Elizabeth George, Mes secrets d’écrivain

Comme bien des livres de technique écrits pas des grands noms, Mes secrets d’écrivain (titre un peu bling-bling par rapport à l’original Write Away, soit un appel positif à l’écriture sans complexes) se place entre le livre de technique aride et les mémoires d’auteur. C’est la même approche que Patrica Highsmith avec son Art du suspense, mais George propose un volume bien plus intéressant et profitable.

La première partie, “Vue d’ensemble du métier »1, récapitule de façon très générique ce qui fait la chair d’une histoire : personnages, atmosphère, intrigue. C’est là qu’elle attaque sans ambiguïté sur son “story is character” (une histoire, ce sont des personnages), une déclaration éventuellement discutable mais dont la démonstration est d’un grand intérêt, surtout pour tous ceux qui ont tendance à se laisser entraîner par leur monde.

La deuxième, “Les bases”, est la plus technique : George ne craint pas de dévoiler étape par étape la façon dont elle construit ses romans, livrant de nombreux “trucs” pratiques pour dynamiser un dialogue, organiser les scènes. George a fait des études de psychologie et cela se sent : son approche des personnages est très psychanalytique, peut-être trop pour certains, mais j’aurais tendance à penser que tout écrivain doit avoir une part de psychologue en lui pour construire des personnages humains, complexes, vraisemblables et donc intéressants. Elle explique notamment en grand détail son approche des besoins et objectifs de chacun, à travers le “besoin fondateur” et la “manoeuvre pathologique“, deux germes incroyablement simples et précieux pour guider l’écriture.

La troisième et la quatrième sont plus attachées au processus de construction en lui-même, et on trouve là moins d’informations originales, à part, peut-être, l’emphase énorme que place George sur la discipline d’écriture : elle le dit sans détours, selon elle, c’est la seule qualité indispensable à la réussite, devant la passion et le talent. Un coup de pied au derrière taille 72, toujours bienvenu. La dernière partie est la moins intéressante, concentrée autour d’exemples et d’études de cas tirés de son propre travail.

Ce qui rend ce livre aussi intéressant à mon sens est une véritable envie pédagogique. George ne prétend nullement enseigner une méthode infaillible de réussite, mais elle met à nu son propre processus de création en partageant au fil de l’eau quelques leçons qu’elle a apprises. Cet équilibre, difficile à négocier, lui permet justement de dégager quelques leçons de valeur (qu’on aurait envie de qualifier d’universelles) tout en encourageant chaque auteur au travail et à la quête de ses propres vérités. Elle explique humblement ses propres travers et comment elle les combat ; elle délimite clairement les circonstances où la rigueur et la logique doivent dominer (George est clairement structurelle), et celles où c’est la liberté et l’inspiration qui doivent prendre la main.

En revanche, il faut noter que la forme et le discours de ce livre sont d’une simplicité trompeuse. En conséquence, il me semble que pour en tirer le maximum de profit, il convient d’avoir soi-même déjà conduit une certaine forme de réflexion sur les défis de l’écriture – et même de s’être heurté plusieurs fois à des difficultés. Je doute qu’il puisse donc être très pertinent pour le très grand débutant. On peut aussi grogner devant la quantité d’extraits tirés de son propre travail George présente au fil des pages, mais il faut admettre que les exemples sont pertinents et, surtout, admirables de justesse narrative : de vraies démonstrations.

En définitive, plus qu’un exposé de technique ou des mémoires d’écrivain, ces Secrets sont presque un appel à construire sa propre méthode, libéré des entraves et des attentes quant au résultat. Bien peu de livres sur l’écriture parviennent à transmettre ce message, à distiller une telle passion, à redonner une telle envie quand le découragement guette face à un obstacle en apparence insurmontable.

  1. Les traductions sont de mon fait, ayant lu le livre en anglais.
2014-08-05T15:23:07+02:00lundi 25 octobre 2010|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Elizabeth George, Mes secrets d’écrivain

Patricia Highsmith, L’Art du suspense, mode d’emploi

Patricia Highsmith, l’auteur acclamée du Talentueux Monsieur Ripley ou de L’Inconnu du Nord-Express, se propose dans ce livre d’analyser en détail les éléments du roman à suspense, passant, comme beaucoup de livres de technique, de la naissance de l’idée aux corrections du manuscrit en passant par la construction de l’intrigue. La brieveté du volume (218 pages en français) laisse espérer une grande densité de leçons glanées pendant une vie d’écriture à succès, abandonnant le délayage au profit de l’efficacité et de la concision.

Hélas, il n’en est rien.

L’Art du suspense, mode d’emploi est tout sauf un mode d’emploi du suspense. Highsmith mêle des anecdotes tirées de sa vie – nullement inintéressantes mais d’une portée forcément limitée, surtout dans le cadre d’un livre aussi court – à, certes, un certain nombre de recommandations techniques, mais extrêmement basiques, et surtout dérivant au gré de ses réflexions sans véritable plan ni fondement théorique. Le livre peine à trouver sa place entre le manuel pour grands débutants, le récit de mémoires et les pensées d’ordre global sur l’écriture ; à un certain nombre de questions revenant régulièrement comme le choix du point de vue, Highsmith répond souvent “tout est possible, ça dépend”, ce qui est effectivement la seule vraie réponse qu’on puisse faire, mais n’est pas d’un grand secours pour le jeune auteur, lequel espère plutôt des lignes directrices ou des conseils pour orienter son choix. Le livre ne propose à la place que des exemples, dont la valeur est, en plus, parfois discutable.

Ajoutons que Highsmith ne dit quasiment rien de la construction d’intrigue proprement dite, de son processus, à part qu’il convient d’y prêter une grande attention dans le cadre du suspense, puisque tous les faits doivent concorder et se justifier mutuellement. D’accord, merci, mais on attend de ce genre de livre au minimum une analyse de ce sur quoi le suspense repose de manière à appréhender l’effet, analyse d’une absence criante ici.

Il semble en plus que le livre n’ait jamais été révisé ; l’édition que j’ai eue entre les mains (en anglais, Plotting and Writing Suspense Fiction) date de 1983 et passe un temps non négligeable à parler de la technique sur machine à écrire, entre papier carbone et versions successives du manuscrit. Depuis la généralisation du traitement de texte, ces considérations ont bien sûr disparu et ne sont d’aucun intérêt autre qu’archéologique pour qui s’intéresse à la méthode de travail des auteurs. Je doute également que le marché de la nouvelle soit aussi florissant aujourd’hui qu’elle ne le présente 27 ans plus tôt.

Les deux intérêts principaux du livre résident probablement, d’une part dans la germination des idées, d’autre part dans l’approche du milieu éditorial. Highsmith a quelques considérations d’intérêt à proposer sur la naissances des idées, leur croissance organique et la façon dont elles finissent par prendre vie et susciter l’envie de les écrire. D’autre part, elle montre une approche très pragmatique du texte, entre révisions et corrections éditoriales, coupes et adaptations pour la télévision et le cinéma, ce qui peut s’avérer instructif pour les jeunes auteurs qui ont parfois tendance à considérer leur production comme sacrée et intouchable…

Néanmoins, ces deux aspects ne justifient absolument pas le prix exigé pour le volume français en occasion (40 € sur Amazon). Cela sent le livre de commande rédigé sans véritable plan ni vraie envie de faire partager son savoir-faire. Sur la construction et la naissance des idées, on lira avec bien plus de profit Mes Secrets d’écrivain d’Elizabeth George ; sur la nature même du texte et la mission de la littérature, The Art of Fiction de John Gardner (déjà critiqué ici) ; sur la technique même du texte, Comment écrire des histoires d’Elisabeth Vonarburg, trois volumes qui détaillent bien mieux et de façon bien plus complète ce que ce Mode d’emploi échoue à faire.

À réserver donc, éventuellement, aux fans de Patricia Highsmith qui veulent en savoir plus sur sa méthode de travail ou aux boulimiques comme votre serviteur qui, de toute façon, lisent tout ce qui ressemble de près ou de loin à un livre de technique d’écriture (et qui pourront le lire en anglais à moindre coût).

2014-08-05T15:23:07+02:00mercredi 6 octobre 2010|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

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