Opinion impopulaire (?) : construire son avis avant demander celui des autres

Nous avons la chance sans précédent à notre époque de disposer d’un accès immédiat et quasi-gratuit à la quasi-totalité du savoir humain généraliste : un coup de moteur de recherche, de Wikipédia, et hop, vous pouvez découvrir le destin de la reine franque au prénom le plus formidable de l’histoire. Et si cela ne suffit pas, les réseaux (il leur faut quand même bien un intérêt) (ou plusieurs, allez, je suis un peu de mauvaise foi) peuvent apporter des réponses complémentaires en permettant la mise en contact avec des spécialistes pointus.

Traitez-moi de vieux con, mais je trouve que c’est mieux dans cet ordre : recherche puis demande. La pratique montre que c’est pourtant l’inverse qui se produit souvent : les vieux briscards des forums râlent toujours de voir arriver des questions auxquelles un ou deux recherches auraient apporté une réponse rapide…

Demander de l’aide et pouvoir poser publiquement ses questions est une chance, mais je regrette que ce soit parfois la solution de facilité. Alors que se poser une question, puis chercher et trouver soi-même la réponse grâce à la masse colossale de ce qui est disponible en ligne, est gratifiant – certes, récompense de l’effort, tout ça – mais surtout, c’est meilleur. Une solution qu’on trouve soi-même a plus de chances d’être retenue et ajoutée à son attirail mental personnel.

Mais plus important encore, au-delà de ça : encore une fois, je suis peut-être un vieux con, mais quand je me pose une question, je n’ai surtout pas envie de commencer par inviter les opinions des autres dans mon esprit. Je n’ai aucune assurance de leur bien-fondé, voire de leurs intérêts cachés, que JeanJacquesdu92 n’est peut-être pas un bot russe ou un illuminé de la terre plate. Je crois beaucoup que les opinions et les approches se construisent plus sainement dans le silence ; c’est une fois que l’on atteint ses limites qu’il est salutaire, comme le dit Stephen King, d’ouvrir la porte (et son esprit) pour se confronter au monde et, là, aller plus loin (quitte à remettre en cause tout le chemin parcouru – ce qui n’est pas une perte ; c’est grandir).

En revanche, ouvrir d’emblée la porte sans direction ni construction auprès desquelles tester ce dont on sera bombardé me semble intellectuellement désastreux. C’est comme les collèges de scénaristes ou bien créer par référendum : une question à la fois, une invitation du vaste monde dans l’intimité de l’esprit à la fois, ce qui fait la beauté et la solidité d’une personnalité (ou d’une œuvre) se délaye peu à peu dans des regards extérieurs soufflant la chandelle de l’originalité.

Il en va de même pour l’écriture ; c’est pourquoi je recommande toujours de n’inviter les regards extérieurs qu’une fois un manuscrit poussé dans ses derniers retranchements. Certains au contraire, comme ma camarade Estelle Faye, invitent parfois ces regards en cours de projet – approche évidemment légitime ! Toutefois, je ne crois pas trahir cette approche en pensant qu’elle ne fonctionne que si l’on sait au fond, là encore, ce qu’on veut atteindre, ou que l’on a réellement atteint le bout d’une réflexion. (Estelle me corrigera peut-être.)

Bref, l’extérieur ne peut nous aider au mieux que quand il y a quelque chose à aider.

2022-08-24T03:26:14+02:00mercredi 24 août 2022|Humeurs aqueuses|2 Commentaires

Procrastination podcast S02E17 : “Choisir un bêta-lecteur”

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : “Choisir un bêta-lecteur“.

Le bêta-lecteur est le premier regard extérieur sur un travail achevé : comment se déroule ce processus, et surtout, comment profiter au maximum de cette expérience pour évoluer dans son écriture ? Pour nos trois auteurs, l’étape est fondamentale et ils décrivent leur flux de travail avec leurs lecteurs de confiance. Pour Mélanie et Laurent, c’est même une étape d’explication du travail achevé avant d’être une étape de correction ; Lionel insiste quant à lui sur la nécessité de connaître ses relecteurs pour savoir évaluer leur retour en fonction du projet qu’on s’est fixé.

Référence citées :
– Stephen King, Écriture
– Cocyclics, https://cocyclics.org
– Wattpad, https://www.wattpad.com

Cet épisode peut contenir des mentions de braguettes.

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

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Bonne écoute !

2019-05-04T18:45:59+02:00mardi 15 mai 2018|Procrastination podcast, Technique d'écriture|2 Commentaires

Une boule de cristal pour lire l’avenir du livre, (1) : le prix de l’intangible

Oyez, oyez, braves gens. (Ça marche mieux que ois, ois, auguste lectorat.) Oyez mes aventures fantastiques, car en vérité je vous le dis : je suis passé de l’autre côté du miroir. J’ai vu l’avenir du futur, et j’ai la réponse à toutes les questions que vous vous posez. Que deviendra le marché du livre ? J’ai mis un pied dans les terres qui s’étendent par-delà le présent, et je le sais.

Car il existe, auguste lectorat, brave gen, une réalité qui coexiste avec la nôtre, dont le développement fulgurant allié à une maîtrise technologique nécessaire nous révèle Ce Qui Sera. Ce domaine, c’est le jeu vidéo. Je la côtoie un peu de l’intérieur, et il est fascinant de constater combien il constitue, oui, tout à fait, une boule de cristal nous montrant ce qui peut se passer quand une industrie culturelle expérimente avec toutes les techniques de diffusion, distribution et expression sans grande régulation. Il est toujours périlleux de comparer les pommes et les oranges, c’est juste, mais si l’on s’interroge sur le sort des fruits, ça n’est pas complètement dénué de sens. Et l’industrie du jeu vidéo a moult leçons pour nous, tenants du prestigieux et antique domaine du mot écrit, héritage de Joe Gutenberg.

Ainsi, quelles sont les tendances qui se brossent dans le jeu vidéo qui ressemblent curieusement à une prédiction de l’avenir littéraire ? 

Plusieurs articles dans une série de longueur variable, pour mieux découper les choses et traiter des sujets convenablement un à un (ou deux à deux si le périmètre est plus réduit). Aujourd’hui, I give you…

Les soldes à outrance entraînent un vrai problème de perception des prix

C’est probablement le problème principal et, pour moi, le plus inquiétant. Que ce soit dans le jeu vidéo ou même dans celui des applications mobiles, la course à la baisse des tarifs a formé les utilisateurs à considérer qu’un produit dématérialisé valait une poignée d’euros. Dans le domaine du jeu, les soldes régulières et les bundles ont créé une véritable culture de l’accumulation à vil prix, au point que rares sont les jeux qui peuvent encore se vendre durablement à plusieurs dizaines d’euros. Car les joueurs sont nombreux à empiler des jeux récupérés pour trois fois rien auxquels ils n’ont pas le temps de jouer, donc pourquoi acheter une nouveauté au prix fort ?

Cette course à la ruine entraîne une conséquence délétère pour le marché et l’industrie : la dévaluation du produit aux yeux du public. Un livre ou jeu vidéo prend du temps et de l’argent à être conçu, produit, diffusé – mais c’est invisible. Les soldes à outrance brouillent la réelle valeur de ces produits qui sont, en plus, dématérialisés, ce qui rend d’autant plus difficile l’estimation de leur valeur réelle. Pourquoi paierais-je au prix fort un produit qui sera à -50% (ou encore moins) dans six mois ? Baladez-vous sur n’importe quel forum de Steam et frémissez du nombre de plaintes de joueurs qui trouvent que “10$, c’est trop cher” (pour un jeu qui peut proposer des dizaines d’heures de divertissement, sur une machine qui a coûté un millier desdits dollars, à la louche – pour une machine de joueur). À force de se dévaluer systématiquement pour réaliser des ventes à court terme et recevoir un influx de cash, l’industrie du jeu s’est tiré une balle dans le pied ; c’est pourquoi de plus en plus de titres se sont tournés vers le free to play, les achats in-app (loot boxes, etc.) et que les applications de productivité se tournent vers l’abonnement – parce que l’achat ne suffit plus.

Les soldes monstres (plus de -50%) s’effectuent aussi, à présent, dans le domaine du livre électronique et je crains de voir le même motif se reproduire. Pour beaucoup de lecteurs, une nouveauté en numérique à plus de 10 euros reste une abomination, parce qu’il n’y a pas d’objet physique et que d’autres sont vendus à 1 euro – dès lors, comment justifier cette différence de prix ?

Le jeu vidéo souffre d’un gros problème d’affectation de sa valeur, et je vois le livre le suivre. 

C’est un problème pour deux raisons :

Déjà, il y a bien sûr la viabilité économique des acteurs ; comment faire vivre auteurs, éditeurs, libraires dans un domaine où les marges se compriment de plus en plus ? Et tous ces acteurs sont nécessaires ; l’éditeur prend en charge risque économique, fabrication, promotion, retravail du texte (voir l’épisode idoine de Procrastination) etc. ; le libraire connaît son public et sait promouvoir une œuvre auprès de ceux qu’elle peut intéresser, l’aidant à trouver son public et à vivre, etc. Il est difficile de justifier la vente d’une nouveauté en livre électronique à 10, 12, 15 euros – et pourtant, c’est fréquemment le prix nécessaire. 

Et au-delà, c’est la diversité culturelle qui est en jeu. Mécaniquement, dans une diffusion de masse, c’est le plus gros vendeur qui survit ; le plus gros vendeur est fréquemment le choix le moins risqué (faut-il brandir Hollywood comme exemple ?) et celui qui dispose du plus gros budget de communication. C’est celui qui peut s’en sortir avec les soldes, dont le chiffre d’affaires sera suffisant pour surnager avec la masse ; mais le jeu indépendant souffre énormément de ces pratiques (une des causes possibles du phénomène nommé Indiepocalypse). Les littératures de l’imaginaire avec leur réseau d’éditeurs et de librairies indépendants ont elles aussi beaucoup à perdre dans cette course au moins cher, et au final, les lecteurs aussi – car, plus encore dans le domaine des genres un peu expérimentaux que sont SF, fantasy et fantastique, c’est dans la prise de risque que se trouve la vivacité, et donc l’intérêt du marché. Un marché qui ne permet qu’aux grands vendeurs de vivre, c’est la mort de la créativité, de la prise de risque, et donc de l’intérêt. 

[…] je suis inquiète de la politique d’Amazon quant à l’affichage des livres qui tend à favoriser le prix le plus bas du marché. Je note auprès de cette enseigne un affaiblissement de nos ventes ; or c’est un canal de vente non-négligeable, compte tenu du public technophile des littératures de l’imaginaire. – Mireille Rivalland (L’Atalante), sur Elbakin.net

2018-02-27T09:23:15+01:00mardi 27 février 2018|Le monde du livre|12 Commentaires

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