Ordo ab chao

Le colloque “L’Antiquité gréco-latine aux sources de l’imaginaire contemporain : Fantastique, Fantasy & S-F” vient de s’achever ; il s’est déroulé entre Rouen et Paris en fin de semaine dernière. Le programme, richement fourni en interventions de haut vol, est toujours accessible sur le blog de l’événement. Des actes seront édités, rassemblant entre autres le dialogue entre écrivains et universitaires.

Photo Jean-Christophe Benoist

J’ai eu le plaisir de participer à une table ronde d’auteurs le vendredi, où nous avons discuté de notre expérience et de notre propre usage de cette période dans notre fiction ; Fantasy.fr a filmé toutes les interventions d’écrivains, qui devraient être en ligne sous peu. Une expérience très intéressante que de confronter le point de vue du “réutilisateur” qu’est l’auteur d’imaginaire à l’étude bien plus historique des sources. Et ce qui est revenu régulèrement sur ces deux jours a été résumé par une formule bien trouvée de David Camus : en narration, “tout fait matière ». L’historien, l’universitaire, a pour charge et pour rigueur l’étude exacte de la matière première, des textes, du contexte historique ; l’auteur, quand il s’affranchit de l’historicité en construisant son propre monde, n’a pour autre obligation que la vraisemblance de la construction narrative.

L’Empire d’Asreth, dans le monde d’Évanégyre, comporte des réminiscences romaines – la symbolique de l’aigle, la devise “Pax Asreth Cayléann Vannhayr” qui constitue un écho à peine voilé au Senatus PopulusQue Romanus – mais aussi grecques par son plan de conquête civilisateur dont l’inspiration va plutôt lorgner chez Alexandre le Grand. Cependant, c’est aussi une civilisation que j’espère originale par son envergure, le fossé technologique qui la sépare des autres cultures d’Évanégyre, son impératrice-dragon pourtant non régnante, etc. C’est la grande liberté de la création, plus encore de l’imaginaire. Alors qu’à travers Léviathan, je m’efforce d’être très rigoureux dans mon approche historique (puisque ce monde est le nôtre), la fantasy reposant sur un monde inventé ne connaît qu’une seule limite : la cohérence fictionnelle. Asreth comporte quelques inspirations de Rome, mais n’est pas un décalque, une réécriture, ni même un référent précis à Rome. Asreth est autant nourri de ma culture historique que des images grandiloquentes et totalement erronées historiquement de Gladiator et de 300. Pourquoi ? Parce que c’est cool. Évanégyre ne cherche pas à établir un dialogue avec l’histoire réelle de notre monde, mais avec l’idée d’histoire, d’historicité, la marche des siècles et l’évolution des points de vue sur les faits, avec la distance culturelle, géographique, temporelle. Dans mon cas, cela me semble un point de divergence important entre l’écriture de la fiction et son étude universitaire. C’est avec le fantasme que le lecteur entretient des empires, de l’histoire, que je cherche à établir un dialogue, parce que, comme toujours, je reste un raconteur d’histoires avant tout, et c’est l’émotion qu’il m’intéresse d’aller chercher. Des questions peuvent s’ouvrir ensuite comme autant de portes, mais c’est en établissant d’abord un lien avec le coeur et l’intellect du lecteur que la fiction fonctionne. Elle n’étudie pas ; elle traite, discourt, et surtout, vit, échappant toujours en partie à la dissection.

Ce qui la rend diablement malcommode à étudier… et je rends hommage aux théoriciens et organisateurs du colloque pour leurs travaux pointus, leur éclairage sur l’imaginaire accueilli avec rigueur et passion sous les auspices prestigieux de l’Université, et pour leur travail de longue haleine pour l’organisation de cet événement.

2012-06-11T10:12:04+02:00lundi 11 juin 2012|Le monde du livre|2 Commentaires

Tu auras des seins, ma fille

Je reste carrément pantois devant cet article d’OWNI1 : la nouvelle mode, c’est de faire porter aux gamines de 7 – 8 ans des soutien-gorges rembourrés pour faire croire à une poitrine naissante. Évidemment, ça a soulevé un tollé plutôt légitime, de l’opinion comme de la part des associations de protection de l’enfance, et les articles en question ont été retirés des rayons avec une diligence presque surprenante. On peut même s’ébahir devant la rapidité de certaines réactions, l’article mentionnant :

Il n’empêche : suite à nos appels, La Redoute et les 3 Suisses ont tous deux retiré de leurs sites web les modèles de soutiens-gorge rembourrés de taille 10 ans/70A.

D’habitude, pour obtenir ce genre de gain de cause, il faut se heurter à des téléphones qui ne répondent pas, des mails qui reviennent en erreur, bref, batailler longuement. Là, pas de discussion, une suppression qu’on pourrait même croire préventive, genre “oups, on a sévèrement merdé, là, retirez-moi vite ça de la vente”. Ça pose quand même la question : n’y a-t-il personne chez la Redoute qui contrôle les inventaires et les catalogues ? Découvriront-ils demain que ces mystérieux masseurs de visage qu’ils vendent depuis des années ne sont en fait pas des masseurs de visage ? *shock* Je me demande quelle absurdité un esprit farceur pourrait pousser ces compagnies à placer dans leur référencement. Quand soudain, entre un slip et un calebute, 200g de choucroute garnie.

Bref. Ce n’est pas tant cette vente qui me scandalise en elle-même, bien que ce soit parfaitement grotesque et surtout potentiellement dangereux pour les gamines. Je m’agace surtout de la société, schizophrène en phase terminale, qui a pu rendre ce genre de truc débile possible. D’un côté, nous avons la hantise viscérale de la pédophilie, crime ignominieux par excellence de notre époque qui considère, dans sa morale, l’enfant comme le bien suprême, ce qui a conduit à des dérapages comme Outreau. Nous avons le déni quasi-total de la sexualité adolescente : aussi fort que leurs parents s’efforcent d’oublier leur propre jeunesse, pas mal de gamins et gamines de 13 -14 ans sont fort précoces et très intéressés par la chose – ce qui ne veut pas du tout dire qu’il faille les précipiter sans aucune réserve vers la pratique, mais, plutôt que de se cacher la tête dans le sable, il me semble que les orienter et les éduquer vers un développement sain, une sexualité assumée et leur propre protection leur éviterait refoulement, insatisfaction et surtout de faire des conneries dans le dos d’adultes qui ne veulent si souvent rien voir ni entendre. Mais non, ce sont encore des enfants, tu comprends, ils ne pensent jamais à la chose. Mais ouais, c’est ça.

Bon, et de l’autre côté, on colle des seins sur des gamines ?

Ce ne sont pas les marques de lingerie ou les distributeurs que j’ai tellement envie de baffer. Ce sont les parents qui achètent ces trucs. Ces parents irresponsables, incohérents, au regard vide, à la voix traînante, qui ne savent communiquer que par aboiements et gloussements, qui suivent les panneaux publicitaires brillants comme des chats à qui l’on fait gigoter une ficelle, pour habiller leurs gamines comme des Barbie d’une main et de l’autre pousser des cris d’orfraie et réclamer la peine de mort dès qu’on prononce le mot “pédophile”. Les gens, faites un geste pour la planète : donnez votre cerveau à la Croix Rouge, il y a des scientifiques qui ont besoin de puissance de calcul et qui sauront parfaitement quoi faire d’un beau réseau de neurones inutilisé.

Mon espoir pour la semaine, ce n’est pas que ces trucs soient retirés de la vente, ce serait qu’ils ne se soient pas vendus.

  1. À noter la conclusion fascinante de l’article sur les différences culturelles entre Occident et Orient et comment un produit visant un but sur un marché entraîne des conséquences diamétralement opposées sur l’autre.
2011-03-25T13:02:46+01:00vendredi 25 mars 2011|Humeurs aqueuses|24 Commentaires

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