Six conseils de survie pour une lecture publique

Voilà une bonne question arrivée en ce joli matin de mai (ouais, on n’est pas en mai, mais les matins de février sont moins jolis, ne serait-ce que parce qu’on n’y voit rien dehors, il fait nuit, duh), et comme le sujet est fort intéressant et rarement évoqué, il vaut une tentative d’article :

Avez-vous une quelconque expérience [de la lecture publique de textes] et si oui, auriez-vous des conseils à partager à un jeune auteur qui n’a jamais lu publiquement ?

Je dis tentative car il est, très honnêtement, difficile de proposer des techniques éprouvées ou miraculeuses pour ce genre d’occurrence. Faire figure convenable lors d’une apparition publique (table ronde, entretien, lecture publique etc.) repose hélas grandement sur l’expérience acquise (parfois dans la douleur) au fil des ans, et du lâcher-prise qui les accompagne souvent. Cependant, j’ai fait de l’improvisation théâtrale pendant plus de quinze ans, et peut-être y a-t-il quelques voisinages et leçons à tirer de cette discipline ; et il y a surtout les lectures avec les Deep Ones, où nous sommes plusieurs à lire nos textes, ou ceux d’autres, sur fond de musique semi-improvisée (à moins que ce ne soit l’inverse).

Et puis j’ai été finaliste du concours d’éloquence de mon lycée, et si ça c’est pas un truc à inscrire en lettres de feu sur un dossier de candidature à une grande école de commerce, hein ?

Ahem.

Que dire, donc, dans le cas présent ?

C’est du théâtre. Dans une lecture publique comme dans un café littéraire, les gens viennent voir un truc dans l’espoir qu’il ne les endorme pas. Et donc, les meilleurs enseignements à tirer pour être vivant et intéressant se trouvent du côté des arts scéniques, pas de celui de la littérature. Je disais que j’ai fait de l’impro pendant quinze ans : c’était en partie pour me sortir de ma timidité maladive et de mon introversion chronique. Ça n’a pas tout réglé (sinon ça ne serait pas maladif et chronique) mais ça m’a suffisamment équipé pour ne pas me réduire à l’état de petit cube de gelée tremblotante (à la groseille) dès qu’on me demande mon avis devant plus de trois personnes et même pour apprécier l’exercice et m’y sentir raisonnablement à l’aise. Je ne saurais que trop recommander de prendre le taureau par les cornes et de faire quelques séances d’impro ou de théâtre pour débroussailler le terrain.

L’étape suivante est :

Trouvez votre style. Comme dans tout, la technique est un appui, une fondation pour construire : ce qui compte, c’est qu’elle permette ensuite de laisser transparaître la vérité, la volonté, l’identité de la personne. Je pense qu’il est intéressant de réfléchir à ce que l’on veut réellement faire paraître, transmettre, être dans ce genre d’apparition. Et pour cela, un bon guide reste toujours : qu’est-ce que je veux trouver, moi, dans ce genre de manifestation ? Qui m’a ennuyé, amusé, intéressé, et pourquoi ? Comment puis-je faire coïncider ce que j’aime trouver chez les autres à ce que je peux, veux fournir de moi-même ? C’est de cette rencontre entre les aspirations et la sincérité que naît le style personnel, il me semble.

Tout ça c’est bien beau, mais de manière pratique, on fait comment ? Alors :

Vous allez avoir la trouille. C’est normal. Une apparition publique est une forme de mise en danger, surtout pour les introvertis. Mais c’est parfaitement dans l’ordre des choses. Et même, dites-vous que c’est bon signe : la trouille signifie que vous êtes attaché.e à vouloir bien faire. En improvisation, on a tendance à dire qu’il faut avoir le trac, car c’est là qu’on sort de sa zone de confort et donc qu’on peut puiser de belles choses dans sa vérité personnelle. Considérez la trouille comme une alliée et comme un aiguillon, justement, pour donner le meilleur de vous-même.

Mais ça n’a pas d’importance. Ça semble contradictoire avec ce qui précède, mais seulement en surface, parce que l’expérience prouve que, quand la trouille est là, rien ne l’atténue, de toute manière. Le cœur du sujet est : les gens sont globalement bienveillants. On peut parier qu’aucun des spectateurs n’auraient envie de se plier eux-mêmes à l’exercice parce qu’ils seraient aussi terrorisés que vous, donc ils tendent à être gentils, globalement, et à comprendre que ce soit difficile, impressionnant, etc. Dans ce cadre, si l’on se plante, si l’on hésite, il vaut mieux être très honnête et l’assumer, expliquer la difficulté du truc, que de faire semblant que tout va bien, qu’on a fait ça toute sa vie, parce qu’on passe alors pour un gros mauvais. Quand Adele (pas une débutante sur scène) se plante en live aux Grammy Awards lors de son hommage à George Michael, s’excuse et demande à recommencer, la salle l’applaudit et les réactions sur Twitter ont été très chaleureuses.

Nan, mais des conseils pratiques on a dit. Okay :

Ralentissez… Plus que ça. D’accord, s’il y a un conseil à donner pour une lecture publique, c’est celui-là. On lit tous déjà trop vite, et avec le trac, on accélère encore. Lors des lectures avec les Deep Ones, on s’est tous disciplinés mutuellement pour ralentir, d’un facteur deux ou trois, notre vitesse de lecture personnelle. Il faut que ça respire, que les textes puissent prendre le temps d’être assimilés, vécus. Ralentissez, drastiquement. Et pensez aux silences, aux respirations, à les installer dans la durée ; il ne s’agit pas simplement de reprendre son souffle, mais d’installer une atmosphère, du suspense, une forme de tension à résoudre ; un silence, c’est une question posée au public et dont il attend la réponse.

Exagérez… Plus que ça. Lecture jouée, lecture simplement vécue, lecture neutre ? Il y a bien des façons de lire publiquement un texte, du quasi-théâtre à la simple chaleur. Il y a bien des écoles de pensée, mais pas de bonne ou mauvaise manière ; pour ma part, je m’adapte à ce qui me semble le plus intéressant pour le texte en question. Quels que soient les effets choisis, en revanche, la règle du théâtre est la suivante : pour qu’une intention passe, il faut l’exagérer jusqu’au point où l’on pense que c’est trop poussé, puis aller un cran plus loin. (Un cran plus loin dans la colère, dans la surprise, mais aussi dans la discrétion, la stupeur etc.) Ceci vise à contrecarrer deux effets : d’une, le trac tend à émousser le jeu d’acteur (donc il faut contrebalancer) ; de deux, rester dans sa zone de confort tend à faire jouer “faux”, donc, en poussant le truc, on cherche à se surprendre soi-même et à retrouver, là encore, la vérité. Ainsi, un silence doit paraître trop long au lecteur, mais c’est là qu’il crée de la respiration, de la tension, de l’effet.

Il y aurait encore bien des choses à dire sur l’usage du regard, la sémantique de la position du corps, mille choses auxquelles on peut penser au fur et à mesure qu’on s’acclimate à l’exercice (et auxquelles, dans le chaos intérieur du moment, on oublie souvent de penser, moi le premier), mais mille choses font un peu trop pour une première fois, et un premier article sur le sujet. Bonne chance, donc, et quoi qu’il arrive, rappelez-vous qu’on est généralement toujours meilleur que l’impression qu’on en a, donc pas (trop) d’angoisse – c’est-à-dire, juste ce qu’il faut !

2019-06-04T20:29:43+02:00lundi 20 février 2017|Best Of, Technique d'écriture|5 Commentaires

Ce qu’on fait en café littéraire

conference-room-fail

Entrez entrez, mesdames et messieurs, entrez et contemplez ce spectacle pas du tout unique au monde : un auteur qui va répondre à une question pour laquelle il n’est pas sûr d’avoir la réponse :

[Je viens d’être publiée et serai] conviée à des tables rondes… Et… Je me demandais si c’était possible que vous m’expliquassiez en quoi ça consiste exactement une table ronde… (à part que c’est un meuble relativement rond et relativement horizontal) Paske ça me stresse à mort et que je trouve personne capable de me répondre autre chose que “ben… c’est… Un truc… avec des auteurs.”

Déjà, félicitation pour la publication, et pour votre toute première table ronde, où vous pourrez montrer, devant un public ébahi et curieux, toute l’étendue de votre magique magnifique magnificence !

Alors, qu’est-ce qu’on fait en table ronde / café littéraire / panel etc. ?

J’ai une mauvaise nouvelle : c’est un truc avec des auteurs.

Mais en fait, ce n’est pas tellement une si mauvaise nouvelle que ça. De quoi parlent des auteurs quand on les met autour d’une table ? (En public. En privé, on sait bien que les auteurs ne parlent que de deux choses : d’argent et d’alcool.) Ils tendent à parler, en fait, là aussi de deux choses : mais – de ce qu’ils font et de ce qu’ils pensent.

Les “débats” (car une table ronde, c’est, en fait, un débat) sont en général de deux natures : parler autour d’un thème (parce que vous semblez vous y connaître un peu) et/ou parler autour d’un thème en relation avec vos livres (parce qu’en principe, vous vous y connaissez beaucoup). Il y a un aimable modérateur qui a préparé son sujet, lu autant que possible votre travail (s’il a eu le temps et les livres, les délais étant parfois très courts), et pose aux auteurs des questions qui sont, en réalité, plutôt des prétextes pour que vous permettre de dire ce vous pensez intéressant, voire ce qui vous tient à coeur. Bref, c’est une émission littéraire en live. Mais vous le savez déjà, n’est-ce pas – vous avez dû aller en salon littéraire et donc voir des tables rondes.

Des astuces pour réaliser cet exercice ?

Un débat, c’est avec un public, donc c’est pour le public. Des gens viennent vous voir, donc il s’agit qu’ils n’aient pas l’impression de perdre leur temps. Et comment fait-on cela ? Ma foi, c’est comme pour la formule d’un best-seller : on cherche toujours. Cela dit, des débats littéraires, vous en avez vu, donc, au-delà d’avoir une idée de ce que c’est, vous devez avoir une idée de ce qui vous a ennuyée ou intéressée. Que vous avez trouvé tel auteur antipathique ou sympathique (parce qu’il faisait des blagues ou au contraire restait sérieux, ou qu’il était didactique ou au contraire très pointu, etc.). Comme en écriture, je pense bêtement que la réponse se trouve dans votre sensibilité. Qu’avez-vous voulu faire passer dans vos livres, pourquoi, et donc, que voulez-vous faire passer de visu ? Qu’auriez-vous d’intéressant à apporter ? Comment ajouter de la “valeur” à l’échange ?

Et bien entendu, c’est aussi, clairement, un exercice théâtral, pour ce qui concerne l’expression, l’articulation, la voix – parler d’une voix monocorde en baissant les yeux avec un “heu” tous les trois mots captive moins l’auditoire qu’un orateur correct, c’est une évidence. Le cas échéant, faire une petite année d’improvisation théâtrale pour se rendre compte que parler en public, c’est bien moins impressionnant qu’il n’y paraît, peut aider. (Enfin, dans mon cas, il en fallu quinze, et je continue.)

À moins d’être un orateur né, on ne gagne pas cette assurance et cette habitude instantanément. Comme tout le reste, apprendre à être ce qu’on appelle dans le jargon “un bon client” et surtout à gagner suffisamment d’assurance pour, paradoxalement, réussir à le faire avec sincérité et honnêteté se fait sur la durée. Nulle autre que vous ne sait ce que vous voulez présenter au monde, et la réponse se trouve en partie dans la même question que pour la littérature. Je prends mon livre : je le lis, est-ce que moi, j’aimerais trouver cela, est-ce que j’aurais plaisir à le lire ? De même, est-ce que je suis honnête avec moi-même ET est-ce que j’aurais un plaisir sincère à me découvrir ? (L’un entraînant en principe l’autre, si l’on n’est pas un sociopathe mangeur d’enfants.) Cela peut sembler évident, mais, quand on est timide et/ou introverti, il est difficile de franchir ses propres barrières.

Un petit mot d’avertissement tout de même qui ne concerne que moi, mais quand même : je pense que la plus grande qualité d’un auteur en public est l’humilité, et son péché cardinal la prise au sérieux. Non pas la fausse modestie du genre “non mais vous voyez, je n’ai aucun mérite à avoir écrit cette décalogie philosophique, vous savez, il m’a suffi de faire trois thèses sur le néoplatonicisme appliqué à la théorie des quartiers étanches dans l’urbanisme nord-américain, tout le monde en est capable, olol” mais ne jamais oublier que nous écrivons des livres, soit la chose la plus importante (car il y a des idées dedans et une histoire qui donne du plaisir à des lecteurs) mais aussi la plus futile (c’est du divertissement et – il faut en être conscient – la postérité nous oubliera ; de toute façon, on ne sera pas là pour le voir). Bref, même si, comme pour tout le monde, notre sujet de discussion favori est nous-mêmes (davantage encore sachant que nous sommes des auteurs et donc des gens égocentriques – je vous assure, c’est dans la fiche de poste), je crois que la dernière chose qu’on veut entendre, c’est votre vie sans perspective. En revanche, s’appuyer sur là d’où vous venez et de vos livres comme un prétexte pour élever la discussion et ouvrir toujours davantage les réponses et les horizons, pourquoi pas ! Mais, entre un orateur passionné et imbu de lui-même, la différence peut être ténue – personnellement, c’est ma hantise.

Bref, à vous de donner le meilleur de vous-même pour proposer, à votre tour, au public un moment qui vous aurait intéressée vous. Bonne chance !

2019-08-28T21:38:12+02:00vendredi 13 mars 2015|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Ce qu’on fait en café littéraire

Question : personnages et leurs besoins

Comme la semaine dernière, voici une petite question d’écriture. L’auteur peine un peu sur une situation statique et cherche comment faire progresser son histoire :

Q : J’ai essayé de faire des fiches personnages pour ma pièce… on verra ce que ça donnera. J’ai un peu l’impression de remettre à plus tard le moment ou je vais devoir m’accrocher pour de vrai à l’histoire. […] Pour le moment j’en sais rien de ce qu’ils veulent… Rester vivants ? Que leur famille reste vivante ?

(suite…)

2014-08-05T15:24:32+02:00lundi 12 juillet 2010|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Question : personnages et leurs besoins

Titre

Aller en haut