En ligne : battle de l’Ouest Hurlant Tolkien Vs. Game of Thrones

Qu’il est bon d’être méchant ! Graou. Au printemps dernier, l’organisation du festival l’Ouest Hurlant avait inauguré un format de battles, et dans celle-ci, j’ai eu la maléfique et réjouissante tâche de porter haut les couleurs de Game of Thrones contre les elfes lisses et les montagnes carrées de Tolkien (quoi ?) représentés par mon amie et néanmoins ennemie (ou l’inverse) Morgan of Glencoe. Bravo à Bolchegeek d’avoir maintenu un peu de bonne foi là-dedans, et à Betty Piccioli d’avoir modéré ce débat houleux mais où l’on s’est bien marré, le public aussi je crois, et maintenant vous j’espère.

Écoutable directement sur le podcast de l’Ouest Hurlant (où les tables rondes de cette année vont commencer à être diffusées) ou bien ci-dessous, si vous êtes du genre à écouter encore de l’audio dans un navigateur de bureau en 2023. Pardon, ma mauvaise foi a dérapé.

2023-11-28T06:22:26+01:00mardi 28 novembre 2023|Entretiens|2 Commentaires

Certaines questions d’écriture sont des solos de guitare

En lien avec l’article de la semaine dernière sur la construction des opinions personnelles avant la consultation d’autrui, une observation sur des questions d’écriture en particulier, artistiques en général, que je vois souvent circuler en ligne. Elles se formulent à peu près toutes de la même manière :

Comment puis-je faire x dans mon histoire ? Quelle technique pour accomplir y ? Vous pensez quoi de faire z ?

Ce n’est pas parce qu’on est en écriture et que l’approche technique a (heureusement) traversé l’Atlantique depuis les États-Unis que l’écriture est devenue une science ; qu’il existe une bonne réponse, un code (ou une poignée) garantissant le succès dans l’exécution. Ça serait trop simple. Je dirais même, au contraire, que chercher cela est prendre le problème à l’envers. Cela revient à demander :

Comment puis-je faire un solo de guitare qui déchire ?

Ben, au-delà de te muscler les doigts, faire des gammes et comprendre l’harmonie, la réponse devient très vite éminemment subjective, tant pour toi que le public, et donc, elle ne peut connaître de réponse objective. En chercher une, je le crains, est même une manière assez sûre de tuer la vie et le naturel d’un projet.

D’accord, mais quand même, comment accomplir un effet donné dans une histoire ? Alors, on peut parler de pistes, bien entendu, on peut étudier des approches, partager son expérience. Mais il est fondamental de se rappeler qu’elles sont une voie parmi une infinité, juste un point de départ pour l’exploration. Trouver la manière d’accomplir quelque chose dans une histoire est nécessairement consubstantiel des événements, des personnages, du stade de l’histoire, et surtout, surtout, de la sensibilité et des intentions de l’auteur ou autrice. De la même façon qu’un solo de guitare émerge de sa chanson, et la nourrit en retour. Au bout du compte, c’est indissociable. Et surtout, ça ne connaîtra jamais de réponse absolue.

La question est légitime. Mais pour y répondre, je crois qu’il faut partir avant tout de son projet, de son envie personnelle, et de creuser en soi la manière dont on veut procéder dans cette instance précise. Car c’est de la création : une réponse ne servira qu’une fois telle quelle dans un contexte donné. Oui, les leçons acquises à cette occasion viendront nourrir les projets suivants, la clairvoyance, de manière à cerner peut-être un peu plus vite ce qui fonctionne ou pas ; mais à nouveau projet, nouvelles réponses, nouvelles exécutions subtilement ou très différentes.

Je sais, c’est pas pratique. Mais en fait, si on se laisse le loisir d’explorer et de se faire plaisir, c’est plutôt cool ! Comme dit le proverbe, on ne se baigne pas deux fois dans le même solo de guitare (ou un truc du genre). Vos réponses, votre personnalité, votre humeur à un moment (et même les difficultés qui peuvent être reliées à l’exécution d’un passage) sont mille fois plus intéressantes que tous les modes d’emploi du monde.

Veuillez ne pas en prendre ombrage, mais dorénavant, je crois que j’appellerai cela des “questions solo de guitare” avec cet article comme point de départ à la conversation – parce que ce genre d’interrogation sur l’approche revient assez souvent.

2022-08-28T08:17:48+02:00lundi 29 août 2022|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

Les concerts-lectures des Deep Ones aux Imaginales en vidéo ! (extraits)

Illus. Jerom

Pour mémoire, les Deep Ones, c’est ce collectif étrange et térébrant mêlant musique improvisée et lectures de textes par les auteurs eux-mêmes, à moins que ce ne soit l’inverse. Fondé en 2012 (si ma mémoire est bonne) à l’initiative de l’excellent Ghislain Morel (dit Mortel dans les milieux autorisés), il s’est récemment produit aux Imaginales 2018, avec mon humble poire. Une super soirée pour nous, avec un public au taquet (merci !) et, pour vous permettre de découvrir l’ambiance et quelques lectures habitées, les Deep Ones ont maintenant leur chaîne YouTube ! Youhou ! (Tube) C’est là.

Voici les extraits des Imaginales, featuring Nathalie Dau avec l’épée sorcière :

Sylvie Miller avec un extrait de Satinka, son dernier roman :

Stefan Platteau nous introduit aux Chants primordiaux des étoiles :

Et pour ma part, un extrait de La Messagère du Ciel :

2018-06-26T08:54:50+02:00mercredi 20 juin 2018|Actu|1 Commentaire

« Le mois de » chez Book en Stock (4) : symbolisme, improvisation, méditation…

Le quatrième volet de ce “Mois de” est en ligne chez Book en Stock ! Pour mémoire, il s’agit d’un mois entier de discussion à bâtons rompus sur les livres, l’écriture, et n’importe quoi d’autre, et tout le monde peut intervenir et participer (il suffit de poser sa ou ses questions en commentaires).

Dans ce quatrième volet, on parle de

  • Symbolisme
  • Théâtre d’improvisation (et son lien avec l’écriture)
  • Orques (et du vieux film Orca)
  • Méditation
  • Oum le dauphin…

C’est à cette adresse, et n’hésitez pas à rejoindre la discussion ! Ce “Mois de” se termine dans quelques jours…

2017-06-22T22:49:15+02:00mercredi 28 juin 2017|Entretiens|Commentaires fermés sur « Le mois de » chez Book en Stock (4) : symbolisme, improvisation, méditation…

Six conseils de survie pour une lecture publique

Voilà une bonne question arrivée en ce joli matin de mai (ouais, on n’est pas en mai, mais les matins de février sont moins jolis, ne serait-ce que parce qu’on n’y voit rien dehors, il fait nuit, duh), et comme le sujet est fort intéressant et rarement évoqué, il vaut une tentative d’article :

Avez-vous une quelconque expérience [de la lecture publique de textes] et si oui, auriez-vous des conseils à partager à un jeune auteur qui n’a jamais lu publiquement ?

Je dis tentative car il est, très honnêtement, difficile de proposer des techniques éprouvées ou miraculeuses pour ce genre d’occurrence. Faire figure convenable lors d’une apparition publique (table ronde, entretien, lecture publique etc.) repose hélas grandement sur l’expérience acquise (parfois dans la douleur) au fil des ans, et du lâcher-prise qui les accompagne souvent. Cependant, j’ai fait de l’improvisation théâtrale pendant plus de quinze ans, et peut-être y a-t-il quelques voisinages et leçons à tirer de cette discipline ; et il y a surtout les lectures avec les Deep Ones, où nous sommes plusieurs à lire nos textes, ou ceux d’autres, sur fond de musique semi-improvisée (à moins que ce ne soit l’inverse).

Et puis j’ai été finaliste du concours d’éloquence de mon lycée, et si ça c’est pas un truc à inscrire en lettres de feu sur un dossier de candidature à une grande école de commerce, hein ?

Ahem.

Que dire, donc, dans le cas présent ?

C’est du théâtre. Dans une lecture publique comme dans un café littéraire, les gens viennent voir un truc dans l’espoir qu’il ne les endorme pas. Et donc, les meilleurs enseignements à tirer pour être vivant et intéressant se trouvent du côté des arts scéniques, pas de celui de la littérature. Je disais que j’ai fait de l’impro pendant quinze ans : c’était en partie pour me sortir de ma timidité maladive et de mon introversion chronique. Ça n’a pas tout réglé (sinon ça ne serait pas maladif et chronique) mais ça m’a suffisamment équipé pour ne pas me réduire à l’état de petit cube de gelée tremblotante (à la groseille) dès qu’on me demande mon avis devant plus de trois personnes et même pour apprécier l’exercice et m’y sentir raisonnablement à l’aise. Je ne saurais que trop recommander de prendre le taureau par les cornes et de faire quelques séances d’impro ou de théâtre pour débroussailler le terrain.

L’étape suivante est :

Trouvez votre style. Comme dans tout, la technique est un appui, une fondation pour construire : ce qui compte, c’est qu’elle permette ensuite de laisser transparaître la vérité, la volonté, l’identité de la personne. Je pense qu’il est intéressant de réfléchir à ce que l’on veut réellement faire paraître, transmettre, être dans ce genre d’apparition. Et pour cela, un bon guide reste toujours : qu’est-ce que je veux trouver, moi, dans ce genre de manifestation ? Qui m’a ennuyé, amusé, intéressé, et pourquoi ? Comment puis-je faire coïncider ce que j’aime trouver chez les autres à ce que je peux, veux fournir de moi-même ? C’est de cette rencontre entre les aspirations et la sincérité que naît le style personnel, il me semble.

Tout ça c’est bien beau, mais de manière pratique, on fait comment ? Alors :

Vous allez avoir la trouille. C’est normal. Une apparition publique est une forme de mise en danger, surtout pour les introvertis. Mais c’est parfaitement dans l’ordre des choses. Et même, dites-vous que c’est bon signe : la trouille signifie que vous êtes attaché.e à vouloir bien faire. En improvisation, on a tendance à dire qu’il faut avoir le trac, car c’est là qu’on sort de sa zone de confort et donc qu’on peut puiser de belles choses dans sa vérité personnelle. Considérez la trouille comme une alliée et comme un aiguillon, justement, pour donner le meilleur de vous-même.

Mais ça n’a pas d’importance. Ça semble contradictoire avec ce qui précède, mais seulement en surface, parce que l’expérience prouve que, quand la trouille est là, rien ne l’atténue, de toute manière. Le cœur du sujet est : les gens sont globalement bienveillants. On peut parier qu’aucun des spectateurs n’auraient envie de se plier eux-mêmes à l’exercice parce qu’ils seraient aussi terrorisés que vous, donc ils tendent à être gentils, globalement, et à comprendre que ce soit difficile, impressionnant, etc. Dans ce cadre, si l’on se plante, si l’on hésite, il vaut mieux être très honnête et l’assumer, expliquer la difficulté du truc, que de faire semblant que tout va bien, qu’on a fait ça toute sa vie, parce qu’on passe alors pour un gros mauvais. Quand Adele (pas une débutante sur scène) se plante en live aux Grammy Awards lors de son hommage à George Michael, s’excuse et demande à recommencer, la salle l’applaudit et les réactions sur Twitter ont été très chaleureuses.

Nan, mais des conseils pratiques on a dit. Okay :

Ralentissez… Plus que ça. D’accord, s’il y a un conseil à donner pour une lecture publique, c’est celui-là. On lit tous déjà trop vite, et avec le trac, on accélère encore. Lors des lectures avec les Deep Ones, on s’est tous disciplinés mutuellement pour ralentir, d’un facteur deux ou trois, notre vitesse de lecture personnelle. Il faut que ça respire, que les textes puissent prendre le temps d’être assimilés, vécus. Ralentissez, drastiquement. Et pensez aux silences, aux respirations, à les installer dans la durée ; il ne s’agit pas simplement de reprendre son souffle, mais d’installer une atmosphère, du suspense, une forme de tension à résoudre ; un silence, c’est une question posée au public et dont il attend la réponse.

Exagérez… Plus que ça. Lecture jouée, lecture simplement vécue, lecture neutre ? Il y a bien des façons de lire publiquement un texte, du quasi-théâtre à la simple chaleur. Il y a bien des écoles de pensée, mais pas de bonne ou mauvaise manière ; pour ma part, je m’adapte à ce qui me semble le plus intéressant pour le texte en question. Quels que soient les effets choisis, en revanche, la règle du théâtre est la suivante : pour qu’une intention passe, il faut l’exagérer jusqu’au point où l’on pense que c’est trop poussé, puis aller un cran plus loin. (Un cran plus loin dans la colère, dans la surprise, mais aussi dans la discrétion, la stupeur etc.) Ceci vise à contrecarrer deux effets : d’une, le trac tend à émousser le jeu d’acteur (donc il faut contrebalancer) ; de deux, rester dans sa zone de confort tend à faire jouer “faux”, donc, en poussant le truc, on cherche à se surprendre soi-même et à retrouver, là encore, la vérité. Ainsi, un silence doit paraître trop long au lecteur, mais c’est là qu’il crée de la respiration, de la tension, de l’effet.

Il y aurait encore bien des choses à dire sur l’usage du regard, la sémantique de la position du corps, mille choses auxquelles on peut penser au fur et à mesure qu’on s’acclimate à l’exercice (et auxquelles, dans le chaos intérieur du moment, on oublie souvent de penser, moi le premier), mais mille choses font un peu trop pour une première fois, et un premier article sur le sujet. Bonne chance, donc, et quoi qu’il arrive, rappelez-vous qu’on est généralement toujours meilleur que l’impression qu’on en a, donc pas (trop) d’angoisse – c’est-à-dire, juste ce qu’il faut !

2019-06-04T20:29:43+02:00lundi 20 février 2017|Best Of, Technique d'écriture|5 Commentaires

Worldcon: jour 3

La nuit devait être de courte durée car je tenais absolument à venir au business meeting de la convention. Ces réunions, auxquelles tout participant de la Worldcon peut assister et où il peut voter, décident de l’avenir d’un certain nombre de projets de la science-fiction américaine, dont le lieu des conventions suivantes et la forme des prix Hugo.

None shall pass.

None shall pass.

C’était pour cette raison que je souhaitais particulièrement assister à la réunion du matin. Cheryl Morgan a alerté l’opinion sur le projet de suppression de la catégorie semi prozine, réduisant les revues aux fanzines et aux revues professionnelles, sans moyen terme. Exit donc la reconnaissance de Locus ou de Clarkesworld.

La forme même de la réunion est assez impressionnante, avec une discipline ferme quant au temps de parole, à l’organisation des débats et aux propositions d’amendement, façon parlement, mais avec des geeks pour la plupart quinquagénaires proclamant sur leur T-shirt leur amour de Doctor Who et s’esclaffant à la moindre private joke. De quoi être encore plus consterné par notre Assemblée nationale.

La proposition d’abolition de la catégorie a été rejetée par environ deux voix contre une. Les défenseurs de la motion ont expliqué leurs raisons : mal définie et mal cernée, la catégorie nécessite une refonte entière, et comment mieux procéder qu’en la supprimant ?

Mouais.

(suite…)

2010-02-01T18:26:53+01:00dimanche 9 août 2009|Le monde du livre|Commentaires fermés sur Worldcon: jour 3

Pirouette, cacahuète (phone freaks vol.3)

La semaine passée fut fort productive : on ne m’a pas appelé une fois pour me vendre des trucs improbables, mais deux. Enfin, productive du point de vue absurdités et perte de temps, moins de celui des feuillets engrangés. Mais je ne suis pas homme à me soustraire à mon devoir: que tous les démarcheurs téléphoniques voyant un jour mon numéro apparaître sur leur fichier maudit cochent un jour la petite case excentrée, celle qu’ils réservent aux cas les plus difficiles et insolubles, celle qui porte la mention « cinglé ».

Car, oui, j’ai bien essayé de m’inscrire en liste rouge, de demander à ce qu’on me retire des fichiers, de menacer de plaintes à la CNIL, en vain. J’ai découvert qu’il n’existe qu’une seule façon d’être tranquille (à bien des titres) : la folie. Dans laquelle je me trouve pleinement justifié pour deux raisons : d’une, on est censé me foutre la paix téléphonique ; de deux, offrir un moment d’éventuelle détente à mon correspondant est meilleur pour son humeur et mon karma qu’une réponse aussi brève qu’inefficace à base de grognements inarticulés.

Ceci étant dit, intéressons-nous à l’entreprise du jour, l’Office des Propriétaires de je ne sais plus quoi. On m’appelle régulièrement pour me demander si je suis propriétaire, locataire, contribuable, non-imposable et je réponds souvent « non » aux quatre questions à la suite, méfiant de nature, non-euclidien par constitution, me faufilant dans l’azur vierge régnant entre les cases des formulaires URSSAF.

Cette fois, j’ai répondu différemment, mais j’ai raté mon coup.

(suite…)

2014-08-30T18:43:41+02:00lundi 1 décembre 2008|Best Of, Expériences en temps réel|1 Commentaire

Ouvert d’esprit, mais dans le cadre (phone freaks vol.2)

Je ne sais pas ce qui se passe mais depuis que j’ai exposé sur la place publique mes aventures avec le démarchage téléphonique, les appels ont recommencé de plus belle. Encore un coup de la synchronicité. Enfin, ça met à l’épreuve mes capacités d’improvisation, disons.

J’ai d’abord essayé la contre-réponse téléchargeable ici, mais le résultat ne fut pas assez marrant pour valoir la peine d’être raconté.

Je viens en revanche de recevoir un coup de fil qui n’est pas drôle en soi – pas de Station Spatiale Internationale – mais qui est assez surréaliste sur le rôle des genres dans la société.

 

(suite…)

2011-05-01T18:28:22+02:00lundi 25 août 2008|Best Of, Expériences en temps réel|3 Commentaires

Vous avez demandé l’espace, ne quittez pas (phone freaks vol.1)

Où l’on respecte les règles du théâtre classique

Unité de lieu: Chez moi, où je travaille la plupart du temps.

Unité de temps: Une heure, plus ou moins.

Unité d’action: Ce qui suit. J’étais un temps inscrit en liste orange, ce qui interdit théoriquement tout démarchage téléphonique. Mais la plupart des entreprises ne respectent pas cette règle, ce qui est idiot car cela décuple l’irritation du correspondant, coupant à jamais la compagnie d’un client potentiel – qui ne supporte pas qu’on vienne le déranger chez lui quand il a expressément exigé la tranquillité.

La plupart des gens déchaînent alors leur agressivité, raccrochent au nez, passent leurs nerfs sur le pauvre anonyme qui a la malchance d’avoir pour ainsi dire tiré le mauvais numéro. Pour ma part, plutôt que de traumatiser mon démarcheur (qui ne fait que son boulot et qui n’est pas responsable de l’indélicatesse de son entreprise) je préfère… une autre tactique.

Cela va sans dire, mais ce qui suit, ainsi que les autres expériences à venir du même genre, bien que restituées de mémoire, sont totalement authentiques.

iphone_bakelite

Le téléphone sonne. La présentation du numéro affiche: “Indisponible”.
LD: Allô?
Démarcheur: Oui, bonjour monsieur, je suis bien chez monsieur Davoust?
LD, sentant venir le coup: Oui, tout à fait.
Démarcheur: Bonjour monsieur, je suis [Oublié le nom], je représente Bouygues Télécom et j’ai une excellente nouvelle à vous annoncer, les tarifs des forfaits internationaux ont baissé et nous
proposons actuellement une offre limitée dans le temps réservée à un nombre réduit de personnes.
LD, d’un ton enjoué et captivé: Ah bon?!? Comment ça?!!
Démarcheur, prenant confiance: Eh bien, en ce moment, nous vous proposons [Oublié les détails de l’offre, j’écoutais à moitié, mais il s’agissait d’un forfait international à prix
prétendument plancher].
LD: Cela semble extrêmement intéressant, pourriez-vous m’en dire un peu plus?
Démarcheur: [Continue son laïus commercial, Bouygues c’est trop de la balle, confiance, fidélité, qualité de service, cent balles, un Mars.]
LD, toujours très intéressé: Effectivement, c’est vraiment une offre étonnante. Mais… je me demandais…
Démarcheur: Oui, monsieur? Auriez-vous des questions?
LD, gêné: Oui, à propos de la couverture.
Démarcheur: Eh bien, [liste interminable de pays du monde]…
LD: Non, attendez, ce n’est pas ça. J’aurais voulu savoir, jusqu’à quelle altitude tient la couverture?
Démarcheur, surpris: Cela fonctionne en région montagneuse, mais…
LD: En fait, ce que j’aimerais vous demander, c’est si la couverture s’étend jusqu’à l’espace.

(Silence stupéfait au bout du fil.)

LD: Parce qu’en fait, je vous explique, mon frère est cosmonaute et travaille sur la Station Spatiale Internationale. Or, vous voyez, pour nous parler, ce n’est vraiment pas évident, alors votre
offre m’intéresse beaucoup. Je pense qu’on pourrait prendre un forfait chacun, avec le portable qui avec, cela va sans dire, mais votre offre couvre-t-elle la Station Spatiale Internationale?
Démarcheur, après un nouveau blanc: Heu, écoutez, je crois que je vais vous passer mon supérieur, si vous ça ne vous ennuie pas.
LD, toujours enjoué: Mais je vous en prie.

(Petite musique d’attente. Je commence à sourire tout seul.)

Supérieur: Allô? Vous êtes monsieur Davoust?
LD, amusé en plus d’être enjoué: Mais tout à fait.
Supérieur: Oui, je suis navré de cette attente, je vous remercie de votre patience! On m’a signalé que vous étiez intéressé par nos forfaits internationaux mais que vous aviez des questions?
LD: Ah mais oui, je trouve l’offre excellente, je pense très sérieusement à en prendre un et je suis sûr que mon frère en prendra un aussi. Seulement,mon frère est cosmonaute, il travaille sur la
Station Spatiale Internationale, et, pour communiquer tous les deux, c’est vraiment très compliqué. Alors votre offre serait vraiment idéale pour nous deux, vous comprenez, il voyage beaucoup.
J’avais donc une question sur la couverture: est-ce que cela porte jusqu’à la Station Spatiale Internationale?

(Blanc gêné au bout du fil.)

Supérieur: La… Station Spatiale Internationale? Dans l’espace, vous dites?
LD: Oui, tout à fait. Parce que mon frère y travaille toute l’année et c’est vraiment pas commode.
Supérieur: Ecoutez, monsieur Davoust… (Rire gêné.) Je dois vous avouer que cela fait six ans que je travaille dans les télécoms et j’avoue que c’est la première fois qu’on me pose la
question.
LD: Oh mais je comprends, il y a vraiment peu de cosmonautes sur la station, j’imagine bien que ce n’est pas un problème courant.
Supérieur: Je suis vraiment très gêné, je n’ai jamais été confronté à cela et j’avoue que je ne sais pas très quoi vous répondre. Est-ce que vous verriez un inconvénient à ce que j’aille voir mes
techniciens pour leur poser la question, et je vous rappelle ensuite d’ici une quinzaine de minutes?
LD, manquant de pouffer: Aucun problème, bien sûr, n’hésitez pas.
Supérieur: Alors c’est parfait, je vous rappelle.

(Nous raccrochons et j’explose de rire tout seul, certain qu’on ne me rappellera pas et que Bouygues fera enfin disparaître mes coordonnées de ses fichiers. Pourtant, une vingtaine de minutes
plus tard, le téléphone sonne à nouveau, affichant la fatidique mention “Indisponible”.)

LD: Allô?
Supérieur: Oui, monsieur Davoust?
LD, souriant déjà: Tout à fait.
Supérieur: Oui, c’est monsieur [Oublié aussi], de Bouygues Télécom. Je me permets de vous rappeler comme vous m’y aviez autorisé concernant votre question de couverture sur les forfaits
internationaux. Navré de vous avoir fait attendre.
LD: Ah oui! Merci beaucoup! Pas de problème!
Supérieur: Eh bien je suis allé voir mes techniciens pour leur demander si nos offres couvraient la Station Spatiale Internationale. Alors, je suis navré, ils m’ont répondu que non. Mais ils m’ont
bien confirmé que c’était l’avenir.

(Je manque d’exploser de rire une nouvelle fois. J’imagine la tête des techniciens, leurs regards entendus face au jeune winner gominé venu leur poser cette question débile. J’imagine
l’anecdote qui commence déjà à faire le tour de Bouygues Télécom. Je décide de pousser le jeu le plus loin possible, de raconter de plus en plus d’énormités pour voir jusqu’où mon commercial est
prêt à courir. Apparemment, c’est un marathonien.)

LD, déçu: Ah, c’est vraiment dommage! C’est vrai que c’est l’avenir, vous savez, les Américains et les Chinois projettent d’établir des bases lunaires permanentes d’ici dix ans,
je suis supris que Bouygues, qui s’est toujours montré à la pointe de la technologie – c’est vrai, avec le son HF, par exemple – ne s’en préoccupe pas davantage. C’était une offre tellement
intéressante! Mon frère et moi, on aurait été ravis.
Supérieur: Je suis vraiment navré, monsieur Davoust. Mais… (Cherche à poursuivre la discussion, plein de sollicitude) Tout de même, ce n’est pas banal! Puis-je vous demander comment vous
faites pour communiquer avec votre frère, actuellement?
LD, ravi: Eh bien, je suis obligé de passer par le réseau de la NASA, via Internet. Déjà, cela m’oblige à payer chez moi l’équivalent de la ligne d’un petit centre de recherches, ce qui
est coûteux. En plus, il y a toute une procédure à respecter pour se connecter sur le réseau de la NASA, c’est vraiment fastidieux! Je dois régulièrement faire renouveller mon accréditation auprès
du Pentagone! Avec Bouygues, je n’aurais pas ce problème, hein?

(Quelle que soit l’absurdité du bobard, toujours ramener l’attention du correspondant sur ce qui l’intéresse: sa firme et la vente de forfaits téléphoniques.)

Supérieur, fasciné: Je pense bien.
LD, qui noie son démarcheur sous un flot de paroles: En plus, la qualité de la ligne est déplorable! Vous n’imaginez pas! On a régulièrement des parasites à cause des taches solaires, qui
sont très fréquentes à cette époque de l’année. Heureusement, elles sont prévisibles, mais il faut calculer l’heure pour viser entre deux éruptions. Et vous imaginez, calculer le décalage horaire
avec l’espace, c’est pas facile, hein?
Supérieur, qui perd pied: Ah, euh, non, je n’y avais jamais réfléchi.
LD: C’est pour ça que le son HF de Bouygues Télécom serait tombé à point nommé, vous comprenez. La ligne aurait été super.
Supérieur, qui essaie de retrouver ses esprits: Euh, oui, et donc, je ne pourrais quand même pas vous intéresser à un forfait terrestre?
LD: Bah non, je suis navré, comme vos techniciens l’ont dit, l’espace, c’est l’avenir; quand les Américains établiront leur base, je déménagerai aussitôt, alors je prendrai un forfait lunaire. Il y
a bien assez de détails à régler quand on déménage sur la Lune, n’est-ce pas?
Supérieur, dépassé: Ah ben oui, je comprends. En tout cas, merci beaucoup de votre accueil, monsieur…
LD: Mais je vous en prie! Merci à vous de vous être renseigné!
Supérieur: Avec plaisir, monsieur!

2011-05-03T16:53:16+02:00lundi 18 août 2008|Best Of, Expériences en temps réel|7 Commentaires

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