Le “Vonarburg” – un des meilleurs livres francophones sur l’écriture

Couv. Charles Montpetit

Couv. Charles Montpetit

Depuis le temps que je propose des articles sur la technique d’écriture, il serait quand même temps de parler convenablement dudit “Vonarburg” – Comment écrire des histoires, guide de l’explorateur – un incontournable (et un des rares) sur le sujet qu’on trouve en langue française. Autrefois difficile à commander, il est à présent ressorti dans une édition remaniée et définitive chez Alire ; l’article ici présent a été réalisé sur la version d’origine parue au Griffon d’Argile, mais vu qu’il n’y a, déjà, presque que du bien à en dire, on ne peut que supposer cette nouvelle édition encore supérieure.

Si ce livre est un incontournable, c’est qu’il fait partie des meilleurs en qualité, en accessibilité et en utilité, que ce soit en langue anglaise ou française. Il fournit dans une langue claire, mais sans sacrifier la profondeur, des éléments fondamentaux mais capitaux à la rédaction d’une oeuvre de fiction, mêlant principes généraux et avertissements pratiques quant aux pièges les plus courants. Rarement on trouve aussi bien exprimé le contrat liant l’auteur au lecteur : “mens-moi, mais fais ça bien” est devenu une formule répandue dans les ateliers d’écriture.

L’ouvrage s’organise en trois parties :

Les structures narratives posent des principes fondateurs quant à la narration, rappelant des notions élémentaires mais indispensables comme le point de vue ou l’usage des temps. Il faut remarquer que tout auteur se doit de connaître et de maîtriser parfaitement toutes les notions de ce chapitre jusqu’à ce qu’elles deviennent une seconde nature : il s’agit d’outils de base, mais aussi terriblement puissants quand on les domine. J’avancerais même que manquer à les maîtriser, c’est s’exposer à un refus quasiment assuré de son manuscrit. Très pédagogique et regorgeant d’exemples, le discours est à la fois lumineux et amusant.

L’entracte ou menu ludique est probablement la partie qui servira le moins à l’auteur en quête d’apprentissage. Un éventail de jeux littéraires (on y trouve cadavre exquis, anagrammes, jeux sur les homphones…) vise entre autres à dédramatiser le rapport à l’écrit, à lancer la créativité, à lui faire emprunter des chemins de traverse. On sort ici de la technique narrative pour aborder plutôt le domaine des exercices d’atelier ou de découverte.

Enfin, les problèmes narratifs traitent les obstacles, questionnements ou pièges les plus souvent rencontrés, mais dépassent aussi le simple catalogue pour aborder tout un éventail de principes importants, en particulier dans la présentation de l’univers (une difficulté particulière de l’imaginaire) et la gestion des personnages.

L’annexe propose une plongée rare dans la genèse d’une nouvelle rédigée par l’auteur elle-même : avec le texte achevé, on dispose des notes ayant conduit à sa création, ce qui est un document instructif et précieux.

Si l’on peut arguer que ce Guide de l’explorateur se destine probablement plus au débutant ou à l’auteur faisant ses premières armes, il pourra néanmoins être lu avec profit par tous, quelle que soit son expérience. L’ouvrage explicite en effet de façon claire et poussée un certain nombre de notions, permettant de les dépoussiérer voire de les cadrer (si ce n’est pas encore fait) avec rigueur. La partie sur les problèmes narratifs permet de (re)visiter des obstacles connus (ou qu’on découvrira) avec une nouvelle approche, et d’alimenter la réflexion (ou d’éviter de s’y cogner tête baissée).

La réception d’un livre sur l’écriture est extrêmement variable en fonction de la sensibilité du lecteur et du stade de sa maturation ; il est des rencontres qui se font au bon moment, des ouvrages qui arrivent trop tard, ou bien trop tôt. Mais s’il existe un volume qui s’approche de l’universalité sur le sujet, c’est bien celui-ci, probablement l’équivalent français de John Gardner (The Art of Fiction) – sauf que le Vonarburg, lui, est amusant à lire, en prime. On pourra en lire un extrait ici.

 

 

2018-07-17T16:55:56+02:00lundi 19 janvier 2015|Best Of, Technique d'écriture|4 Commentaires

Les vrais mecs sont féministes

feminism-women-are-peopleOK, avec tous les remous qui agitent la question du genre, du mariage pour tous à l’article de Mar_Lard sur le sexisme dans le milieu geek en passant par les innommables lois anti-avortement dans les États fondamentalistes du sud des USA, on voit surgir un nouveau machisme en réaction aux progrès acquis par les droits des femmes et sur les rôles en général. Une espèce de patriarcat bon teint, qui ressemble un peu au racisme bon teint, c’est-à-dire la profération d’âneries (voire d’horreurs) comme des évidences bénignes.

Je crois qu’il est temps de dire une bonne fois pour toutes que les vrais mecs sont féministes

Caveat : C’est un peu difficile, quand on appartient à la population dominante comme moi (mâle blanc hétéro), de parler de ce genre de sujet ; on y fait promptement, mais involontairement, preuve de condescendance envers la population qu’on s’efforce de défendre, ce qui est une forme insidieuse de domination. Qu’il soit donc déclaré tout de suite, ô, mes soeurs humaines, que j’ai conscience de la place (chanceuse) que j’occupe, et que toute possible imprécision de ma part n’est pas de la condescendance, mais de l’ignorance – le débat est ouvert en commentaires. Je n’ai volontairement pas fait relire ce article par une femme pour qu’il soit brut de décoffrage, dans son (possible) aveuglement comme sa (réelle) sincérité : ainsi, espérons-le, parlera-t-il aux autres mâles blancs hétéros (auquel il s’adresse surtout, puisque les femmes, en principe, seront convaincues). Je remercie aussi toutes les nanas que j’ai croisées (et espère bien croiser encore !) pour les discussions riches d’enseignements.

Nous prendrons également pour acquis que la domination masculine est un fait indéniable. S’il y en a ici pour en douter, juste deux données françaises piochées sans forcer : droit de vote accordé aux femmes en 1944 en France ; 20% d’écart de salaire à l’heure actuelle1 Enfin les commentaires sont bienvenus, mais, les mecs, merci d’éviter le second degré lourdingue. Vous n’êtes pas drôles. Pour le reste, je rappelle que je modère sans pitié.

Ceci étant dit : dans une formule provoc’ comme celle du titre de l’article, il convient de définir les termes, pour montrer en quoi, finalement, elle n’est pas provoc’ du tout.

Le féminisme

Loin de moi l’idée de me prétendre expert ni même de faire un panorama de la question. J’avoue volontiers une certaine ignorance, et les mouvances sont, par ailleurs, multiples. Voir le caveat. Cependant, il me semble qu’il n’est pas nécessaire de faire un doctorat de sciences sociales pour faire de ce mot une notion opérante au quotidien (ce qui est plus immédiat que des thèses), quand on essaie de se comporter en être humain décent (ce qui est un processus constant semé d’embûches).

xkcd-girls and mathLe féminisme, c’est défendre les droits des femmes, c’est tout. Et les droits des femmes, ce sont les droits de l’homme (en tant qu’espèce biologique). Genre, les mêmes. Traiter les femmes comme des êtres humains (ça semble basique, mais ça échappe à beaucoup). Ça représente, sans se limiter à :

  • Respect et dignité de la personne en tant qu’être humain (tu t’habilles comme tu veux sans avoir peur, par exemple)
  • Liberté, en particulier de disposer de soi (c’est ton corps, tu en disposes comme tu l’entends)
  • Pleine reconnaissance de la différence (eu égard, en premier lieu, aux fonctions biologiques qui sont asymétriques dans notre espèce – je le dis pour ceux qui ont séché les cours de SVT)
  • Égalité des droits

Ha, la fameuse égalité des droits, l’argument de discorde, en général. Promouvoir l’égalité des droits pour les femmes conduit le sexiste de base à redouter une restriction des siens. On se demande comment (comme on se demande comment les chrétiens traditionalistes peuvent se sentir menacés par le mariage pour tous : en quoi donner aux uns des droits relatifs à la personne en priverait les autres ?) – sauf si ces fameux droits sont fondés sur une exploitation ou une domination d’autrui.

Tiens donc.

Je me tiens le plus loin possible de Freud et Lacan, mais je connais un peu mes corréligionnaires masculins, et je crois que la résistance à l’égalité prend principalement racine dans la frustration sexuelle et, inconsciemment, d’une ambiguïté envers la féminité, vécue comme un mystère, et donc anxiogène. (Ce n’est probablement pas la seule cause, mais celle-ci me semble profonde, et quasi-suffisante, en tout cas pour un article de blog crypto-subjectif comme celui-ci.) L’être humain redoute ce qu’il ignore, et tend à dominer ce qu’il redoute.

feminist-damned-ifyoudoPar conséquent, je crois qu’il y a, au coeur de la domination masculine, une angoisse de la frustration sexuelle, voire, au-delà, d’une frustration esthétique (qui englobe tout le reste au sens large, si l’on postule un noyau hédoniste à l’être humain). Sinon, pourquoi la notion de dissimulation du corps féminin serait-il tant répandue à travers le monde et érigée comme principe ? Pourquoi la première forme d’oppression masculine sur les femmes est-elle sexuelle ? Pourquoi les femmes sont-elles tant présentées comme des “tentatrices », en particulier dans le vocabulaire religieux (… où le célibat, d’ailleurs, est la norme) ? (Les mecs sont-ils donc si fragiles qu’ils ne savent résister à la tentation ? Bah alors, mes bichons ?)

C’est bien qu’il existe une population masculine tragiquement dominée par des pulsions dont elle ne sait que faire, et qu’elle ne sait assouvir que par la violence, trop mal équipée pour imaginer qu’il existe d’autres registres d’interaction2. Comme un enfant frustré et gâté réagit par le caprice. Je m’arrête là, ça nous entraînerait trop loin, mais vous voyez l’idée (j’espère).

Ce que ne voient pas les sexistes de base (en partie, soyons un peu magnanimes, à cause de siècles de façonnement social, ce qui ne se change pas en un an, mais évolue heureusement peu à peu), c’est que les droits ne sont pas une quantité finie, que si on en donne aux uns, on en enlève aux autres. Il faut ici mentionner le rôle qu’ont joué certaines mouvances extrêmistes du féminisme qui ont donné l’impression, par l’emploi d’une rhétorique guerrière, qu’il s’agissait de destituer les hommes de leur situation. On peut tout à fait comprendre la révolte féministe qui conduit à de tels extrêmes, mais non, les gars, détendez-vous, contrairement à ce qu’on entend ici et là, le féminisme ne vise pas à vous dominer. Et vous êtes un peu couillons si vous le croyez, excusez-moi. Si on vous l’affirme froidement et avec le plus grand sérieux, vous avez parfaitement le droit de répondre posément à votre interlocueur ou trice que c’est un(e) idiot(e), et d’aller discuter avec quelqu’un d’un peu plus intéressant.

En revanche, la révolte est, elle, parfaitement compréhensible, et elle n’est pas à minimiser, ni à prendre de haut. Une révolte est un signal qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Know the difference, it can save your life.

Il y a une façon positive de répondre à l’inégalité (de salaire, de traitement, etc.), et c’est en réfléchissant à la façon dont on peut améliorer le sort de tous, et/ou travailler (quand c’est pertinent) à la symétrie.

Case in point

feminaziPour être plus clair, et parce que, comme je l’ai dit, je n’ai pas de définition ni de principe, seulement des questions et une quête de réponses que j’espère opérantes dans l’existence, prenons le cas – pour revenir à la frustration sexuelle et esthétique née de la crainte du mystère féminin – du corps de la femme considéré comme objet. Exemple : une fille nue dans une pub sert à vendre du yaourt. Un groupe féministe s’énerve en râlant qu’on n’a pas besoin de foutre une meuf à poil pour vendre du yaourt. Le sexiste de base répond : “C’est du fascisme ! On ne peut plus rien dire, on est en pays libre, et si on a envie de voir des meufs à poil, merde ? Rentrez à la cuisine, lol, etc.”

Sens-tu, ô auguste lectorat, sous-jacente à cette protestation, la frustration sexuelle et esthétique ? Sens-tu aussi la parfaite incompréhension entre deux discours placés sur des plans qui n’ont rien à voir ?

Ce qu’il faut voir, c’est que si les femmes protestent contre le fait que leur corps soit utilisé comme objet, je crois, il me semble, que c’est avant tout parce qu’il est au service (quasi-)exclusif des hommes et l’héritage de siècles de domination masculine. Une forme de symbole. Ce qui entraîne une protestation que je trouve légitime.

OK, on est là. Que fait-on ?

Soit l’on arrête de montrer le corps féminin, point. C’est illusoire (étant donné les lois du marketing moderne), c’est problématique (parce que la frustration risque certainement de ressortir avec violence, comme en témoigne tristement l’histoire humaine), et bon, c’est esthétiquement dommage, parce que nu et élégance ne sont pas mutuellement exclusifs, comme le prouve le nu dans l’art à travers les âges (l’usage qu’on en fait est plus tangent, mais restons simples).

Mais le problème, éthiquement, vient-il de 1) l’usage du nu féminin en soi, ou de 2) la dissymétrie dans la représentation entre genres ?

Les moralistes répondront 1). Je pense et préfère 2) (et je pense que combattre 1) est un épouvantail rhétorique).

Avant de prôner toute dissimulation, on peut s’interroger sur les notions d’usage en soi du nu et d’égalité. Solution (défendue, presque quotidiennement dirais-je, par Maia Mazaurette) : que diable, faisons du corps masculin un objet aussi, permettons-lui d’acquérir un potentiel érotique qui soit le pendant du féminin ! Hey, du coup, tout le monde peut mater, personne n’est frustré, chacun ses codes, c’est cool, et personne ne se sent plus instrumentalisé que l’autre. On déplace la question de “Faut-il montrer le corps de la femme ?” à “Faut-il montrer le corps ?” ce qui me semble une question plus intéressante et, surtout, dénuée de sexisme et des dérives qui l’accompagnent, parce qu’il n’y a pas lieu d’avoir deux poids, deux mesures. Ce qui est le fond de la question ici.

Évidemment, on n’y est pas. Mais ça progresse un peu, me semble-t-il. Le plus important, c’est qu’on donne à tous le choix d’être instrumentalisé ou pas, comme il le souhaite, si c’est son désir ; le fond du problème, c’est la réciprocité.

Les vrais mecs

voiceless-royDonc, si, au coeur de la domination masculine, il y a une peur née de la frustration, il vient que le sexisme prend racine dans une vision infantile du soi et de l’autre.

Les sexistes de base ne sont rien de plus, psychologiquement que des petits garçons. Des petits garçons, car ils ont peur des femmes ; parce qu’ils n’ont pas conquis et réalisé leurs pulsions ; parce qu’au lieu de mener des combats constructifs (c’est-à-dire en réfléchissant à ce qu’ils sont et en réalisant leur potentiel), ils se défaussent par la bêtise, la discrimination et l’oppression et appellent ça être un “vrai mec” (ce qui colle la honte à tout le reste de la compagnie, pas merci, les gars). Psychologiquement, seul un enfant, un petit garçon, est impressionné par une femme, soit l’archétype à la fois tout-puissant et protecteur de la mère, envers qui il est placé en position de dépendance affective3.

Alors, si la notion – absurde et bancale, c’est clair – de vrai mec définit, disons, une situation mûre et adulte dans l’existence, indépendance et liberté, alors il vient que le “vrai mec » n’est pas gouverné par la peur, mais par la réalisation. Un vrai mec, selon cette acception, n’est autre qu’un vrai être humain, en définitive. En particulier, il n’est pas gouverné par la peur de perdre des prérogatives dominatrices, parce qu’elles ne le définissent pas ; il ne domine pas autrui, il se domine lui-même, et c’est de là que viennent ses accomplissements ; s’il peut bien sûr éprouver la peur, il la reconnaît, l’affronte et s’efforce de la conquérir.

Un vrai mec – un vrai être humain – est féministe parce qu’il a une identité suffisamment robuste pour ne pas se sentir menacé dans sa psyché infantile, parce qu’il accueille au contraire l’égalité des droits comme un progrès pour tous. Ce qui aligne le féminisme à l’intérêt de la personne, quel que soit sa situation.

En définitive

need-feminist-menÀ mon sens, et de mon point de vue de mâle blanc hétéro :

Être féministe, c’est choisir un employé ou un collaborateur sur la compétence du boulot qu’il/elle sera amené(e) à faire, homme ou femme.

Être féministe, c’est considérer que quand on refuse aux femmes le droit de disposer d’elles-mêmes, c’est un peu de l’épanouissement de tous qui s’évanouit.

Être féministe, c’est avoir le droit de penser d’une femme qu’elle est idiote, non pas parce que c’est une femme, mais parce que c’est un être humain idiot.

Être féministe, c’est trouver que tenir la porte à une fille, c’est cool, tout simplement parce que c’est sympa d’être sympa. Et oui, peut-être que la fille est jolie. Et alors ? C’est sympa d’être sympa avec une jolie fille. Moi aussi j’apprécie qu’on soit sympa avec moi. Faut-il que les choses soient plus compliquées que ça ? Être féministe, c’est aussi trouver qu’une jolie fille court vêtue qui se promène dans la rue est magnifique – point barre. Et que c’est cool. Merci d’avoir illuminé ma journée. (Pour être clair : non, ce n’est pas une s*****, elle fait ce qu’elle veut.)

Être féministe, c’est considérer que quand on force les femmes à se taire, c’est une diversité de parole et d’opinion, salutaire et nécessaire, dont on se retrouve tragiquement privé.

Diminuer les droits des femmes, c’est restreindre les droits de tous ; c’est infantiliser, ultimement, une population masculine qui ne sait comment résoudre son insécurité. Si tout cela n’est pas une raison amplement suffisante4 de défendre ces droits, je ne sais pas ce qu’il faut. Il n’est pas besoin d’aller jusqu’à la manifestation publique pour se dire féministe. Simplement, déjà, agir soi-même, soit surveiller ses actes et son langage, les questionner en particulier quand on est un mâle blanc hétéro, pour se demander si actes et langage ne viennent pas de présupposés ataviques et non de la vérité de soi, il me semble que c’est un bon début quand il est sincère5.

J’entends d’ici, encore, les petits garçons qui hurleront à la censure. En ce qui vous concerne, on va être clairs, il s’agit juste 1) d’arrêter d’être con 2) de piger qu’en vous remettant en cause et en cherchant sincèrement comment contribuer à la communauté, vous contribuez à améliorer votre propre condition et 3) de consacrer votre énergie à devenir ce que vous voulez être au lieu d’empêcher les autres de le faire par misère intellectuelle et affective. Vous êtes capables ne serait-ce que d’essayer, ou bien vous êtes trop faibles et peureux pour ça ?

  1. En revanche, contrairement à la légende, il n’y a jamais eu de Concile pour déterminer si les femmes avaient une âme. Mëme si j’avoue que l’anecdote est savoureuse.
  2. Sur la violence comme principe, je ne la fustige pas en soi. Nietzsche affirmait que “tout ce qui est important vient en surmontant quelque chose ». La violence est potentiellement créatrice, tant qu’elle est orientée de façon juste, tout comme l’atome ou le marteau, c’est-à-dire par sur le(a) voisin(e).
  3. Je ne parle pas de l’OEdipe freudien, lequel est – à ma connaissance – fondamentalement sexuel.
  4. Car qui relève de l’intérêt personnel et immédiat de l’individu ; bien qu’égocentré, c’est toujours le motivateur à la fois le plus simple et le plus efficace.
  5. Je ne prétends d’ailleurs pas y arriver, et ce n’est pas à moi de le déclarer de toute manière ; je ne peux que m’y efforcer, l’opinion et le ressenti sont, par définition, l’affaire des autres, qui – truc de dingue – communiquent alors
2018-07-17T14:17:49+02:00mercredi 31 juillet 2013|Humeurs aqueuses|56 Commentaires

Inventaire des points de vue

Disclaimer : cet article chercher à traiter la question de manière globale afin de donner des lignes directrices capables de couvrir 90% des cas. Mais il y aura toujours des contre-exemples, des solutions particulières, des destructurations post-modernes. Sans vouloir commettre, ô auguste lectorat, le péché de l’autocitation, je vois dans mon propre cas plusieurs occurrences où le mode narratif employé ne rentre exactement dans aucune des cases, notamment dans la novella “L’Importance de ton regard ». C’est de l’art, il n’y a que des conventions, et le but ici est de les appréhender.

Narrateur et point de vue

Le point de vue, dans un récit, est indissociable de la notion de narrateur, même si les deux concepts recouvrent des réalités légèrement différentes. Toute histoire est forcément racontée (pour être transmise), et le ou les moyens employés définissent le mode de narration et donc le point de vue.

Le narrateur est celui qui raconte l’histoire. Ce n’est pas forcément un personnage, il n’a pas forcément une identité claire, ni n’est même obligatoirement un choix possible dans notre réalité consensuelle. L’exemple qui vient immédiatement à l’esprit le récit raconté à la première personne par celui qui la vit, mais je proposais la semaine dernière un interrogatoire de police raconté par une plinthe. Narrativement, les deux sont tout aussi valides.

La connaissance que le narrateur a du récit en train de se dérouler définit le point du vue. Y réfléchir et le choisir est extrêmement important car, pour respecter la cohérence de l’histoire – et donc maintenir la suspension d’incrédulité du lecteur – il impose toutes sortes de limitations et de contraintes sur le récit. Par exemple, le narrateur ne peut pas raconter ce qu’il ignore – ou bien il ne peut pas retenir indéfiniment des informations vitales dans le but de prolonger articiellement le suspense. Sa vision des choses peut colorer le compte-rendu, etc.

Il convient donc de réfléchir aux effets, à l’ambiance que l’on souhaite créer, pour choisir le mode de narration adapté. Il est évidemment possible de changer de mode de narration dans le même récit, à condition de guider clairement le lecteur, en général par des ruptures entre scènes (ton serviteur, ô auguste lectorat, kiffe la tech).

Types

Les modes de narration se découpent grossièrement selon un arbre dichotomique (dans un article théorique, il convient d’employer des mots de plus de trois syllabes). Les catégories sont parfois poreuses ; ce qui compte est l’effet sur le lecteur, le transport provoqué  par le “rêve fictionnel”, et non un respect borné des catégories.

La première distinction concerne la position du narrateur relativement aux personnages de l’action.

Narrateur intérieur

C’est le cas qui venait immédiatement à l’esprit cité plus haut : le narrateur est un personnage de l’action. Il raconte son histoire, à la première personne, généralement après coup (au passé) ou au présent (déroulé des événements au fur et à mesure).

Narrateur extérieur

Dans ce cas, le narrateur est – par rapport au temps de l’action en tout cas – extérieur à l’histoire, c’est-à-dire qu’il la relate à la façon d’une caméra de cinéma au champ plus ou moins large.

Narrateur omniscient

Le narrateur omniscient tient du démiurge. Il sait tout des tenants et des aboutissants du récit, connaît la moindre pensée de chaque personnage, ce qu’il a mangé le matin et le numéro de la plaque minéralogique de la voiture qui le tuera au chapitre 14. Conserver une forme de suspense peut être difficile dans ces conditions, par exemple dans les relations – et les malentendus – entre individus. Ce narrateur peut être neutre ou non (et souvent, il ne l’est pas) ; il peut se contenter d’un compte-rendu objectif, ou bien avoir une voix propre, émaillant par exemple le récit de remarques plus ou moins intrusives (ressort classique du registre comique, par exemple).

Narrateur aligné

Peut-être l’une des formes les plus faciles à manier. C’est ce qu’on appelle également la narration “personnage-point-de-vue” : l’auteur choisir un (ou plusieurs) personnages et relate l’histoire à la troisième personne, mais à travers ses yeux. Il connaît ses états d’âme et ses secrets, nous les fait partager – mais uniquement les siens. On peut raffiner plus encore la distinction :

  • Narrateur aligné strict : le narrateur ne sait et ne relate que ce que le personnage sait et peut connaître. Les perceptions sont directes. En ce sens, c’est assez voisin du narrateur intérieur, mais facilite les alternances de point de vue. Il laisse transparaître sans filtre le ressenti du personnage qu’il raconte.
  • Narrateur aligné distancié (“caméra à l’épaule”) : le narrateur ressemble à Jiminy Crickett posé sur l’épaule du personnage (mais bon, un Jiminy Crickett qui posséderait des tentacules psychosensitifs enfoncés dans le cortex du personnage). Tout en partageant les connaissances du narrateur aligné strict, son champ de vision est légèrement plus large que celui du personnage dont il relate l’histoire, ce qui permet un peu de recul.

Narrateur ignorant

Le narrateur ne sait rien des motivations, états d’âme, secrets inavouables des personnages dont il assiste aux faits et gestes : il n’a que ses perceptions pour se guider. La plinthe assistant à l’interrogatoire serait probablement un exemple de narrateur ignorant (sauf si elle assiste régulièrement aux 5 à 7 du commissaire avec sa secrétaire sur le bureau, lui donnant un élément d’information sur l’ambiance dans les locaux). Ce narrateur peut là aussi être neutre (compte-rendu strictement objectif) ou non (ce qui serait probablement le cas de notre bas de mur en bois envisageant de porter plinthe – j’en crevais d’envie depuis tout à l’heure – pour attentat à la pudeur).

Pour aller plus loin…

Je ne saurais trop recommander le Comment écrire des histoires, Guide de l’explorateur d’Élisabeth Vonarburg aux éds. Le Griffon d’Argile. En plus d’être un des rares livres de technique en français, il comporte une section très complète sur la problématique du point de vue, une des mieux fichues que j’aie jamais lue, en anglais comme en français. (Critique d’ailleurs sur cet ouvrage à venir.) Pour les intéressés, le livre se commande chez l’éditeur, ici.

2014-08-05T15:23:06+02:00mercredi 3 novembre 2010|Best Of, Technique d'écriture|5 Commentaires

Question : choix du point de vue

Une autre question qu’on m’a posé de visu, cette fois :

Comment puis-je savoir le meilleur point de vue à adopter pour mon histoire ? J’ai deux personnages, l’un plutôt blasé, l’autre un peu instable sur les bords, qui se complètent et se couvrent mutuellement. J’aimerais bien passer de l’un à l’autre, mais j’aimerais aussi installer leur relation progressivement de manière à ce que le lecteur ne se rende pas compte tout de suite des enjeux de leur association. Si j’alterne les points de vue, est-ce que je ne risque pas de casser mon effet ?

La réponse facile est : si, mais à toi de te débrouiller pour slalomer entre les trous…

Je sais, je sais. Tu l’as bien compris, mais comment fait-on ?

Plus sérieusement, cette réponse lapidaire n’est pas aussi gratuite qu’il y paraît. Chaque histoire a sa propre dynamique et, sans connaître tes personnages moi-même, sans même être toi, je ne peux pas te donner une réponse toute faite qui réglera ton problème. Le choix du point de vue est si central à l’écriture de fiction qu’on pourrait sans problème écrire un livre sur la question. En revanche, il y a peut-être quelques pistes qui pourront t’aider – ce billet sera forcément un peu simpliste et lapidaire, mais j’espère qu’il saura mettre en relief les enjeux.

Tout est subjectif (ou pas)

Le choix du point de vue est une question fondamentale qu’on néglige ou expédie parfois, alors que son choix peut faire ou défaire un récit. En effet, le point de vue dicte en grande partie le ton, et donc la dynamique de l’histoire. Si je traite de l’ascension de l’Everest, je n’écrirai pas le même livre en prenant le point de vue de l’alpiniste (aventure ! danger ! dépassement de soi !) ou de sa femme restée à la maison (soirées thé ! réflexions sur le quotidien ! Madame Bovary !). Tu as donc parfaitement raison de t’interroger en amont de la rédaction.

C’est déjà un premier élément de réponse : si tu prends donc tes personnages en troisième personne “caméra à l’épaule” (personnage-point-de-vue) ou à la première personne, soit les deux formes les plus courantes, tu es limité (approximativement) à leurs perceptions, leurs opinions, leur vision du monde. Ce qui est un atout, car c’est un excellent outil de caractérisation, mais aussi un handicap, si, mettons, tu cherches à cacher un élément à ton lecteur. Prends un récit policier dont l’enjeu est de trouver qui a tué le docteur Lenoir. Si tu passes sur le point de vue du colonel Moutarde, qui sait parfaitement bien qu’il a dézingué Lenoir dans la véranda avec le chandelier, il va être très difficile de le cacher au lecteur à moins d’une bonne raison, et celui-ci risque de se sentir floué si tu n’en dis rien. Mais vu que l’objectif de ton récit est de trouver qui a tué, tu casses la dynamique de ton histoire. Solution : dans ce type de récit, tu ne passes pas sur Moutarde (à moins de tricher : amnésie, folie passagère, etc.).

Dans le cas d’éléments moins centraux, tu peux les dissimuler un moment en faisant diversion avec l’intrigue ; après tout, ton personnage-point-de-vue est là pour raconter ce qu’il lui arrive, pas pour récapituler quinze ans de psychanalyse à chaque fois qu’il sort le lait du frigo, et on veut le voir agir. Mais il faut se montrer très adroit et subtil si tu veux cacher au lecteur des éléments que, selon toute vraisemblance, il devrait savoir : ce genre de dissimulation paraît souvent artificiel, ce qui rompt la suspension d’incrédulité ou brise le “rêve fictionnel”, comme dit Gardner.

Mais c’est aussi un atout car tout personnage, comme dans la vie réelle, projette son vécu, sa vision du monde, sur ce qui l’entoure. Là, en revanche, tu as un outil puissant et cohérent pour lui donner, en quelque sorte, des “angles morts” dans sa vision du monde. Un sociopathe ne voit pas la réalité comme le reste de la population, par exemple, ce qui peut parfaitement justifier que des détails, des subtilités dans les relations humaines, lui échappent et donc, si tu réussis bien ton coup, échappent à ton lecteur. De façon plus simple, pourquoi ton protagoniste récapitulerait-il ce qu’il sait pour son seul bénéfice ? Ce sont ses initiatives qui nous l’apprennent, et les conséquences qu’elles entraînent sur sa psyché ; c’est une façon de construire une personnalité par strates successives, in media res.

Le point de vue est le véhicule par lequel on entre dans un récit : si le véhicule a une roue crevée et une fuite d’huile, on restera sur les grandes routes, et tant pis pour les montagnes. Tu peux donc forger ton point de vue en accord avec l’effet que tu cherches à rendre ; il faut alors te poser la question de ton intention narrative, pour réfléchir à la meilleure façon de la transmettre.

La piste active

Holly Lisle propose pour sa part une règle extrêmement simple : il faut choisir le point de vue qui en sait le moins. Je suis méfiant avec les “règles” mais le conseil n’est pas sans mérite. Le plus ignorant, dans une scène, est souvent celui qui a le plus de raisons d’agir (et propose donc la narration la plus intéressante), et celui qui pourra le mieux exposer la situation au lecteur, puisqu’il a lui-même besoin de la comprendre. Il ne faut évidemment pas pousser l’axiome dans ses derniers retranchements (le point de vue de la plinthe lors d’un interrogatoire de police n’a pas grand intérêt, à part peut-être pour du postmoderne) mais, si l’on reprend l’exemple de l’assassinat de Lenoir, on a logiquement envie de suivre l’enquêteur qui devra démêler les faux-semblants, collecter les indices, etc. Bref, c’est une astuce commode qui peut aider à prendre une décision rapide dans les cas simples.

2020-10-12T16:36:43+02:00vendredi 29 octobre 2010|Best Of, Technique d'écriture|13 Commentaires

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