Rétrospective Sea Watch 2011

(c) Sea Watch Foundation / Lionel Davoust

Hop, pendant que je me trouve en mer à bord de Silurian, peut-être à voir des animaux magnifiques et à gagner quatorze prix Pulitzer de photo animalière, peut-être à me noyer dans de la pluie et du brouillard en grelottant de froid et en me maudissant d’être parti dans une telle aventure, je vous propose – et surtout pour tous les amoureux des dauphins – une petite rétrospective sur mon expédition de l’année dernière, mon volontariat auprès de Sea Watch Foundation en 2011. Les articles du blog sont accessibles par ce lien, classés par ordre chronologique d’écriture.

> SWF 2011 : le retour à la mer <

2018-08-09T10:55:01+02:00jeudi 2 août 2012|Best Of, Carnets de voyage|Commentaires fermés sur Rétrospective Sea Watch 2011

Le petit bonhomme en rouge

Sur la colonie de guillemots des îles Treshnish. (Photo Marie Mrusczok)

Quatre jours sans mises à jour, c’est déjà trop, mais ce fut quatre jours de mer et d’installation, ce qui m’a assez peu laissé le temps de faire le point. Et c’est aussi quatre jours à 100 – 150 images pièce, ce qui est largement trop. Quatre jours où, c’est l’accord courant dans ce domaine, ma collègue volontaire et moi-même avons embarqué sur les bateaux de tourisme proposant diverses excursions à la recherche de la faune marine.

Notre mission :

  • Nous rendre disponibles pour les passagers afin de transmettre informations et faits zoologiques visant à entretenir la conscience environnementale. (Je me suis retrouvé le premier jour à faire un cours express sur l’évolution et la spéciation en trente minutes chrono.)
  • Récupérer des données scientifiques sur les animaux rencontrés.
  • Et, pour ma part, mettre mon (redoutable) matériel et ma (trop faible) expérience à disposition pour réaliser des photos qui serviront à identifier les individus rencontrés.

Partir en mer dans l’espoir de rencontrer baleines et dauphins (mais aussi oiseaux de mer et requins pélerins) est une entreprise où la patience est indispensable. Sur ces quatre jours de sortie, nous avons été récompensés par de très brèves rencontres dont il n’est pas sorti grand-chose, à part l’émotion – et c’est déjà beaucoup ! C’est pourquoi la persévérance et la régularité sont de mise, afin de mettre toutes les chances de son côté.

Le temps pour moi de trier et traiter mes photos, et j’aurai certainement beaucoup à montrer quant aux représentants les plus emblématiques de la faune locale.

Pour l’heure, juste quelques petits aperçus des paysages autour de Mull… Mon compte Flickr retrouve d’ailleurs un peu de vie, et vous pourrez y retrouver des versions en plus haute résolution de toutes les images.

2012-08-01T19:54:09+02:00samedi 14 juillet 2012|Carnets de voyage|3 Commentaires

Vers les îles, vers les baleines

Cliquez pour un agrandissement. (Photo Kelisi)

Cela fait un moment que je finalise mes préparatifs et que mon dossier a été accepté, mais avec l’actualité entourant Léviathan : La Nuit et Reines et Dragons, impossible d’en glisser un mot. À la fin de la semaine, j’aurai quitté le territoire français pour un nouveau volontariat écologique : après New Quay au Pays de Galles l’année dernière auprès de Sea Watch Foundation, je pars cette fois cinq semaines sur l’île de Mull, dans l’archipel des Hébrides, qui s’émiette peu à peu depuis la côte ouest de l’Écosse.

Je participerai aux actions du Hebridean Whale and Dolphin Trust (HWDT), qui, comme son nom l’indique, se charge d’étudier et protéger les populations de baleines et dauphins dans la région. En effet, le chenal séparant les deux groupes d’îles, appelé le Minch, constitue une importante voie de passage pour les mammifères marins entre le nord-est du Royaume-Uni (mer du Nord et mer de Norvège) et le sud-ouest (mer d’Irlande, Atlantique), mais c’est aussi une région où la circulation maritime est intense, ce qui conduit à de nombreuses interactions entre homme et faune sauvage.

Il s’agira, comme avec Sea Watch, de répondre aux diverses tâches de maintenance des données scientifiques que brasse une telle fondation, de participer à la photo-identification des populations locales de cétacés, mais aussi de contribuer à disséminer les connaissances naturalistes auprès du public.

Je serai d’abord affecté à terre, mais, début août, c’est le départ en mer, sans plus aucun contact avec la civilisation. Le HWDT affrête en effet son propre navire scientifique, un voilier de 16m, le Silurian, pour des expéditions d’une dizaine de jours au sein des îles en quête des animaux, pour divers relevés de données et photographies scientifiques.

Le Silurian. Photo (c) HWDT

Pendant ces dix jours, presque aucun abordage sur une terre habitée n’est possible. Le navire mouille à l’abri des vents dans des criques au sein des petites îles inhabitées, et l’équipe scientifique (dont je suis ravi et honoré de faire partie) en profite pour compléter ses données par des relevés de flore jusqu’à ce que le soleil fasse défaut. Je ne nie pas une certaine impatience à l’idée de cette expérience ! La vie à bord en petite communauté promet d’être un moment fort, et le rythme de travail épuisant, mais passionnant. (Cela dit, si le navire est perdu corps et biens, personne ne le saura avant des jours, vu l’éloignement. Ha ha !)

J’espère parler plus régulièrement de ce volontariat que je ne l’ai fait l’année dernière à New Quay. J’ai l’impression, auguste lectorat, que l’expérience t’intéressait, alors je vais m’efforcer de tenir un journal plus régulier dans cette rubrique Carnets de voyage. J’ai évidemment affûté mon matériel de photo – même si je frémis à l’idée de tout ce que je n’ai pas encore traité, laissant mon pauvre profil Flickr à l’abandon, et j’espère rapporter de belles images, en profitant des paysages écossais, et avec l’expérience acquise en photo animalière.

Et, avec un peu de chance, peut-être croiserai-je pour la première fois en liberté la silhouette caractéristique d’une dorsale saillante et noire, en arrière d’un singulier regard aveugle…

Photo (c) HWDT

Dans l’intervalle, je vous propose de jeter un oeil au site du HWDT, qui propose en particulier une magnifique bibilothèque de photos animalières, de paysages des côtes, et bien sûr du navire, sur cette page.

2012-08-01T19:54:45+02:00mercredi 4 juillet 2012|Carnets de voyage|8 Commentaires

Des cétacés en Irlande

Me voilà de retour, auguste lectorat, après une période de silence un peu longue ici et sur les réseaux due à deux choses : le bouclage des projets en cours (l’anthologie Reines et Dragons, les ultimes corrections de Léviathan : La Nuit), puis une escapade d’une semaine à Galway, en Irlande, pour la conférence annuelle de l’European Cetacean Society, la société scientifique et naturaliste qui rassemble chercheurs, étudiants et passionnés autour de la conservation des cétacés et même des mammifères marins en général. J’y ai retrouvé mes camarades de Sea Watch Foundation, où j’étais volontaire l’été dernier.

Je suis organisé au point de la maniaquerie.

Cela faisait dix ans que je n’étais pas retourné à un séminaire de l’ECS et je dois dire que c’était à la fois très agréable et très étrange de reprendre contact avec ce milieu. J’y ai retrouvé de vieux collègues et superviseurs que j’avais perdu de vue, ce qui m’a fait particulièrement plaisir, j’ai constaté en quoi la technique avait progressé en dix ans (et en quoi certains problèmes du milieu n’avaient pas évolué), mais cette fois sans aucune pression d’ordre professionnel, juste pour le plaisir d’être là, d’apprendre et de voir si je pourrais peut-être apporter une humble contribution ou deux dans les brefs moments de pause entre deux livres, et ce dans mon domaine de compétences, à savoir écriture et communication. Car la recherche expérimentale « pure », celle qui implique de longs traitements de données, n’a jamais été ma tasse de thé. L’analyse pure de longues séries de données, ce qui constitue le coeur des journées du scientifique, n’a pour moi pas le même attrait que partir sur le terrain, en rapporter des visions par la photo ou l’écriture (ou même résoudre des problèmes concrets et fournir des solutions techniques). Ce qui tombait bien, vu que le thème du séminaire portait sur la communication et l’échanges d’idées. Il commence à me tourner dans la tête des embryons de projets dans le domaine, toujours centrés sur l’écriture, qui est mon seul métier, mais qui permettrait de faire usage de mes “autres” compétences afin de me servir ces causes-là, qui me tiennent à coeur. Nous verrons.

J’en retire en tout cas une myriade de nouvelles connaissances et de faits ahurissants sur la cognition des dauphins et des orques, leur conservation, et surtout les dangers qui les menacent – à quel point leurs intérêts font figure de partie négligeable face aux exigences des industries. Mais c’est évidemment le cas de larges pans de l’environnement marin, et des activités humaines locales qui en dépendent. Cette semaine a offert un bouillonnement d’idées, comme seul en permet ce genre de rassemblement ; si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas à faire un tour sur le site de la conférence, qui comporte une section de téléchargement.

Pour finir, quelques photos pourries, car prises avec mon téléphone portable dans les rues de Galway et sur la plage (bénie par un soleil à fendre les pierres, parfaitement inattendu) :

2012-04-02T17:13:27+02:00lundi 2 avril 2012|Carnets de voyage|6 Commentaires

Les dauphins sont-ils des hommes comme les autres ?

(c) Sea Watch Foundation / Lionel Davoust

Une controverse agite de façon de plus en plus marquée le champ de la cétologie : dauphins et baleines présentant un encéphale développé, des comportements sociaux et joueurs d’une grande complexité, une culture, sommes-nous vraiment en mesure de les limiter à l’état d’« animaux », de les considérer comme notre propriété voire notre nourriture, bref de les “exploiter” ? Il ne s’agit pas purement là de bien-être animal, où l’éthique moderne pousse l’homme à la bienveillance envers d’autres êtres vivants supposés inférieurs, mais de la reconnaissance qu’il accorderait à un semblable.

Terrain glissant.

Autant que je puisse cerner, la question est apparue dans la presse en fin d’année dernière, à l’occasion d’une conférence plus ancienne encore :

Deux cétologues de premier plan ont avancé que les dauphins étaient trop intelligents, et nous ressemblaient trop, pour que nous ayons le droit de les capturer ou de les tuer. À la conférence annuelle très courue de l’American Association for the Advancement of Science, déclarer plus ou moins ouvertement que les dauphins sont des personnes constituait une importante prise de risques professionnelle.

Depuis le début de l’année, le dossier s’est emballé. Tout d’abord, un coup de pub de la PETA1 qui a attaqué Sea World pour esclavage ; et maintenant, info signalée par Nathalie Mège, les experts néo-zélandais, cherchent à reconnaître aux cétacés les mêmes droits qu’aux êtres humains.

On peut considérer toutes ces initiatives comme absurdes en avançant que la loi concerne l’être humain, et que les dauphins ne sont pas des êtres humains, point final. Mais on pourrait se rappeler, par exemple, qu’à l’époque de la théorie des races, les Noirs n’étaient pas considérés comme des êtres humains à part entière ; on pourrait également songer aux implications philosophiques d’un système anthropocentré – pourquoi, au juste, nos lois ne concernent-elles que nous ? Quelle en est la justification intellectuelle, autre que c’est “commode” ? Peter Watts, biologiste marin et auteur comme votre aimable serviteur, a longuement traité ces questions dans cet article.

Mais comment pourrait-on s’assurer du bien-fondé, ou non, de ces démarches ? Comment démontrer la présence ou l’absence de capacités cognitives supérieures chez ces animaux fascinants qui justifieraient pour eux l’établissement de droits inalinéables2 ?

La réponse est simple : c’est impossible.

De la même manière qu’il est impossible de démontrer, actuellement du moins, que l’homme jouit effectivement de capacités cognitives supérieures, d’une conscience dont il est le maître, en un mot, du libre arbitre. Nous possédons l’illusion du libre arbitre ; à chaque instant, si nous réfléchissons, nous sommes globalement convaincus d’être libre de nos décisions. Mais nous sommes aussi des machines biologiques. Nous ignorons totalement si, en réalité, nous ne sommes pas à chaque instant le jouet et le fruit d’une mécanique chimique hautement élaborée mais totalement déterministe, qui se berce seulement du doux rêve de la liberté.

Comment pourrions-nous alors prouver ces notions chez une autre espèce que la nôtre, si nous en sommes incapables pour nous-mêmes ?

Comme toujours, une fois libéré des influences étouffantes des morales absolutistes, on débouche sur une notion très simple pour l’éthique : celle-ci n’est pas une loi suprême, c’est un choix. Un choix de société, dont nous assumons les conséquences en tant que collectivité, qu’espèce, que membres de l’écosystème. Nous choisissons de considérer que nous détenons une liberté d’action et une conscience qui valent la peine d’être préservées. Viendra un point où la recherche cétologique atteindra elle aussi ses limites sur la question, et où l’homme devra, en fonction de ce qu’il croit percevoir chez ces autres espèces, décider là aussi s’il juge les preuves suffisantes ou non pour appliquer à autrui le même acte de foi qu’à lui-même. Mais ce sera une décision. De la même façon qu’il décide, plus ou moins unanimement, que tuer son voisin est mal, parce que sa vie est précieuse. Qu’il décide qu’il a une conscience, parce qu’il préfère cela à l’autre côté de l’alternative. Rien ne prouve la loi : la science accumule des faits, mais l’éthique constitue toujours, quelles que soient les circonstances, une volonté, un projet, et non un absolu.

Pour ma part, au fil des ans, en captivité ou en milieu naturel, et à travers la presse scientifique, j’ai assisté à tous les comportements prétendument indigènes à l’homme, ou peu s’en faut. La culture était censée constituer notre apanage : dommage, les orques ont une culture des pratiques de chasse, les baleines à bosse une culture des chants, etc. Le test du miroir (la conscience de soi) était censée constituer l’apanage de l’homme, dommage, les orques et les dauphins le réussissent. Les frontières bougent, et elles donnent désagréablement l’impression qu’à chaque découverte éthologique, on reformule la définition de l’humain pour lui conserver sa singularité, sa position “supérieure” au pinacle de la Création.

Alors qu’il y a une définition très simple, en définitive, pour  nous, qui nous place irréfutablement à l’écart de toutes les autres formes de vie de cette planète. C’est nous qui nous trouvons en position de passer des lois pour limiter les dégâts faits aux autres êtres vivants qui partagent la planète avec nous. Cela se résume très simplement, pour paraphraser Brandon Sanderson dans L’Empire ultime, à : “Au bout du compte, c’est nous qui possédons les armées.

Cette définition-là, personne ne nous la volera. Maintenant, est-ce vraiment celle que nous voulons pour notre espèce ?

[boxparagraph]J’en profite pour mentionner que les baleines grises du Pacifique Ouest ne sont plus que 130, dont 26 femelles en âge reproductif. Un projet de plate-forme menace cette population probablement déjà condamnée, mais cela ne signifie pas pour autant qu’on peut rester inactif : des rapides infos du WWF sur la situation se trouvent ici, et une pétition .[/boxparagraph]

  1. La SPA américaine, en plus activiste et plus démago.
  2. Il faudrait déjà que nous soyons en mesure de faire respecter ceux que nous sommes censés accorder à nos semblables, qui sont dans certains pays du monde bien moins considérés que des animaux domestiques occidentaux.
2014-08-30T18:28:06+02:00jeudi 23 février 2012|Best Of, Humeurs aqueuses|15 Commentaires

« Gris Sourire », nouvelle gratuite en version complète

(c) Sea Watch Foundation / Lionel Davoust

Hop, « Gris Sourire », mon conte de Noël publié gratuitement en ligne sur le site de la ville de Reims, est à présent disponible en version complète avec la publication de la quatrième et dernière partie aujourd’hui. Les liens directs vers les quatre épisodes sont :

C’est une histoire relevant, je pense, du réalisme magique, et qui s’est clairement nourrie de mon expérience de volontariat cet été à New Quay (pour les épisodes précédents, voir par exemple ici, ou encore ).

N’oubliez pas que d’autres auteurs proposent également leurs propres contes en accès gratuit, eux aussi : ils deviendront peu à peu accessibles sur cette page. Au programme (j’espère n’oublier personne) : Sophie Dabat, Jeanne-A Debats, Anne Fakhouri, Mélanie Fazi et Thomas Geha.

2011-12-13T17:59:11+01:00mardi 13 décembre 2011|Actu|9 Commentaires

Joséphine

Photo Marineland / AFP

Hier, Joséphine nous a quittés.

Avant ce jour, probablement, personne ne connaissait son nom – du moins, celui que les hommes lui avaient donné. Ou bien ils l’avaient su, durant la vague – au sens propre comme figuré – qui avait envahi la France et le monde au tournant des années 90, avant de l’oublier, à l’exception de certains fondus.

En effet, Joséphine était connue pour être “le” dauphin star du Grand Bleu, sorti en 1988, terrassé par la critique et pourtant devenu succès planétaire. Toutes les scènes complexes impliquant une interaction homme – animal, c’était elle ; en particulier la scène de fin, avec sa poésie tragique et ambigüe. La plupart l’appelent “le” dauphin alors que, donc, c’était une femelle, une grande ancienne de Marineland Antibes, estimée avoir atteint l’âge rare et respectable de 38 ans (la longévité des dauphins se situant plutôt aux alentours de la trentaine).

Le Grand Bleu avait été descendu en flammes par la critique à l’époque : mal compris, jugé sinistre ou bien niais, le film a pourtant été un choc pour toute une génération, alimentant ses rêves, avant que cette maladie appelée l’être-raisonnable, qui vient avec les années, n’assassine morceau par morceau sa capacité d’émerveillement et son idéalisme. Au point que beaucoup se rangent aujourd’hui au discours de cette même critique qui ne les avait pas compris il y a plus de vingt ans : tout cela, ce sont des rêves de gosse. Bridons nos aspirations pour nous plier à la réalité.

Pour ma part, je n’ai pas honte de dire que j’appartiens à cette génération et que la soif d’absolu dégagée par ce Grand Bleu a mis des images et des mots sur la fascination pour l’océan que j’éprouvais depuis aussi longtemps que je m’en souvienne. C’est à cause de cette fascination, pas tant à cause du film ni même de Joséphine elle-même que, dix ans après sa sortie en salle, j’entrais à Marineland par le portail de service en tant qu’aide-soigneur. En revanche, j’ai pu véritablement l’approcher, faire sa « connaissance », pour ainsi dire, parler d’elle avec l’équipe dauphins (je travaillais surtout avec les orques), et puis, certaines fois, nager avec elle. C’est pour cela que je suis très triste aujourd’hui d’apprendre sa disparition, qui me frappe d’autant plus tandis que j’achève mon séjour à New Quay, apportant ma modeste pierre à l’étude et la conservation de ses cousins1.

Joséphine, au-delà d’être effectivement la grande ancienne du bassin, la mère de la première naissance en captivité de Marineland, si mes souvenirs sont exacts2, c’était un animal magnifique. Elle était bizarrement exempte de toutes les cicatrices et marques que les dauphins s’infligent mutuellement en permanence. Pour vous la décrire, quand vous essayiez de distinguer les individus, c’était simple : les soigneurs vous disaient “Celle qui n’a pas de marques, qui n’a aucun signe distinctif, rien de spécial, justement… Celle qui ressemble le plus au cliché que tu te fais d’un dauphin, celle qui ressemble le plus à un vrai dauphin, en un sens, eh bien, c’est Joséphine.” Ce que vous ne savez pas en voyant Le Grand Bleu, ce que vous ignoriez en la voyant à Marineland, c’est que c’était un animal doux et intelligent, avec un caractère tempéré, ce qui est plutôt rare (ces animaux tenant plutôt, comme j’ai déjà dû le dire ailleurs, du chaton de 200 kg drogué au LSD), et volontaire. Joséphine comprenait tout très vite, ce qui explique aussi pourquoi elle figure tant dans Le Grand Bleu. C’était très facile de lui apprendre quelque chose, et elle participait avec entrain et intérêt.

Joséphine a connu un curieux destin : sans le savoir, elle est devenue une icône, anonyme, pour une génération entière. Mais son nom, et sa disparition, ne doivent justement pas nous faire oublier qu’au-delà de la mystique new age parfois un peu ridicule qui entoure “le” dauphin, il y a toute une espèce à comprendre et à protéger, un milieu à étudier et à préserver. Que les dauphins, ce sont avant tout des animaux sauvages, parfois brutaux, parfois dangereux même pour l’homme, mais aussi très intelligents et curieux, et capables d’établir de troublantes relations avec notre espèce. Que c’est justement ce mystère, qui nous échappe en partie, qui fait toute leur beauté et leur attrait. Et que, si nous voulons pouvoir les découvrir et les côtoyer encore longtemps, il nous faut nous rappeler la magie et l’émerveillement que Joséphine a contribué à faire éclore en nous.

Qu’elle devienne ainsi, pour ceux qui y sont sensibles, une ambassadrice de desseins plus vastes ; et non un simple soupir de regret, étouffé à la lecture d’un entrefilet de journal.

  1. Et si certains s’étonnent que j’écrive un hommage pour un animal alors que je n’en écris pas pour les gens, eh bien, c’est ainsi. Je me sens rarement qualifié pour parler des gens.
  2. Mes excuses par avance à l’équipe, à qui vont mes pensées en ce moment, en cas d’erreur dans cet hommage.
2012-04-27T22:27:30+02:00mercredi 24 août 2011|Journal|29 Commentaires

On va pas sauver un sac, quand même

Je passe deux heures par jour sur la digue de New Quay comme tous les volontaires de Sea Watch. Je surveille l’anse à la sortie du port à l’affût de dauphins ; je note scrupuleusement leur activité ; je relève la circulations des navires, leur comportement à l’approche des cétacés. Je réponds aux questions des touristes sur la la fréquentation de la baie par les animaux, je m’efforce de leur transmettre quelques idées simples et fortes, comme la différence entre un dauphin et un marsouin, comme l’importance de la population résidant dans Cardigan Bay, comme le code maritime en place qui vise à la protéger du harcèlement ; j’aime bien écouter les expériences des gens et leur transmettre un peu la passion et de conscience environnementale quand c’est possible. Je suis conscient de n’être qu’un grain de sable, mais il en faut pour faire une plage. Et puis j’aime ça, échanger sur ce sujet, et c’est une raison suffisante.

Du coup, je me tais et quand certains enfants pointent le doigt et s’écrient “dolphin !” alors qu’avec mes jumelles et l’habitude, je sais qu’il s’agit seulement d’un cormoran en train de plonger. Je hoche la tête poliment quand un pêcheur me soutient mordicus avoir croisé un groupe de soixante-dix grands dauphins (Tursiops truncatus) et j’admets poliment que c’est possible, même si je sais que c’est très hautement improbable et qu’il s’agit certainement d’une autre espèce (comme le dauphin commun Delphinus delphis).

Car, en effet, sur la digue, je suis Sea Watch. J’ai écrit Sea Watch sur le dos, j’ai un stand miniature qui explique ce que je fais là et pourquoi c’est important. J’interagis avec le public intéressé, je rectifie les idées reçues quand c’et possible, mais je ne suis pas là pour briser les rêves ni pour contredire un pêcheur avec vingt ans d’expérience : ce qu’il me soutient avoir vu est hautement improbable, mais pas entièrement impossible.

Et, en conséquence, je serre les dents sans rien dire quand le modèle universel du touriste-qui-sait, celui qu’on trouve dans un restaurant chinois à demander des sushis, celui qui vous CRIE TRÈS FORT AU VISAGE sa langue étrangère en étant persuadé que ça va vous aider à le comprendre, celui qui laisse des enfants braillards et fatigués pourrir la vie d’un wagon ou d’une salle entière en espérant que ça va se régler tout seul, rôde dans les parages. Je serre les dents comme quand, hier, sa marmaille criarde et pré-adolescente escalade la digue pour venir me tourner autour, trop près, envahissant mon espace alors qu’il y a cent mètres de béton sur laquelle se poser, entravant mon champ de vision et donc mon travail, surexcitée en hurlant “où sont les dauphins ! où sont les dauphins !”. Et puis je les oublie bien vite, en définitive, une fois que toute la famille s’installe pour pique-niquer. Ils ne me gênent pas. Live and let live.

Sur la digue, il y a du vent. On est exposé, très exposé, il fait froid, il faut s’asseoir sur son bloc-notes quand on ne l’utilise pas, parce qu’une rafale suffit à emporter même les objets lourds.

Comme le sac en plastique qui emballait le sanwich de l’aîné et qui tombe au bas de la muraille, à deux mètres de l’eau. Les parents restent figés et regardent l’objet, les bras ballants. Le père murmure « on devrait peut-être aller le chercher », mais c’est compliqué, il faut sauter d’une hauteur d’un mètre cinquante sur une pente glissante en béton, et remonter n’est pas facile. L’aîné s’écrie aussitôt : “On va pas sauver un sac, quand même” et continue à bâfrer, les mains pleines de sauce. Comme pris en faute par le marmot, le père redresse le torse et ne dit rien, se rangeant à son avis forcément éclairé. Le cadet crie : “hé, regardez, c’est notre sac !” mais la mère le fait taire aussitôt. Chut, chut, ce n’est pas à nous.

Moi, sur la digue, mon chronomètre en main, j’ai envie de leur expliquer poliment qu’ils ne sauveront peut-être pas un sac, mais qu’ils pourraient sauver un dauphin ou une tortue. J’ai envie de leur expliquer que ces sacs, en volant entre deux eaux, prennent l’aspect trompeur d’une méduse, et que la faune s’y méprend, les avale, s’étouffe ou se bloque les voies digestives, et meurt, le ventre distendu, à l’image de ces pauvres dauphins autopsiés par dizaines après échouage. J’ai envie de leur dire que ces dauphins qu’ils sont justement venus voir depuis la ville, que la mère et son petit qui se nourrissent tranquillement à vingt mètres de nous, paieront peut-être les conséquences de leur paresse, de leur maladresse et de leur fatalisme – peut-être même d’ici la fin de la journée, si la malchance le veut. Que le juvénile insouciant, âgé de quelques mois, qui s’aventure loin de sa mère à la découverte du vaste monde, ne fêtera peut-être pas son premier anniversaire par leur faute. Mais c’est parti dans la nature, cela ne nous appartient plus, c’est un déchet de plus, un regrettable excrément de la nature humaine, un fait inévitable.

Mais je suis Sea Watch. Moi, je prends parfois les gens à partie : je me permets d’être acerbe, et tant pis si je passe pour le connard de service. Mais ce n’est pas la façon de faire de Sea Watch – et c’est probablement, d’ailleurs, plus sage. Alors, je regarde droit devant moi et je surveille l’objet. Je fulmine en silence. Et je pense : vous, ne venez pas me parler.

Ils finissent par s’en aller. Enfin.

Le temps pour moi, ensuite, de descendre et de remonter, je n’aurai pas quitté mon poste plus deux minutes.

2011-11-02T19:09:52+01:00samedi 20 août 2011|Humeurs aqueuses|10 Commentaires

La promesse des dauphins

La promesse des dauphins est double ; c’est justement celle qu’ils ne vous font pas quand ils sont en liberté, avec une baie entière à leur disposition, capables de changer de mers, de nationalités – ils se montrent seulement quand ils le souhaitent – ; et c’est aussi celle que je t’ai faite, ô auguste lectorat, en te taquinant à coups d’aperçus de dauphins… Non pas que je tenais à faire monter ta frustration, mais il me fallait réunir assez d’images correctes en premier lieu. Car les dauphins se laissent souvent approcher, mais ils viennent rarement à soi ; il faut aller les chercher.

Nous les cherchons de plusieurs façons. La Sea Watch Foundation, comme bien des centres de recherche sur le sujet, doit composer avec un certain nombre d’impératifs logistiques, dont ses moyens – on n’a pas le même budget pour étudier des dauphins que construire des armes nucléaires. Ce qui n’empêche pas, avec un peu d’inventivité, de soutien public et d’énergie, d’arriver à des résultats significatifs.

La SWF opère selon plusieurs canaux pour ce faire :

Land watches (observations depuis la terre)

Les dauphins viennent souvent dans l’anse à la sortie du port de New Quay et la digue qui la domine est un point de vue idéal pour ce faire. Cela permet aussi d’étudier les interactions des animaux avec les activités humaines. Il faut s’armer de patience – nous effectuons nos veilles par roulements de deux heures – et la visibilité doit être bonne – pas de houle, pas de pluie – mais on est souvent récompensé par la venue de quelques individus qui viennent s’alimenter sur les hauts-fonds. Une mère et son petit ont ainsi passé presque toute la semaine à une encâblure seulement de la plage – et, alors que j’étais de quart à l’aube, le juvénile m’a même gratifié d’un saut, juste devant moi, à dix mètres à peine…

Pendant notre formation à la "land watch" - photo (c) Katrin Lohrengel

Boat trips (observation indépendante en mer)

Le dolphin-watching est une des activités principales de New Quay ; des dizaines de touristes partent tous les jours sur de petits navires qui longent les côtes en quête de dauphins. La SWF a un partenariat avec les très sympathiques équipes de New Quay Boat Trips et SeaMôr (qui dépasse d’ailleurs l’échange de bons procédés : après les activités du jour, nous sommes nombreux à aller boire un verre avec eux jusqu’à des heures déraisonnables) ; ils nous accueillent en tant qu’observateurs, nous permettant d’approcher les animaux pour prendre divers relevés (notamment des photos pour l’identification des individus1), tandis que nous notons très précisément la route adoptée.

L'Ermol V, qui effectue des excursions de deux heures - photo LD

Surveys (relevés)

Quand les conditions sont propices, la SWF affrête régulièrement un navire de taille moyenne, le Dunbar Castle II, pour partir sillonner les Zones Spéciales de Conservation au nord et au sud de la baie de Cardigan. Nous partons alors la journée entière pour suivre un trajet bien précis et relevons toute la faune rencontrée, nous arrêtant ponctuellement pour prendre des photos qui serviront, là aussi à l’identification. Une extrapolation statistique permet par la suite d’estimer la quantité totale d’animaux présents dans la zone d’intérêt.

Briefing pendant un relevé - photo (c) SWF

Pour des moments rares…

Il faut être patient – et bien équipé : reflex haute résolution et zoom semi-pro (équipement qui coûte déjà deux bras et deux jambes)… constituent le minimum syndical. J’en suis à plus de trois cents images prises en relevé et pendant les observations touristiques, et, si beaucoup se sont avérées utiles pour la photo-identification des individus, leur valeur artistique est plutôt nulle (on se concentre sur la nageoire dorsale à l’exclusion du reste, et il y a plus “sexy »…). Ainsi, les quelques images animalières de la galerie ci-dessous sont très loin d’être parfaites, mais ce sont les plus “jolies” que j’aie prises jusqu’ici. J’espère qu’elles vous plairont néanmoins2 !

 

  1. Article à venir sur la question.
  2. Attention, en raison des accords passés par la SWF, les images animalières ne sont pas exceptionnellement pas en licence de diffusion libre, mais (c) Sea Watch Foundation / Lionel Davoust.
2012-08-01T19:55:13+02:00lundi 15 août 2011|Carnets de voyage|4 Commentaires

Titre

Aller en haut