L’inconscient sait ce qu’il fait (mais surtout, le Mystère pilote tout)

Victor Hugo a passé plus de deux ans à faire du spiritisme. Les messages qui, disait-il, lui étaient transmis étaient inspirés et grandioses ; il n’était guère difficile de les imaginer dictés par l’esprit de Shakespeare ou de Châteaubriand… à moins que ce ne soit Hugo lui-même qui les ait écrits sous le feu d’une connexion directe avec son inconscient, les pensant, de bonne foi, venus d’ailleurs.

Un type avec une tête très très lourde. Est-ce à lui que l’on doit la pose de l’auteur pensif en photo de presse ?

J’en parle un peu dans Comment écrire de la fiction ?, mais tous les auteurs avec qui j’en discute – à commencer par moi – parce que je discute avec moi – arrêtez de me regarder bizarrement – ont une relation fascinante, curieuse, avec leur imaginaire, leur inconscient ; c’est un objet vécu comme extérieur, qu’il faut cajoler pour qu’il amène à la conscience ou du moins à la possibilité de l’exécution la réalité d’une œuvre en devenir. Les anciens parlaient évidemment de Muse, mais Steven Pressfield aussi ; pour Elizabeth Gilbert, les idées sont une forme de vie qui cherchent à s’incarner. On a parlé dans ces articles de l’auteur (ou du créateur au sens large) vu comme un ou une chaman·e, et j’ai livré une histoire extrêmement troublante où mon inconscient avait inexplicablement préparé le terrain pour une histoire contenue dans une autre, alors que j’étais persuadé de ne jamais revenir à cet événement (et que j’avais même tout écrit pour que ce soit impossible).

Personnellement, j’appelle cela le Mystère. Je ne sais pas ce que c’est : la Muse ? Mon inconscient ? Une réalité parallèle ? La voix des anges ? L’esprit de Shakespeare ? (yeah, baby) Tout ce que je sais, c’est que je ne peux y accéder directement, que cela m’est donc extérieur (et ma relation avec la chose m’intéresse beaucoup plus que la nature d’icelle ; si le Mystère veut rester mystérieux, je le respecte). Je dois réussir à collaborer avec, en mettant en ordre “l’île de mon tonal” (comme dirait Castaneda), soit le plateau de ma volonté consciente. En revanche, je suis le seul capable à canaliser ce que le Mystère me murmure, de la même manière que tous les autres auteurs et autrices sont seul·es capables de canaliser ce que le Mystère leur murmure à eux et elles. Nous sommes des prismes, chacun et chacune réglé·es différemment, et surtout, c’est d’abord notre travail assidu et délibéré qui distille la lumière. (Sans ça, il n’y a rien.)

Or, en écrivant « Les Dieux sauvages », je suis tombé sur deux nouvelles coïncidences incroyables, imprévisibles, dont je promets qu’elles sont entièrement inconscientes.

Il se trouve que “messagère du Ciel” était un titre plus rare et moins connu de Jeanne d’Arc. Je n’en savais fichtre rien, et je ne crois pas avoir jamais croisé cette appellation, d’autant plus que le titre d’origine prévu pour le roman était “La Messagère de Wer” (puis “La Fureur d’Aska” et “L’Héritage d’Asrethia”, à l’époque où c’était prévu comme une trilogie, et que j’ai décidé de supprimer de mes titres ces noms propres qui ne diraient de toute façon rien à personne. Évitez les noms propres dans les titres. Personne ne sait de qui vous parlez).

Et je viens de découvrir que Nehyr signifie “lumière divine” en araméen. Spoiler : je cause pas araméen. Au cas où vous vous poseriez la question, hein.

La part rationnelle en moi dit : si l’on évolue dans le domaine d’une élue divine venue changer les temps, il n’est pas complètement absurde de retomber sur un titre identique de par les voisinages symboliques. La part rationnelle en moi dit : si l’on prend un ensemble de phonèmes facilement prononçables par la bouche humaine (comme un nom) et qu’on balance ça dans un moteur de recherche, la probabilité de tomber sur une signification éloquente est loin d’être nulle.

La part non-rationnelle en moi dit : wooooooh c’est cool (et un peu flippant aussi). Okay, Mystère. Je vais faire mon possible pour écouter. Avec mes tripes. Parce que les tripes sont l’oreille du Mystère.

Et je dis : je pose ça là, à vous de voir.

2021-01-17T18:52:59+01:00mardi 19 janvier 2021|Journal, Technique d'écriture|8 Commentaires

Excuses et pardon sur les réseaux

Une notion fondamentale des réseaux serait qu’on apprenne tous à dire :

  • J’ai parlé sous le coup de l’émotion, mes mots ont dépassé ma pensée, désolé
  • Je reconnais que tu as pu parler sous le coup de l’émotion, que tes mots ont dépassé ta pensée, passons ensemble à autre chose.
2020-07-29T20:34:37+02:00lundi 3 août 2020|Brèves|2 Commentaires

Procrastination podcast s04e06 – Le syndrome de l’imposteur

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : “s04e06 – Le syndrome de l’imposteur“.

L’impression de ne pas être à sa place, que ce que l’on fait ne vaut rien ou pire, que chaque réalisation est un coup de chance qui n’a pas été mérité : voilà le syndrome de l’imposteur, un ennemi public à combattre car il empêche les créateurs et créatrices d’avancer, et d’offrir leurs voix au monde.
Mélanie, Estelle et Lionel sont d’accord : ce syndrome est extrêmement fréquent et tous l’affrontent sous une forme ou une autre. Mélanie rappelle qu’il est normal ; que la question n’est pas tant de l’avoir ou pas, mais qu’il ne paralyse pas. Lionel rappelle que l’impression n’est absolument pas limitée à la création artistique, et que publier ne la résout pas forcément. Estelle met l’accent sur la double temporalité étrange de la vie d’auteur et d’autrice : les retours des lecteurs arrivent sur des livres publiés, qui appartiennent déjà au passé de la création, tandis que le présent est fait, par définition, du projet prochain qui n’a pas encore trouvé sa forme définitive.

Références citées
– Sarah Bernhardt

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2020-10-19T11:35:22+02:00mardi 7 janvier 2020|Procrastination podcast|4 Commentaires

Apprends la magie de jeter 100 pages avec la méthode Marie Kondo

Donc, comme beaucoup de gens qui aiment les bouquins, les jeux vidéo, la musique, la culture geek, les trucs et les machins, qui habitent depuis longtemps au même endroit et donc l’âge commence à monter en dizaines, j’ai comme qui dirait un léger problème de bordel. (Oui maman, je sais, j’ai toujours eu un problème de bordel. Sors de cet artifice rhétorique qui servira juste à me dédouaner si jamais tu tombes là-dessus, steuplaaaaît.) J’ai en plus une propension à l’accumulation, du genre, hé, si ça peut servir, faut garder, non ? J’ai une grande cave. Ça sert à ça.

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En exclusivité mondiale, voici ce qui se passe quand j’ouvre la porte de ma cave.

Alors donc voilà, j’ai lu le bouquin à la mode, La Magie du rangement1, de Marie Kondo, énorme vente internationale, et maintenant une série Netflix.

Le principe fondamental de la méthode Marie Kondo est globalement connu : “conserve ce qui te donne de la joie“. Mais plus intéressant, elle recommande, quand tu jettes / donnes / supprimes un objet de ton environnement, de le remercier pour le plaisir qu’il t’a donné, et je trouve ça plutôt chouette. Ça ne mange pas de pain, et si l’on considère que les possessions sont d’une certaine manière un reflet de l’individu ou même une projection, cela revient à se remercier soi-même avant de clore le (micro) chapitre de sa vie que représente l’objet. Pourquoi pas ?

Là où ça devient intéressant, c’est qu’elle libère aussi l’individu de la culpabilité des achats impulsifs2… ou du rejet des cadeaux moches. Tu as acheté un pull en promo dont tu aimais vraiment la couleur mais tu te rends compte avec le recul que, franchement, il ne te va pas et ne t’ira jamais, eh bien tu t’en débarrasses, mais tu le remercies du plaisir qu’il t’a donné sur le moment quand tu pensais vraiment que c’était une bonne affaire. De ce point de vue, il a rempli son office sur le moment. Idem pour le pot de chambre de mariage3 qu’on t’a offert et qui, franchement, fait un peu désordre dans ton 350m2 de Bali cinquante ans plus tard. Tu peux t’en débarrasser, Marie t’en donne le droit, non sans le remercier pour l’intention avec laquelle il t’a été offert et le plaisir qu’il t’a donné. Il a, encore une fois, rempli son office.

Le rapport avec l’écriture ?

Aimer le processus et le chemin davantage que la destination.

Une des causes de la procrastination dans le domaine créatif (lire : les sept causes de la procrastination et comment y remédier) touche à la complexité du travail, ce qui le rend intimidant (et donc, on se trouve d’un coup pris d’une irrésistible passion pour la vaisselle). Je tâtonne, j’explore, et parfois, je me plante.

Sauf que c’est déjà assez dur comme ça, alors j’ai pas envie de me planter. Que de temps perdu ! Que de frustration ! Non ?

Quand j’avais vingt ans et que je commençais, j’écrivais assez lentement parce que j’essayais de faire bien du premier coup. J’étais concentré sur le rendu autant que sur le contenu, ce qui est l’équivalent discursif de réfléchir à une réponse avant même d’avoir trouvé comment formuler la question. Ça fait bobo la tête. Alors, à force, ça marchait, mais j’ai vite découvert que travailler le rendu, la forme, l’efficacité, c’était plutôt le rôle des corrections. Comme disait Terry Pratchett, “le premier jet n’est là que pour s’expliquer l’histoire”.

À trente ans, avec davantage d’expérience, j’ai fini par accepter (avec réticence) le fait qu’écrire des trucs “pour rien”, des pages entières qu’on jette (j’élague entre 10 et 30% de mes premiers jets de manuscrits), ce n’est pas du travail inutile. Tâtonner dans une direction dont on se rend compte a posteriori qu’elle n’était pas adaptée au projet n’est pas du temps perdu, c’est écrire ce qu’il ne fallait pas pour pouvoir mieux découvrir ce qu’il fallait. Après, quand t’es à la bourre sur ta date de rendu, la consolation est un peu maigre, et t’aimerais bien tomber juste du premier coup, ça pourrait pas marcher un peu plus comme ça ?

Aujourd’hui, je me suis aperçu d’un seul coup (avec le confort que donne un peu de recul et une date de rendu un peu plus relax, quand même) que je m’en tape d’écrire 100 pages pour rien si je me suis amusé à les faire, ou si, du moins, j’y ai trouvé du sens. Au contraire, presque. Si elles m’ont apporté quelque chose dans l’exploration, si j’y ai trouvé une forme de compte, quelle importance qu’elles ne servent pas le projet ? L’acte est sa propre récompense – le reste forme à mon sens des illusions dangereuses.

Telle Marie Kondo, je remercie alors ces pages pour le plaisir et le sens qu’elles m’ont apporté sur le moment. Et je les supprime sans une once de regret. Car elles ont rempli leur office.

Et le plus merveilleux, c’est qu’en général… elles restent. Car, écrites dans la joie et la vérité, ce sont souvent les plus intéressantes. Mais pour ça… il faut être sincèrement prêt à les bazarder. On ne peut pas faire semblant de lâcher-prise.

  1. Je m’aperçois à cet instant que j’ai une abréviation TextExpander pour le mot « rangement », ça ressemble à un appel désespéré de mon inconscient.
  2. Ok, oui, faire des achats impulsifs c’est pas terrible d’un point de vue environnemental, et même financier, donc autant éviter, mais que celui ou celle qui n’a jamais acheté un truc qu’il a regretté ensuite me jette la première paire d’escarpins qui font mal aux pieds.
  3. Ça existe. Je vous laisse chercher.
2019-08-30T19:31:13+02:00lundi 2 septembre 2019|Best Of, Technique d'écriture|6 Commentaires

Mise en retrait des réseaux sociaux [annonce de service]

Edit du 6 septembre 2019 : ma réflexion s’est poursuivie avec la Worldcon 2019 avec beaucoup de conférences et tables rondes sur le sujet ; les enseignements se trouvent ici, avec un retour, sous un format différent, vers les plate-formes.

Or doncques, cela fait deux à trois mois environ qu’un nombre visiblement croissant de personnes sur les réseaux commerciaux1 semble fortement agacé par mon existence. À intervalles réguliers, ma timeline explose parce qu’une formulation, une approximation (nécessaire en 280 caractères) va déclencher l’ire de quelqu’un qui se sentira personnellement visé.e par un truc qui ne l’a jamais concerné.e et lancera une guerre sainte (sans parler des insultes gratuites qui déboulent un beau matin tu sais pas d’où).

Neuf fois sur dix, il ne sort rien de constructif de ces phénomènes : personne ne comprend rien ni, d’ailleurs, ne veut sincèrement écouter la personne d’en face ; tout le monde s’énerve, se chauffe, finit avec le cœur à 280 (caractères), deux ou trois personnes de plus bloquées dans sa liste et une journée de travail flinguée (en tout cas pour moi), avec en prime l’incapacité d’apprécier ce que la vie a de positif à offrir, ce qui est quand même super idiot. Et moi, j’aimerais faire plutôt dans le constructif, même quand ça signifie que j’ai tort.

XKCD, bien sûr.

Le phénomène n’est pas nouveau : j’étais sur Internet en 1997, je l’ai connu sur les forums, dans les jeux en ligne, dans les drama de guilde. J’y ai contribué quand j’avais 20 ans, moi aussi, en m’enflammant pour des conneries que je me croyais personnellement destinées parce que tu comprends, tout me concerne, vu que c’est écrit sous mon pif, et aussi, il faut que je convainque les gens, parce que comment m’attribuer une valeur personnelle si je ne prouve pas que j’ai raison ?

Monde, c’est un peu tard, mais : je te présente mes excuses sincères pour ma bêtise passée.

Tout ça est de la rhétorique de cour de récréation, et si je pouvais l’accepter à 20 ou même 30 piges parce que je n’imaginais pas que le monde pouvait fonctionner autrement (parce que j’étais moins expérimenté et aussi pas mal plus con), il me semble que, par leur constitution même, les réseaux commerciaux ont élevé la forme au rang de système. On le sait : le compte de ton “influence” (followers, likes…), la brièveté des réponses, l’instantanéité font tout pour favoriser le viscéral, l’instinct, le petit rush d’adrénaline que tu as à lancer ton SCUD dans le vide sans imaginer que, de l’autre côté, il y a un être humain probablement dans le même état de détresse (faute de meilleur terme) que toi, et à qui c’est le tour de te renvoyer un missile. Ça surenchérit sur des détails de forme oiseux, et avant que tu aies compris comment, y a un Donald Trump quelque part qui a envahi la Pologne.

Sauf que j’ai récemment fini par accepter que ces mécanismes interagissent particulièrement mal avec la manière dont je fonctionne. Les effets sur ma santé sont visibles : je veux dire, je veux bien que je ne sois pas un modèle d’athlétisme, mais une nuit d’insomnie, le cœur à 120 alors je suis assis sur mon steak en train de consulter Twitter et le bide en vrac, tout ça pour des conneries… 

Relevé Apple Watch, et avant qu’on m’accuse de fake : je suis actuellement sur un autre fuseau horaire que la France.

… la conclusion est claire : ça n’en vaut pas la peine.

J’ai en plus tellement conscience que ma situation est confortable ! Je ne parle même pas des femmes harcelées sur ces mêmes réseaux, des journalistes d’investigation qui parfois défendent leur vie, des personnes racisé.es qui prennent des volées en ligne pour que dalle. Monica Lewinski est à ce titre un monument de résilience. Les gens, vous êtes des héros et des héroïnes. Et je n’ai pas votre constitution. Je n’arrive pas à lâcher prise, à dire “fuck it” et à continuer joyeusement ma journée, sûr de mon fait. Et ça m’use d’une manière aussi disproportionnée que grotesque.

Les quelques mois passés m’ont mis dans la tronche une conclusion évidente : il faut que je fasse quelque chose, c’est-à-dire changer radicalement la manière dont j’utilise ces plate-formes, d’une manière qu’on va espérer constructive et intelligente.

Je n’ai strictement aucune envie de minimiser mon engagement et mes interactions avec toi, auguste lectorat, qui a l’intelligence de comprendre, de creuser, de réfléchir avant de dégainer ; et d’ailleurs, je remercie du fond du cœur tous ceux et celles qui m’ont envoyé leur soutien, tout spécialement à travers ces derniers jours. Vous avez été immensément nombreux – plus que je n’aurais jamais pu l’imaginer, et j’ai essayé de dire, à tout le monde, combien ça m’a, de tout cœur, touché… merci – immensément nombreux à me dire que je n’avais pas viré complètement fou. Et ça compte bien plus que vous ne vous en doutez peut-être. Le problème, c’est que ce sont les plus énervés qui parlent le plus fort, et j’en ai soupé qu’ils me soufflent dans les bronches. C’est à toi, auguste lectorat – toi que j’ai toujours désigné par cette appellation facétieuse comme “les gens qui se sentent intéressés et veulent prendre un verre” – que je parle, pas à eux.

Parce que, je l’ai lu, on me l’a dit de visu (merci également aux personnes qui m’ont arrêté aux dernières Imaginales pour me le dire, d’ailleurs), il y a des gens qui ont plaisir et intérêt à lire tout ça et, vous savez quoi ? C’est parfait : je n’ai jamais prétendu m’adresser à tout le monde, je cherche juste à payer ma dette karmique et, ce faisant, peut-être apprendre aussi des trucs au passage (il paraît que l’on comprend vraiment quelque chose le jour où l’on peut l’enseigner). C’est ce que dit l’article épinglé sur mon profil Twitter (qui devrait servir de notice, mais visiblement, ça marche moyen). Je ne force personne à m’écouter et en plus, c’est gratuit, alors, c’est quoi le problème, à la fin ?

Je n’ai aucune envie de réduire mes profils de réseaux commerciaux à un enchaînement de réflexions et de liens consensuels (voici des chats, la guerre c’est mal, je trouve que le bleu est une belle couleur mais je respecte tous ceux qui préfèrent le rouge). L’expérience prouve de toute façon que quelqu’un, quelque part, sera toujours offensé par ce qu’on dit2. Je n’ai aucune envie de raconter ma vie personnelle non plus – je suis un introverti et de toute façon, j’ai toujours considéré que ma vie, on s’en tape royal. Ce qui m’intéresse est drôle, intriguant, potentiellement provocateur, et évidemment il y a tout ce qui entoure la pratique de l’art et de l’écriture (je dirais que c’est presque une définition croisée), or une discussion construite, entretenir un dialogue sur ces questions sur la longueur, comme on le fait depuis des années pour certain.e.s d’entre vous, est manifestement impossible sur un réseau commercial. Ou du moins, des meilleurs que moi s’y sont essayé. Moi, je passe l’éponge : je ne suis pas (plus) taillé pour ça.

Enfin, je me sens de plus en plus en butte envers les modèles commerciaux de ces réseaux, les innombrables atteintes à la vie privée de Facebook, et ça me scie un peu la cage thoracique de continuer à entretenir ces entreprises par une participation active (en gros, en leur fournissant des statuts).

Donc, lancer des discussions, la présence soutenue et attentive, c’est terminé. Dorénavant, mes profils sur les réseaux commerciaux ne seront plus que des têtes de pont strictes, s’organisant autour de trois axes. a) Répondre aux commentaires et aux questions, bien sûr. b) Relayer les bonnes nouvelles des amis (et les soutenir, moi aussi).

Et enfin, c) relayer des articles construits postés ici, là où je suis chez moi, où ça m’appartient, où je peux contribuer à créer et entretenir une communauté positive et respectueuse, où je modère attentivement les commentaires et où, surtout, je peux développer 3 une idée un peu plus à mon aise, si besoin. On continuera à discuter comme avant, bien sûr, même si ça rendra le contenu plus difficile à trouver, parce que les médias modernes sont ainsi faits (voir : l’Internet, l’âge d’or de l’agitprop). Mais en fait, si ça tient éloignés les fâcheux, c’est un avantage.

Attention, ça reste un blog, donc le contenu est par nature expérimental, volatil, ça n’est pas un manuel. Mais l’énergie récupérée me permettra probablement de retrouver plus de légèreté et de liberté y compris dans les articles ici, de lâcher prise pour de bon, de me concentrer sur l’écriture romanesque (mon vrai métier, hein) et surtout, d’arrêter de me coller la rate au court-bouillon. On pourra toujours me joindre par ces profils bien sûr (mais il vaut mieux préférer le mail), cependant j’y serai bien moins présent pour me recentrer sur ce qui, pour paraphraser Marie Kondo, me donne de la joie, et c’est : conserver la qualité de nos échanges, sans parasites sur la ligne.

PS d’importance : si vous avez suivi les feuilletons, je vous demande instamment de ne PAS relancer quoi que ce soit, de ne pas vous en prendre, même par une saillie oblique, à qui que ce soit. En ce qui me concerne, les affaires sont closes, ma décision est prise, je m’enlève un énorme poids psychologique, et peut-être même, au final, devrais-je remercier collectivement les responsables pour cette aide involontaire à me concentrer, professionnellement et personnellement, sur ce qui compte vraiment. Si vous voulez exprimer votre soutien, envoyez-moi juste un emoji baleine ou dauphin, ça suffira largement et je saurai ce que ça veut dire. Merci encore, ainsi que pour vos voix modérées (et pour les critiques constructives également, qui sont toujours bienvenues). Passons tous à autre chose, une seule chose compte, dans les mots de Neil Gaiman : “Make good art”.

  1. J’adopte céans l’usage d’un bon ami, qui rappelle que ces réseaux sont tout sauf sociaux puisqu’ils vivent de nos données : attendez-vous à ce que je le sorte partout.
  2. En 2016, je disais : On sait que Desproges disait « On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde » ; à l’heure des réseaux sociaux, où l’on s’adresse potentiellement à tout le monde, il vient qu’on ne peut plus rire de rien avec personne.
  3. Les habitués de longue date sauront qu’il m’arrive d’amender du contenu à la suite de discussions, et c’est très bien. C’est bien pour ça que dans l’introduction de chaque épisode de Procrastination, nous disons “on n’a pas la science infuse”.
2019-09-06T23:37:32+02:00mardi 9 juillet 2019|Journal|46 Commentaires

Procrastination podcast S03E15 : “Retours des poditeurs 03 (in space)”

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : “Retours des poditeurs 03 (in space)“.

Pour la troisième fois, Mélanie, Laurent et Lionel ouvrent la boîte aux lettres du podcast et répondent aux questions et commentaires soulevés par les épisodes précédents. Au programme :
– Quand s’arrête-t-on de corriger un texte ?
– Comment se rend-on compte que l’on a acquis son style personnel ?
– De la dénomination des bêta-lecteurs
– Comment publier dans le paysage actuel quand on préfère la nouvelle ?
Questions et commentaires sont toujours les bienvenus dans les fils officiels de l’émission sur le forum d’Elbakin.net :

Références citées
– Un très bon générateur de cartes (merci à Nico Bally) https://watabou.itch.io/medieval-fantasy-city-generator
– Campaign Cartographer https://www.profantasy.com/

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2020-10-19T11:37:36+02:00lundi 15 avril 2019|Procrastination podcast, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Procrastination podcast S03E15 : “Retours des poditeurs 03 (in space)”

Question : garder la motivation (pourquoi écrire ?)

Photo Sebastián León Prado

Je me permets de t’écrire après avoir lu ton article “Vivre les corrections“. Hyper intéressant. Je l’avais vu passer, et je suis retournée le chercher car je suis en plein dedans, dans les corrections.

Dans ton article, tu dis que finalement, tu livres une pierre brute que tu vas tailler avec l’aide de ton éditeur.
Je suis dans le cas, là, où je suis…fatiguée…de travailler sur un texte, que j’ai presque terminé. Au final, il ne me reste plus grand chose à faire en regard de TOUT CE QUE J’AI DEJA abattu comme travail. Mais ça me semble vraiment vraiment ardu.

Alors, ma question est, que conseillerais-tu, quand on n’a pas encore d’éditeur pour un roman, comme taille de pierre? Parce que je sais que mon texte est encore faible à certains endroits (notamment des scènes d’action que je sais que je vais devoir ciseler). Mais, seule? Ne risque-je pas de décevoir l’éditeur à qui j’envoie mon texte si mon texte n’est pas parfait (à mes yeux) ou en tous cas se rapproche du mieux que je peux faire? Là, la motivation me quitte peu à peu alors que ma propre deadline approche, que j’ai des critiques de bêta-lecteurs hyper précieuses en poche, et que je n’ai aucune promesse d’édition en vue.

Dans ce cadre-là, si tu avais un avis, un conseil à me donner en tous cas pour que ma motivation revienne, je suis toute ouïe. Parce que je me fatigue toute seule, et ça fait deux semaines, et je m’attriste de plus en plus au lieu de me réjouis des lignes que j’ai corrigées un peu plus chaque jour. J’ai l’impression qu’il me reste 5% de travail à faire seule, avant de pouvoir chercher un éditeur, mais que ce sont les 5 plus difficiles, car je regarde mon roman, et je me demande si après tout ces efforts, cette masse de mots en vaut la peine…

D’habitude, je recentre les messages reçus autour du nœud de la question, mais là le contexte me semblait particulièrement intéressant et je crois qu’on peut être beaucoup à se retrouver, dans une forme ou une autre, dans ces difficultés et questionnements.

J’ai l’impression de lire deux volets dans la question : un aspect technique (comment faire, techniquement, pour tenir bon) mais surtout un appel à l’aide (je suis fatiguée). Il est terriblement difficile de répondre intelligemment à cela car j’ai l’impression qu’à ce stade, la fatigue ne s’ancre pas nécessairement dans une question de technique. Je pourrais répondre de toujours envoyer la meilleure version d’un texte possible à un éditeur pour qu’il ou elle puisse ensuite amener le manuscrit plus loin ; qu’il est intéressant qu’il te donne les clés pour aller au-delà de ce que tu peux faire de mieux, et qu’il n’est pas très intéressant qu’il te reprenne sur des faiblesses que tu connais déjà (on en a parlé dans l’épisode de Procrastination sur les corrections). Je le pense, mais je ne crois pas que ça aiderait beaucoup, à ce stade. Je pourrais aussi te dire que ces doutes, ces questionnements sur la pertinence de ce qu’on fait (“pourquoi je lutte, voire souffre tellement pour atteindre l’objectif que je me suis fixé – qui ça intéresse, en fait ?”) ne s’envolent pas nécessairement avec la présence d’un éditeur derrière ou, plus précisément, je dirais que se “rattacher” à cette présence et cette assurance d’une publication est dangereux car c’est, à mon sens, éviter une question fondamentale, qui sous-tend toutes ces difficultés. Si tu as un éditeur, tu t’attaches aux ventes. Si tu as des ventes, tu t’attaches aux critiques négatives. C’est sans fin.

Et cette question, c’est : pourquoi écrit-on ? Pourquoi écris-tu ? Pourquoi fais-tu cela ? 

C’est pour cela qu’il est impossible de donner une réponse pertinente à ta question, mais je peux te parler… de la question en elle-même. Derrière le doute et la difficulté, derrière les coups de mou, il y a pour moi un ancrage fondamental dans l’interrogation de l’écriture. C’est vrai, après tout : pourquoi lutte-t-on ? Je ne peux pas répondre à cette question à ta place, mais je crois deux choses : d’une, il n’y a pas de mauvaise réponse (aussi égocentrique ou superficielle soit-elle) – la mauvaise réponse, c’est celle dont on n’a pas conscience et qui nous manipule à notre insu. De deux, cette réponse a le droit de changer en cours de route, de mûrissement, d’évolution. Beaucoup d’auteurs, par exemple, éprouvent dans leurs premiers stages d’évolution le besoin de se prouver quelque chose et/ou d’exprimer quelque chose de viscéral au monde ; une fois ceci fait, atteint, ils sont “vides” et ne passent pas à un stade différent qui leur permettrait de continuer à écrire. Ce n’est ni bien, ni mal, c’est leur trajet.

Je crois que la meilleure réponse à tous ces doutes et difficultés, la meilleure motivation, s’enracine dans l’être même. Il y a des années, j’ai eu un passage très difficile avec un éditeur qui a eu des mots incorrects envers moi, lesquels ont sévèrement attaqué le peu de confiance du jeune auteur que j’étais (et jeune auteur que j’étais, je n’ai rien osé dire). J’ai sérieusement, pendant trois jours, contemplé le fait de laisser tomber l’écriture et de repartir dans la science (j’ai même posté des lettres de candidature à des postes – je n’y croyais pas réellement, mais le seul geste a été cathartique). Au final, cette épreuve a été salvatrice, car elle m’a fait comprendre pourquoi j’écrivais vraiment, et en quoi je devais lâcher-prise à certaines ambitions – notamment que je ne rencontrerais que tristesse et illusions en me suspendant à l’approbation d’autrui, et surtout que la confiance ne pouvait, ne devait jamais venir de là. (Hé, j’étais jeune.) Ma réponse, qui n’engage que moi, c’est que l’écriture est un processus qui doit se suffire à lui-même. La publication n’est pas une fin, la lecture et la critique enthousiaste sont de merveilleux cadeaux que l’existence vous fait, qu’il convient d’accepter avec gratitude, mais l’essence de la pratique, le seul domaine qui a de l’importance, est le voyage que l’on fait, et sur lequel on lutte parfois, oui, pour mettre les mots sur la page au mieux de sa compétence et de sa sincérité. (Après avoir fait ce cheminement, j’ai dit à cet éditeur à l’époque : “Je n’ai pas besoin de voir mon nom sur une couverture pour me sentir exister.”) C’est la seule chose qu’on puisse contrôler, de toute manière (et d’ailleurs, quand on voit le poids de l’inconscient, on se demande parfois si on contrôle en réalité quoi que ce soit).

Ces difficultés sont le reflet d’une exigence, d’un idéal esthétique parfois terriblement dur à atteindre (parce que l’on sait parfois visualiser l’objectif, mais que l’on doit beaucoup apprendre pour y arriver), mais qui sont au final une force de vie fondamentale chez le créateur ou la créatrice – car y parvenir sonne juste, sert du mieux possible le projet que l’on s’est fixé. Et je crois que c’est l’élan capital ; et que la joie qui en découle, après avoir parfois souffert mille morts (le premier chapitre de Le Verrou du Fleuve a connu sept ou huit versions, je commence déjà à oublier, alors je compatis) est la véritable récompense du travail et la seule qui puisse avoir du sens : “moi, je suis content, j’ai fait de mon mieux, je n’ai rien retenu ; j’ai plongé là où je n’étais jamais allé, ce sentier était peut-être familier pour vous, mais pour moi il était ardu ; je vous offre ce que j’ai pu faire de meilleur, et dès lors, avec ceux et celles à qui je suis destiné.e à parler, nous nous reconnaîtrons. Aux autres, je ne peux simplement dire que je suis navré de ne pas avoir convaincu ; quel autre choix ai-je, dès lors, que de passer mon chemin ?” (Oui, je sais, je me la joue un peu Nietzsche, là – c’est bon, LAISSEZ-MOI RÊVER.) Plus sérieusement : un écrivain d’une immense expérience m’a confié que cette exigence était simplement le reflet de l’affinement de la compétence et de l’aiguisement du regard. En d’autres termes, on peut la voir, ainsi que les difficultés afférentes, comme un signe positif du mûrissement d’un auteur. En tout cas, je choisis de le voir comme ça. (J’ai dit LAISSEZ-MOI RÊVER.)

De manière plus prosaïque, tu as aussi le droit de te reposer un peu et de réviser les délais que tu te fixes. L’écriture est difficile et on n’accomplit rien sans se frotter à ces difficultés, mais il faut savoir ménager un équilibre – là aussi éminemment personnel – entre la difficulté et le blocage. Une des leçons les plus précieuses, dans l’évolution de ma propre réponse à l’écriture, a été l’intégration de la composante de plaisir. De la même façon qu’il ne faut pas fuir la difficulté (ce pour quoi je suis très doué, parfois un peu trop) il ne fait pas oublier le principe de plaisir (que je trouve dans ce moment où je saisis enfin, au mieux de ma compétence à un instant donné, l’adéquation entre la forme idéale dans ma tête et sa concrétisation en mots). On en a parlé dans le dernier épisode de Procrastination sur les blocages, aussi.

Rappelle-toi enfin que ce que tu as à donner – quoi que ce soit – nul ne peut le dire à part toi. Les mots que tu n’écris pas, nul ne les écrira si tu ne le fais pas. Et oui, ça en vaut la peine, dès lors que tu puises dans ce que tu es, avec vérité et sincérité, car tu es unique dans ce que tu es, et donc ce que tu dis, et comment tu le dis.

J’ai beaucoup parlé de moi dans cet article et non de toi, je suis désolé pour ça, mais comme la réponse est éminemment personnelle, je ne voyais pas très bien quoi faire à part partager ce que je pense, dans l’espoir qu’une histoire – la mienne – soit plus éclairante qu’un discours théorique. C’est bien ce que fait la fiction, après tout.

2019-06-04T20:23:14+02:00lundi 23 avril 2018|Best Of, Technique d'écriture|6 Commentaires

Procrastination podcast ép. 9 : “La place du rêve dans la création (1)”

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : “La place du rêve dans la création (1)“.

Travailler l’inspiration : un paradoxe ? Dans la première partie de cet épisode en deux volets, Mélanie Fazi, Laurent Genefort et Lionel Davoust entrent dans les méandres du rêve et de la réflexion dans le processus créatif, partant de l’idée initiale, de sa croissance, jusqu’à sa réalisation. Comment s’organise l’équilibre entre contrôle et lâcher-prise de l’auteur ? Prendre conscience de cette mécanique peut-il aider à nourrir l’écriture, et si oui comment ?

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

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Bonne écoute !

2019-05-04T18:48:39+02:00lundi 16 janvier 2017|Procrastination podcast, Technique d'écriture|8 Commentaires

Un commencement est un moment d’une délicatesse extrême

T'as vu mon space vison ?

T’as vu mon space vison, la classe hein ?

Les débuts sont finalement tous un peu les mêmes (non pas du point de vue du contenu, mais de l’approche, évidemment). Même un auteur structurel comme ton serviteur, auguste lectorat, qui aime construire des langues fictives, des cartes, définir le passé et l’origine sociale de chaque personnage, connaître son âge au mois près, a forcément besoin de se lancer dans l’arène. Aucun plan de bataille ne survit au contact de l’ennemi, ce qui n’est pas de Sun Tzu, bien qu’on aurait pu le croire, mais d’Helmuth Karl Bernhard von Moltke, un mec qui devait se marrer quand il s’agissait de signer sa carte 12-27 dans ce foutu petit emplacement tout minuscule.

L’écriture d’un roman commence à peu près toujours pareil, et je commence à en avoir commencé (tu suis ?) – et fini, surtout – suffisamment pour mesurer que : c’est normal. Passer dix minutes sur une phrase, se trouver atrocement lent, ne pas comprendre comment, sur les manuscrits précédents, on a pu connaître des moments de grâce et des journées à 50 000 signes et se voir péniblement en boucler 10 000 pour l’instant, tout cela est normal, cela fait partie du processus. L’écriture est un muscle, ou bien : un moteur diesel, il faut que ça chauffe. Surtout quand on s’engage dans une trilogie au long cours comme “Les Dieux sauvages”, laquelle contiendra une flopée de personnages et de lieux (à telle enseigne que, pour la première fois, je pense placer un aide-mémoire des noms, notamment pour ceux qui lisent sur une longue période et peuvent avoir oublié qui est qui) ; il faut se familiariser avec les personnages, avec le ton, le vocabulaire, s’apercevoir que ces gens ne disent peut-être pas “ouais” ou “merde” aussi naturellement que nous, qu’on a besoin d’un juron local tout de suite, et d’une information sur la chasse au collet, et d’ailleurs à combien de mois sommes-nous exactement de la fonte des neiges, et ah, tiens, finalement, Machin, tu veux dévider tout ton passé là tout de suite parce que ça te pèse et que ça ne peut pas attendre le chapitre 12 ? Okay…

Pour ma part, l’écriture suit une courbe logarithmique, avec un début lent, le temps que tous ces gens trouvent leur voix (et moi avec), que l’orchestre apprenne à se connaître, qu’on entame le voyage tous ensemble. La préparation est bien jolie, mais vient toujours un moment où il faut se lancer aux côtés des protagonistes, et nul plan n’y suffira jamais. Mais c’est aussi une partie du plaisir, justement, et c’est pour cela, je le crois de plus en plus, qu’il ne faut pas trop s’appesantir en préparation – oui, je vous regarde, camarades auteurs structurels. La préparation donne un filet de sûreté, nous savons où nous allons, nous n’allons pas caler en plein désert, mais, en principe, on peut finir par s’abstenir d’étudier de façon obsessionnelle la carte pour davantage profiter de la promenade, des chemins de traverse, des éventuels raccourcis ou meilleurs trajets qui se présenteront, et prendre du plaisir à la balade. Pour avancer, il suffit peut-être d’avoir un objectif de long terme bien compris et assimilée, d’une idée claire de la scène en cours et d’une vague conception de la poignée qui suivra ; avec les bonnes questions narratives – où sont-ils, que veulent-ils, comment cela fait-il avancer l’histoire – l’auteur détient toujours une boussole, ce qui compte peut-être davantage, au bout du compte, qu’une carte très fiable. On n’écrit qu’une scène à la fois, qu’une phrase à la fois, jamais un roman tout entier ; il faut arrêter d’angoisser qu’il faut tout avoir en tête à chaque instant. Impossible.

Du moins, découvre-je, c’est ce que vers quoi je tends de plus en plus actuellement dans ma pratique, et dans l’écriture des Dieux sauvages. Et tu sais quoi, auguste lectorat ? Eh bien, c’est fun. Mais je me rends compte aussi que j’aurais été incapable d’une telle approche il y a plusieurs bouquins, parce que j’avais trop peur. Bon sang, il faut bien que j’apprenne des trucs sur la durée, à force, le plus important étant : me faire confiance, mon inconscient sait ce que je fais et me guidera si je le laisse faire, mon conscient peut lâcher prise et se concentrer juste sur l’action du moment. Ça va aller. J’ai déjà fait tout ça plusieurs fois, au bout d’un moment, ça ne peut pas être entièrement un coup de chance (ainsi que le hurlent évidemment, toujours, tous les egos névrotiques de tous les auteurs de la Terre). Je ferai de mon mieux, comme à chaque fois, et je le referai – je ne peux pas davantage, et je refuserai moins. Et j’ai appris des trucs. Donc, si je prends seulement soin de m’écouter, cela a même de fortes chances de devenir meilleur à chaque fois1.

Au fait, le titre de travail du Livre I des “Dieux sauvages”, titre qui a de fortes chances de devenir définitif, est La Messagère du ciel. 

  1. Cela ne veut pas dire qu’il faut attendre ma mort pour acheter mon dernier bouquin, hein. Mon éditeur n’est pas d’accord. Et moi non plus. Sinon, ma mort arrivera plus tôt que tard, de toute façon – d’inanition.
2016-06-21T19:15:17+02:00mercredi 22 juin 2016|Technique d'écriture|15 Commentaires

Nancy Kress, Characters, Emotion & Viewpoint

« Story is character », dit Elizanbeth George dans Write Away1. On peut disconvenir de la formulation, mais une évidence subsiste : aucune histoire, aussi passionnante soit-elle, ne peut subsister sans personnages forts, intéressants, qui vivent et qui souffrent, alors qu’une histoire un peu faible peut être sauvée par des personnages inoubliables (que serait How I Met your Mother sans Barney ?). La création d’individus fictifs crédibles, originaux et surtout vivants est un des grands défis de l’écriture, et c’est ce à quoi ce livre cherche à répondre.

Le nom de Nancy Kress est un gage de qualité : gagnantes de plusieurs prix Hugo, Nebula, Asimov’s, on la connaît en France entre autres pour le cycle de La Probabilité, très chouette trilogie de space opera un peu hard science sur les bords avec des idées originales et une civilisation (Monde) attachante. Et l’on ressent dans ce volume la même clarté qui préside à sa plume de romancière : elle domine son sujet et parvient à le communiquer avec une érudition qui ne sacrifie jamais à la pédagogie.

Au cours de ces 200 pages, Kress aborde tous les sujets relatifs à la création et à la mise en scène des personnages : historique, présentation, changements, point de vue (un bon quart dévolu à ce seul aspect). Comme souvent dans ce genre de manuel, elle mélange théorie et techniques ; si la première mérite d’être disséquée et méditée en détail par le lecteur, les secondes ne devront pas être prises comme un inventaire exhaustif, mais simplement comme des exemples qu’il faudra s’approprier, puis détourner. De nombreux exercices en fin de chapitre, bien pensés, enseigneront un certain nombre d’astuces à celui qui les fera avec assiduité.

On résume souvent la création de personnages à une fiche détaillée et à un environnement, alors que le plus important, pour l’écriture d’une histoire, est leur motivation, leurs objectifs, leur vision de monde (lesquels découlent de ce fameux passé, mais il est une charpente qui étaye l’identité et non l’essence totale du personnage). Kress accorde une place non négligeable aux détails biographiques, mais laisse justement cette motivation émerger et appuie son importance dans l’histoire. On peut regretter qu’elle n’insiste pas davantage sur le lien que nourrissent personnages et intrigue – la motivation doit venir justement servir l’histoire que l’on souhaite raconter – mais il faut supposer que cela dépassait le cadre de ce volume et que la pratique se charge de l’enseigner.

Toutes les techniques que présente ce volume sont relativement fondamentales, ce qui en fera une lecture extrêmement profitable pour le jeune auteur, qui sera bien inspiré de faire les exercices proposés. L’écrivain expérimenté n’y apprendra probablement rien de très nouveau, à part un fondement théorique poussé à ce qu’il fait peut-être intuitivement, ce qui est toujours bon à prendre, et justifie pleinement la lecture.

Une épiphanie peut cependant toucher : Kress conclut son livre sur une leçon profonde et simple, comme le sont toutes les bonnes leçons ; un piège dans lequel, à mon humble avis, tous peuvent tomber. Le meilleur service qu’un auteur peut rendre à son récit, dit-elle, c’est de comprendre que c’est l’histoire de ses personnages, et non la sienne propre. Un agréable précepte à encadrer au-dessus de son bureau qui allège les enjeux : en libérant l’esprit et la narration, il encourage la prise de risques et pousse à aller chercher au fond de soi cette vérité qui fera le sang d’un beau récit.

  1. “L’histoire, c’est les personnages”, dans Mes Secrets d’écrivain
2014-08-05T15:23:05+02:00mercredi 26 janvier 2011|Best Of, Technique d'écriture|5 Commentaires

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