Les sept causes de la procrastination (et des pistes pour y remédier)

Math-Fail-Pics-071
Meilleure image d’illustration de ce blog, ever.

L’auteur Chris Bailey citait récemment dans un podcast le chercheur Tim Pychyl, de l’université de Carleton, sur les raisons poussant à la procrastination, et il s’avère(rait) que les causes soient en fait très simples – au nombre de sept (forcément, c’est toujours sept, ou cinq, ou trois, mais bizarrement jamais dix-neuf, un nombre beaucoup moins sexy) : une vraie petite check-list de la lose, les cases à cocher de la démoralisation, le parcours du non-combattant.

Toujours selon Bailey citant Pychyl, l’étude de l’activité neurologique d’un sujet en état flagrant de procrastination révèle une activation prononcée des zones responsables de l’émotion, prenant le pas sur les processus intellectuels plus construits. Oui, ça veut dire que la procrastination est un processus parfaitement irrationnel, on s’en doutait, mais cela permet de concevoir des tactiques pour la combattre. En un mot, pour combattre efficacement la procrastination, il convient d’aider la raison à reprendre l’ascendant ; et c’est justement ce que permettent ces sept causes fondamentales. Une fois les blocages identifiés rationnellement, il devient possible d’y remédier, en intervenant sur chacune des facettes.

Alors, quelles sont ces causes ?

Une tâche pousserait à la procrastination si elle présente un certain nombre des inconvénients ci-dessous :

  • Ennuyeuse
  • Frustrante
  • Difficile
  • Vide de sens personnel
  • Manque de récompenses intrinsèques
  • Ambiguë
  • Manque de structure

(Je trouve que 1 et 2, comme 6 et 7, se recoupent pas mal – les rassembler aurait fait cinq, ce qui est aussi un nombre cool, donc l’honneur aurait été sauf.)

On peut remarquer que nombre de tâches d’écriture peuvent rentrer dans ces cases. Écrire est souvent difficile, et peut être frustrant ; et même, parfois, manque de récompenses intrinsèques. C’est un travail au long cours dont on ne perçoit le résultat qu’au bout de plusieurs jours, voire semaines, pour détenir un ensemble de chapitres cohérents, sans parler de les partager avec des proches. Mais les plus criantes sont certainement les deux dernières, un sujet déjà abordé par la bande ici. On procrastine souvent par angoisse ou découragement face à une tâche ; si celle-ci s’intitule “écrire nouveau roman”, il y a de fortes chances qu’elle suscite les deux. Par où commencer ? Que développer en premier ? Ensuite ? Où partir ? Même un auteur qui préfère se laisser guider par sa plume tendra à cerner la direction qu’il préférera creuser, réduisant l’ambiguïté de son travail à accomplir, lui conférant une structure. Le conseil vaut encore davantage pour les auteurs qui planifient et structurent à l’avance – où il devient presque tautologique (aucun rapport avec les blagues du même nom1).

Comment les combattre ?

Gilbert Stuart a procrastiné quinze ans pour remettre ce tableau. J'espère qu'Abigail Adams n'a pas posé aussi longtemps.
Gilbert Stuart a procrastiné quinze ans pour remettre ce tableau. J’espère qu’Abigail Adams n’a pas posé aussi longtemps.

Eh bien, en parant à chaque point par son contraire, en le désamorçant précisément. Une fois une cause identifiée, il devient bien plus facile de la combattre, car on sait ce qu’on affronte.

Écriture ennuyeuse. Si l’auteur s’ennuie, il y a de fortes chances que le lecteur aussi. Arrêtez-vous tout de suite. Pourquoi vous ennuyez-vous ? Cette scène est-elle vraiment indispensable ? Ne peut-elle pas simplement disparaître ? Et si elle est indispensable, comment la rendre intéressante, tendue, drôle, imaginative – selon vos préférences ?

Écriture frustrante. Plus difficile – ça s’appelle, dans le langage secret des écrivains professionnels de haute tenue intellectuelle, “ramer sa race”. Souvent, la frustration découle d’un manque de clarification des enjeux, de la scène, des personnages, du récit. “Pourquoi” est la question la plus utile qu’un auteur peut se poser ; pourquoi êtes-vous frustré.e ? J’aurais tendance à parier que cela entraînera une autre question, plus féconde : que vous manque-t-il pour avancer ? Ce qui entraîne alors une ou des actions pour résoudre le problème.

Ecriture difficile. Malheureusement, pas cent mille détours. Inspirez à fond, bouchez-vous le nez, plongez, ménagez-vous des pauses, des récompenses en fonction de vos goûts (bonbons Haribo, heavy metal à fond les watts, verre de champ’). Mais il faut surtout reconnaître cette difficulté. Ce passage n’est pas comme les autres. Il vous faut l’accepter et vous féliciter pour tout progrès accompli. Ne pas vous astreindre au même rythme de progression que sur le reste. Considérer chaque paragraphe / phrase / mot comme une petite victoire qui rapproche du but. Courage.

Ecriture vide de sens personnel. Mêmes conseils que pour l’ennui, en plus prononcés. Si ce que vous écrivez n’a aucun sens pour vous, à quoi bon ? Il existe des métiers tout aussi malhonnêtes mais largement plus lucratifs qu’écrivain, comme trader ou avocat d’assurances. Il convient de traquer le sens originel du projet, et l’en réinvestir. Cela peut impliquer de jeter des dizaines, des centaines de pages qui se sont fourvoyées ; c’est un crève-coeur, mais cela ne vaut-il pas le coup pour retrouver la foi et l’envie ? Plutôt que de se crever le cœur à écrire des pages que l’on n’aime de toute façon pas ? (En revanche, si ce travail est un travail de commande, c’est que vous êtes déjà pro et que vous l’avez accepté en connaissance de cause ; en conséquence, vous n’avez de toute façon pas besoin de moi, débrouillez-vous.)

Manque de récompenses intrinsèques. Celui-là est difficile et j’ignore si l’on peut vraiment le résoudre ; le manque de récompenses intrinsèques provient typiquement de la lenteur du travail d’écriture. On peut arguer que l’écriture est un fin en soi, que le plaisir de découvrir son histoire constitue une récompense suffisante – c’est vrai, mais ce genre de raisonnement fonctionne surtout quand on avance bien, justement ; quand on est coincé, les récompenses et le plaisir se font évasifs. Peut-être faut-il revenir, là aussi, à l’envie, au sens personnel mentionné au point précédent, pour retrouver cette sensation d’accomplissement qui pousse à avancer. En revanche, je déconseillerais de lire les pages déjà écrites – c’est le meilleur moyen de se rendre compte de tout ce qu’il y a à corriger dessus (c’est inévitable, pour un premier jet), et de se décourager davantage. Peut-être vaut-il mieux les fantasmer. Rêver à toute la distance parcourue dans l’histoire. On corrigera plus tard, une fois le manuscrit terminé. Et si vous avez la chance d’avoir déjà terminé une ou plusieurs histoires, rappelez-vous que vous avez déjà réussi. Vous réussirez encore. Il faut juste être patient, travailler un peu tous les jours, pour avancer, peu à peu, voir les pages s’amonceler, et que la sensation de progression se fasse tangible.

Ambiguïté et manque de structure. Beaucoup plus facile : si vous ne savez pas où vous allez, mais que vous en avez besoin, interrompez la rédaction. Peut-être avez-vous besoin de faire le point sur la situation de votre récit, l’état d’esprit de vos personnages, le prochain mauvais coup du grand méchant, etc. Peut-être avez-vous besoin de beaucoup de structure pour vous tranquilliser. Nul ne reprocherait à un randonneur de “perdre” un quart d’heure pour s’orienter sur sa carte. Prenez ce temps, vous aussi, pour vous recharger l’esprit et les batteries narratives. Ne vous perdez juste pas dans la contemplation des jolies fleurs de montagne ; n’oubliez pas qu’il faut poursuivre.

procrastination-flowchart

En cas d’attaque sévère de procrastination, Bailey recommande d’établir une liste de ses causes (et celle ici proposée peut servir d’amorce). Dès lors, on peut envisager de l’attaquer et de la résoudre avec des actions ciblées. L’essentiel, conseille-t-il, est de réintégrer la raison dans le processus, afin de vaincre le cerveau reptilien paralysé par l’ampleur d’un projet trop amorphe.

  1. Oui, là, sérieux, j’ai quand même un peu honte.
2019-06-07T22:47:35+02:00jeudi 19 mai 2016|Best Of, Technique d'écriture|9 Commentaires

La solution trouvée à tout problème de procrastination

mit-seal_400x400Cela faisait quelque temps que je me montrais mystérieux concernant des projets en cours, je peux à présent l’annoncer : j’ai joint mes forces avec le prestigieux Massachusetts Institute of Technology, et nous avons trouvé, conjointement, l’ultime solution  à tout problème de procrastination, que nous sommes en mesure de vous dévoiler dans le cours de cet article.

Le contexte

Ma série d’articles de l’été dernier sur la productivité a obtenu un fort retentissement à l’étranger, notamment auprès du professeur Hildefons Labarrière, d’origine germano-québecoise, excellent locuteur de l’anglais, du français et du hongrois. Il dirige le Département des Études Chronologiquement Contrariées (Department of Retarded Studies) au MIT et m’a proposé, à l’automne dernier, cette collaboration. Selon ses termes :

Les écrivains symbolisent un champ de bataille extrêmement précieux dans notre domaine d’études : hantés par le chaos et l’absurdité, ils s’efforcent toute leur vie de donner forme à ces impulsions qui les dirigent, sans se rendre compte qu’ils sont voués à la défaite. Il nous était donc particulièrement intéressant de travailler avec M. Davoust et avec l’illusion qu’il peut donner un semblant d’ordre à sa vie, alors que c’est clairement perdu d’avance.

photo-Accessories-Head-Welding-Helmet-_12_1024L’étude

C’est sur la foi de ces paroles élogieuses que j’ai donc voyagé jusqu’à Massachusetts, la ville du prestigieux institut, pour me soumettre pendant trois mois à toutes les expériences conçues par le professeur Labarrière et son équipe. Il s’agissait d’étudier mon activité neurologique à l’aide d’un casque de dernière génération (ci-contre) dont les électrodes, au contact de mon crâne, fournissaient des relevés d’une grande précision :

Tout était prêt depuis des années ; les protocoles, l’équipement. M. Davoust n’est pas le premier auteur à s’imaginer qu’il peut échapper au fléau de sa profession. Le problème, c’est que les écrivains, ces créatures vaines, se préoccupent souvent de leur santé capillaire. Il va sans dire que la calvitie absolue de M. Davoust a constitué un critère de premier choix pour l’adopter comme sujet d’expérience : les électrodes, au contact direct de sa peau, ont fourni des résultats sans précédent.

Le protocole consistait, très simplement, à enregistrer mon activité cérébrale et à la mettre en corrélation avec ma lenteur de mise en travail dans une variété de conditions imposées, comme par exemple :

  • Privation absolue de café
  • Après une nuit hachée toutes les deux heures
  • À l’issue d’un repas nourrissant ou, au contraire, constitué exclusivement d’endives à l’eau
  • En fonction de l’heure de la journée, de la quantité de luminosité disponible, du bruit ambiant
  • Au contraire, travail des mécanismes de récompense : un verre de whisky chaque fois que je passe sur Facebook (si j’ai pu vous sembler incohérent ces derniers mois, ce n’est pas moi, c’est l’Oban)
  • En me jetant une rondelle de saucisson tous les 1000 signes écrits
  • En me passant du Christophe Maé dès que ma vitesse de frappe tombait en-dessous des 2500 signes à l’heure

Donnant, par exemple, des graphes d’activité comme suit :

sismogram

Le résultat

Les conclusions de l’équipe du professeur Labarrière sont, à l’image des plus grandes avancées scientifiques : à la fois révolutionnaires et d’une simplicité limpide dans leur approche, tels la mécanique quantique, le calcul différentiel ou la relativité générale. Après deux mois de relevés soigneux et d’écriture (pour ma part) dans toutes les conditions possibles (dans un congélateur, au fond de l’eau sans bouteilles, suspendu par les pieds au-dessus d’une fosse à lions, conditions dans lesquelles ma productivité était maximale puisque, pour 1000 signes écrits, on me relevait de dix centimètres), la conclusion est simple :

Pour cesser de procrastiner, il faut s’y mettre. 

“Nous pensons que notre découverte, assidûment documentée et fouillée, ouvrira de nouveaux horizons productivistes au monde moderne, en stimulant des environnements où l’on s’y mettra pour de bon, par exemple à l’aide de fosses à lions ménagées au rez-de-chaussée des immeubles de bureau pour y jeter les salariés coupables de procrastination régulière. On allie ainsi le meilleur de la science moderne à la tradition séculaire : les Romains savaient déjà, dans un contexte de paix sociale, faire un usage créatif des lions », s’enthousiasme le professeur Labarrière.

À cette fin, alors que l’équipe scientifique apporte la touche finale à l’article qui sera publié dans Nature, je prépare un livre rassemblant le coeur de cette conclusion, sous la forme d’une page unique facile à lire, bientôt disponible en librairie pour un prix qui, m’a-t-on d’ores et déjà assuré, sera sous la barre des dix euros.

2014-03-31T18:41:54+02:00mardi 1 avril 2014|Expériences en temps réel|26 Commentaires

Titre

Aller en haut