L’affaire a agité Internet pendant tout le week-end : Amazon a retiré de sa boutique l’intégralité du catalogue de Macmillan, un des plus gros groupes d’édition américains (qui détient notamment la marque TOR de science-fiction et fantasy). La raison ? Macmillan désire que ses livres, ses nouveautés grand format notamment, soient vendus au prix exigé, soit entre 12,99 $ et 14,99 $, alors qu’Amazon ne veut pas dépasser les 9,99 $ pour le catalogue du Kindle.

C’est, dans l’ensemble, une triste affaire dont je ne suis pas certain que le livre sorte vainqueur, une fois de plus. Sur le litige seul, j’aurais tendance à approuver la politique d’Amazon : vendre un livre électronique au-dessus de la barrière psychologique des 10 $ me semble dangereusement illusoire. Le public n’a pas encore une pleine confiance dans ce nouveau support (dont l’histoire est déjà entachée par des scandales – l’été dernier, Amazon effaçait d’autorité 1984 et La Ferme des animaux des Kindle des acheteurs) mais, surtout, c’est rééditer l’erreur qu’a commis le milieu de la musique à l’orée de la diffusion digitale. Le piratage existe et existera toujours ; la numérisation des livres ouvre grand la porte à cette pratique sur un marché où elle était encore très limitée. En conséquence, actuellement, une des façons les plus efficaces de l’enrayer – ou de la tuer dans l’oeuf – consiste à présenter une offre légale compétitive et facile d’utilisation, ce qui passe par une politique de prix avantageuse permise par la dématéralisation, afin qu’il soit “moins coûteux” d’acheter que de pirater (et cette édition, moins prestigieuse, se doit de toute façon d’être moins chère).

Les arguments seraient donc du côté d’Amazon mais, encore une fois, la firme démontre son incompétence notoire en matière de communication. Alors que le PDG de Macmillan himself s’est fendu d’une lettre claire et circonstanciée diffusée sur un site professionnel (lisible ici), Amazon signe un post de forum par un très anonyme “l’équipe Kindle” où viennent se loger des idioties grosses comme une ferme de serveurs :

[…] il nous faut capituler et accepter les conditions de Macmillan car ils détiennent le monopole de leurs titres […]

Ben oui, ils détiennent les droits, donc ils jouissent du monopole de ce qu’ils détiennent. Hé, Amazon, j’ai une nouvelle pour vous : je détiens le monopole de ce que j’écris (et j’en cède les droits à ceux qui l’exploitent). Je sais, c’est un scandale, je devrais plutôt me consacrer corps et âme au Chiffre, mais qu’est-ce que vous voulez, je n’ai pas encore trouvé d’acquéreur pour mon âme. Mais faites une offre, on ne sait jamais.

Plus sérieusement, venant d’un acteur majeur de la distribution, c’est le genre de réaction fait peur. Et qui laisse penser, dans la plus belle tradition de la psychologie de comptoir, qu’on reproche souvent à l’adversaire ses propres défauts… Macmillan ne détient pas de monopole, mais Amazon sur la distribution en ligne, ça se discute.

De plus, le catalogue a été retiré sans signe avant-coureur, sans explication, de façon parfaitement opaque, sans même un peu de communication pour aller avec. Cela dit, après l’affaire de 1984, on commence à comprendre que c’est la politique de la maison. Il a été maintenant restauré, après 48 h d’interruption, ce qui donne à considérer cette histoire comme un coup de sang impulsif et non comme la réaction mesurée et calculée d’une grande entreprise. Même à l’échelle de la pure stratégie politicienne, c’est un échec ridicule.

Et qui sont les perdants, dans un sens comme dans l’autre ? Les lecteurs. Et les auteurs (lire à ce sujet le billet furieux de John Scalzi), ballottés avec consternation entre deux acteurs qui donnent très sérieusement l’impression d’avoir tiré la première d’une multitude de salves qui feront prendre l’eau à l’édition électronique, tout comme l’ont précédée la musique et le film .

Entre un choix tarifaire discutable pour le client et une décision qui a toutes les caractéristiques d’un caprice, nous partons mal.