De retour après la Worldcon et une petite pause estivale au sein du Québec (non, je ne parlerai pas des vacances, parler des vacances, ça ne se fait pas, surtout quand on a fait du toboggan aquatique pendant un samedi entier et qu’on a vu des orignaux) pour une petite mention sur un site de photographe dont j’ai d’abord entendu parler à Montréal et qui intéressera forcément ceux qui se penchent sur les mystères de l’écriture.

Je crois fermement à l’importance de la technique dans la littérature. Tout art nécessite une part de technique – jouer de la musique implique de connaître ses gammes et l’harmonie, dessiner de travailler l’anatomie et l’architecture -, mais, curieusement, on semble croire en France que l’écriture échappe à cette exigence, qu’il suffit de s’asseoir au clavier pour être frappé par la foudre. Cela ne fonctionne pas comme ça (ou alors, je n’ai pas cette chance) ; l’inspiration et l’originalité du regard sont évidemment fondamentaux, mais il existe une part de technique narrative, stylistique, bien particulière qu’il faut acquérir. Elle ne fait pas les génies, au même titre qu’une proportion infime d’élèves de conservatoire deviennent des compositeurs reconnus, mais nul ne saurait espérer devenir Chopin avec deux mains gauches. Les anglophones n’ont absolument pas cette réticence : toute librairie, indépendante ou de chaîne, présente un rayon d’au moins quelques « writing books », de qualité très variable, mais abordant tous l’écriture comme une technique dont tous peuvent acquérir les bases. En France, ces ouvrages se comptent sur les doigts des deux mains, laissant presque entièrement la place à des exégèses qui n’apprennent pas grand-chose au jeune auteur et coloportent l’idée que la création littéraire est un acte obligatoirement opaque et mystérieux.

Néanmoins, indépendamment de ces aspects de narratologie « objectifs », plus le temps passe et plus je suis convaincu qu’apprendre à écrire revient aussi à apprendre à se connaître soi-même. Et c’est là qu’intervient Where I Write, qui montre des auteurs d’imaginaire dans leur environnement créatif.

Ainsi, l’extrême diversité des bureaux et bibliothèques dont il est question (la beauté de certains salons me laisse pantois) le démontre très clairement. On va du tout informatique au plus simple (Joe Haldeman a l’environnement à mon goût le plus classe, même si je serais bien incapable de travailler dans ces conditions). Certains préfèrent avoir une vue dégagée, voire austère, d’autres un incroyable capharnaüm (où ils se retrouvent sans aucun doute).

Surtout, à voir la disparité entre les bureaux épurés et les empilements chaotiques, cela me fait penser à la distinction opérée par Francis Berthelot dans Du rêve au roman – un des rares livres français de premier choix sur l’écriture, son approche et sa technique, qui réalise l’exploit de se présenter comme une exégèse mais conduit en fait une étude  la fois simple et pertinente sur le processus de création littéraire (lecture très vivement recommandée pour tout jeune auteur, surtout que l’ouvrage est concis). Il y différencie :

  • L’auteur scriptural, qui écrit « au fil de la plume », sans connaître son parcours bien à l’avance, partant d’une simple amorce pour découvrir au fur et à mesure son intrigue à mesure qu’il la rédige ;
  • L’auteur structurel, qui travaille sur plans narratifs, portraits de personnages, sait dans une large mesure où il va avant de s’asseoir au clavier (ou de prendre la plume).

J’aurais tendance à penser que les auteurs aux bureaux les plus bordéliques sont les plus ordonnés dans leur processus de création, quand les scripturaux ont besoin d’une ascèse visuelle pour ordonner le maëlstrom régnant sous leur crâne.

Where I Write est censé devenir un livre de photographies présentant d’autres grands noms comme Neil Gaiman ou Lois McMaster Bujold avec des entretiens sur ces lieux bien particuliers. Voilà un voyage qui promet de proposer bien des pistes de remise en question et de réflexion critique dans ce métier d’évolution constante.