos (si ce n’est pas tous les jours, c’est que je ne regarde pas les infos tous les jours), je ne vis pas, dans ma chair, au quotidien, depuis ma prime jeunesse, ce point de vue et cette oppression. Et je sens donc une sorte de barrière invisible qui m’empêche, dans les détails les plus fins, les perspectives les plus subtiles (au bout, donc, de 1,8 millions de signes sur ces sujets – ça ne parle pas que de ça, mais la société weriste est fondée sur un péché originel prêchant l’inégalité des sexes – non, je n’ai pas fait exprès – sérieusement, le parallèle n’était pas intentionnel –, donc ça informe forcément le monde à tous les échelons), de pouvoir parler du connu, et donc avec intelligence et efficacité. Peut-être, tout simplement, me manque-t-il du vécu en tant que personne (car je reste résolument convaincu qu’il n’existe aucun sujet hors de portée de l’auteur ou autrice s’il applique sa volonté à s’en saisir).

Ce n’est pas un drame ; prendre conscience de cela me permet de creuser plus loin encore, et le retravail du livre, avec la perspective que donne un manuscrit terminé, devrait m’accorder suffisamment de hauteur pour, je l’espère, réparer d’éventuelles balourdises (en plus de soumettre certains passages à des bêtas-lectrices qui, je n’en doute pas, me recadreront / rencarderont si besoin est). Mais aussi, après avoir quand même pas mal parlé de l’oppression patriarcale dans le volume 1, j’ai l’impression – surtout pour les lectrices – qu’il n’est pas forcément besoin de creuser encore davantage le sillon ; ça va, c’est bon, on sait que cela existe. De plus, c’est de la fantasy, il s’agit peut-être de poser des questions grâce à la dimension métaphorique apportée par l’imaginaire, mais il s’agit aussi de passer un bon moment, potentiellement intéressant, et s’enfoncer dans la noirceur juste pour s’y enfoncer me paraît une forme assez pernicieuse de masturbation intellectuelle – la noirceur sert l’histoire, sert les enjeux, sert le monde, mais elle n’est pas une fin en soi. (J’ai d’autres idées là-dessus, mais… je vais finir « Les Dieux sauvages » pour voir si elles survivent à la pratique avant d’en parler.)

Ce qui apparaît donc au fur et à mesure dans La Fureur de la Terre, informé également par mon intention, forcément, et qui était peut-être déjà en germe depuis tout ce temps, c’est que ce volume 2, même s’il parle forcément, toujours, du sort et de la place des femmes, eh bien, il parle davantage de féminisme sous l’angle masculin, parce que, forcément, cela, je peux en parler avec le vécu. J’ai été, môme, le petit intello à lunettes avec un an d’avance, qui était nul à la baballe et qui trouvait ça puissamment ininitéressant de toute façon, préférait la compagnie des filles (largement plus intéressante car souvent plus intellectuelle, quand elles n’étaient pas stéréotypées elles aussi), et était premier de la classe – pas le cocktail le plus bankable de la Terre au collège (mais ça va très bien, hein, la vie a été, et continue, d’être extrêmement clémente avec moi, et je lui en rends grâce. Je m’amuse régulièrement d’avoir cette tête-là aujourd’hui et de peser 90 kg).

Le livre veut parler, il m’y guide, je m’en rends compte et je le laisse donc faire, de masculinité toxique ; si La Messagère du Ciel établissait peut-être les fondations d’un féminisme en révolte notamment à travers Mériane, La Fureur de la Terre parle beaucoup d’en quoi le patriarcat handicape émotionnellement les hommes, les empêche d’avoir une relation saine avec leur cœur, leur corps, et toute une moitié de l’humanité, les rendant incapables de voir les femmes autrement que comme des trophées, des putains, des mères ou des déesses. Ce n’est rien moins, là aussi, que du féminisme, bien sûr, dans l’esprit de l’appel d’Emma Watson à l’ONU, en tout cas je le pense, et l’espère. Si je ne veux certainement pas éviter de continuer à traiter la question du point de vue féminin (car je le vivrais comme une lâcheté d’auteur et d’être humain, en plus d’être stupide et incomplet), je m’aperçois que je peux totalement offrir la contrepartie, a fortiori dans un monde d’hommes, écrit du point de vue d’un homme, d’en quoi le patriarcat oppresse et enferme l’ensemble de l’humanité – notamment la moitié qui, sur le papier, est censée bénéficier du système.

Et la beauté, c’est que ça va totalement dans le sens final du récit – ce qui est l’injonction suprême dans le cadre de la fiction. Encore une preuve qu’il faut faire confiance à son inconscient, et que le travail principal de l’auteur consiste peut-être à mettre au jour et à exprimer ce qu’une partie ineffable de soi-même sait déjà, a toujours su, et nous montre avec bienveillance et patience.

Et ma foi, s’il m’est déjà donné, dans cet esprit, de faire de la littérature déjà vaguement convenable, je n’aurai pas entièrement gâché mon séjour en ce monde.

  1. À ce sujet, je rappelle que la barre de progrès est un peu aléatoire en ce moment, parce que la taille finale du roman reste encore assez mystérieuse, donc ne la croyez pas : je suis probablement plus loin que je ne le dis, et pas moins. Enfin, j’espère.
2017-08-03T14:27:16+02:00mercredi 26 juillet 2017|Humeurs aqueuses|3 Commentaires

« Les Dieux sauvages », inspiration musicale : Soundcritters – Beyond the Veil

Donc, alors que j’attaque les corrections de La Messagère du Ciel pour le rendu à Critic, je commence à reconstituer ici et là les inspirations musicales qui ont aidé à m’évoquer l’univers au fil de l’écriture. J’avais fait ça pour Léviathan – c’est une page qui a disparu depuis et que je voudrais remettre sur le site.

Du coup, pour se mettre dans l’ambiance du tout premier chapitre, avec la découverte de Mériane dans les forêts enneigées de Rhovelle…

2016-11-09T09:56:22+01:00jeudi 10 novembre 2016|Journal|Commentaires fermés sur « Les Dieux sauvages », inspiration musicale : Soundcritters – Beyond the Veil

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