Un réveil difficile

Mes pensées sont remontées à la surface de ma conscience comme une sangsue affleurant dans un marais. Exactement pareilles : aussi poisseuses, aussi puantes. J’avais l’impression qu’un troupeau d’antirochs m’était passé dessus. Et je ne savais pas où j’étais, mais j’ai dû respirer par la bouche jusqu’à maîtriser mon estomac qui essayait de rendre un petit-déjeuner imaginaire. Ça sentait comme les abattoirs de Lochmeria en été – quand le soleil fait cuire la viande juste à souhait pour le goût des mouches. Mon dernier repas, lui, il remontait à mes derniers instants de conscience. Mais qui pouvait savoir combien de temps il s’était écoulé depuis l’embuscade ?

J’ai ouvert les yeux.

Le noir.

J’ai cillé, pourtant. Cligné des yeux comme une poule stupide jusqu’à ce que, par une quelconque magie, le monde s’éclaire autour de moi. Mais je savais trop bien ce que ça signifiait, et cette compréhension m’est redescendue dans les tripes aussi vite que ma sangsue effrayée par un varan.

Je me suis levé et mes pieds ont dérangé un tas de paille humide contre mes tibias nus. Je portais toujours ma jupe de gladiateur. Que s’était-il passé, après les combats… ? Nous avions fêté nos victoires, et puis… plus rien. En un pas, j’ai atteint le mur. La pièce n’était pas grande. La pierre suintante était tiède. J’ai continué, longé les angles – deux pas de largeur, deux pas de longueur – jusqu’à atteindre de solides barreaux d’acier.

Aucun cachot n’est tiède. Pas ceux que je connais, en tout cas.

Seuls les mages enferment leurs prisonniers dans leurs tours, là où il fait plus chaud qu’au fond de la terre. Et seuls les mages noirs maîtrisent la drogue d’Ellebia, qui rend aveugle sa victime pour une durée indéterminée.

Seuls les mages noirs torturent, puis oublient leurs victimes dans leurs cellules.

J’étais dans un sacré pétrin. Je n’allais probablement jamais revoir la lumière du jour – de façon très littérale. Et le seul truc auquel je pouvais penser, c’était ce grand jour, justement. J’imaginais un couloir percé de fenêtres donnant sur la ville, laissant entrer le joyeux soleil de la province. Et j’ai nourri une rage immense contre celui qui me privait de lumière.

Consigne : 20′ d’écriture, décrire une pièce les yeux bandés (exercice donné aux stagiaires de la Masterclass Imaginales 2014)

2014-06-13T01:10:30+02:00mardi 17 juin 2014|Expériences en temps réel|3 Commentaires

Il y a quelqu’un

Sa première sensation fut celle d’un courant d’air – un souffle frais, vaguement nauséabond, quoique Paul ne parvenait pas à identifier pour quelle raison l’odeur le dérangeait. Nauséabond était le premier adjectif qui lui était venu à l’esprit, mais ce n’était pas exactement juste. Il se redressa sur le sol dur, sa paume calleuse posée sur des croisillons glacés – métalliques. Il tourna la tête. L’odeur était à la fois organique et âcre. Cela lui rappelait les vidanges sauvages du pick-up qu’il faisait en pleine forêt, avant… l’accident. C’était cela. Huile de moteur sur humus. Mais le sol était trop dur pour des sous-bois, et le courant d’air était continu, trop constant pour du vent. Où était-il, bon sang ?

“Il y a quelqu’un ?” Les mots avaient franchi ses lèvres avant qu’il n’ait réfléchi à la sagesse d’attirer l’attention. Il ne savait pas où il se trouvait. Seul ? Observé ? Ses souvenirs de la veille étaient flous. Où étaient-ils allés, après l’Oak’s Pub ? Vanessa avait proposé de le ramener. Ils avaient fêté l’acceptation de son dossier avec la bande, en vue de l’opération qui lui restaurerait la vision. Et après… Une migraine lui fusilla les tempes quand il voulut se rappeler ce qu’il avait fait après et il eut subitement envie de vomir. Il se plia en deux, laissant échapper un hoquet – respira lentement, éloigna ses pensées de la soirée de la veille, se concentra sur le courant d’air étranger qui rafraîchit brusquement la sueur sur son front.

Le malaise passa. Il décida de tenter un nouvel appel.

“Il y a quelqu’un ?”

Il tâta le sol autour de lui, cherchant sa canne. Rien. Il se leva, la tête légère.

On raconte que la cécité affine les autres sens, mais elle aiguise aussi, notamment et de façon curieuse, la perception de l’espace. Avant même d’avoir atteint les murs légèrement vibrants et tièdes du réduit où il se trouvait, Paul avait compris qu’il n’était pas dans une forêt. Aucune forêt ne semblait osciller lentement sur elle-même – un mouvement infime qu’il n’avait pu percevoir que debout.

Contrainte : « Un aveugle se réveille dans un lieu inconnu ». Temps : 10 minutes.

2011-06-09T11:43:26+02:00jeudi 9 juin 2011|Expériences en temps réel|8 Commentaires

Titre

Aller en haut