Apprenons les bases de la typographie pour rendre un manuscrit soigné – 1. Règles générales et outils

Merci, Inspirobot.

Divers évolution concomitantes m’ont conduit à lâcher la quasi-totalité de mes cours à la fac d’Angers, parmi lesquels figuraient certains “Outils informatiques du traducteur”. Fermement décidé à ce que ma plus grande œuvre ne sombre pas dans l’oubli, je vais archiver en ces lieux étranges une certaine part de ma sagesse suprême, la connaissance la plus lumineuse qu’il m’ait été donné de partager, et vous emmener avec moi dans les hauteurs sublimes du savoir.

C’est-à-dire que je vais vous saouler avec de la typographie.

Pourquoi et qu’est-ce que c’est, la typographie

La typographie, c’est, en gros, l’art de composer une jolie page. À l’origine, c’était le métier des compositeurs qui manipulaient les blocs de fonte (petits, je vous rassure) (mais les gens étaient peut-être musclés quand même) qui formaient la page imprimée. De nos jours, c’est principalement virtuel, et cela désigne les règles, construites par l’usage et l’expérience au fil des siècles d’imprimerie, qui forment une page reposante et harmonieuse à lire.

C’est donc important parce que cela concerne le confort de lecture. C’est aussi important parce que le compositeur (qui travaille aujourd’hui sur InDesign ou XPress) doit respecter ces règles pour fabriquer un livre que le lecteur découvrira avec plaisir. C’est donc important pour l’auteur, parce que respecter ces règles autant que faire se peut dénote sa connaissance du métier au sens large, le soin qu’il prend des yeux de son éditeur, son souci de faire gagner du temps à son metteur en page (et donc de l’argent à tout le monde), bref, c’est une preuve agréable de professionnalisme.

Disons tout de suite qu’un traitement de texte (quel que soit le vôtre, Word, Ulysses, Scrivener, Open Office…) n’est pas un logiciel de mise en page et qu’il existe certaines choses quand même impossibles à faire, mais s’approcher au maximum de l’idéal est appréciable (et on ne saurait demander d’aller plus loin). Respecter ces règles ne fera évidemment pas de vous un grand écrivain (et ne pas les respecter, à moins de vraiment faire exprès, ne vaudra pas un refus sommaire de votre manuscrit), mais au moins un bon partenaire, et comme le découvrent tous les jeunes qui ont conservé leur virginité pour leur nuit de noces, on sous-estime parfois l’importance d’être un bon partenaire dans la construction d’une relation plaisante.

Règles générales et caractères spéciaux

Installons d’ores et déjà une notion qui nous servira plus tard : le cadratin. C’est la largeur maximale que peut occuper un caractère (bon, je résume, hein). Pour une police de caractères à espacement variable, par exemple, un “i” prend moins de place qu’un “m” (c’est le cas sur cette page si vous l’affichez avec les paramètres par défaut) – le cadratin est donc la largeur théorique maximale d’un caractère avec la police donnée.

Un certain nombre de conventions typographiques s’appuient sur des caractères spéciaux (il existe par exemple trois types de tirets différents, qui n’ont pas la même sémantique). Il importe de savoir les entrer sur son ordinateur, et j’aurais tendance à recommander d’acquérir ces réflexes au plus vite pour les intégrer inconsciemment au moment de la rédaction d’un livre (car faire une passe purement typographique sur son manuscrit est une manière assez sûre de réduire son espérance de vie de trois mois et deux semaines par ennui profond).

Dégageons déjà (oh la belle allitération en J) quelques points auxquels prendre garde (et quelques idées reçues auxquelles tordre le cou) :

Oui, EN FRANÇAIS, LES MAJUSCULES SONT ACCENTUÉES. La légende du contraire circule depuis la machine à écrire (parce qu’on ne pouvait pas facilement les intégrer) mais la règle typographique française a toujours été qu’on accentue les majuscules. Les accents ont du sens.

Usage des italiques. Elles sont principalement réservées aux intériorisations (Fromage ou dessert ? se demanda en son for intérieur l’incroyable Hulk au cocktail des Avengers) et aux locutions étrangères (What the phoque ?), ce qui, caveatinclut le latin. Donc : in pettoin extremisvia le RER B, a priori (sans accent sur le “a”, c’est du latin, Priori n’est pas un lieu, sauf si vous parlez du palazzo de Pérouse).

Les points de suspension sont un seul caractère (et pas, comme on dit au primaire, “trois petits points”). Essayez de sélectionner avec votre pointeur ceci : … et cela … ; know the difference, it can save your life. (Ou peut-être pas, mais on n’est jamais trop prudent.)

Les apostrophes sont dites typographiques – ce n’est pas un trait (comme ceci : ‘) mais une sorte de virgule à l’exposant (comme cela : ’).

Il existe (donc) trois types de tirets. Le trait d’union (-), qui sert à relier les mots composés, de-la-sorte. Le tiret cadratin, à l’inverse, est le plus long qui soit (par définition du cadratin, voir plus haut) et ne sert qu’aux dialogues (—). On a longuement débattu de la ponctuation des dialogues spécifiquement dans trois articles, 1) les bases, 2) le formatage classique, 3) le formatage moderne. Enfin, le tiret semi-cadratin est plus long que le trait d’union, plus court que le tiret cadratin (–) et – wait for it – sert aux incises – comme ce qui précède.

Entrer des caractères spéciaux

Il faut être juste et rendre à Word ce qui lui appartient : malgré ses innombrables idiotes-syncrasies, il reste le champion du respect de la typographie française, et fait à peu près tout correctement. Mais il peut rester des occasions où l’on veut entrer manuellement un caractère spécial. Et là, comme qu’on peut faire ?

Sous Mac et iOS. C’est très simple. Tout est accessible facilement et logique par combinaison de touches (Verr. Maj pour les majuscules accentuées ; option-quelque chose pour le reste – voir le Visualiseur de clavier sur Mac, activable dans les préférences). Circulez, y a rien à voir, c’est logiquement fait et c’est chouette, et ça marche pareil entre un Mac et un iPad, en plus.

Sous Windows. C’est beaucoup plus compliqué. Les traitements de texte prévoient souvent des raccourcis clavier, mais ça n’est jamais les mêmes en fonction du logiciel. Les deux solutions un tant soit peu universelles et pratiques consistent, soit à installer un pilote de clavier étendu donnant davantage de caractères accessibles (par exemple celui de Denis Liégeois, kbdfrac)1, soit à utiliser les codes de caractère du système (solution que j’ai utilisée pendant 25 ans depuis Windows 3.1 avec un post-it sur mon moniteur jusqu’à ce que ça rentre dans ma mémoire musculaire…). En gros, taper Alt et une combinaison de chiffres au clavier. Lesquelles sont, pour les plus utilisées :

… et avec ça, nous avons tous les outils en main.

La prochaine fois, nous parlerons d’espaces et de leur juste usage. Comment que c’est trop grave excitant du fun ! Non ?

  1. Ou carrément passer en disposition Bépo, mais ça nous entraînerait trop loin