Le cerveau ne fonctionne qu’à la vitesse de ses outils. Par exemple : ça fait une semaine qu’à cause d’une bourde indépendante de ma volonté, je bosse en me traînant le débit d’une clé 3G en EDGE. Le réseau EDGE est à la fois un sauveur et une malédiction : un sauveur parce qu’il fonctionne dès qu’une agglomération mérite vaguement le nom de ville (ce qui est le cas de Rennes, aux dernières nouvelles, y a un maire, des fontaines et plein de restaus japonais), donnant l’accès au Net ; une malédiction parce qu’il tourne à deux à l’heure.

Pour être plus exact, il ne tourne pas lentement, non ; il est soumis à des lois thermodynamiques capricieuses qui, je le soupçonne, font intervenir des variables comme le coefficient d’ouverture des volets de la pièce, la puissance de l’ampoule de la lampe de bureau et la couleur des vêtements de l’utilisateur. Son débit théorique est tout à fait honorable – supérieur aux vieilles lignes téléphoniques en 56k. Mais il est affligé d’une tare diabolique : un ping invraisembablement élevé. C’est-à-dire que la connexion avec une page web peut prendre des dizaines de secondes avant que ça ne daigne répondre (si ça marche). Que le moindre envoi de mail devient une expérience de contemplation aussi vide de sens que les plans fixes de Mystic River. Qu’on a finalement l’mpression de raccorder des wagons avec une canne à pêche dans le noir et d’une seule main.

Depuis une semaine, mon cerveau a progressivement suivi l’engluement des réactions de mon matériel, ralentissant toutes mes fonctions vitales, jusqu’à mon pouls, faisant tomber sur moi une pesante léthargie. Le secret de l’hibernation n’est pas la cryogénie : mettez les futurs astronautes sur un MMORPG en liaison avec la Terre et quand le délai de réponse des serveurs aura dépassé les quatre heures une fois franchi Jupiter, leur coeur atteindra les deux battements par minute. C’est ça, la relativité.

On aurait pu croire qu’un rebranchement de câble aurait été une simple affaire. Mais non. L’histoire ne s’est pas limitée à une inversion de ligne avec mon voisin d’en-dessous. Vendredi, un ami habitant dans la même résidence que moi sonne à ma porte.

“Dis, t’aurais pas des problèmes de téléphone ? me dit-il.

— Si, mais… comment tu le sais ?

— Eh bien, mon Internet vient de tomber, et quand j’appelle le 1014, on identifie ma ligne comme étant la tienne…”

Ouaip, non content d’inverser ma ligne avec celle du voisin d’en-dessous, quand il a fallu me rendre ma ligne téléphonique, France Télécom m’a rebranché sur la ligne d’une troisième personne.

Si Kafka était vivant aujourd’hui, il aurait écrit sur les FAI.