Ça laisse pensif

Vu à Besançon :

IMAG0189

Ce genre d’étrangetés me soulève tant de questions, je pourrais rester des heures à méditer, obsédé par l’absurdité apparente de la chose. Où ils vont ? Nulle part ? Est-ce qu’ils viennent chercher l’eau ici ? Y a-t-il une base secrète de pompiers cachée dans les profondeurs d’où un capitaine en uniforme rouge devenu fou projette de dominer le monde avec un camion modifié en fusée pour bâtir une utopie pompière fondée sur la forme physique, l’entraide et le remplacement de tous les escaliers par des barres lisses ?

Ça pourrait être fun, remarquez.

Rappel : je suis toujours en vadrouille, aujourd’hui en dédicace à la Fnac de Belfort :

[ai1ec post_id=”13914″]

2013-06-04T10:29:26+02:00lundi 27 mai 2013|Expériences en temps réel|11 Commentaires

11 questions

Comme je lui disais, je pensais que les chaînes de tags étaient mortes avec AOL et MySpace, mais visiblement non (ou alors, je suis super en avance sur mon temps. Ça doit être ça.) Or doncques, voici un jeu :

Les règles du jeu :

  • Poster les règles du jeu
  • Répondre aux 11 questions
  • Inventer 11 nouvelles questions
  • Taguer 11 blogueurs et leur annoncer la nouvelle.

Ce serait bien moins drôle si c’était pas des questions à la con, et on peut compter sur Francis pour ça, car c’est un homme créatif, en cette ère où le blogging descend dans les méandres de la critique littéraire et de la dissertation politique, du journalisme citoyen et du carnet de voyage, lui seul reste fidèle à la vraie raison d’être de ce média : il ne parle strictement que de lui.Sauf quand il tague les autres.

Eh bien, soit, je réponds à ses questions.

chat_extraterrestre

1 : On t’annonce que ton métabolisme ne peut plus supporter la combinaison saucisson/Prince de Lu. Auquel renonces-tu jusqu’à la fin de ta vie ?

Je serais dévasté car cela signifierait renoncer à la moitié de mon régime alimentaire. Mais j’abandonnerais clairement les Prince de Lu. C’est sucré, or je me suis sevré de toute attirance pour le sucré depuis qu’enfant, abandonné dans les montagnes de l’Idaho, je chassais le chamois en compagnie des pumas qui m’avaient adopté parmi les leurs et les égorgeais avec mes dents de lait. Je m’appelais à l’époque “Waka-waka-hey-hey », ce qui signifie “celui qui se déhanche comme Shakira ».

2 : Tu es le nègre de Marc Levy. Quel est le titre de votre prochain roman, et de quoi parle-t-il ?

Je le vois d’ici : S’il n’était pas impossible que tout fût autrement.

Hervé, quadragénaire, garde de ses deux divorces et des relations compliquées avec sa fille Léa, 14 ans, un coeur brisé ; un jour, après l’altercation de trop avec son patron, il plaque son travail à la Cemacorp pour acheter une Ducati et partir cheveux au vent sur les routes de Mayenne. C’est quand il rencontre Amanda, montreuse de couleuvres dans la foire itinérante de monsieur Giuseppe, énigmatique conteur italien qu’on dit magicien, qu’il comprend qu’un autre monde est possible. Amanda l’initie à la vie de la route, mais leur liaison qui tourne à la zoophilie ophidienne attire l’inimité des forains de Giuseppe : en effet, Hervé vient de l’extérieur, et représente une modernité que les autres ont fui. Mais quand le mystérieux Giuseppe, à l’aide de ses pouvoirs d’illusioniste, lui montre ce que serait le monde sans lui – deux ex-épouses tristes, une fille non-née, un patron privé de son souffre-douleur favori – il comprend qu’il n’appartient pas à cette vie, qu’il fuit seulement ses responsabilités de père et l’engagement qui le terrifie depuis que son propre père a disparu en Afrique dans l’attaque d’un convoi de lasagnes surgelées. Il quitte alors Amanda et la caravane pour retourner vers Léa et recréer le lien avec sa fille, et la mère de celle-ci, qu’il – coup de théâtre ! – aime toujours. Guérir les blessures sera long et difficile, mais l’on peut toujours reconstruire les ponts de l’amour quand les coeurs vibrent à l’unisson d’un même avenir.

(Je précise quand même que je n’ai jamais lu Marc Levy et qu’il est toujours plus facile de faire le con avec un auteur dont le seul écho qu’on reçoit de lui est du mal. Pour ma part, un auteur qui vend autant que lui mérite qu’on s’incline et apprenne ce qu’il a à enseigner.)

3 : Quelle est ta soupe préférée, culinairement parlant ?

Poulet aux vermicelles, parce qu’on dirait du thé salé et gras avec des pâtes – que demander de plus ? À part une soupe au saucisson ? (Ou au chamois ?)

4 : Quelle est ta soupe préférée, musicalement parlant (et dont tu ne voudrais pas que le monde sache que tu l’écoutes, parce que quand même, c’est la honte) ?

Adieu, réputation.

5 : Ça ne te gêne pas que je te tutoie ? Pourquoi ?

Ça ne gêne aucune de mes personnalités, qui sont plutôt à la cool, mais nous te signalons qu’il serait grammaticalement correct que tu nous vouvoies collectivement. Après, tu fais ce que tu veux, mais c’est toi qui passes pour un gland.

6 : C’est qui le plus fort, Dinophysis ou Myrionecta ?

Dinophysis. Attends, c’est pas un dinosaure ?

7 : Tu préfères qui, ton papa ou ta maman ?

Puisque je te dis que j’ai été abandonné dans les montagnes de l’Idaho ! Tu veux que je t’égorge avec mes dents de lait ?

8 : Tu t’es rendu compte que j’avais pas d’idée pour plus de quatre questions ?

Avec la précédente, ça commençait à se voir.

9 : Pourquoi regrettes-tu ton orientation sexuelle ?

Vois-tu, la chambre orientée au nord-est signifie moins de jour et moins de soleil, alors qu’au sud, ça serait meilleur pour la circulation du chi.

10 : Si tu devais me résumer ta vie en douze mots, lesquels seraient-ce ?

“Je mets les pieds où je veux, et surtout dans la gueule.”

11 : Si tu devais choisir entre Marc Levy et Guillaume Musso, qui épouserais-tu ? Pourquoi ?

Guillaume Musso. J’ai une pote bombasse qui m’a dit un jour qu’elle adorait ses bouquins, alors que c’est pas encore arrivé avec Levy.

Il me faut donc poursuivre la chaîne avec 11 questions :

  1. Allez, balance. Tu penses quoi du concept de chaînes de blogs ? 
  2. Tout le monde l’annonce, le prophétise, le scande. Le blogging, à l’instar de dieu, est-il mort ?
  3. Tu montes un projet musical d’avant-garde. De quoi s’agit-il et comment ça s’appelle ?
  4. Tu te trouves au Sénat romain le 15 mars -44. Est-ce que tu préviens Jules César de ce qui se trame, au risque de bouleverser l’histoire, ou laisses faire les conjurés ?
  5. Quel sera pour toi le signe que ton écriture aura tant dégénéré que t’interdire dorénavant d’approcher de tout clavier (si nécessaire d’une balle dans la nuque) sera faire acte de charité ?
  6. Quel est le truc le plus anecdotique et insignifiant qu’il te soit jamais arrivé ? Lâche-toi. On t’écoute.
  7. Si dieu ne joue pas aux dés, joue-t-il au moins aux jeux de rôle ?
  8. Quel est ton plaisir de lecture honteux ?
  9. Nous sommes dans un univers débarrassé de toute conscience morale et ton acte n’entraîne aucune conséquence. Tu peux remonter le temps. Quel philosophe iras-tu gifler avec le poids de ses oeuvres complètes ?
  10. Est-ce que ?
  11. Quel est le synonyme de synonyme ?

Et pour la suite, j’appelle à la barre les onze premiers blogueurs à “liker” cet article sur Facebook (on va voir les courageux. Ou si cet article est totalement naze).

2013-03-18T10:41:35+01:00jeudi 14 mars 2013|Expériences en temps réel|20 Commentaires

Ce qu’Internet m’a appris sur moi-même

pew-pew-pewMerci Googlism.Oui, merci, je suis flatté.

ld is and is not

ld is self employed print his brochure

ld is messing with me?

ld is also?

ld is?

ld is noisy

ld is currently operationally defined in the public schools as absolute low achievement

ld is not rather than what ld is

ld is a disorder that affects people’s ability to either interpret what they see and hear or to link information from different parts of the brain

ld is like

ld is broken on linux/alpha

ld is invoked

ld is one way to provide important information when you are unable to do so

ld is shown using the color code at right

ld is noisy to

ld is 2250 kj/kg; for methylene chloride

ld is the top

ld is

ld is not

ld is weak

ld is biodegradable

ld is not as detailed and well defined in color rendition as the dvd transfer

ld is only 5

ld is flaky without it

ld is sometimes referred to as the ‘invisible’ disability mainly because children with ld look and act intelligent and have no obvious physical handicaps

ld is a natural choice for satellite communications

ld is configured to support multiple object code formats

ld is the most commonly reported arthropod

ld is based on standardized test data

ld is charged with organizing lobbying efforts

ld is essentially philosophical in nature

ld is also significantly different in its time

ld is dead

ld is very classic

ld is not rather than what ld is

ld is already “ld”

2013-01-09T09:01:09+01:00mercredi 9 janvier 2013|Expériences en temps réel|2 Commentaires

Conte de méfaits : Blanche Neige et les sept nains disponibles

Photo ActuSF

Le combat qui oppose les auteurs à la loi léonine sur les oeuvres indisponibles se poursuit toujours – pour connaître les tenants et les aboutissants de ce mécontentement, le site du collectif Le Droit du Serf propose communiqués, analyses et points de vue. Mais il y a encore plus simple : ce conte noir et parfaitement didactique, comme tous les bons contes, par Ayerdhal, publié après l’annonce d’un accord au contenu secret entre Google et le Syndicat National de l’Édition.

Je vais vous narrer une histoire. Si vous ne comprenez pas tout, c’est normal, c’est une histoire vraie.

Au début, dans le merveilleux monde du livre numérique, régnait Google. Il y avait bien quelques roitelets de ci de là qui s’agitaient en vain et de manière désordonnée, mais le seul qui imposait sa loi était Google.

Un jour, de petits barons de la sous-préfecture de France s’écrièrent tous en chœur « Google, c’est le mal ! ». Nous étions en 2006 et, sous l’impulsion du baron de la Martinière, les autres barons du livre en papier, regroupés sous la bannière du SNE, bientôt rejoints par leurs gens de la société de lettres, sonnèrent la révolte et assignèrent Google en justice pour parasitisme et contrefaçon.

En effet, depuis 2005, Google numérisait à tout va des ouvrages (20 000 000) sans se soucier des droits auxquels étaient soumis lesdits, à commencer par ce qu’il est convenu d’appeler le droit d’auteur.

« Sus à l’ennemi qui spolient nos auteurs » se mirent à hurler les baronnets hexagonaux et leurs sujets, appuyés par l’État de la sous-préfecture de France car le patrimoine culturel de la patrie des nobliaux et le patrimoine tout court des baronnets étaient en danger.

Et voilà-t-y pas que les champions de l’exception hexagonale obtinrent la condamnation du grand méchant Google, qui fit évidemment appel, mais on s’en fout, c’est l’intention qui compte et il est rassurant de savoir qu’une irréductible sous-préfecture résiste encore et toujours à l’envahisseur.

Tout est bien qui finit bien.

Ah ben non, en fait, car c’est justement là qu’on n’a pas fini de se foutre de notre gueule (écrit l’auteur qui crève en moi dans un français d’une littéralité irréprochable).

Ce n’est peut-être même pas là que ça commence, mais, à moins d’une improbable trahison de Darth Vader (en hexagonal : Dark Vador), on ne saura jamais vraiment quand les baronnets et leurs gens ont entamé les tractations avec l’Empereur.

Ce qui est certain, c’est que Philippe Colombet, régent pour l’Hexagonie du côté obscur de la Force, affirme que la réflexion est poursuivie depuis deux ans, tandis que le baron Antoine Gallimard opine, prenant soin toutefois de préciser que la présentation de l’accord-cadre secret découlant de cette réflexion n’est que pur hasard avec le calendrier de la loi sur la numérisation des œuvres indisponibles du XXe siècle, découlant elle-même de l’accord-cadre tout aussi secret du 1er février 2011 entre le SNE qu’il préside, la BnF dont il est membre du conseil d’administration, Ses Gens De La société de lettres, le ministre de la culture qui l’a nommé au CA de la BnF et le Commissariat général à l’investissement.

Au risque de maculer la pureté de son noble chantre, je dirai que le hasard prend vraiment les auteurs pour des cons, et pas que les auteurs.

Pendant que les serfs que nous sommes signaient une pétition pour réclamer l’abolition de cette loi qui spolie les auteurs d’une partie de leurs droits, pendant que les fonctionnaires du ministère de la culture nous recevaient pour discuter des aberrations de l’usine à gaz qu’est ce texte, se félicitant qu’il ait vaincu le mal, nous assurant qu’ils restaient à notre écoute, les baronnets et leurs gens signaient un accord avec celui qu’ils nous désignaient comme le Grand Méchant Googlogre pour partager avec lui les bénéfices de la gabelle et de la dîme, bref le fruit de notre travail… ce même Googlogre dont les nobliaux et leurs gens se servaient pour justifier la loi inique qui découd encore un peu plus le droit d’auteur, lui substituant un droit d’éditeur et de diffuseur en multipliant les exceptions au Code de la propriété intellectuelle, ne nous laissant bientôt plus pour tout ou partie de notre œuvre que ce que le baron Gallimard a osé appeler droit de retrait en le qualifiant d’inaliénable.

Pour ce qui est de l’inaliénabilité, Baron, grâce à vous et aux arrangements qui vous font remodeler le Code de la propriété intellectuelle au gré de vos valeurs et besoins industriels, avec le soutien incompréhensible de vos gens de lettres et du ministère auquel nous ressortissons, il y a longtemps que nous avons appris la relativité et la volatilité.

La morale de cette fable, messieurs les baronnets, sieur baron, messire le régent, valets qui confondez culture et industrie culturelle, c’est qu’il est temps de vous rappeler que, petits serfs qu’ils sont, ce sont les auteurs qui écrivent les livres.

Et, s’il en fallait une seconde, puisque, les uns comme les autres, vous venez de nous désigner un nouveau grand méchant loup, avec un nom de guerrière, de fleuve ou de forêt, et que nous avons bien retenu la leçon que vous nous avez donnée, c’est peut-être vers lui que nous devrions songer à nous tourner.

Ayerdhal

La pétition est toujours en ligne à cette adresse.

2012-06-15T17:50:05+02:00mercredi 13 juin 2012|Le monde du livre|2 Commentaires

Sucker Punch : coup de poing dans l’eau

Un Sucker Punch, c’est, disons, un “coup retors”. Un coup de bâtard. Le film se veut, de l’aveu de Zack Snyder, réalisateur qui a pourtant convaincu sur 300 et Watchmen, un “sucker punch” pour son public avec une fin en forme de coup de théâtre. Mais le film, pourtant fondé sur un postulat intéressant – l’évasion de plusieurs jeunes filles dans leur imagination justifiant toutes les cascades et effets les plus ahurissants – peine à convaincre.

Pour goûter ce que veut être Sucker Punch, il faut commencer par en voir la bande-annonce.

Okay.

Établissons, comme on dit chez les gens qui réfléchissent pour de vrai, une typologie des tropes présentés :

  • Bombasses de l’espace : check
  • En tenue d’écolière ou d’amazone : check
  • Qui se battent avec un katana dans une main… : check
  • … et une arme à feu (si possible à répétition) dans l’autre : check
  • Bullet-time : check
  • Vieux mentor à la Kung-Fu ou Yoda : check
  • Zombies : check
  • Combats aériens avec des biplans et des zeppelins : check
  • Dragons : check
  • Méchas dont on comprend pas ce qu’ils fabriquent là mais à ce stade on s’en fout complet : check

Ce mélange absolument invraisemblable promettait une débauche de n’importe quoi, si possible en surenchère, un délire halluciné et ahurissant aussi réjouissant qu’il en serait débile.

Le problème, c’est que Sucker Punch essaie d’être un film intelligent.

Et, ce faisant, se ramasse la gueule.

Reprenons au scénario, puisqu’il en faut un (hélas – on verra pourquoi). Baby Doll, une jeune fille bien comme il faut, se voit privée de son héritage à la mort de sa mère par un beau-père tyrannique. Afin de l’empêcher de parler, celui-ci la fait interner dans un asile où elle sera lobotomisée dans cinq jours. Cinq jours, c’est le temps à sa disposition pour orchestrer son évasion avec quatre complices. Elle se met à s’imaginer (à métaphoriser) son statut comme celui d’une danseuse de cabaret-slash-bordel, d’où elle doit s’évader également (ça valait bien la peine de changer de niveau de réalité). Sa façon de danser hypnotique, véritable combat pour la vie, se métaphorise à nouveau, cette fois en combats complètement délirants où elle forme, avec ses quatre copines, un commando d’élite spécialisé dans les missions extrêmes (c’est là que film part en live avec ses combats au katana contre des zombies allemands propulsés à la vapeur sur fond de bataille aérienne entre des méchas et des biplans).

Sucker Punch se la joue donc ExistenZ et autres Avalon pour emboîter les niveaux de réalité, où chaque action réalisée en profondeur se répercute sur les niveaux supérieurs. Mais n’est pas Inception qui veut.

Le scénario s’efforce d’articuler une réflexion sur le rôle de l’imaginaire sur le monde, sur les ressources de notre psychisme, et s’en sert pour étayer le lien entre les différents niveaux de réalité avec lesquels joue Baby Doll. Hélas, cet argumentaire pousse le spectateur à s’interroger sur les mécanismes reliant ces différents niveaux, à comprendre le passage de l’un à l’autre, alors qu’il n’est jamais vraiment très clair et qu’en réalité, on est plutôt censé recevoir le film au premier degré. Pourquoi Baby Doll métaphorise-t-elle son séjour dans l’asile ? Pourquoi ses danses deviennent-elles des combats épiques qui repoussent les limites de l’invraisemblable ? On n’en sait rien et, d’ailleurs, on n’est clairement pas censé se poser vraiment la question. Ce ne serait pas un problème, sauf que l’attitude un peu prétentieuse, mode philosophie de comptoir, du film nous y pousse et, ce faisant, détruit la suspension d’incrédulité indispensable à profiter du divertissement. La réelle tentative d’explication (un peu faible) arrive en fin de film… soit, trop tard.

Suspension d’incrédulité : l’expression est lancée. C’est là tout ce que le film peine à équilibrer. En plaçant le spectateur dans une attitude active et critique, il se vide un chargeur et se plante le katana dans le pied : comment recevoir, dés lors, ces scènes d’action complètement absurdes (et par ailleurs magnifiques) dès qu’on introduit dans son esprit la notion insidieuse d’enjeu ? Dès qu’on lui montre que toutes ces scènes, aussi invraisemblables soient-elles, ne comportent aucune part de risque ? Le spectateur de Hollywood se doute que l’histoire finit bien, la plupart du temps, mais il veut pouvoir faire, au moins, semblant d’avoir peur pour les protagonistes, dont, statistiquement, l’un d’eux reste toujours sur le carreau. Au moment où Sucker Punch montre que non, les héroïnes ne sont pas invincibles, il est trop tard : l’incrédulité du spectateur est retombée les deux pieds sur terre et l’énormité du film l’amuse, mais sans plus le transporter.

Une énormité que le scénario et les effets, par ailleurs, ne savent pas gérer. Les deux véritables morceaux de bravoure du film – un combat au katana sur un lac gelé contre d’immenses statues et la bataille contre les zombies mentionnée plus haut – sont les deux premières incursions dans le délire total du film, qui, là, susciteront effectivement gloussements réjouis et un amusement véritable. Mais les suivantes peinent à les égaler, progressivement de moins en moins impressionnantes : en grillant toutes ses bonnes idées d’entrée, Sucker Punch s’essouffle, incapable de surenchérir sur les critères qu’il a lui-même fixés. Les effets sont-ils magnifiques ? Oui, absolument. Y a-t-il des cascades éblouissantes, des trouvailles de chorégraphie, des ralentis esthétiques ? Oui. Mais trop, au point de se noyer les uns dans les autres et de ne plus susciter la surprise1. Ces effets, à l’heure actuelle, ne suscitent plus à eux seuls l’émerveillement : il faut une dose de créativité, comme dans un Hero, un Inception, même un ExistenZ (du point de vue de l’esthétique), que le film perd au fur et à mesure. Pourtant, la fimographie de Snyder pouvait laisser croire à plus de finesse dans ce domaine.

On peut encore citer le manque total de cohérence de l’univers : alors que la “réalité” donne l’impression de se dérouler dans les années 1960, Baby Doll se retrouve armée d’un katana (un trope généralisé à partir des années 80), avec des armes à feu étrangement modernes, sans parler des méchas à interface SF ou de l’armée d’androïdes défendant un train piégé. Soit, peut-être Baby Doll lit-elle beaucoup de pulps, mais tout cela a une allure résolument moderne – trop – ce qui, encore une fois, nuit à l’immersion. Mais est-ce un paradoxe d’exiger de la cohérence d’un film tellement halluciné ? Non : il ne s’agit pas tant de la cohérence du monde présenté mais d’être cohérent avec l’attitude attendue du spectateur. Or, si l’on ne voulait pas qu’il réfléchisse, encore une fois, il ne fallait pas lui donner de demi-explications sur le fonctionnement du monde, rôle tenu ici par un long monologue artificiellement obscur en ouverture : ne rien dire (prends ça comme c’est et amuse-toi avec – ce que le cinéma asiatique fait souvent très bien) ou bien, sinon, tout expliquer (la voie choisie par Inception).

Pour terminer, même le coup de théâtre final, qui se veut le fameux “sucker punch” administré au spectateur, est gros comme une maison. Un twist si évident qu’il se devine dès que le mentor en fait la description, de manière bien appuyée pour qu’on se rappelle bien, oh oh oh, de quoi il s’agit le moment venu.

Que reste-t-il de Sucker Punch ? Principalement l’impression d’un film assis entre deux chaises, d’un divertissement qui aurait pu être absolument jouissif s’il n’avait voulu se donner un alibi d’intelligence, d’un traitement sur la perception de la réalité loupé à cause de tous ses chemins de traverse ; dans la même veine, il reste un scénario un peu globiboulbesque, tour à tour abscons et cousu de fil blanc. Une bande-originale excellente qui fait beaucoup pour porter un rythme imparfait (écoutable en ligne ici). Deux scènes de combat épiques, de véritables souvenirs grandioses, eux, mais qui, si elles auraient fait de géniaux courts-métrages, ne parviennent pas à tout sauver.

En résumé, un divertissement un peu vain, qui amuse et laisse perplexe, mais pour les mauvaises raisons. Un film qui, avec la progression régulière des effets spéciaux et des techniques de narration cinématographique, risque sévèrement d’être étiqueté comme nanar dans une quinzaine d’années. Et ça me fera de la peine, car Sucker Punch tente sincèrement de faire plaisir, mais, hélas, n’a pas les moyens de ses ambitions.

  1. On peut là encore admirer l’intelligence d’Inception où ces techniques, utilisées avec parcimonie, sont au contraire mises en valeur. Les combats à l’arme à feu, les poursuites automobiles sont filmées “normalement”, ce qui donne tout leur impact aux effets numériques.
2011-04-04T14:45:30+02:00lundi 4 avril 2011|Fiction|12 Commentaires

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