L’iVisor Moshi donne à votre iPad un toucher papier

L’iPad est la meilleure tablette pour prendre des notes (entre autres parce qu’elle est de plus en plus la seule), mais on peut arguer que le toucher du stylet sur le verre de l’écran n’est pas le plus agréable, surtout quand on est un.e esthète aimant le sensuel glissement du stylo à plume sur le papier Moleskine (et que votre OCD est réjoui par la consommation de cartouches d’encre). Plusieurs protège-écran visent à donner à la tablette un toucher plus “accrocheur”, notamment le célèbre Paperlike, qui vise à répliquer le ressenti du crayon sur le papier. Hélas, les opinions sur ce dernier sont partagés (des avis Amazon font notamment état d’une usure prématurée de la mine du stylet).

Or, il existe un concurrent beaucoup moins connu que j’utilise personnellement depuis des années avec profit et plaisir, c’est l’iVisor de chez Moshi. Je n’en avais pas parlé jusqu’ici parce que l’engin semblait abandonné, mais il est apparemment de retour en stock chez les distributeurs et l’équipementier lui-même. C’est une bête feuille de plastique épais qui vient se coller sur l’écran, et donne effectivement un soupçon de résistance à la mine du Pencil, procurant un ressenti d’écriture bien plus agréable (proche du feutre à pointe fine). Et je peux attester qu’après plus d’un an d’usage, la mine de mon stylet est parfaitement intacte.

En revanche, il faut savoir qu’en raison de la texture du truc, l’affichage est clairement “émoussé” et les couleurs légèrement plus fades. C’est aussi un nid à poussière et à graisse des doigts, donnant au fil du temps à l’écran un aspect un brin crassou. Au titre des avantages, l’iVisor disperse aussi les reflets sur l’écran (mais à moins d’écrire directement sous une lampe ou une bombe H, personnellement, ça ne m’a jamais gêné).

Constatez le reflet diffusé de la lampe.

Donc, cela ne conviendra donc probablement pas aux illustrateurs professionnels, mais si l’usage principal de votre tablette est la prise de notes manuscrites plus un peu de bureautique et du Netflix occasionnel en déplacement, la protection se fait rapidement oublier. Je regrette un brin de loin en loin d’affaiblir ainsi la beauté de mon affichage, mais quand j’imagine ôter l’iVisor et perdre le doux toucher d’écriture qu’il donne, je frissonne d’épouvante. Faut faire des choix dans la vie.

2023-01-21T00:02:55+01:00lundi 23 janvier 2023|Geekeries|2 Commentaires

Procrastination podcast S06e15 – Sauvegarder ses textes

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Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : “S06e15 – Sauvegarder ses textes“.

Petit épisode concentré sur de la technique pure, mais conserver son travail – et le récupérer en cas d’accident informatique – peut représenter une question cruciale dans une vie d’écriture. Quelles sont les bonnes pratiques – et comment peut-on demander des coups de pouce simple à son entourage ? Mélanie explique comment elle protège non seulement ses textes, mais les traductions dont elle a la lourde responsabilité ; Lionel présente des règles d’hygiène informatiques simples, notamment la règle dite du “3-2-1”. Estelle montre que l’on peut aussi se montrer détendu·e avec cette question, et que le papier, aussi, peut être la forme la plus fondamentale d’archivage.

Références citées

– Brandon Sanderson

– Services de synchronisation cloud : Dropbox (https://dropbox.com), iCloud (https://www.apple.com/icloud/), Google Drive (https://drive.google.com/), Box (https://www.box.com)

– Service de sauvegarde dans le cloud : Backblaze (http://backblaze.com), Carbonite (https://www.carbonite.com), Crashplan (http://crashplan.com)

– Carbon Copy Cloner (https://bombich.com)

– Laurent Kloetzer (qui va peut-être se demander ce qu’il fait là ?)

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2022-05-02T18:31:24+02:00vendredi 15 avril 2022|Procrastination podcast|Commentaires fermés sur Procrastination podcast S06e15 – Sauvegarder ses textes

L’image en ligne n’est pas un supermarché

Photo by chuttersnap on Unsplash

Alors on se met bien d’accord, je suis un photographe tout au plus amateur éclairé (c’est important l’éclairage pour un photographe – ahem – bref – ma seule réelle compétence à peu près professionnelle dans le domaine, la photoidentification, ayant un potentiel artistique assez limité, sauf pour le jeu des 7 erreurs). Même si j’ai l’honneur de quelques petites heures de gloire. Et puis que c’est une activité que j’ai plaisir à développer et à m’efforcer de faire bien. Donc, je ne pousse pas non plus des cris d’orfraie, mais il y a quand même des trucs qui énervent, et qui me font compatir d’autant plus au lot des vrais professionnels, ainsi que des illustrateurs :

Ce n’est pas parce qu’une image se trouve sur Internet qu’on peut librement la diffuser et s’en resservir en toutes circonstances, tout particulièrement si le téléchargement est désactivé et qu’il y a un filigrane de droit d’auteur (watermark).

En gros, tout ça, ça dit clairement : “sois sympa, j’aimerais bien en conserver un peu la diffusion” (ce n’est pas parce que c’est certes un peu illusoire sur Internet qu’on devrait accepter sans rien faire la dissémination de son travail).

J’utilise joyeusement des images d’illustration sur ce blog, mais je m’efforce soit a) de prendre des images expressément libres (merci Unsplash et Wikimédia Commons), en citant les sources – voir ci-dessus par exemple ; soit b) de toujours placer les mentions d’illustrateurs quand il est question d’activités en lien avec le livre (couvertures, festivals) ; soit c) de taper dans les mèmes1 ; soit d) si je ne peux rien faire d’autre, en l’absence de toute information, de placer a minima un rétrolien vers le site source.

Ce qui ne se fait pas, en revanche, c’est de piquer des images quand elle sont expressément protégées. Et ce qui ne se fait vraiment pas, quand le téléchargement est désactivé, quand il y a un filigrane, c’est de prendre une capture d’écran tranquille recadrée pour supprimer le filigrane, afin de reposter une photo sur son propre site, même à but non lucratif, même à des fins de pure illustration, sans aucun crédit.

Parce que ça commence à faire plusieurs fois que cela arrive, et à force, la manière agace. Ce n’est pas comme si Internet en manquait, d’images. Au minimum, à l’absolu minimum, citez la source, au moins, pour remercier la personne dont vous utilisez le matériel.

Bref. Amis photographes, illustrateurs, professionnels de l’image au sens large, si vous en ignorez l’existence, je vous signale le service Pixsy, qui est gratuit et utilise l’intelligence artificielle pour explorer le web à la recherche de vos images. En cas d’utilisation frauduleuse, le service vous facilite les demandes de retrait voire, le cas échéant, se propose de mener les procédures légales de demande d’indemnisation à votre place (en prenant une commission au passage). Je m’en sers, et entre les abus ci-dessus et l’existence d’agrégateurs automatiques et de fermes de liens, cela m’a montré toute l’ampleur des problèmes que vous rencontrez au quotidien2. En tout cas, je compatis.

  1. Leur usage est flou, certes, parfois abusif, c’est vrai aussi, mais en cas de problème, on peut toujours m’envoyer une demande de retrait.
  2. Et si, d’ailleurs, vous voyez une manière dont je pourrais améliorer mes propres pratiques ici, n’hésitez pas à me le signaler, c’est très bienvenu.
2019-10-24T00:20:32+02:00mercredi 23 octobre 2019|Humeurs aqueuses|2 Commentaires

Il faut cesser d’amalgamer droit d’auteur et copyright

Tandis que les anciens modèles économiques de distribution et de production de la culture se fissurent avec la dématérialisation et le téléchargement, un certain nombre de nouvelles théories émergent, des réflexions se forment, sur l’évolution de l’art et la rémunération de ses acteurs, du créateur au distributeur.

Parmi ces discussions, et puisque la plupart des initiatives viennent des États-Unis, on voit régulièrement la traduction, maladroite et erronée, de “copyright” par “droit d’auteur” en français.

Cet article vise à démontrer, de façon claire et définitive, pourquoi cet amalgame, en plus d’être une ânerie, représente un danger pour la création, et pourquoi, au lieu de considérer la question comme accessoire, les tenant du libre devraient au contraire s’en soucier au plus haut point.

Par ailleurs, cet article a été relu et validé par un spécialiste du droit d’auteur, qui étudie sur le plan juridique son application et les différences de régime entre US et France. Caveat : merci de ne pas venir protester en commentaires pour dire que les choses ne fonctionnent pas comme ça : mon métier me fait pratiquer cela au quotidien, ces questions font la profession de mon relecteur, ce qui, pardonnez-moi d’être abrupt, ne fait pas le poids face aux oui-dire, aux rumeurs et aux conceptions erronées.

Maintenant, avanti.

Quels sont les droits sur une oeuvre de l’esprit ?

Les droits relatifs à une oeuvre de l’esprit s’articulent selon deux axes.

Le respect de l’oeuvre : le droit moral

Le droit moral concerne la reconnaissance de la souveraineté du créateur sur sa création. Puisqu’il en est le créateur, sans qui rien n’existerait, il a tout pouvoir sur son oeuvre. Il peut notamment exiger que soit respectée l’intégrité de son oeuvre, et qu’elle ne soit pas exploitée d’une façon qui lui déplaise. Par exemple, le droit moral signifie, mais ne se limite pas aux points suivants :

  • L’oeuvre ne doit pas être altérée. (Le galleriste ne peut pas rajouter un Mickey sur mon tableau ; l’éditeur ne peut pas me sucrer un chapitre sans mon consentement.)
  • Elle doit être exploitée conformément à mes voeux. (Je peux refuser que Marine Le Pen utilise ma chanson pour introduire un de ses meetings si je déteste ses idées ; si un éditeur charcute une de mes traductions, je peux refuser que mon nom apparaisse pour ne pas être associé à ça.)
  • J’en suis le créateur et c’est inaliénable1. C’est le droit de paternité.

L’exploitation de l’oeuvre : les droits patrimoniaux

Avec les droits patrimoniaux, nous quittons le monde pur de l’idée. Quand une création est disséminée, elle est exploitée, et cela relève classiquement de la logique économique : le public va jouir de l’oeuvre, en retirer un plaisir (ou un avantage, si, par exemple, une entreprise veut illustrer sa publicité avec ma chanson), et va donner de l’argent en échange de ce travail. Sachant que dans la logique de marché2, la jouissance d’un produit se rapporte à l’achat de celui-ci, l’exploitation de la création se fonde, en première approche, sur la production d’exemplaires et leur commercialisation.

C’est ce que recouvrent les droits patrimoniaux : une oeuvre fait partie du patrimoine d’un créateur, droits qui sont exploités contre, espérons-le, rémunération. Notons que ces droits appartiennent à la base, eux aussi, au créateur ; mais que, la plupart du temps, il n’est pas armé pour les exploiter (on est rarement auteur, éditeur, distributeur et libraire à la fois), aussi va-t-il les céder, contre rémunération, à un acteur qui va, lui, les exploiter, et dont c’est le métier.

C’est pourquoi les contrats d’édition etc. s’appellent techniquement des “contrats de cession de droits d’exploitation ».

Maintenant, abordons les particularités des deux régimes : copyright et droit d’auteur.

Copyright Vs. Droit d’auteur

Même Wikipédia, en préambule de la page copyright, fait un distinguo clair :

Le copyright relève plus d’une logique économique et accorde un droit moral restreint, là où le droit d’auteur assure un droit moral fort en s’appuyant sur le lien entre l’auteur et son œuvre.

Entrons dans les détails.

Qu’est-ce que le copyright ?

Le copyright est une marchandise.

Le copyright, étymologiquement, concerne the right of the copy, ce qui n’est pas, contrairement à ce qu’on lit partout (autre ânerie), le droit de copie, mais le droit relatif à l’exemplaire, soit, en réalité, avant toute chose, le droit relatif à l’exploitation des oeuvres, soit les droits patrimoniaux. Le copyright, reconnu à l’échelle mondiale, mentionne un droit moral, mais celui-ci – et c’est toute l’importance du distinguo – est secondaire aux droits patrimoniaux. En d’autres termes, pour simplifier, pour qu’il existe une exploitation d’une oeuvre, il faut quelqu’un à qui l’attribuer, donc cela implique la nécessité d’un droit moral, mais celui-ci est réduit. Le droit moral, dans ce régime, peut être cédé de manière irréversible. Dans le régime du copyright, tout droit est achetable, et son acquéreur en fait ce qu’il veut. Je n’aime pas l’expression, mais le copyright est, pour simplifier, la loi de l’argent.

Par extension, le copyright peut s’appliquer à toute oeuvre de l’esprit originale – un logo, comme celui des Jeux Olympiques – et peut être déposé par un producteur, un éditeur, une entreprise, sur une oeuvre, collective ou non. C’est une première évidence qui fait de la traduction de “copyright” par “droit d’auteur” une absurdité : comment peut-il y avoir un droit d’auteur quand on a affaire à la création d’une entreprise américaine qui a acheté le droit de paternité d’une oeuvre, au point qu’il n’y a donc plus d’auteur ?

Pour résumer : Copyright = Droits patrimoniaux > Droit moral

Qu’est-ce que le droit d’auteur ?

Le droit d’auteur protège l’Homme.

Il protège avant toute chose, non pas l’oeuvre, mais les droits du créateur sur sa création. Ils sont inaliénables, et seuls les droits patrimoniaux sont cessibles.

Hérité du droit romain et repris en 1789 avec la Révolution, le droit d’auteur, en vigueur en France et dans certains pays européens, emploie la logique inverse du copyright. Il place le droit moral – donc le créateur, souverain sur son oeuvre, celui sans qui, rappelons-le, rien n’existerait – au centre du dispositif, et les droits patrimoniaux découlent de son désir d’exploitation. Seul un créateur dispose de droits d’auteur. Pas une compagnie, une entreprise, un acteur économique3, seulement un créateur (ou un groupe de créateurs), ce qui place l’art au centre du dispositif économique, et subordonne, autant qu’il est possible et contrairement au copyright, l’importance de la création aux impératifs de marché, et non l’inverse.

Selon le droit d’auteur, le droit moral est souverain, non pécuniaire, incessible et inaliénable.

Pour résumer : Droit d’auteur = Droit moral > Droits patrimoniaux

Pourquoi il faut faire la différence

Même si les deux régimes s’efforcent de répondre aux mêmes impératifs, ils le font de manière opposée, répondant à deux conceptions différentes de l’économie, l’une anglo-américaine et libérale, l’autre européenne et d’ascendance romaine. Dans le droit d’auteur, le droit moral prime, ce qui place la création avant la logique économique, alors que dans le copyright, les droits patrimoniaux priment, ce qui place l’économie avant la création.

Répétons-le :

Le copyright est une marchandise.

Le droit d’auteur protège le créateur.

Or, droit moral, par exemple, il ne pourrait exister les licences Creative Commons chères aux libristes. En effet, dans une licence CC-By, par exemple, un artiste abandonne ses droits patrimoniaux, MAIS – et c’est le pilier de la licence, une des façons par lesquelles bien des créateurs se sont faits connaître, comme Cory Doctorow – il exige que l’oeuvre lui soit attribuée. C’est encore plus prégnant dans le cas de la licence CC-By-SA, où l’auteur autorise à ce que son travail soit “remixé”, adapté, édité, MAIS uniquement si la nouvelle oeuvre résultante est distribuée selon le même mode libre. C’est une expression très forte du droit moral.

Quelle équivalence ?

Il n’y en a pas, même si une certaine partie des régimes se calquent l’un sur l’autre. Mais, en défintive, c’est très simple.

Le “copyright” en anglais, c’est le “copyright” aussi en français, car, on l’a vu, cela fait appel à une conception et un régime anglo-américains des choses.

Le “droit d’auteur », c’est “author’s rights” en anglais. Car cela fait appel à quelque chose de différent de leur conception des choses.

Il est capital de faire la distinction car, quand nombre d’activistes veulent torpiller le copyright et qu’ils traduisent par droit d’auteur, ils s’attaquent justement au pilier qu’ils souhaitent valoriser et défendre le plus souvent : le droit moral. La loi est un domaine rigoureux, où le vocabulaire a un poids, un sens précis, et qui ne tolère par l’à-peu-près.

Si l’on veut parler de ces sujets, il convient de savoir exactement de quoi l’on parle et d’employer les mots justes, en sachant ce qui se place derrière, si l’on veut commencer à être écouté.

EDIT : Franck Macrez, juriste et spécialiste du droit d’auteur, apporte ces précisions à l’article : 

Dans le droit moral, il n’y a pas que le droit au respect, dommage de le réduire à cela (le droit de divulgation c’est fondamental). Dans les droits patrimoniaux, il y a reproduction et représentation (important car le copyright ne connaît que la copie, d’où les textes absurdes qui nous viennent de Bruxelles, p. ex. sur les copies provisoires).

  1. Pas aux USA – ou le droit de paternité est cessible.
  2. On peut vouloir changer de logique. On conviendra qu’avant de réformer le copyright, il va d’abord falloir une révolution bolchevique pour changer la société, et ce n’est pas le thème de cet article.
  3. Hormis dans le cas d’ayant-droits après décès du créateur, mais il s’agit d’un transfert de droits.
2014-08-30T18:32:02+02:00vendredi 19 octobre 2012|Best Of, Le monde du livre|27 Commentaires

Joséphine

Photo Marineland / AFP

Hier, Joséphine nous a quittés.

Avant ce jour, probablement, personne ne connaissait son nom – du moins, celui que les hommes lui avaient donné. Ou bien ils l’avaient su, durant la vague – au sens propre comme figuré – qui avait envahi la France et le monde au tournant des années 90, avant de l’oublier, à l’exception de certains fondus.

En effet, Joséphine était connue pour être “le” dauphin star du Grand Bleu, sorti en 1988, terrassé par la critique et pourtant devenu succès planétaire. Toutes les scènes complexes impliquant une interaction homme – animal, c’était elle ; en particulier la scène de fin, avec sa poésie tragique et ambigüe. La plupart l’appelent “le” dauphin alors que, donc, c’était une femelle, une grande ancienne de Marineland Antibes, estimée avoir atteint l’âge rare et respectable de 38 ans (la longévité des dauphins se situant plutôt aux alentours de la trentaine).

Le Grand Bleu avait été descendu en flammes par la critique à l’époque : mal compris, jugé sinistre ou bien niais, le film a pourtant été un choc pour toute une génération, alimentant ses rêves, avant que cette maladie appelée l’être-raisonnable, qui vient avec les années, n’assassine morceau par morceau sa capacité d’émerveillement et son idéalisme. Au point que beaucoup se rangent aujourd’hui au discours de cette même critique qui ne les avait pas compris il y a plus de vingt ans : tout cela, ce sont des rêves de gosse. Bridons nos aspirations pour nous plier à la réalité.

Pour ma part, je n’ai pas honte de dire que j’appartiens à cette génération et que la soif d’absolu dégagée par ce Grand Bleu a mis des images et des mots sur la fascination pour l’océan que j’éprouvais depuis aussi longtemps que je m’en souvienne. C’est à cause de cette fascination, pas tant à cause du film ni même de Joséphine elle-même que, dix ans après sa sortie en salle, j’entrais à Marineland par le portail de service en tant qu’aide-soigneur. En revanche, j’ai pu véritablement l’approcher, faire sa « connaissance », pour ainsi dire, parler d’elle avec l’équipe dauphins (je travaillais surtout avec les orques), et puis, certaines fois, nager avec elle. C’est pour cela que je suis très triste aujourd’hui d’apprendre sa disparition, qui me frappe d’autant plus tandis que j’achève mon séjour à New Quay, apportant ma modeste pierre à l’étude et la conservation de ses cousins1.

Joséphine, au-delà d’être effectivement la grande ancienne du bassin, la mère de la première naissance en captivité de Marineland, si mes souvenirs sont exacts2, c’était un animal magnifique. Elle était bizarrement exempte de toutes les cicatrices et marques que les dauphins s’infligent mutuellement en permanence. Pour vous la décrire, quand vous essayiez de distinguer les individus, c’était simple : les soigneurs vous disaient “Celle qui n’a pas de marques, qui n’a aucun signe distinctif, rien de spécial, justement… Celle qui ressemble le plus au cliché que tu te fais d’un dauphin, celle qui ressemble le plus à un vrai dauphin, en un sens, eh bien, c’est Joséphine.” Ce que vous ne savez pas en voyant Le Grand Bleu, ce que vous ignoriez en la voyant à Marineland, c’est que c’était un animal doux et intelligent, avec un caractère tempéré, ce qui est plutôt rare (ces animaux tenant plutôt, comme j’ai déjà dû le dire ailleurs, du chaton de 200 kg drogué au LSD), et volontaire. Joséphine comprenait tout très vite, ce qui explique aussi pourquoi elle figure tant dans Le Grand Bleu. C’était très facile de lui apprendre quelque chose, et elle participait avec entrain et intérêt.

Joséphine a connu un curieux destin : sans le savoir, elle est devenue une icône, anonyme, pour une génération entière. Mais son nom, et sa disparition, ne doivent justement pas nous faire oublier qu’au-delà de la mystique new age parfois un peu ridicule qui entoure “le” dauphin, il y a toute une espèce à comprendre et à protéger, un milieu à étudier et à préserver. Que les dauphins, ce sont avant tout des animaux sauvages, parfois brutaux, parfois dangereux même pour l’homme, mais aussi très intelligents et curieux, et capables d’établir de troublantes relations avec notre espèce. Que c’est justement ce mystère, qui nous échappe en partie, qui fait toute leur beauté et leur attrait. Et que, si nous voulons pouvoir les découvrir et les côtoyer encore longtemps, il nous faut nous rappeler la magie et l’émerveillement que Joséphine a contribué à faire éclore en nous.

Qu’elle devienne ainsi, pour ceux qui y sont sensibles, une ambassadrice de desseins plus vastes ; et non un simple soupir de regret, étouffé à la lecture d’un entrefilet de journal.

  1. Et si certains s’étonnent que j’écrive un hommage pour un animal alors que je n’en écris pas pour les gens, eh bien, c’est ainsi. Je me sens rarement qualifié pour parler des gens.
  2. Mes excuses par avance à l’équipe, à qui vont mes pensées en ce moment, en cas d’erreur dans cet hommage.
2012-04-27T22:27:30+02:00mercredi 24 août 2011|Journal|29 Commentaires

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