Cinq ans d’analyse de l’observatoire de l’imaginaire

Depuis cinq ans et les premiers États généraux de l’imaginaire, l’Observatoire fait un travail passionnant sur l’économie et la sociologie du domaine : les conclusions résumées sont à lire sur ActuSF, avec le rapport général à télécharger et dépiauter.

Quelques observations encore plus résumées en vrac en ce qui me concerne :

Le CA du secteur a augmenté récemment, mais je me demande à quel point c’est dû à la pandémie ; je ne gagerais malheureusement pas que cela se maintienne.

Les autrices sont à présent majoritaires ! Mais disons donc plutôt, et sous réserve que cela se maintienne : à parité dans le domaine des nouveautés, en ce qui concerne le secteur pris dans son ensemble. Ça n’est pas encore vrai pour les invitations en festival et il faudrait voir ce qu’il en est pour les budgets de communication, mais on va espérer que ce premier jalon d’équité amène mécaniquement le reste rapidement.

Les médias généralistes parlent toujours aussi peu d’imaginaire – ça ne surprendra pas grand-monde. Quand ils en parlent, ils favorisent la SF : ça ne surprendra pas grand-monde non plus. Hot take (j’ai plus Twitter, alors faut bien que je m’attire des foudres quelque part) : la culture française a toujours eu soif d’intellectualisme. On a honte, en France, de parler de divertissement ; il faut avant tout que la littérature ait l’air sérieuse et se vende comme telle. La SF se prête mieux à cela, quand la fantasy, de manière générale, tend à mettre en avant l’aventure et le rêve avant la gravité et le sérieux de ses thèmes (cela ne signifie nullement qu’elle en traite moins, ni que la SF est chiante : on parle ici de pure présentation médiatique). La SF est donc plus facile à vendre pour un support généraliste qui s’adresse à un grand public soucieux de sa validation.

➡️ Lire les conclusions en détail sur ActuSF

2023-12-04T07:21:56+01:00lundi 4 décembre 2023|Le monde du livre|2 Commentaires

Genre, rôles, narration et Final Fantasy

ffxv_castÇa râloche un peu sur la toile alors que la sortie de Final Fantasy XV approche à grands pas : le groupe de personnages central est constitué presque exclusivement d’hommes.

Je suis le premier à râler, pour ma part, sur des représentations bidimensionnelles des femmes dans la fiction, sur leur présence comme simples faire-valoir, ou comme accessoires narratifs allant à la limite du McGuffin (Sauver la princesse ! Pourquoi ? Pour donner une raison à nos péripéties !), mais il y a toujours quelque chose qui me dérange dans l’établissement de principes. Et, alors que le jeu n’est pas encore sorti, j’ai l’impression que les quelques cris d’outrage qui s’élèvent devant la forte proportion masculine du groupe relèvent du principe. Nous ignorons comment ces personnages sont écrits. Nous ignorons si la moitié des mecs ne sont pas simplement là, justement, comme faire-valoir, s’ils ne sont pas crétins comme des jantes alu. Nous ignorons la profondeur d’écriture des personnages féminins minoritaires.

Peut-être ces femmes seront-elles insignifiantes, je ne dis pas. Nous ne le savons simplement pas à l’heure actuelle.

Je peux concevoir qu’on peine à s’identifier au sexe opposé, dans la lecture ou le jeu vidéo (même si cela me paraît toujours un peu mystérieux, étant peu sensible à la chose et ayant toujours préféré Motoko Kusanagi à Conan). Je peux concevoir, donc, qu’on regrette de ne pouvoir jouer une femme, le cas échéant (Final Fantasy XIII, par exemple, équilibrait bien les genres avec une palette assez étendue de caractères, du crétin-e au réfléchi-e). Je suis gêné quand, au nom d’un principe, il semble devenir obligatoire de respecter une forme de parité dans la fiction, préférant l’équilibre des nombres à celui de la qualité1.

La fiction, en particulier littéraire, mais on l’exige de plus en plus du jeu vidéo, vise à l’illusion de réalité. La réalité est que, dans certains groupes, certaines étapes de l’existence, des communautés du même sexe se fédèrent. Les bandes de copains, les bandes de copines. Final Fantasy XV (au désespoir de beaucoup, mais c’est un autre sujet) semble tenir du road movie centré sur un prince en fuite et sa bande de potes dans une grosse bagnole. Sachant qu’on ignore la teneur exacte du scénario, il me semble étrange, pour le moins, de s’offusquer de l’absence de femmes dans ce qui est, de toute évidence, l’histoire d’un groupe de bros. Comme Final Fantasy X-2 était l’histoire d’une bande de filles.

Sans compter que les bros en question ressemblent quand même sévèrement à des idoles de pop asiatique, gominés et un chouia efféminés, plutôt destinés à la contemplation des adolescentes japonaises… Les intentions et raisons me semblent plus complexes qu’il n’y paraît. Ah là là, cases et catégories, vous êtes pourtant si pratiques ; pourquoi les événements refusent-ils d’y rentrer commodément afin que l’on puisse désigner qui l’on doit fustiger, qui l’on doit encenser ?

Je pense, peut-être avec faiblesse, qu’il vaut mieux éviter de coller une donzelle mal écrite pour éviter de froisser les sensibilités superficielles en plaidant: “vous avez vu, j’ai mis une femme, je suis super progressiste !” et plutôt s’abstenir si ça ne colle pas à l’histoire, ou pire, si on ne sait pas bien l’écrire (plutôt ne pas représenter que mal représenter, me semble-t-il). Il me semble que l’honnêteté narrative et morale d’un auteur doit être simplement gouvernée par deux principes : 1) ne pas éclipser ou amoindrir la présence des femmes 2) leur consacrer le même soin dans la profondeur du traitement qu’aux hommes.

Au-delà de ça, je crois qu’il ne faut pas mélanger les intentions. Si je me rappelle bien, dans Ghost in the Shell, Kusanagi est à peu près la seule femme importante de la narration, dans une unité par ailleurs masculine, et pourtant, elle éclipse à peu près tout le monde par sa compétence, sa complexité, ses dilemmes, son importance dans le récit2. Au fond, je suis très ennuyé de me dire qu’un jour, parce que je chercherais à dépeindre un groupe masculin comme une fraternité lycéenne ou simplement m’inspirer des codes du buddy movie, on pourrait compter le pourcentage de chromosomes XX dans ma narration et venir me présenter l’addition, comme ce qui se passe en ce moment autour de FF XV. La vie, et donc la narration, dont elle est le reflet à la fois pâle est sublimé, est plus complexe que cela. Il existe des communautés unigenre ; si la fiction peut aider à faire bouger les lignes en présentant des personnages à contrepied des conventions, en ouvrant des horizons nouveaux sur la société, ce qui est fantastique, elle se tient aussi comme peintre du réel, ce qui lui fait arpenter une ligne aussi fine que casse-gueule.

Ce qui fait la différence, c’est l’intelligence du traitement, du propos.

Je crois simplement que le critère d’évaluation n’est pas les effectifs, mais la qualité. Dans le cas de FF XV, je suis prêt à parier que la moitié des dudes en question seront des clichés ambulants de lycéens abrutis. Est-ce que cela ne sera guère flatteur pour la gent masculine ? Peut-être, mais quelle importance ? Ce n’est pas la bonne question : c’est la réalité, quantité de lycéens masculins sont des clichés ambulants, et ça peut être amusant dans le cadre d’une narration, tant qu’il y a une bonne histoire, et de l’intelligence dans le propos par ailleurs. Tant que, par ailleurs, on équilibre le discours global avec de plus hautes aspirations. Peut-être que les filles vont leur rabattre le caquet en permanence (je suis prêt à le parier là aussi, si j’ai bien pigé le nouveau public que FF XV essaie de rallier). Et en plus… nous ne savons même pas précisément quels seront les personnages jouables.

Y a-t-il du sexisme là-dedans ?

Nous le saurons une fois le jeu sorti. Dans l’intervalle, à mon humble avis : il y a sexisme dans la narration quand les personnages d’un sexe donné ne servent que d’outils, de faire-valoir, sont dépeints à la va-vite. Il y a sexisme dans la narration quand les personnages d’un sexe donné sont volontairement passés sous silence par rapport au milieu où se déroule l’intrigue, comme une fraternité ou une sororité. L’équilibre des genres est un noble but à atteindre et, si le récit le permet, je trouve qu’il est très bon d’y prendre un peu garde afin d’élargir ses horizons.

En revanche, je ne crois pas que, dans le contexte d’une narration, le sexisme puisse se résumer à une comptabilité abstraite, déconnectée de tout discours sous-jacent.

  1. Il ne s’agit pas de l’Assemblée Nationale ou de la direction d’une grande entreprise, où le problème est autre. Oui, la fiction peut être en avance sur la réalité mais… lisez la suite de l’article, sur le milieu dont il semble s’agir.
  2. Du moins, quand Masamune Shiro évite d’en faire une pin-up à la limite du vulgaire sur certaines illustrations.
2014-11-06T09:44:39+01:00jeudi 25 septembre 2014|Humeurs aqueuses|5 Commentaires

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