Évidemment qu’on peut donner des conseils d’écriture, enfin

C’est un serpent de mer qui ressort régulièrement (ou plutôt des cris d’orfraie, tandis que l’amadou desséché de l’Internet énervé passe une fraction de seconde dans la lumière du soleil et explose façon supernova) : non, on ne peut pas donner de conseils d’écriture. C’est un processus profondément personnel, lié à des manières intimes de se sonder, et chacun, chacune a une approche et des jugements esthétiques différents. Toute conversation sur le sujet de l’approche romanesque est nécessairement prescriptive, donc (je résume au terme d’échanges tout de suite très énervés) : ta gueule.

En termes châtiés, disons que je trouve cette attitude extrêmement mystérieuse (et mon mauvais fond a envie de dire que ça peut peut-être cacher une forme détournée de gatekeeping ; moi, j’ai trouvé, toi, tu dois en baver). Or, c’est spectaculaire comme l’écriture est le seul art où l’on retrouve à la fois ce discours et les réactions épidermiques qui vont avec. Ça n’existe littéralement pas ailleurs, que ce soit en musique, dans le dessin, le game design, la décoration de bullet journal, etc.

Ça ne choque personne de prendre des cours de guitare pour apprendre la guitare. Ça n’exclut pas non plus les génies intuitifs qui prennent une guitare à quinze ans, font dans leur cerveau “ah OK, ça marche comme ça” et deviennent Jimi Hendrix. Personne ne dit que tu dois faire comme Hendrix ; personne ne t’interdit non plus de prendre des cours de guitare. On te dit juste : si tu veux apprendre la guitare, l’étape logique, c’est prendre des cours. Pourquoi ? Ben pour apprendre, bon sang. C’est un peu plus facile d’avoir quelqu’un qui a l’expérience pour te montrer, c’est juste du bon sens. Mais ah, tu peux aussi apprendre en autodidacte comme Hendrix, absolument. En revanche, sache que tu vas y passer un sacré temps et que tu as intérêt à avoir une sacrée motivation. Tu veux pas te faciliter la vie et prendre des cours ? C’est toi qui vois.

Au final, si tu en sors et que tu es Hendrix, personne ne va te demander ton CV ; t’es Hendrix. On s’en fout de par où t’es passé ; ta réalisation est la preuve de ton expérience – et au final, c’est quand même tout le but de l’apprentissage : réaliser les choses que l’on veut. La technique n’est pas une fin en soi, elle n’est qu’un moyen : en art, tout ce qui compte, c’est ce qu’on réalise (qu’on le diffuse ou pas – c’est une autre question).

Néanmoins, toute pratique soutenue d’un art passe par une pratique et un apprentissage dévoués et réguliers. On s’y prend bien comme on veut ; en narration, par exemple, on peut lire beaucoup, suivre des ateliers, méditer et expérimenter la technique, échanger, potasser des manuels, et évidemment rien de tout ça n’exclut le reste, et je trouve qu’idéalement, on essaie de faire tout ce qui précède. Le but, en tout cas l’idéal platonicien à mon sens, c’est de devenir Hendrix ; c’est de maîtriser son instrument (que ce soient la guitare ou les mots) au point qu’il s’exprime sans obstacle à travers soi, de la manière la plus distillée et aboutie pour être reçu de la manière la plus authentique, tout en ayant conscience (parce que Hendrix ne s’est pas arrêté de bosser, discutez avec n’importe quel musicien professionnel et il vous expliquera le temps constant de pratique qu’il investit chaque jour) que c’est un processus et non un but à atteindre (parce qu’il est inatteignable. C’est un idéal platonicien).

Il me semble que deux fondements pour cela, c’est la curiosité et la conversation. La curiosité pour son art, pour ce qui a été fait, comment on le fait, comment ça fonctionne, sans cesse ; c’est pour cela qu’affirmer qu’un auteur peut se permettre de passer de lire… me semble avoir autant de sens qu’un peintre qui prend soin de marcher dans la rue les yeux baissés “par peur que le réel l’influence”. (seriously?) Et ce qui va de pair avec la curiosité, c’est la conversation, portant sur l’art et sa pratique ; quant à ses résonances, ses courants, mais aussi les approches, les mécanismes qui peuvent être, quand même dans une certaine mesure, disséqués et analysés de façon raisonnée. Des phrases courtes servent généralement mieux une scène d’action. Sauf si l’on cherche à établir un ralentissement artificiel, par exemple pour induire un sentiment d’horreur ou d’inéluctable. Dès lors, quel est le projet ? Quelle est l’intention ? Quel outil vais-je utiliser pour m’efforcer de transmettre au mieux mes intentions, parce que je fais la démarche d’écrire pour être reçu·e par des gens avec qui je voudrais idéalement établir une connivence ? Voilà les questions intéressantes : qu’est-ce qui tend à créer quel effet ? Quel est l’effet que je recherche ? Niveau advanced : comment puis-je tordre l’attente pour créer quelque chose d’entièrement différent en prenant une technique à contre-pied ? Et il y a bien sûr une progression dans toutes ces étapes.

Opinion non populaire : dans certains discours très énervés qu’il m’a été donné de voir passer sur l’inutilité de la technique (et sur l’inutilité de lire), je lis le désir non pas d’écrire, mais d’être écrivain. De pouvoir se réclamer auteur, si possible en évitant le boulot qui va avec. Parce que c’est crevant, ça oui (demandez à Hendrix et à tout artiste pro). Et ça fait peur, aussi – croyez-moi, je sais. Mais il s’agit là de vouloir un prétendu statut, un fantasme, alors que la réalité du job, c’est le job lui-même. Et qu’on se fait beaucoup de bien en comprenant ça et en lâchant prise sur des choses sur lesquelles, en plus, on n’a guère de prise.

Je ne jette la pierre à personne. Tout le monde a le droit d’avoir ses rêves ; par contre, d’une, il faut avoir conscience que les rêves, ça se nourrit et ça se travaille, ça n’arrive pas tout cuit dans la bouche (enfin, ça peut, mais c’est quand même toujours plus sûr de bouger ses fesses, vous savez, dans le doute) ; de deux, on court toujours le risque de tomber de haut et il faut de la bravoure ; de trois, avoir des rêves, des angoisses, des douleurs même que sais-je, ne donne pas pour autant le droit de proférer des âneries qui perpétuent l’image dommageable que tout le monde est le Jimi Hendrix de la littérature dès sa première phrase parce que “ça se juge pas, y a pas de vérité objective”.

Il n’y a pas de vérité scientifique objective en art, certes. Mais entre ça et le grand globiboulga qui voudrait que tout le monde soit Marcel Proust au premier roman parce qu’on ne peut pas juger, il y a une sacrée marge. Il serait tout de même étrange que dans un métier on ne puisse pas parler de technique et de fiabilité d’approche. L’ignorance n’est pas une vertu, ne pas être curieux de son processus (ou de ceux des autres) non plus. Et s’il n’y a pas de règles absolues, si chacun doit apprendre à se connaître pour trouver sa voie, il y a aussi des codes, qui sont des chemins de moindre résistance parce que faisant appel à un ensemble de représentations mentales à peu près communes. Connaître les codes, c’est comme connaître par exemple les lois de la perspective en dessin : d’une, cela ne fera pas forcément de toi quelqu’un de génial, de deux, personne ne t’oblige à t’en servir. En revanche, si tu les ignores (quelle que soit la manière dont tu voudrais les apprendre), il est probable que tu te compliques la vie bêtement. “C’est bien beau de vouloir faire sauter la maison mais il faut connaître le plan pour savoir où placer les charges”, disait Elisabeth Vonarburg lors d’une masterclass que nous avions animée à trois avec Jean-Claude Dunyach.

Je vais sauter au-devant de la réplique facile qu’on pourrait me faire : « Hé, Davoust, tu prêches pour ta paroisse, tu donnes des ateliers, des masterclasses et t’as écrit un bouquin d’écriture, évidemment que tu protèges ton fond de commerce. » Sauf que ça ne fonctionne pas comme ça. Je ne me suis pas mis à le faire sorti du bleu sans avoir d’abord testé, dans l’activité et en conditions réelles, ce que je pouvais commencer à comprendre. (On ne fait jamais que commencer à comprendre.) L’activité sur laquelle je prends toujours soin de placer l’accent est l’écriture romanesque, et s’il m’arrive de le transmettre, c’est parce que je suis au front, tous les jours, à m’imposer à moi-même ce que je prêche, et que je m’efforce d’avoir derrière moi des réalisations pour le prouver. Ce que je raconte ne vous convient peut-être pas – c’est tout à fait légitime –, mais vous pouvez au moins être sûr·e d’une chose, je n’ai pas inventé ça le matin même au petit-déj, c’est parce que j’avais besoin d’outils, d’apprendre, que j’ai fait ce parcours, et je me dis aujourd’hui : hé, cela peut peut-être servir à d’autres. Je ne sais pas si mes romans resteront (et pour être honnête, je ne le crois pas ; mais peu m’importe, je recherche la plénitude dans la réalisation elle-même, non dans la postérité, à laquelle par définition personne d’entre nous n’assiste), mais peut-être ma mission en ce bas monde consiste-t-elle à l’apprendre pour moi-même afin d’arriver à le transmettre, pour que d’autres aient à leur tour les outils pour donner forme à leurs propres rêves. Hé, finalement, si j’arrive à faire ne serait-ce que ça, ce serait une vie pas si malhonnête.

Et ces traces, un jour, un autre être affligé,

Voguant sur l’Océan solennel de la vie,

Pauvre frère en misère, et seul et naufragé,

En les voyant, Peut-être aura plus d’énergie.

– Le Psaume de la vie, Henry Wadsworth Longfellow, trad. de sir Tollemache Sinclair.

Et si vous vous posez la question : dans toute l’équation, je ne suis évidemment pas Hendrix non plus. Dans l’équation, mes Hendrix, ce sont mes idoles, Vian, Zelazny, Le Guin, Danielewski, etc. En comparaison, disons que je suis l’équivalent d’un guitariste de métal qui sort des albums et tourne régulièrement : c’est-à-dire un acteur d’une scène underground, et ne vous méprenez pas, je suis incroyablement reconnaissant (et toujours un peu éberlué) d’avoir l’occasion de continuer à tourner et sortir des albums (heu, tout ça devient confus, mais vous suivez). Mais devant la page, chaque jour, il n’y a qu’une seule vérité : mon clavier, moi, et l’attitude que je vais avoir. Personne ne sait s’il ou elle sera Hendrix. Et au final, ça n’a aucune importance. On est uniquement ce qu’on est au moment d’écrire la phrase qui vient.

Et oui, bien sûr qu’on peut discuter de comment l’écrire du mieux possible. Et bien sûr qu’on peut s’écouter ensemble, réfléchir, expérimenter – et, au final, décider.

2022-02-24T10:42:26+01:00jeudi 24 février 2022|Best Of, Technique d'écriture|11 Commentaires

Tous les thèmes de Procrastination jusqu’à mi-mai

Procrastination, le podcast qui porte décidément de plus en plus mal son nom, a maintenant plus de dix épisodes d’avance dans la boîte :

(On constate que j’ai visiblement décidé de faire tous les mèmes d’Internet un à un)

Et donc, voici le planning mis à jour de tous les thèmes à venir, déjà dans la boîte, prêts à la production, cash pistache :

  • 1e décembre : Le retravail des manuscrits, avec Mireille Rivalland
  • 15 décembre : Le découpage des séries
  • 2 janvier : Le réalisme en imaginaire
  • 15 janvier : L’organisation d’une journée de travail
  • 1e février : Vivre la critique
  • 15 février : Les règles magiques de Brandon Sanderson, part. 1
  • 1e mars : Les règles magiques de Brandon Sanderson, part. 2
  • 15 mars : Écrire son deuxième livre
  • 1e avril : Conseils de survie pour écrire l’action
  • 15 avril : La procrastination (on ne pouvait pas ne pas la faire…)
  • 1e mai : Les mises en page hors normes
  • 15 mai : L’ambition

Et nous commençons à déjà à penser évidemment à la saison 6.

J’en profite pour mentionner que je sais, vous êtes nombreux et nombreuses à regretter que la diffusion sur YouTube s’arrête à la saison 2. Nous n’avons pas oublié, et je suis sur la piste d’une solution pour que le canal reprenne. Ça ne devrait pas trop tarder !

2020-11-18T12:20:04+01:00lundi 23 novembre 2020|Technique d'écriture|4 Commentaires

Les conseils d’écriture de Jean-Claude Dunyach (Vidéo Imaginales)

Avec Jean-Claude Dunyach, nous animons tous les ans la Masterclass des Imaginales qui n’a donc pu hélas se tenir pour cause de suspension du monde (c’est la fin, mais en plus temporaire).

Pour prolonger le festival, et notamment toutes les initiatives autour de l’écriture des jeunes auteurs, l’organisation nous a proposé de répondre à quelques questions et de proposer quelques conseils : après ma pomme, voici la passionnante intervention de Jean-Claude.

2023-02-04T07:04:27+01:00mardi 26 mai 2020|Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Les conseils d’écriture de Jean-Claude Dunyach (Vidéo Imaginales)

Ressources et discipline pour écrire, aborder les éditeurs en speed dating [vidéo Imaginales]

Nous n’avons pu nous retrouver en vrai cette année, mais les Imaginales se poursuivent en ligne de tas de manières différentes : anthologie virtuelle, prix littéraires, speed dating avec les éditeurs pour les jeunes auteurs. À ce sujet, en direct depuis la Loge Noire où j’écris tous mes bouquins (ça explique des choses), quelques idées et recommandations générales sur l’écriture (qui ne vous étonneront pas si vous écoutez Procrastination !)

2023-02-04T07:06:40+01:00lundi 4 mai 2020|Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Ressources et discipline pour écrire, aborder les éditeurs en speed dating [vidéo Imaginales]

Déconnexion annuelle pendant les fêtes (et on casse l’ambiance)

Et hop.

Comme tous les ans, même si je ne fête pas spécialement le Solstice d’Hiver, je prends deux à trois semaines de déconnexion complète annuelle (c’est plus pratique de faire cela tandis qu’on est tous occupés à travailler notre future culpabilité de ne pas avoir tenu nos résolutions dès le 10 janvier). Donc : jusqu’à janvier, pas de blog, de mail ni de réseaux commerciaux (mais l’épisode de Procrastination sortira bien le 2 janvier, grâce aux intrépides d’Elbakin.net – merci à eux !)

Étonnamment, c’est aussi une métaphore assez juste de Twitter

Un petit codicille à ce sujet : j’avoue rester quelque peu… décontenancé (HA) de l’ambiance de plus en plus délétère sur les réseaux, et les quelques shitstorms, insultes et j’en passe que j’ai reçus cette année m’ont montré une nette progression de l’agressivité en ligne. Heureusement, il y a plein de gens formidables (si vous lisez ça, vous en faites certainement partie, et merci). Cependant, je pense beaucoup ces temps-ci à une statistique lue il y a longtemps : toute relation humaine dont le rapport interactions positives / négatives passe en dessous de 1 pour 5 se dirige droit vers l’extinction. Ma relation avec les réseaux s’approche un peu trop de ce ratio en ce moment : sans tomber dans l’absurde et faux « on ne peut plus rien dire » (souvent utilisé comme cri d’orfraie des ignorants et des oppresseurs), je constate quand même qu’il devient de plus en plus difficile de faire une blagounette clairement étiquetée comme telle sans recevoir une leçon de choses. D’un côté, les Trumpistes revendiquent le droit de donner à leurs opinions la même valeur que des faits, et de l’autre, dans des domaines éminemment subjectifs comme la créativité, la moindre opinion est torpillée par des assoiffés d’e-réputation (souvent gage de manque d’assurance dans la vie).

Tout ça me fatigue. Sérieusement. Et en vrai, je me fiche royalement de convaincre qui que ce soit, surtout dans le domaine créatif où j’ai la chance d’arriver à tracer une vague route (grâce à toi, auguste lectorat) – je pourrais continuer à le faire en fermant tout pareil ma bouche sur le sujet. Je suis en quête – pas en vérité.

De plus en plus, la fiction (et surtout l’imaginaire) ressemble au seul havre d’expression où l’on peut encore prendre des risques sincères, s’interroger sur des questions difficiles ensemble avec les lecteurs, oser une conversation métaphorique à travers le premier aveu nécessaire à l’établissement d’un débat : « je ne sais pas, interrogeons-nous. »

Je suis aussi tout à fait conscient que l’on retire des réseaux ce que l’on y met et j’ai commencé, depuis l’été dernier, à prendre un soin particulièrement conscient de ce que j’y mettais, moi aussi. Mais à force, ma relation avec Twitter, et Facebook, prend de plus en plus l’allure d’un mariage raté que je suis fatigué d’essayer d’entretenir. Mais encore une fois, si vous lisez ça, vous êtes merveilleux, et merci de ce que vous proposez.

Bref, je m’arrête là. Pas envie de lancer les fêtes sur une note lamentant une fois de plus l’état-du-monde-ma-bonne-dame, mais, bon. On se revoit début janvier. Et une chose est certaine – si un jour j’appuie sur le gros bouton rouge faisant sauter tous mes profils sociaux – deux choses ne s’arrêteront pas : ni le podcast, ni le blog.

Parce que là, c’est toujours une vraie joie de le faire.

Bonnes fêtes !

2020-01-05T23:59:35+01:00vendredi 20 décembre 2019|À ne pas manquer|22 Commentaires

À télécharger : les présentations de la masterclass des Imaginales (mises à jour)

Depuis plusieurs années, le festival Imaginales d’Épinal propose une masterclass que nous avons le plaisir d’animer, Jean-Claude Dunyach et moi : “Corriger son manuscrit et envisager l’édition“. Une journée intense d’échanges et de conférences autour de la narration, de ses particularités dans le cas des littératures de l’imaginaire, des défis de la correction de ses propres écrits et des relations avec le monde éditorial.

Nous nous efforçons, Jean-Claude et moi, d’étoffer chaque année un peu plus notre discours en fonction des retours des années précédentes ; les présentations cuvée 2019 sont maintenant disponibles dans la section “Présentations et diaporamas” :

  • Briques de base pour écrire (JCD)
  • Comment bétonner son histoire ? (LD)
  • Devenir auteur, c’est trouver un éditeur ! (JCD)
  • L’auteur dans la chaîne du livre (LD)

→ À découvrir ici.

2019-06-11T15:43:00+02:00mercredi 5 juin 2019|Technique d'écriture|12 Commentaires

Sept conseils de base au jeune auteur qui veut publier

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C’est une question qui revient souvent ces temps-ci : “J’ai écrit pas mal, je me sens prêt à franchir l’étape de la soumission voire de la publication, aurais-tu des conseils ?”

Ma foi, cela appelle une réponse soit très courte (laquelle est : “beeeeeeen…”) soit très longue (tout le rayon “technique d’écriture” d’une grande librairie américaine). Mais cela ne répond à rien (surtout la première) et l’on doit pouvoir cerner de meilleurs conseils fondamentaux à donner.

Que voici donc, au nombre de sept, parce que le sept, c’est l’alpha, c’est l’oméga, c’est mystique, ça fait genre vérité suprême révélée.

1. Écrivez un bon bouquin

C’est la base absolue. Ce qu’on va juger avant toute chose, c’est la qualité de votre texte, de votre histoire, de vos personnages, l’inventivité, le style, tout ce qui fait une oeuvre aboutie.

Voilà, c’est tout, salut, à la prochaine.

Non, plus sérieusement – ça me fait penser à une anecdote lue sur Facebook à propos d’un jeune DJ qui expliquait à un autre tout son plan marketing, son site web, sa marque, avant d’avoir réalisé la moindre mixtape. Le texte est la base. N’imaginez pas tous les à-côtés de la publication avant de l’avoir fini, peaufiné, relu, re-relu, réécrit, re-re-relu, puis finalement envoyé.

Pour travailler un livre, il y a quantités de conseils un peu partout, à commencer par les aides à l’écriture et la section Technique du présent site.

2. Peaufinez votre manuscrit (plus que ça)

Ça devrait aller avec le point précédent mais cela ressort tellement quand je parle à des éditeurs que cela mérite un point à part entière. Tu n’imagines pas, auguste lectorat (enfin peut-être que si, depuis le temps qu’on se connaît) la quantité de manuscrits illisibles reçus par les services : écrits en gothique, ponctués à l’avenant, orthographiés en SMS, etc.

Travaillez votre livre jusqu’à ce qu’il soit également irréprochable au niveau purement formel : aération, pagination, format, etc. La plupart des services de lecture des grands éditeurs rejettent les soumissions à la page 2 parce que c’est illisible. Ne faites pas le malin en croyant qu’une impression sur vélin vieilli au thé attirera une attention favorable. Cela attirera une attention, c’est certain, mais pas celle que vous espérez.

3. Respectez les règles (et connaissez votre place)

Corollaire du point précédent : les éditeurs qui acceptent des soumissions exposent en général clairement ce qu’ils demandent – relié ou pas, recto-verso ou pas, l’intégralité ou bien trois chapitres pour commencer, etc. Respectez ces règles comme votre livre de culte personnel. Ne pas les respecter est un moyen sûr de se faire refouler sans même une lecture. La plupart des éditeurs reçoivent des dizaines de manuscrits par semaine (voire par jour) ; ces règles existent pour leur faciliter la vie, selon leur mode de travail. Si vous ne respectez pas leur boulot, n’attendez pas qu’ils respectent le vôtre.

Ce qui va avec : laissez l’ego au vestiaire, voire, si possible, enfermé dans une malle en plomb verrouillée à double tour dans la sombre cave de vos ressentiments. En d’autres termes : taisez-vous. En cas de refus, apprenez à l’accepter gracieusement au lieu de râler envers l’éditeur (ce qui vous fait passer pour une diva) – voire, pire, sur Facebook (ce qui vous fait passer pour une diva auprès de l’éditeur ET de vos amis). Vous avez le droit de considérer qu’il a tort, mais le hurler ne changera rien, à part pourrir vos relations avec le monde. Passez à l’éditeur et/ou au projet suivant. Essayez de comprendre ce qui a coincé, dans le livre ou dans le ciblage de votre interlocuteur. Tirez-en des leçons. Puis lâchez prise.

4. Connaissez votre marché (et ciblez-le)

En fait, c’était le premier conseil qui m’est venu, tant il est ignoré, mais je m’en serais voulu de ne pas d’abord insister sur le texte. Néanmoins, c’est un point fondamental. Pour publier dans un domaine (la fantasy, le polar, le dinoporn), il convient de connaître ce domaine, et pas seulement son arsenal narratif, mais aussi son paysage économique.

Qui sont les acteurs importants ? Les compagnies, mais aussi les personnes ? Qui publie quoi ? Quels sont les moyens des uns et des autres ? Et surtout, qui est le plus susceptible de publier ce que je fais ? Là encore, vous n’imaginez le nombre d’erreurs de casting – des autobiographies envoyées à des éditeurs d’imaginaire, voire de la SF envoyée à des revues de fantasy pure (j’en recevais à l’époque d’Asphodale ; je redirigeais les meilleures vers Galaxies, mais vous ne pouvez pas compter là-dessus). Citons l’excellent Grimoire Galactique des Grenouilles réalisé par CoCyclics qui recense tous les éditeurs d’imaginaire. La première chose à faire une fois qu’on a un manuscrit réellement terminé, c’est – eh oui – une étude de marché. Aujourd’hui, un jeune auteur qui veut publier n’a pas le droit de dire “mais je ne sais pas chez qui”.

5. Évitez les projets casse-gueule (pour l’instant)

Okay. Vous avez une grande oeuvre, genre un immense univers de fantasy qui couvre plusieurs millénaires d’histoire avec des passerelles entre tous les textes et une lente évolution de l’univers et… heu…

Bon. Évitez de dire à un éditeur putatif pour votre premier projet “Ceci est le premier volume d’une décalogie”. Désolé d’être lapidaire, mais c’est un risque trop vaste à votre stade. Vous êtes : 1) jeune auteur 2) francophone 3) avec une série en projet. Je suis navré, mais ça fait au moins une tare de trop, sachant qu’un éditeur va miser de l’argent et du temps sur vous pour vous amener à la publication et faire connaître votre travail. Il y en a une dont vous ne vous débarrasserez en principe jamais (francophone) et une autre à laquelle vous ne pouvez rien pour l’instant (jeune) donc essayez de mettre toutes les chances de votre côté. Gardez vos projets ambitieux sous le bras – l’expérience que vous aurez acquise, en plus, vous aidera à mieux les servir par la suite.

Après, il n’est jamais exclu que vous soyez purement génial, sans rien à apprendre, et que votre décalogie soit prise d’entrée avec une avance pharaonique. Je vous le souhaite ! Mais il est toujours plus sûr de partir du principe qu’on ne l’est pas.

6. Faites-vous peut-être la main sur des nouvelles

Cela n’a rien d’obligatoire, mais c’est une idée à envisager. Écrire un roman est évidemment une entreprise de longue haleine, qui a son propre ton, son univers. Quand on fait ses premières armes, la nouvelle permet de dominer plus facilement la dynamique de la narration, de s’essayer à quantité de genres, à se mesurer au retravail… Et évidemment de se mesurer à la concurrence, auteurs professionnels, voire grandes stars mondiales. C’est très formateur. Et en cas d’échec, il est plus facile de se remettre en selle.

7. Montrez votre motivation

Cela ne vous garantira évidemment pas d’être pris, mais posez-vous une question simple : au travail de qui prêterez-vous le plus attention, à celui qui a montré son investissement dans son projet, dans une communauté locale autour d’actions autour du livre, pour la promotion des genres qu’il aime – ou bien au parfait inconnu ? Le parfait inconnu est peut-être génial et sera pris du premier coup ; mais s’impliquer dans la littérature, se passionner pour elle, met en valeur vos compétences – et s’avère riche d’enseignements. Si votre personnalité est agréable, professionnelle, peut-être que les fées de l’édition se pencheront avec un soupçon de bienveillance supplémentaire sur votre berceau – parce qu’on vous sait à présent fiable et de bonne volonté. Encore une fois, cela ne garantit rien, mais se présenter sous son meilleur jour, dynamique, motivé, ne peut pas faire de mal. 

Et puis, de toute façon, cela ne vous coûte rien – il s’agit déjà de ce que vous aimez, non ?

2019-08-28T21:37:34+02:00jeudi 9 juillet 2015|Best Of, Technique d'écriture|32 Commentaires

Masterclass à Lyon, le compte-rendu de Cocyclics

tintamare

« Écrire pour soi… et écrire aussi pour les autres »

Dans son introduction, L.D. revient sur ce que signifie le métier d’écrivain.

Un écrivain, lorsqu’il souhaite être publié, écrit pour soi mais aussi pour les autres. L’auteur rappelle alors le fonctionnement de l’économie du livre en France. Il appuie sur l’importance des différents acteurs de la chaîne (« Sans auteur, pas de livre. Sans commercialisation, pas de public ! ») et sur le fait que, malgré les faiblesses relevées, l’édition à compte d’éditeur demeure aujourd’hui le meilleur système existant.

À la convention Octogônes, début octobre, j’avais proposé une masterclass plutôt destinée aux débutants et à ceux qui peinent à boucler leur premier roman. La gazette du forum d’entraide Cocyclis, Tintamare, en propose un compte-rendu, à découvrir ici.

2014-10-29T14:14:51+01:00lundi 3 novembre 2014|Technique d'écriture|1 Commentaire

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