Lundi, c’est déclencheurs, édition 2015 (5) : de l’action

hulk_chapterC’est parti pour vingt minutes d’écriture, sans interruption, sur le déclencheur de votre choix. Rappel : vous devez trouver vingt minutes dans la semaine pour écrire, pour donner corps à votre rêve. L’article original à voir ici.

Aujourd’hui, nous allons nous dérouiller un peu avec de l’action ! Notre protagoniste a un enjeu et un problème, nous allons faire monter la pression d’un cran et le coller dans une situation critique urgente dont il va devoir se tirer. L’action peut représenter une bonne manière de donner de l’épaisseur à un personnage, parce qu’en le plaçant au pied du mur, on le force (et on se force) à aller puiser dans ses ressources, son regard, ce qui aide à le caractériser, à révéler sa nature.

Et si vous n’aimez pas l’action, l’exercice est encore meilleur.

Puisez donc dans la liste suivante un type d’action qui vous plaît, et ne vous arrêtez pas avant vingt minutes d’écriture débridée.

De l’action

  1. Poursuite à pied
  2. Poursuite en engin motorisé ou à monture
  3. Fuir une catastrophe
  4. Fuir une opposition trop nombreuse
  5. Survivre le temps que quelque chose se termine
  6. Se battre en personne, au corps à corps, contre une poignée d’adversaires
  7. Se battre en personne, à distance, contre une poignée d’adversaires
  8. Se battre au milieu d’une bataille rangée (c’est le chaos)
  9. Se battre dans un engin (voiture, tank, chasseur spatial…) ou sur une monture
  10. Retenir l’adversité
2015-07-31T12:19:40+02:00lundi 10 août 2015|Technique d'écriture|2 Commentaires

Lundi, c’est déclencheurs, édition 2015 (4) : un problème

large_Motivation_Writing_HumourC’est parti pour vingt minutes d’écriture, sans interruption, sur le déclencheur de votre choix. Rappel : vous devez trouver vingt minutes dans la semaine pour écrire, pour donner corps à votre rêve. L’article original à voir ici.

Une remarque en passant suite à un commentaire qu’on m’a fait : les déclencheurs sont à prendre au masculin ou au féminin, dans le décor / genre que vous souhaitez. L’aventurier peut être une aventurière. La taverne peut être une cantina spatiale. Il s’agit juste de fournir un point de départ, mais l’idée consiste à vous les approprier entièrement, comme vous le souhaitez – et si l’aventurier devient une avocate (aventurière des causes perdues…), peu importe. Il s’agit d’écrire, ce que vous voulez, ce que vous désirez, et les déclencheurs ne sont que des amorces. Faites-en ce que vous voulez. 

Bien. Nous avons un protagoniste, nous avons appris à le connaître un peu mieux à travers un lieu et un genre, et nous avons défini ce qu’il risque, son enjeu. Il va être temps de lui coller un problème sur la tête, en lien avec l’enjeu, ce qui affinera l’histoire en cours de formation. Deux possibilités ; si vous avez déjà cerné le conflit principal du personnage, alors ce problème sera la première péripétie qu’il rencontrera ; s’il n’a pas encore de conflit, alors ce problème deviendra le coeur de l’histoire. À vous de jouer, tirez le conflit au hasard ou bien choisissez celui ou ceux qui vous attirent, et ne vous arrêtez pas avant vingt minutes d’écriture.

Un problème

  1. Un dysfonctionnement
  2. L’enjeu cache un autre enjeu plus grand
  3. Un lourd secret
  4. L’adversaire n’est pas si mauvais que ça
  5. Une trahison de l’intérieur
  6. Un innocent qui n’a rien à faire là
  7. Une lutte contre la montre
  8. Le calme avant la tempête
  9. Le devoir passe avant l’éthique
  10. L’honneur passe avant le devoir
2015-08-05T15:37:59+02:00lundi 3 août 2015|Technique d'écriture|1 Commentaire

Lundi, c’est déclencheurs, édition 2015 (1) : un protagoniste

you_writingC’est parti pour vingt minutes d’écriture, sans interruption, sur le déclencheur de votre choix. Rappel : vous devez trouver vingt minutes dans la semaine pour écrire, pour donner corps à votre rêve. L’article original à voir ici.

Cette semaine, nous allons partir sur un personnage principal, un protagoniste. Choisissez (ou tirez au sort) un déclencheur parmi les dix suivants, puis entrez dans la tête de ce personnage : racontez-le, du point de vue que vous souhaitez (le sien ou un observateur extérieur). Qui est-il ? Quel est son passé ? Et surtout, quel est son problème immédiat ? Vous avez le droit de tourner en rond, de creuser, de chercher la direction qui vous inspire. Une seule règle : amusez-vous, traquez sans relâche une direction qui vous intéresse. Pourquoi ce déclencheur-là vous a-t-il attiré ? Ou bien, que pourriez-vous faire d’amusant avec le déclencheur imposé par le sort ? Avec un peu de chance, une amorce d’histoire va se dessiner, pour un texte plus long, une nouvelle, voire un roman.

Un protagoniste :

  1. Héros flamboyant
  2. Se la pète mais rien dans le ventre
  3. Soldat professionnel
  4. Assassin professionnel
  5. Hanté par le remords
  6. Ténébreux et sans conscience
  7. Dévoré par la vengeance
  8. Débutant rêvant de gloire
  9. Incompétent mais plein de bonne volonté
  10. Freluquet mais rusé
2015-07-12T20:10:50+02:00lundi 13 juillet 2015|Technique d'écriture|8 Commentaires

Un couple improbable

“J’apprécierais que tu ne profites pas de la moindre occasion pour toujours mettre en avant tes spécificités ethniques, maugréa Eladiel. Il me semble que la situation est largement plus grave. La solution à tous les problèmes ne passe pas forcément trente mètres sous terre.

— Je ne ramène rien du tout !” protesta Balwina. Elle se gratta la barbe où subsistaient encore des miettes de pain de voyage et pointa l’horizon du doigt. “Tu sais pourquoi on appelle cette forêt la Forêt Sans Retour ? Tu t’en doutes, de l’explication, ou te faut un poème, des choristes et trois joueurs de harpe ?”

Eladiel plissa son nez au profil parfait et la tristesse traversa ses yeux verts.

“Ce n’est pas la peine de ramener cette vieille histoire, murmura-t-il. C’est du passé.

— Le passé, mes fesses. Maman ne t’a jamais pardonné. Si j’y réfléchis bien, c’est probablement là que tout a commencé à dégénérer entre nous. Le jour même de notre mariage ! C’est qui qui la ramenait avec ses spécifictés ethniques ?” La naine secoua la tête. “Elle m’avait prévenue, pourtant. Pauvre maman. J’aurais dû l’écouter.

— Tu l’as si bien écoutée que tu t’es laissée convaincre qu’un elfe et une naine n’avaient rien à faire ensemble !” Eladiel avait des trémolos dans la voix.

“Et allez, c’est reparti, grogna Balwina en levant les yeux au ciel.

— Reparti ? Vraiment ? Parlons-en, de repartir. Si je t’insupporte tant, pourquoi es-tu venu me chercher ? Tu n’avais pas d’autres…” Ses lèvres bougèrent un instant sans qu’aucun son n’en sorte. “D’autres camarades de beuverie à emmener ? Vous auriez été bien, entre vous, à comparer des plans d’excavation et à aiguiser vos pelles ! Pour ce que tu m’en roulais, de toute façon !”

Eladiel ouvrit de grands yeux, choqué par son propre accès de colère. Balwina elle-même le regarda d’un air nouveau, pas tant heurtée par la formulation que par le fait qu’elle ait pu franchir les lèvres de son ex-mari.

“Tu vas pas pleurer, quand même ?” fit Balwina.

Eladiel renifla, les yeux rouges.

“Nan.”

La naine poussa un long soupir.

“Ca te ferait plaisir qu’on passe par la forêt ?”

L’elfe acquiesça, puis détourna la tête en contrôlant sa respiration pour masquer son émotion. Balwina leva les yeux au ciel et rectifia la position de sa hache sur son épaule.

“Allez. Passe devant.”

Déclencheurs : 20′ d’écriture, 

exposer des informations par le dialogue entre un elfe et un nain, 

sachant que le nain veut passer par la montagne, et l’elfe par la forêt. 

2014-07-03T09:46:39+02:00jeudi 3 juillet 2014|Expériences en temps réel|3 Commentaires

Deux-Souris l’émissaire

La foule était dense sur la place du village. Les corps massés autour de la tribune dégageaient presque une vapeur visible dans la lueur des torches et le froid de l’hiver, semblables au bestiaux vendus le dimanche au marché.

“Moi, je dis qu’il faut surtout pas bouger!” proclama une voix en colère dans l’assemblée. Dirk, le forgeron, un solide gaillard curieusement pusillanime pour quelqu’un dont le métier consistait à battre le métal. “La troupe de Jorad-n’a-qu’un-oeil n’attend qu’une chose, qu’on les provoque. Qu’ils aillent piller les voisins. On n’a rien à faire avec eux!

— Ces voisins sont vos camarades, vos amis, vos partenaires de commerce! s’écria le gamin sur la tribune. Vous voulez les laisser sans aide?”

Sa voix déjà grave démentait son allure d’enfant, sa petite taille et ses membres grêles, ses joues piquetées de taches de rousseur qui lui donnaient plus une allure de sale gosse chipant des parts de tartes que d’adolescent prêt à apprendre un métier utile pour la communauté. A supposer que quelqu’un aurait accepté de le prendre en compagnonnage; en général, Deux-Souris attirait plus d’ennuis qu’il n’était adroit.

Une rumeur méchante enfla dans la foule et le maire, qui l’avait fait monter sur la tribune avec lui, haussa le ton pour réclamer le silence.

“Quand Trou-au-canards a été attaqué l’an passé, les gars de Mojelle y sont allés, renchérit une autre voix dans la foule, féminine celle-là. Non seulement ils se sont faits massacrer, mais la troupe de N’a-qu’un-oeil a incendié toutes les maisons de Mojelle jusqu’à la dernière. C’est plus qu’un tas de cendres. J’ai perdu ma soeur et mes n’veux là-bas. Pas envie que ça nous arrive ici!”

Des murmures d’assentiment effrayés circulèrent parmi la foule.

“Et qu’est-ce qui empêche N’a-qu’un-oeil de venir ici quand même? De nous voler, de nous piller? Vous croyez qu’en restant sans rien faire, ça fera partir le problème?”

— On a au moins une chance qu’ils nous laissent tranquille!” cria quelqu’un.

Nouvelle approbation

“Et qui nous défendrait, de toute façon? rétorqua Dirk, le forgeron. Toi, Deux-Souris? On t’a fait chevalier, déjà? On a raté quelque chose?”

Des rires gras circulèrent parmi l’assemblée.

“Si on s’unit et qu’on se bat ensemble, on peut y arriver! s’indigna l’adolescent d’une voix qui montait dangereusement vers les aigus criards.

— Comme la fois où tu nous a persuadés d’aller présenter nos doléances au duc? Rappelle-nous comment ils nous a reçus, déjà?”

Les rires retombèrent – tout le monde souffrait encore du doublement des impôts dont le village avait écopé pour son insolence. La rumeur se teintait à présent d’agressivité – les villageois avaient peur, et cette peur nécessitait un exutoire – si possible le gamin roux, synonyme de problèmes avec son attrait pour l’héroïsme, sa fascination pour la chevalerie et sa tendance néfaste à se mêler de ce qui ne le regardait pas.

Le maire, Moguel, leva la main pour réclamer le silence. Il ne tarda pas à se faire; le vieux était respecté, lui. Il savait toujours régler un problème, trouver les mots qu’il fallait pour apaiser deux voisins en colère pour une histoire de clôture mal placée.

“Nous ne pouvons laisser nos camarades sans aide. Mais nous sommes dépourvus, ici. Impossible de priver le village de ses hommes. Nous ne sommes pas des guerriers.”

La foule hocha la tête avec conviction.

“Deux-Souris ira demander l’aide du duc. Seul. Ce sont ses terres après tout. A lui de convaincre.”

Exercice réalisé pendant la Masterclass 2014 des Imaginales

20 minutes d’écriture. Contrainte : écrire une scène unitaire.

Déclencheurs : Personnage = Rêveur insatiable / Motivation = Justice / Conflit = Personne ne m’écoute jamais. 

Retour sur expérience1 : Honnêtement ? Pas satisfait. La scène tient debout, mais elle est d’un classicisme consommé (le gamin mis au ban du village, qu’on imagine courageux, et qui sauvera peut-être ses camarades d’eux-mêmes, on a vu ça cent fois, et, à titre personnel, j’ai toujours eu du mal avec l’idée d’un gosse qui sauve le monde) ; j’avoue avoir manqué de temps pour réfléchir à plus original, et, à défaut de trouver une idée renversante, je me suis appliqué à essayer de faire bien une idée un peu courue. J’aime toutefois une chose dans cette scène : le thème de l’individualisme des villageois, que j’aurais envie de creuser pour parler de coopération et d’union. Si je devais insérer cette scène dans un contexte plus long, je m’assurerais de donner tout spécialement de la substance aux personnages en amont, notamment Deux-Souris, pour aller chercher là l’intérêt du lecteur et une originalité que l’histoire, telle qu’elle est partie, ne semble pas avoir.

  1. Je me dis qu’après coup, avoir le retour sur expérience de la scène réalisée sous contrainte et avec un temps limité peut être instructif afin d’insérer ces exercices dans un cadre plus vaste et potentiellement utile pour les jeunes auteurs.
2014-06-24T18:40:02+02:00mercredi 25 juin 2014|Expériences en temps réel|3 Commentaires

Un réveil difficile

Mes pensées sont remontées à la surface de ma conscience comme une sangsue affleurant dans un marais. Exactement pareilles : aussi poisseuses, aussi puantes. J’avais l’impression qu’un troupeau d’antirochs m’était passé dessus. Et je ne savais pas où j’étais, mais j’ai dû respirer par la bouche jusqu’à maîtriser mon estomac qui essayait de rendre un petit-déjeuner imaginaire. Ça sentait comme les abattoirs de Lochmeria en été – quand le soleil fait cuire la viande juste à souhait pour le goût des mouches. Mon dernier repas, lui, il remontait à mes derniers instants de conscience. Mais qui pouvait savoir combien de temps il s’était écoulé depuis l’embuscade ?

J’ai ouvert les yeux.

Le noir.

J’ai cillé, pourtant. Cligné des yeux comme une poule stupide jusqu’à ce que, par une quelconque magie, le monde s’éclaire autour de moi. Mais je savais trop bien ce que ça signifiait, et cette compréhension m’est redescendue dans les tripes aussi vite que ma sangsue effrayée par un varan.

Je me suis levé et mes pieds ont dérangé un tas de paille humide contre mes tibias nus. Je portais toujours ma jupe de gladiateur. Que s’était-il passé, après les combats… ? Nous avions fêté nos victoires, et puis… plus rien. En un pas, j’ai atteint le mur. La pièce n’était pas grande. La pierre suintante était tiède. J’ai continué, longé les angles – deux pas de largeur, deux pas de longueur – jusqu’à atteindre de solides barreaux d’acier.

Aucun cachot n’est tiède. Pas ceux que je connais, en tout cas.

Seuls les mages enferment leurs prisonniers dans leurs tours, là où il fait plus chaud qu’au fond de la terre. Et seuls les mages noirs maîtrisent la drogue d’Ellebia, qui rend aveugle sa victime pour une durée indéterminée.

Seuls les mages noirs torturent, puis oublient leurs victimes dans leurs cellules.

J’étais dans un sacré pétrin. Je n’allais probablement jamais revoir la lumière du jour – de façon très littérale. Et le seul truc auquel je pouvais penser, c’était ce grand jour, justement. J’imaginais un couloir percé de fenêtres donnant sur la ville, laissant entrer le joyeux soleil de la province. Et j’ai nourri une rage immense contre celui qui me privait de lumière.

Consigne : 20′ d’écriture, décrire une pièce les yeux bandés (exercice donné aux stagiaires de la Masterclass Imaginales 2014)

2014-06-13T01:10:30+02:00mardi 17 juin 2014|Expériences en temps réel|3 Commentaires

C’est pas facile tous les jours

La princesse Eucalyptus soupirait à la fenêtre, les yeux sur le ciel gris, le menton sur la main, le coude sur le rebord et un gros soupir dans la voix.

“Je m’ennuie !”

Esquimaude, sa dame de compagnie, leva la tête de la broderie qu’elle piquait patiemment sur ses genoux. Elle représentait un motif abstrait qui ressemblait, selon l’angle, soit à un panier de fraises écrasées, soit au dessin des ruines d’un château incendié exécuté par un enfant particulièrement psychopathe et particulièrement peu doué. Dame Eucalyptus, elle, cherchait simplement à représenter le verger du palais, un timide bosquet d’arbres battu par le vent qui soufflait des plaines désolées entourant la solide bâtisse, où personne ne passait jamais. Mais elle avait toujours éprouvé des difficultés avec les lois de la perspective.

“Venez broder, princesse, dit Esquimaude d’un ton éminemment raisonnable.

— C’est justement parce que je brode que je m’ennuie.

— Vous avez arrêté de broder il y a un quart d’heure, princesse.

— Parce que je m’ennuyais encore plus ! Il se passe jamais rien dans ce château. Rien.” Elle libéra encore un soupir vers le ciel nuageux et morne et se tourna vers sa dame de compagnie. “Toutes les princesses de mon âge ont déjà vécu des tas d’aventures. Frénégonde m’a raconté que son père, le roi Durand, avait organisé un tournoi pour sa main. Un tournoi, tu te rends compte ? Des beaux chevaliers en armure argentée sont venus de tous les coins du pays pour se disputer son honneur. Ils se sont entretués pour elle, Esquimaude !” La princesse Eucalyptus battit des cils, rêveuse, le regard lointain. “L’un d’eux est venu vers elle, couvert des entrailles de ses concurrents et de son propre sang. Il a eu le temps de lui prononcer son amour éternel avant de s’effondrer, terrassé. Son dernier adversaire lui avait sectionné l’artère fémorale .

— Un amour éternel déclaré dans ces conditions ne représente guère un engagement d’envergure, princesse », dit Esquimaude d’un ton égal avant de se remettre à piquer.

Eucalyptus souffla. “Il faut toujours que tu retires le charme à tout ce qui se passe d’excitant. Regarde, tiens, la princesse Séquoia. Elle voulait à tout prix trouver un prince charmant. Alors, elle a demandé à ses gens de ratisser les marais pour lui rapporter tous les crapauds. Elle les a pris un à un, leur a sommé de se transformer en beau jeune homme après les avoir embrassés, sinon, elle les balançait au feu », déclara-t-elle d’un ton obstiné.

Esquimaude réfréna un soupir. Elle avait déjà entendu ces histoires cent fois, mais elle savait qu’il fallait jouer le jeu quand Eucalyptus partait dans ses rêveries sanguinaires. “Et a-t-elle trouvé un prince, ma princesse ?

— Non, répliqua la jeune femme. Mais ils dorment beaucoup mieux la nuit sans tous les coassements de ces affreux batraciens.”

La porte s’ouvrit tout à coup et dame Cravache, la reine mère, entra dans la pièce. Elle était engoncée dans une robe crème si serrée autour de sa silhouette efflanquée qu’elle donnait même l’impression de lisser ses rides. Non pas qu’elle en ait beaucoup ; dame Cravache avait toujours observé dans sa vie le principe de ne jamais sourire.

“Eucalyptus, change-toi, ordonna la reine d’une voix aussi aride que le veut qui soulevait la poussière autour du château. C’est l’heure du cours de maintien.

— Mais nan ! rétorqua la jeune femme. Ça sert à rien, c’est nul, jamais ça va me servir à trouver un prince. Quand il me verra, il tombera amoureux de moi au premier regard, on partira sur son cheval blanc, et il m’aimera comme je suis. Je refuse.

— Tu refuses ?”

Eucalpytus fut surprise de la facilité de cette victoire. “Je… Je refuse !”

Dame Cravache soupira puis tourna les talons sans rien dire. Elle sortit de la chambre en fermant doucement derrière elle et en levant les yeux au ciel. Dans le grand couloir, les portraits des illustres prédécesseurs de sa dynastie semblaient poser sur elle un regard désapprobateur.

“Je n’y arriverai pas. Trop superficielle. Sa réputation est connue à travers tous les royaumes voisins. Personne n’en veut. Personne ne veut mourir pour une fille aussi stupide. Je voudrais juste qu’elle s’en aille. Et il ne viendra peut-être jamais personne.”

Contrainte : Écrire un texte qui se termine par la phrase “Et il ne viendra peut-être jamais personne ». Temps : 30 minutes.

2011-06-23T12:15:29+02:00mercredi 22 juin 2011|Expériences en temps réel|7 Commentaires

J’entendions point

Le marché emplissait l’air d’une rumeur entêtante et de parfums qui l’étaient encore plus. Une bonne dizaine de routes commerciales interstellaires convergeaient vers Epsilon Eridani IV mais, la planète ayant été depuis longtemps inscrite au patrimoine universel de l’UNESCO, l’esplanade conservait l’aspect traditionnel d’étals et de tentes derrière lesquels des formes de vie venues de tout le secteur proposaient des denrées plus rares et coûteuses que vraiment utiles. Cependant, Alex avait entendu dire que, dans les rues parallèles, si l’on n’était pas trop regardant sur la qualité ni sur le prix, l’on pouvait obtenir des marchandises plus utiles. Des marchandises dont il avait désespérément besoin.

Il se faufila dans la foule du souk officieux, mais toléré par les autorités. Il déambulait d’un air légèrement hautain entre des étals crasseux, ignorant les appels de vieillards humains comme extraterrestres qui braillaient leurs annonces dans des langues dont il ne comprenait pas la moitié, quand il repéra, dépassant d’un drap, la tubulure caractéristique d’un générateur auxiliaire. Auxiliaire de quoi, il n’en savait rien ; Alex savait monter les pièces, pas les réparer, et c’était bien tout le problème. S’il n’arrivait pas à redécoller avant deux jours, sa cargaison de choucroute de contrebande allait se perdre et il lui faudrait rendre des comptes à des commanditaires à qui il était toujours préférable de parler le moins possible. Il allait ouvrir la bouche, quand il se ravisa en fixant le marchand.

C’était un terrestre, un humain entre deux âges au crâne rasé et au visage singulièrement exempt d’implants cybernétiques ; – et pour cause. Les fils scellant sa bouche, les moignons de ses oreilles et sa tunique cramoisie le désignaient comme un adepte de l’ordre puriste du silence intérieur. Le type n’entendrait rien et ne pourrait rien dire.

Eh merde, jura intérieurement Alex. Ça va être compliqué de négocier.

Il prit une inspiration et désigna le générateur. L’autre le fixa, immobile.

Il veut me laisser faire tout le boulot, en plus ? Les puristes du silence intérieur formaient les meileurs commerçants de la galaxie, pour la simple raison qu’il était singulièrement difficile de marchander avec eux. Alex pensa prendre sa tablette pour écrire un prix, mais en vain, les puristes ne savaient pas lire non plus.

Par contre, ils savaient compter.

Le capitaine écarta les deux paumes, figurant le nombre dix, puis refit le geste, une deuxième fois, une troisième, jusqu’à faire comprendre “soixante-quinze” à son interlocuteur. Soixante-quinze mille ducats. C’était une offre honnête pour un générateur de seconde main.

L’adepte pencha la tête sur le côté, un mouvement infime, mais clairement insulté – ou peut-être moqueur. Pour vanter la qualité de la pièce, il ne daigna pas même faire preuve d’éloquence. Il désigna l’engin de l’index, puis dressa le pouce à la verticale. Voyant Alex hausser un sourcils dubitatif, il s’efforça de sourire – un tour de force toujours difficile pour les puristes du silence intérieur, avec leurs lèvres scellées.

Bon, voilà, maintenant, on commence à discuter, songea Alex. Ses vieux réflexes de routard spatial prirent le dessus ; il se composa une expression vaguement dégoûtée, comme s’il éprouvait un mépris qu’il cherchait à dissimuler. Il regarda le générateur, tendit la main à l’horizontale et la fit pencher de droite et de gauche. Puis il haussa les épaules et fit mine d’être prêt à partir.

Le marchand entra dans le jeu ; il s’efforça d’élargir son sourire scellé – un spectacle dont Alex ne savait pas s’il lui inspirait de la pitié ou de la répulsion – et écarta la tenture du fond de sa boutique. Là, un second générateur, du même modèle, alimentait l’éclairage de la petite cahute, ainsi, nota Alex en suivant les câbles, qu’une cafetière. Alex haussa les sourcils, incrédule, sans avoir besoin de jouer la comédie, cette fois. Il secoua catégoriquement la tête, désigna le générateur puis leva la main d’un geste décidé tout en soufflant dans ses joues pour représenter le bruit caractéristique d’un saut en hyperespace. L’autre n’entendrait pas, mais il comprendrait peut-être. J’alimente pas une cafetière et des ampoules. C’est un vaisseau entier que je veux faire marcher avec ton truc, mec.

Alex comprit aussitôt à l’expression du commerçant qu’il aurait arrondi la bouche en signe de regret s’il avait pu. Il refit la pantomime d’Alex pour désigner le vaisseau, puis montra la pièce et fit un signe négatif de l’index. Le capitaine haussa les épaules, puis s’en alla, mais l’adepte lui attrapa la manche. Il fit un geste vague désignant le bas de la rue, puis montra le générateur.

“D’accord, mon pote », fit Alex, dubitatif, en se détournant et en hochant la tête.

L’autre lui tira la manche une nouvelle fois et fit un signe universel, frottant le pouce et l’index et dévisageant le capitaine avec insistance.

Un bakchich pour la recommandation à son collègue. Alex grogna, tira une pièce de cent ducats et la posa dans la paume de l’adepte. Tous les marchés, toutes les coutumes, même dans les coins les plus éloignés de la galaxie, étaient décidément les mêmes.

(Contrainte : un dialogue entre deux muets. Temps : 30 minutes.)

2011-06-15T14:30:41+02:00mercredi 15 juin 2011|Expériences en temps réel|12 Commentaires

Il y a quelqu’un

Sa première sensation fut celle d’un courant d’air – un souffle frais, vaguement nauséabond, quoique Paul ne parvenait pas à identifier pour quelle raison l’odeur le dérangeait. Nauséabond était le premier adjectif qui lui était venu à l’esprit, mais ce n’était pas exactement juste. Il se redressa sur le sol dur, sa paume calleuse posée sur des croisillons glacés – métalliques. Il tourna la tête. L’odeur était à la fois organique et âcre. Cela lui rappelait les vidanges sauvages du pick-up qu’il faisait en pleine forêt, avant… l’accident. C’était cela. Huile de moteur sur humus. Mais le sol était trop dur pour des sous-bois, et le courant d’air était continu, trop constant pour du vent. Où était-il, bon sang ?

“Il y a quelqu’un ?” Les mots avaient franchi ses lèvres avant qu’il n’ait réfléchi à la sagesse d’attirer l’attention. Il ne savait pas où il se trouvait. Seul ? Observé ? Ses souvenirs de la veille étaient flous. Où étaient-ils allés, après l’Oak’s Pub ? Vanessa avait proposé de le ramener. Ils avaient fêté l’acceptation de son dossier avec la bande, en vue de l’opération qui lui restaurerait la vision. Et après… Une migraine lui fusilla les tempes quand il voulut se rappeler ce qu’il avait fait après et il eut subitement envie de vomir. Il se plia en deux, laissant échapper un hoquet – respira lentement, éloigna ses pensées de la soirée de la veille, se concentra sur le courant d’air étranger qui rafraîchit brusquement la sueur sur son front.

Le malaise passa. Il décida de tenter un nouvel appel.

“Il y a quelqu’un ?”

Il tâta le sol autour de lui, cherchant sa canne. Rien. Il se leva, la tête légère.

On raconte que la cécité affine les autres sens, mais elle aiguise aussi, notamment et de façon curieuse, la perception de l’espace. Avant même d’avoir atteint les murs légèrement vibrants et tièdes du réduit où il se trouvait, Paul avait compris qu’il n’était pas dans une forêt. Aucune forêt ne semblait osciller lentement sur elle-même – un mouvement infime qu’il n’avait pu percevoir que debout.

Contrainte : « Un aveugle se réveille dans un lieu inconnu ». Temps : 10 minutes.

2011-06-09T11:43:26+02:00jeudi 9 juin 2011|Expériences en temps réel|8 Commentaires

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