Rasade d’humanité dans un monde surréaliste (L.V – VI)

Livre V

Que Votre Honneur daigne excuser l’inconstance dont je fais preuve; je sais qu’il s’interroge depuis des mois sur la conclusion étrange de ces péripéties anodines. Ou bien, pire encore, qu’il a abandonné, de dépit, le tortueux cheminement de ces divagations. Mais avant de me condamner ainsi que ma modeste entreprise, je l’implore de m’accorder encore une parcelle de confiance. En vérité, craindrais-je d’affaiblir mon propos par la dilution dont il fait l’objet? Ou bien, renforcé par le creuset de la réflexion, par la lente maturation au sein de l’athanor mental, s’en trouve-t-il purifié, affermi, plus éclatant? Que votre Honneur daigne pardonner cette faiblesse orgueilleuse, mais je le crois. La lenteur avec laquelle ces réflexions se trouvent livrées les aiguise comme un cimeterre sarrasin et la salutaire sagesse que m’accorde le Temps leur octroie, au-delà du filtre narratif, le lustre du recul.

Car le Seigneur, dans son infinie miséricorde, a certes donné à mon âme la patience et la tolérance, mais l’état d’irritation que m’avait laissé l’nspection des lieux que je quittais se perpétuait en moi comme une oppression pulmonaire, une forme de consomption mentale dont la gravité n’avait d’égale que mon impuissance à y répondre. Ô, tristes victimes des injustices! Qu’ai-je en cet instant compris votre malheur! Mais, loin du regard furieux que j’adressais au mastic jauni et durci du joint de baignoire, aveugle pomme de discorde entre la bohême du locataire et la machinerie aveugle de l’agence, réification d’un conflit moderne, je ne me doutais point que les Parques, dans leur malice, tresseraient de nouveau les trames de nos Vies et de nos Existences d’une bien surprenante façon.

Livre VI

Car, Madame, à peine décolérais-je, le lendemain matin, non sans fourbir les armes modernes du guerrier – ô, sainte Trinité! Code des Usages, Coordonnées du Tribunal, Recommandé avec Avis de Réception! – que je recevais une extraordinaire communication téléphonique. C’était, Madame, la représentante de la machinerie de l’agence; celle-là même qui, la veille, se faisait l’essence de la réprobation, la gardienne des convenances, avatar d’une divinité vengeresse aux yeux bandés aussi ancienne que la méchanceté et la désinvolture.

« Monsieur, me dit-elle d’un ton enjoué qui me prit aussitôt au dépourvu, je vous rappelle afin de bien me faire confirmer votre identité. Êtes-vous bien Lionel D., qui avez résilié votre bail il y a de cela trois mois?

— Fi donc, Madame, vous vîntes la veille même; fouillez votre mémoire. Si les agneaux du Seigneur peinent tant à trouver un toit pour abriter leur fratrie en ces temps funestes, tant que notre Sauveur lui-même, s’il était de retour, n’aurait probablement d’autre choix que de promettre quelque grâce éternelle aux Offices du Logement afin de ne pas souffrir de pneumonie, je ne saurais croire à une telle activité de la part de votre corporation qu’elle vous fasse oublier notre entrevue. »

À ce stade, je dois l’avouer – qu’on me pardonne! -, la méfiance présidait à mon attitude. De quel autre forfait allait-on m’accuser? Eussé-je dû changer les vitres ou bien les ampoules, par une quelconque et fort ésotérique mesure de précaution édictée en loi?

Diantre, que me harcelait-on encore?

2011-02-02T13:25:43+01:00mardi 8 juillet 2008|Expériences en temps réel|Commentaires fermés sur Rasade d’humanité dans un monde surréaliste (L.V – VI)

Rasade d’humanité dans un monde surréaliste (L.I – II)

En clin d’oeil à la talentueuse alchimiste LS, je dirai simplement en introduction:
The manner of this post (and those that will follow) is a very, very humble tribute to Sterne and his Tristram Shandy.

“Les mots sont comme les glands… Chacun d’eux ne donne pas un chêne, mais si vous en plantez un nombre suffisant, vous obtiendrez sûrement un chêne tôt ou tard.”
– William Faulkner

Livre I

Dans une entrée précédente, je révélais au monde ébahi un fragment de ma correspondance privée – non pas quelque aventure croustillante aux frontières de la déviance et m’affirmant par le scandale – mais, plus prosaïquement, ma lettre de résiliation à mon agence immobilière. On fait les scandales que l’on peut.

L’histoire de cette missive lancée dans l’éther et pour laquelle je ne m’attendais pas à recevoir de réaction a connu ce matin un rebondissement fort amusant et sur lequel, j’en suis sûr, il y a un sens plus profond à élucider. Mais, si vous le voulez bien, un peu de contexte d’abord.

Il me faut tout d’abord avouer que je n’ai pas envoyé cette lettre de façon purement gratuite; j’agissais un peu par réaction. Le ton légèrement polisson et ampoulé du courrier était une réponse codée aux méthodes de ladite agence dans le traitement de ses locataires. Ayant eu affaire aux intéressés du côté du locataire – traîne-savates, fauché, le jean troué, l’oeil vitreux, l’élocution traînante – et du propriétaire – bourgeois, aisé, prévoyant, l’investissement sain, la chemise repassée, la carte de visite immaculée – je n’ai pu m’empêcher de noter une certaine différence de traitement selon le rôle.

Je dois derecher convenir – et même reconnaître – que, parfois, j’accorde peut-être une importance démesurée au plus infime détail – mais le diable est dans les détails, dit-on, et, si j’aime autant le diable, c’est parce qu’il est révélateur. L’agence en question, donc, place plus que jamais le locataire dans la peau du fautif a priori, quémandeur d’un logement où vivre son insignfiante existence – qu’il fasse preuve de gratitude si on le lui octroie et qu’il n’oublie pas, avec le virement bancaire, d’adresser un e-mail de
remerciements et une boîte de chocolats à la nouvelle année.

Non, bien sûr.
J’exagère.

Livre II

Je suis, je pense, un gentil garçon, qui paie son loyer à l’heure, qui évite de faire du bruit le soir après 22h, qui dit bonjour à la dame (et au chien) dans l’ascenseur, qui fournit toutes les attestations qu’on lui demande, etc. Revers de la médaille: si je me sens soupçonné à tort, je deviens très vite très con, surtout dans le cas d’exigences léonines. Et l’agence enchaîne lesdites, probablement par excès de prudence, dans des courriers-types dont les formules sont d’une séchresse exemplaire. Cher locataire, “vous voudrez bien faire… ” (En fait, là, j’ai pas envie.) Cher propriétaire, “nous vous remercions de bien vouloir trouver…” (Ah, mais c’est très aimable, merci à vous.)

Ma lettre d’origine, je l’avoue, s’amusait donc toute seule de ces tournures, aparté entre moi-même et vous, lecteurs de ces futiles et stupides expériences, tout en clôturant le dossier d’un implicite et joyeux “tout cela n’importe guère, somme toute”. Et, en effet, je recevais, trois jours plus tard, d’un air tout aussi guilleret, une autre lettre circulaire de leur part où l’on exigeait cette fois, lors de l’état des lieux, la remise d’un duplicata de la facture de location de la shampouineuse à moquette. Je suppose que c’est pour le locataire indélicat et surpris dans sa saleté une manière de se dédouaner: “je sais, les sols sont immondes, mais regardez, j’ai quand même loué une shampouineuse”. Que leur prévenance en soit remerciée! La shampouineuse comme mot des parents. Et, autrement, j’imagine que constater la propreté leur serait insuffisante; il leur en faut connaître le moyen d’action, car, il est vrai, comment s’assurer autrement que nul esclavage, nulle servitude, nulle action contre nature ou contre l’environnement, nulle déviance, nulle atteinte aux bonnes moeurs ne sont intervenus dans le nettoyage des sols? La shampouineuse comme caution morale!

2011-02-02T13:22:03+01:00mardi 12 février 2008|Expériences en temps réel|Commentaires fermés sur Rasade d’humanité dans un monde surréaliste (L.I – II)

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