Kafka, cet auteur de hopepunk

Intéressante divergence de perception l’autre jour sur Facebook (où je suis de retour, pour mémoire, parce que mon âme est noire comme la nuit) – je postais cette citation bien connue du célèbre auteur entomologiste :

We need the books that affect us like disaster, that grieve us deeply, like the death of someone we loved more than ourselves, like being banished into forests far from everyone, like a suicide. A book must be the axe for the frozen sea inside us.

Franz Kafka

Des mots que j’ai toujours appréciés pour leur puissance et leur obsession presque létale de l’exaltation ; quelle ne fut pas ma surprise quand les réactions furent au contraire un appel à l’espoir et à l’amour mutuel.

Ahem. OKAY OUI BON je vois bien comment on peut AUSSI prendre la citation dans un sens, euh, torturé. (Kafka n’était-il pas cet homme connu pour son goût du fun ?) Mais cette divergence d’interprétation est instructive : alors que l’on peut retenir l’aspect “like a suicide”, je suis par ma part obsédé par la puissance de “the axe for the frozen sea inside us” ; personnellement, je ne veux pas de frozen sea inside me, et je veux lui péter la gueule à la hache, ouais – ce qui implique la totalité de l’existence, le fun et son contraire.

Combattre, le cas échéant, l’inertie rassurante de son existence peut représenter, oui, un désastre et une mort ; c’est une porte terrifiante, puissante et merveilleuse que de constater, éventuellement, l’étroitesse de sa propre conceptions. C’est une expérience terrible, mais qui peut être salutaire. (Si l’on est branché haches et océans. Ça n’est pas le truc de tout le monde.)

Toute réalisation implique la fin de quelque chose, ce qui nécessite un processus de deuil. Et sortir de l’inertie est une expérience violente (sinon, ça ne serait pas de l’inertie).

2023-04-05T15:57:43+02:00jeudi 6 avril 2023|Humeurs aqueuses|4 Commentaires

La photo de la semaine : On s’amuse

Il y a peu de choses aussi réjouissantes que de voir des orques s’amuser dans les vagues.

Having fun
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2020-07-23T21:14:49+02:00vendredi 31 juillet 2020|Photo|Commentaires fermés sur La photo de la semaine : On s’amuse

Internet, cette économie du scandale

On est bien, là ? À la fraîche. Décontracté de la gonade. Moi, ça va bien, l’écriture de La Fureur de la Terre a dépassé peu ou prou le premier cinquième de la taille envisagée, je sens poindre une forme de sérénité liée à une organisation toujours plus GTD et détendue, mais dans, enfin, cette impression d’arriver à enfin escalader la montagne, je constate un truc :

 

Pour des raisons que je ne m’explique pas vraiment-vraiment, après un an et demi à plus de 10 000 lectures uniques par mois, la fréquentation du site est en train de se casser doucement la gueule.

Alors soyons clairs : les chiffres dans ce domaine ne m’ont jamais vraiment préoccupé. J’ai toujours dit que le site était mon dada, ma façon de payer ma dette karmique (ou de partager les trucs qui m’amusent, ou de me lâcher parfois), mais aussi, quand même, j’essaie un tant soit peu de recouper ce que j’ai envie de raconter avec ce que tu as envie de lire, auguste lectorat, parce que, eh bien, c’est un peu le cœur de mon métier. Un auteur est comme un DJ : tu cherches cette zone où tu fais ce que tu aimes, et où les gens aiment ce que tu fais.

Je disais que je ne me l’expliquais pas vraiment-vraiment, mais j’ai quelques pistes : c’est l’été et c’était la Coupe du monde ; l’ambiance est un peu tendue dans le milieu littéraire en ce moment et il y a d’autres chats à fouetter (pourquoi les chats ?) ; dans mon cas personnel, le passage d’un profil personnel à une page Facebook a entraîné une érosion claire des lectures et des partages des articles ; et peut-être emploie-je un ton un peu moins primesautier et empli de gros mots qu’auparavant (bite, alors).

Pourtant, les retours positifs sur le blog sont toujours présents (et merci à vous), que ce soit de visu, en privé ou en commentaires ; alors keuwah ? On ne saurait mettre en doute la qualité du contenu ici proposé (non, on ne saurait pas).

Le “problème”, la réflexion un peu aléatoire à laquelle je songe en ce moment, c’est qu’un article informatif sur l’écriture, ou la productivité, aussi rigolo soit-il, ne génère pas tellement de débat (ou alors, plutôt du débat un peu stérile). Je fonde cela sur pas mal de retours que j’ai eus en privé : “je ne commente pas parce que je n’ai rien à dire, mais je fais partie du lectorat silencieux – et carrément auguste”. Hey, aucun problème. Moi-même, j’ai tendance à participer de moins en moins aux débats et discussions sur les réseaux, parce que ça part souvent en gonade (on y revient), et puis, j’avoue que pour un introverti comme moi, la tendance du tout social, du tout partage, me court un brin sur le haricot – surtout que je hais de plus en plus Facebook, Cambridge Analytica toussa, et que j’ai dansé sur la table l’autre soir en apprenant que l’action avait perdu 20% de sa valeur (bien fait, bordel) (“bordel”, c’est pour remonter mes stats de lecture, on est d’accord). Donc, aucun problème, sauf que :

Heu non, pas ça.

Pour décider de la viralité d’un article, les réseaux sociaux prennent en compte le nombre de commentaires, de likes, de partages : plus l’on parle de quelque chose, plus il y a de chances qu’on vous le mette sous le nez, donc que vous en parliez, faisant boule de neige. (Principe un peu abordé ici.) Corollaire : ce qui est susceptible d’être partagé – on le sait – c’est donc ce qui suscite la réaction à chaud, l’instinct, la colère, le scandale, l’outrage. C’est ce qui vous court-circuite les neurones pour faire jaillir vos tripes et vous donne envie, là tout de suite, de prendre les armes contre le maire de Plan-de-Cuques qui menace d’interdire le loto tous les dimanches pendant la messe. Il n’y a plus de gradation : on est tout de suite “choqué”, “scandalisé”, avec “envie de vomir”, etc.

Alors attention, il y a des causes légitimes qui suscitent bel et bien des réactions émétiques, je ne dis pas. Moi-même, je ne suis pas exempt de l’exercice du coup de gueule, du billet éditorialiste, parce que je m’énerve aussi, faut pas croire, je ne suis pas énergie pure, et puis j’ai forcément raison de le faire quand je le fais, puisque vous êtes ici et que vous lisez tout ça et que donc j’ai raison (c’est imparable). Mais aussi, après coup, je ne prétends pas avoir toujours forcément eu raison, justement, sur le fond, la forme ou les deux. Et du coup, une question plus vaste se profile au-dessus de ma tête, qui se rattache à tout ça : que veux-je offrir au monde ici, sur cet espace de liberté ? Ai-je envie de participer à cette économie du choc, à m’impliquer dans le débat, comme on dit, à continuer à m’engueuler avec des inconnus (ou connus) sur Twitter, à redresser des torts ?

Je découvre que, de plus en plus, la réponse est un gros “pfouah non alors”. Cela a surtout à voir avec ce que j’ai envie de proposer au monde, en fait, à ma contribution au grand inconscient collectif, à l’impression que je laisse à chaque personne qui peut passer par ici lire des trucs. Je ne dis pas que je vais me censurer, je dis que je suis un peu las (comme depuis un moment, à dire vrai) des débats dans des verres d’eau, des “gueux qui travestissent les paroles pour exciter des sots” (paraphrasant, mal, un des plus grands vers de la poésie, ever). On a un vrai problème de nos jours (et je ne suis assurément pas le premier à le pointer), c’est que ce qui obtient la parole n’est pas ce qui est le plus intelligent, ni même ce qui crie le plus fort, MAIS ce qui suscite le plus de polémique. Donald Trump l’a parfaitement pigé (c’est peut-être le seul truc qu’il a pigé).

Ce qui est quand même super fatigant. À tous les sens du terme : je ne compte les plus fois où, par le passé, j’ai flingué une matinée d’écriture parce que je me suis enlisé dans un conflit idiot sur un mur social quelconque qui n’a pas fait changer grand-chose et dont la conséquence la plus visible a été : moi, énervé, n’ayant rien branlé.

Je vis merveilleusement bien depuis que je consulte plus les réseaux et les mails qu’une unique fois par jour. (Article là-dessus à venir, en lien avec le teaser de la semaine dernière.) Je suis bien plus concentré sur ce que je dois faire, mon cœur de métier : écrire les meilleurs bouquins possibles. Je suis pris d’une haine de plus en plus profonde envers les réseaux sociaux dont l’économie, au bout du compte, consiste à accaparer l’attention de l’utilisateur le plus longtemps possible pour lui fourguer de la pub. Tout le monde s’y trouve, donc mon boulot nécessite que j’y reste, si je veux pouvoir le faire connaître aux gens chouettes qui y sont (et il y en a, plein). Et quand même, on partage de belles choses tous ensemble là-dessus, et merci ; mais bon, sans ça, et si j’étais un utilisateur lambda, je crois que j’aurais suivi le mouvement #deletefacebook. En fait, on n’a pas besoin de ces trucs-là. Régulièrement, un gourou technologique quelconque émerge et crie avoir vu la lumière en scandant : “JE ME SUIS DÉCONNECTÉ DE FACEBOOK UNE SEMAINE ET J’AI SURVÉCU” mais c’est une claire vérité. Malgré le XXIe siècle, malgré ces outils dans nos poches, on peut en faire des trucs bien mieux que les consulter compulsivement. On peut lire. On peut construire sa propre veille informative, soi-même. On peut jouer à un jeu qui ne nous demandera pas de regarder une pub et de cracher 1,99 € pour gagner 500 turbopièces pour jouer trois tours de plus.

Alain Damasio disait aux Utopiales, lors d’une conférence publique, que les outils technologiques diminuent notre puissance. Je n’ai jamais été d’accord avec cette affirmation : tout outil augmente la puissance de l’utilisateur, au contraire, dès lors qu’il n’en est pas esclave. La question n’a jamais été, de toute l’histoire humaine, dans la nature de l’outil mais dans l’usage qu’on en fait. Le truc, c’est que peu de gens ont seulement conscience qu’une utilisation responsable du smartphone est possible (et par responsable, j’entends : qui n’interfère pas avec des buts individuels dont l’ambition dépasse un tant soit peu le douzième check d’Instagram). Et donc, qu’elle peut être toxique.

Quelle valeur veut-on offrir le monde ? La postérité concerne tout le monde et personne : la postérité, c’est tout ce qu’on a fait aujourd’hui et qui restera avec les gens demain.

Bon, je suis parti un peu loin, mais je m’en fous, il n’y a plus de lecteurs, de toute manière. N’est-ce pas ?

(SEE WHAT I DID THERE?)

2018-07-30T09:47:30+02:00lundi 30 juillet 2018|Humeurs aqueuses|35 Commentaires

L’histoire des technologies, oubliée à l’école ?

Quand j’étais lycéen, j’ai étudié, comme tout le monde, les deux grandes révolutions industrielles en cours d’histoire : leur avènement, leurs conséquences économiques et sociales. Et en me réveillant l’autre jour, entre mon whisky et mon saucisson matinaux, d’un coup, je suis frappé : à ce qu’il semble, l’histoire de la révolution industrielle que nous traversons est totalement oubliée dans l’enseignement actuel1.

Je veux dire, enseigner l’usage de cette technologie paraît déjà difficile, alors son histoire…

Pourtant, si le but est de comprendre le monde où nous vivons, connaître la naissance d’Internet, l’histoire de l’informatique et son développement, l’avènement du smartphone, le poids de la Silicon Valley et de ses présupposés culturels (la censure opérée par Facebook, par exemple) me paraît aussi important que la chute du mur de Berlin ou la Guerre froide. J’ai passé le bac en 1995 (ouille), la chute de l’URSS (1991) était au programme. Comme me le disait ma prof de Terminale, “le programme du bac s’arrête la veille de l’épreuve”.

L’histoire de l’informatique est plus ancienne. Sans remonter à ses balbutiements, on peut placer sa démocratisation progressive vers la fin des années 1970 – bientôt quarante ans (j’ai l’âge de la “démocratisation progressive de l’informatique”, ça aurait fait un bel intitulé de poste en URSS, tiens). De son entrée dans les foyers à l’installation d’Internet en passant par l’économie du big data et l’industrie du jeu vidéo qui pèse économiquement plus lourd que le cinéma, il y aurait bien des choses à dire, mais surtout, il y aurait bien des clés à fournir pour comprendre notre époque. Et ça commence à dater un peu (plus que la chute du mur).

Comment des entreprises comme Uber centralisent et morcèlent le tissu économique, dessinant un paysage où chacun devient presque un freelance (on en a parlé ici). Comment, dans une économie de libre diffusion, la communication prend l’ascendant sur toute autre considération, au point de pousser la notion même de qualité vers la porte (voir là). “Si c’est gratuit, c’est vous le produit.” Les enjeux sur la vie privée, comme le fichage récent des données biométriques de la population. Etc.

Un mythe absolument grotesque circule sur le fait que les jeunes nés avec Internet, les fameux “millenials“, savent intuitivement se servir de ces technologies qui déroutent toujours un peu leurs parents et grand-parents. Pour en avoir en cours, des millenials, je peux te le dire, auguste lectorat : ils ne savent pas s’en servir, et non, aller sur Facebook et utiliser Snapchat à longueur de temps n’est pas “se servir d’un ordinateur” – c’est ce qu’imaginent leurs parents, encore plus perdus qu’eux. (Pour une longue diatribe au vitriol sur le sujet, voir ici.) Et connaître une technologie ne signifie pas en comprendre l’histoire, les présupposés, les biais d’usage – surtout quand on y baigne à longueur de temps ; l’interface façonne l’utilisateur et son mode de pensée.

Je ne suis pas d’accord avec mon estimé confrère Alain Damasio qui disait en conférence aux Utopiales l’année dernière que ces technologies nous confisquent notre puissance (je résume, hein). Je pense résolument que leur juste usage, comme pour tout outil, augmente notre puissance, au contraire – toute la clé étant dans le “juste” usage. Quand il me suffit de m’installer dans ma voiture et de dire à Siri de me conduire où je veux aller avec le GPS sans me préoccuper d’une carte, j’ai gagné du temps en préparation, je gagne de la disponibilité d’esprit au volant, je gagne en sérénité, tout cela pour libérer mon mental et l’occuper à des tâches plus dignes de lui, comme, par exemple, avoir des idées, réfléchir à une histoire ou encore penser à ce que pense Alain Damasio. J’ai augmenté ma puissance. Mais cela suppose un usage réfléchi de la technologie, une forme d’éducation à celle-ci (un manque ahurissant dans le système scolaire actuel), et la compréhension de son contexte.

Ce que devrait faire le système scolaire, bon dieu. Utiliser la technique n’est pas suffisant. Comprendre d’où elle vient, et ce qu’elle vise à nous faire faire, est presque plus important pour former des citoyens maîtres d’eux-mêmes.

Mais ce n’est pas ce qu’on veut en haut lieu, n’est-ce pas ? 

  1.  Ainsi que me l’a confirmé une brève recherche Google, mais si je me trompe, corrigez-moi.
2020-01-23T00:53:04+01:00mercredi 25 janvier 2017|Best Of, Humeurs aqueuses|6 Commentaires

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