La création se nourrit aussi de silence

Réflexion aléatoire parce qu’on en a parlé lors de la table ronde à Sirennes sur “Vivre de son écriture”, ainsi, un peu plus avant, dans l’épisode de Procrastination sur le burn-out – à de très rares exceptions de constitution près, le cerveau se nourrit d’activité mais aussi de repos. Notre société ultra productiviste qui pousse à voir les êtres humains comme des machines – et donc à considérer la créativité comme un processus industrialisable – y laisse peu de place, mais : créer se nourrit de temps, d’attention, de mûrissement et de vagabondage.

Cela n’exclut pas l’application de la discipline, de prendre soin de toucher son manuscrit tous les jours, de s’efforcer de raffiner son approche pour créer plus facilement. Si l’on n’investit pas le temps qualifié en anglais de BICHOK – butt in chair, hands on keyboard (le cul sur la chaise, les mains sur le clavier), il ne se passe rien, et c’est là que bloquent 95% des aspirateurs écrivain·es. Mais il y a une raison pour laquelle le slogan de Getting Things Done est “la productivité sans stress” : s’organiser réduit le stress, ce qui permet de travailler plus facilement donc de façon plus productive, mais c’est une conséquence et non le but. Le but devrait toujours être un art de vivre qui permet de se rapprocher toujours davantage de ses vœux – en l’occurrence, écrire des récits dont l’on est content et avec le moins de difficulté possible. Produire des pages à la chaîne est très impressionnant, mais, si on y arrive, c’est une conséquence d’un épanouissement dont, je crois, la source est ailleurs (comme la vérité).

Le processus de création de la bande originale de Psycho Starship Rampage a été l’un des plus doux que j’aie connus, parce qu’un jeu vidéo, ça prend des années à se faire, alors qu’une production sonore, beaucoup moins. J’ai pu accompagner de loin en loin le développement et fournir des sons par étapes successives, permettant d’alterner les phases d’incubation / réflexion / fredonnements ridicules dans l’enregistreur de mon téléphone et de production concentrée devant Ableton. Quand j’ouvrais l’application, je savais parfaitement ce que j’allais faire, comment, ce qui m’a permis d’être comparativement très rapide dans l’exécution, mais cette vitesse n’a aucun sens : elle existait justement parce que, de loin en loin, j’avais réfléchi des semaines.

Il y a un moment où l’on a besoin de laisser reposer, et un moment où l’on a besoin de mettre un coup de collier et de s’autocoudepiéaucuter. On met souvent l’accent sur le second car il est, évidemment, plus difficile. L’action est infiniment (au sens très strictement mathématique) plus difficile que l’inaction. Mais l’inaction a sa valeur, au même titre que l’on insiste sur show, don’t tell, mais le tell a aussi sa valeur. Il est juste beaucoup plus facile, donc on met constamment l’accent sur le show.

Comment décider au moment où l’on passe de l’un à l’autre ? Ma foi, vous êtes de grandes personnes ; au final, celui ou celle qui crée, c’est vous ; celui ou celle qui sait ce dont il ou elle a besoin, c’est vous. Une part de la maturité de la création consiste à reconnaître le mode dont on a besoin à un moment donné. Et le professionnalisme à s’astreindre à observer celui que les obligations du moment dictent alors qu’on pencherait vers l’autre.

Tant que cela ne devient justement pas une habitude.

2024-04-14T15:50:14+02:00mercredi 17 avril 2024|Technique d'écriture|0 commentaire

Procrastination podcast s08e14 – Les déclencheurs d’écriture

procrastination-logo-texte

Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : “s08e14 – Les déclencheurs d’écriture“.

Les déclencheurs d’écriture diffèrent des consignes en ce qu’ils n’imposent rien, mais proposent : photos, personnages, situations, ils invitent l’auteur·ice à se les approprier pour construire l’histoire de ses vœux sans contrainte. Quelle utilité peuvent-ils avoir au long cours ?
Lionel s’en sert surtout en atelier pour lancer l’imaginaire des participant·es quand le temps de création est court, et il leur trouve une grande vertu, celle de former une habitude créative d’observation à long terme. Estelle va au-delà : ils apportent le bénéfice de former l’auteur·ice à interroger constamment le monde et à chercher ce qui résonne en soi. Mélanie note aussi que la collision d’éléments, apportée par les déclencheurs, est toujours féconde pour la création. Aucun de trois, cependant, ne s’en sert dorénavant au long cours dans son travail.

Références citées

  • Oblique Strategies, https://en.wikipedia.org/wiki/Oblique_Strategies
  • Fabien Legeron, https://fabienlegeron.fr/

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2024-04-17T11:19:24+02:00mardi 2 avril 2024|Procrastination podcast|2 Commentaires

Procrastination podcast s06e12 – Ne pas écrire

procrastination-logo-texte

Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : “s06e12 – Ne pas écrire“.

On parle beaucoup d’écrire, mais quasiment jamais des pauses et des respirations : dans cet épisode, plongée dans la jachère de la création, à l’opposé des impératifs de production.
Mélanie expose l’existence de cette pression d’occuper l’espace dans les métiers artistiques, qui est difficilement compatible avec le travail de l’inconscient sur la durée. Surtout que la créativité peut évoluer, comme dans son cas, entre les genres et même les formes. Lionel propose un parallèle avec son travail en musique, où le mûrissement permet de rendre les sessions de travail finalement plus efficaces, à mesure que l’esprit fonctionne en tâche de fond : les processus créatifs comportent une part d’aléatoire, ce ne sont pas des chaînes d’assemblage que l’on peut répéter à l’identique d’un jour à l’autre. Estelle renchérit sur le fait que se nourrir l’esprit de centaines de choses, parfois en rapport avec des projets, mais parfois non, permet de s’enrichir et enrichir son travail ; elle dévoile aussi son ancienne méthode contre-intuitive pour réussir ses dissertations de français… un aspect de sa manière de travailler qu’elle observe encore aujourd’hui.

Références citées

– La collection Bouquins

– Steven Pressfield, La Guerre de l’Art

– Kourosh Dini

– Stephen King, Écriture

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2022-03-18T08:14:34+01:00mardi 1 mars 2022|Procrastination podcast|Commentaires fermés sur Procrastination podcast s06e12 – Ne pas écrire

Taper des émojis au clavier sans effort (et pourquoi diantre vouloir faire un truc pareil)

Ouaiiiiis alors moi aussi le jour où j’ai eu un smartphone un peu moderne et que j’ai vu ces petites icônes colorées un peu idiotes, je les ai dédaignées comme un homme de goût, un vrai, du genre à avoir connu les smileys de la grande époque, m’sieur-dame, à l’époque où on leur mettait même le nez comme ça 🙂 parce que 🙂 c’était encore trop cryptique, et je ne vous parle même pas de l’invasion de la kawaiitude quand c’est devenu ^^, on était déjà à l’époque au moins, holà, en 2005. Enfin, je dis « aussi », si ça se trouve je suis juste un vieux con et vous êtes parvenu·e beaucoup plus vite que moi à la conclusion suivante :

C’est que c’est drôlement pratique en fait.

Je ne parle même pas des nuances 😃 à donner 😉 aux conversations 😆 évitant globalement 🤔 les erreurs d’interprétation 😱 des smileys classiques1, mais comme il commence à y avoir un émoji pour à peu près n’importe quoi (c’est comme les GIF), objets, véhicules, animaux, lieux, symboles, cela peut former, dans des notes d’écriture (je me demande vraiment pourquoi j’ai pris cet exemple-là au complet hasard) des repères visuels extrêmement pratiques, symboliques et colorés. L’équivalent du petit dessin genre ⚠️ ou de la puce de la liste, mais toujours parfaitement lisible, et réplicable à l’infini.

Il faut savoir que sur le plan technique, les émojis n’ont rien d’une facétie graphique propre à un système : il s’agit de caractères à part entière, validés et décidés par le très sérieux consortium Unicode, l’organisation qui se charge de définir les codes correspondant à tous les caractères du monde, de l’alphabet latin aux idéogrammes chinois. En d’autres termes, employer un émoji est aussi fiable qu’une lettre de base – à condition que le système chargé de le représenter soit à jour ; comme des émojis sont ajoutés tous les trimestres environ, le système doit suivre (sinon, il représentera juste un carré ou une séquence de points d’interrogation). Mais cela signifie que sur un système compatible, on peut utiliser des émojis où l’on veut, notamment dans le corps d’un texte, voire dans le nom d’un fichier – cela ne pose pas plus de problèmes que d’écrire 月牙天衝2.

Par conséquent : prudence dans l’emploi des communications, mais si c’est pour vous-même, par définition, vous voyez ce que vous voyez. (D’ailleurs, petit aparté concernant la représentation graphique des émojis : le symbole est standard, mais la représentation ne l’est pas ; il peut y avoir des nuances entre constructeurs, pouvant mener à des malentendus – bref, évitez de rédiger un traité bilatéral diplomato-commercial en émojis.)

L’article sur les émojis servant à signaler les degrés de certitude dans l’écriture n’avait pas l’air de grand-chose, mais il représente l’une de mes plus grandes percées personnelles sur l’organisation de mes notes. Si vous avez vu la vidéo sur l’organisation des notes d’écriture, c’est devenu un pilier fondamental de mon organisation (et on en reparle en détail dans Comment écrire de la fiction ?).

Alors, bien entendu, c’est raisonnablement facile de chercher un émoji sur un smartphone où c’est prévu pour, mais taper un émoji sur un vrai ordinateur de grande personne, c’est autrement plus galère – s’il faut aller le piocher dans un sélecteur et que ça prend cinq secondes, c’est beaucoup trop, ça brise le flow, le jeu n’en vaut pas la chandelle parfumée. C’est là qu’intervient l’expansion de texte, l’aide technique la plus bête qui soit à installer sur son ordinateur et aussi la plus dramatiquement sous-estimée (si j’en juge par ton dédain collectif envers la chose, auguste lectorat – mais je comprends, moi aussi, je dédaignais jadis). Que ce soit avec TextExpander, Typinator ou même Alfred, n’importe quelle app permet de convertir une chaîne de caractères en émoji, ce qui permet de les « taper » comme n’importe quel mot et là ça change tout.

J’utilise pour ma part le préfixe em et une séquence de 1 à 3 caractères derrière pour désigner l’émoji dont je parle. Par exemple, pour reprendre les degrés de certitude :

em?(question bloquante)
em!❗️ (nécessité)
emcan📚 (canon)
emid💡 (idée)
em>>➡️ (hypothèse)

Évidemment, le ciel est la limite ; rien n’empêche de faciliter aussi la rédaction de ses mails, de ses SMS au clavier avec toutes les variations possibles… 

emyea😃
em;)😉
emxd😆
em))😊
em:)🙂
… et j’en passe.

Ajouter un nouvel émoji à une liste d’expansion textuelle prend à peu près dix secondes pour grandement faciliter la vie par la suite. L’habitude de « baliser » ainsi la moindre idée par son niveau de certitude avec juste une poignée de caractères déverrouille l’esprit qui ne redoute plus de devoir « filtrer » a priori ses inspirations ; si c’est étiqueté ❗️, c’est important ; si c’est ❓, il faudra y revenir, mais ce n’est pas obligatoire maintenant ; si c’est ➡️, cela commence à former un repère, une ancre rassurante pour le projet en devenir, une étendue de sol vaguement ferme que l’on pourra étendre à mesure de la recherche et de la découverte. Mais il suffit de réfléchir librement avec les mains qui volent sur le clavier, et c’est dans le processus que les idées naissent et s’affinent. Il s’agit comme toujours de libérer l’esprit pour lui donner les conditions de livrer ce qu’il a de meilleur.

  1. Maintenant imaginez le premier chapitre de Des Fleurs pour Algernon réécrit avec des émojis à la place de la ponctuation.
  2. Évitez par contre dans les noms de dossiers synchronisés avec Dropbox. Il ne les voit pas.
2021-03-07T12:25:33+01:00mercredi 10 mars 2021|Best Of, Technique d'écriture|2 Commentaires

Écriture et polygone de contraintes

On appelle polygone de contraintes la forme géométrique délimitée dans un plan cartésien par la rencontre des diverses régions-solutions au système d’inéquations donné.

Alloprof.qc.ca

Ouuuuh yeah, tu aimes le doux fumet des mots qui t’ont peut-être fait fuir les cours de maths en hurlant ? Hé, c’est dommage, parce qu’il y a beaucoup de notions finalement assez simples que tout le monde devrait apprendre à maîtriser pour son bien, disait mon banquier avec un sourire pensif en rassemblant les documents du crédit immobilier que je venais de signer.

Un polygone de contraintes, ce n’est pas compliqué ; c’est la zone délimitée par un certain nombre d’exigences. Un peu comme un diagramme de Venn, si l’on veut simplifier :

La phrase se situe à l’intersection des deux, et si vous êtes malin·gne, vous reconnaîtrez que ce n’est pas le meilleur exemple du monde, parce que ce ne sont pas des exigences mais des analyses après coup MAIS BREF

Si votre idéal romantique :

  • Est pâle
  • Immortel
  • Scintille au soleil

Le polygone de contraintes décrit Edward Cullen. Remplaçons la première par “a la méga classe” et la troisième par “porte des trenchcoats dissimulant visiblement des replis de l’espace-temps pour planquer des épées trop grandes” et la réponse devient Duncan McLeod.

Je vous avais dit que ça n’était pas compliqué.

Le rapport avec l’écriture ?

C’est que la réponse à un point épineux de scénario ou à un pan de création peut être étudiée de la même manière. Quand on n’a pas de préconception arrêtée sur quelque chose, mais que c’est important et qu’on veut bien le réfléchir, inventorier le polygone de contraintes peut former un point de départ fructueux (en utilisant des émojis pour indiquer les degrés de certitude).

Ça peut ressembler à ça par exemple, pris de mes notes de construction sur La Succession des Âges : je récapitule ici un certain nombre de choses établies, prévues, désirées et nécessaires par rapport à un certain mécanisme narratif important qui se dévoilera vers les 3/4 du bouquin. J’ai toujours su le “quoi” ; je travaille ici en détail le “comment”.

Plutôt que de tourner en rond à chercher l’inspiration, je trouve que la meilleure question à se poser est toujours : “que veux-je accomplir ici ?” On ne peut pas claquer des doigts et espérer avoir des idées chouettes sur commande, mais on peut partir à la pêche en commençant par mettre sur la table les pièces du puzzle et voir comment elles s’imbriquent.

2021-01-09T17:29:17+01:00lundi 11 janvier 2021|Best Of, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Écriture et polygone de contraintes

Mise à jour de la playlist « Les Dieux sauvages »

… et ça me donne l’occasion de rappeler que, pour mon plaisir ou me remettre dans l’ambiance quand j’ai besoin de m’auto-coudepiéaucuter, ce truc existe et qu’il est librement accessible pourvu que vous ayez un abonnement à Apple Music.

Couvertures Alain Brion

J’aime bien me composer une bande originale fantasmée des bouquins ou des sagas. Une compilation de morceaux qui m’évoquent spécialement l’atmosphère de ce que je suis en train d’écrire, parce que parfois, on tombe sur exactement la bonne ambiance avec le bon état d’esprit. Je la mets à jour régulièrement, mais là, je m’en suis spécialement occupé notamment alors que je termine L’Héritage de l’Empire. Vous pouvez l’écouter ci-dessous avec votre compte ou, plus pratique, l’ajouter directement à votre bibliothèque si cela vous intrigue. La playlist suit globalement la progression de la série, depuis La Messagère du Ciel (I) jusqu’à la fin projetée pour La Succession des Âges (V) :

Si cela vous amuse, voyons si nous entendons la même chose ! Quoi qu’il en soit, quand il y aura sur ce site les portails sur les univers (… un jour…), je détaillerai davantage ce qui correspond pour moi à tel ou tel chapitre.

(Et si ce genre d’expérience vous intéresse, il existe aussi une playlist pour « La Voie de la Main Gauche », l’univers de la trilogie Léviathan.)

2020-09-23T22:15:30+02:00lundi 5 octobre 2020|Décibels|Commentaires fermés sur Mise à jour de la playlist « Les Dieux sauvages »

Le gribouillis du processus créatif

Tombé sur ce dessin extrêmement simple et parlant résumant le processus créatif (et ses errements qui sont, insistons fort, normaux). « My father told me that the design process started with the abstract, moved to the concept and then finally the design. »

https://shrtm.nu/ybrA

2020-06-21T21:12:42+02:00jeudi 25 juin 2020|Best Of, Brèves, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Le gribouillis du processus créatif

Écrire Guil Redel dans « Les Dieux sauvages »

Recette pour écrire Guil Redel dans « Les Dieux sauvages » :

  • Construire une phrase
  • Penser à la pire manière de la tourner
  • La reformuler sans relâche
  • M’arrêter quand un ricanement à la fois dégoûté et cynique m’échappe tout seul

Et après je me demande pourquoi il est si long à écrire…

2020-05-10T10:15:34+02:00mercredi 13 mai 2020|Brèves, Technique d'écriture|Commentaires fermés sur Écrire Guil Redel dans « Les Dieux sauvages »

Journey est un classique du jeu vidéo poétique

Donc 8 ans après sa sortie, j’ai enfin fait Journey, l’ancêtre de Gris, que j’avais adoré ( https://tinyurl.com/vbhxzuj ).

Splendide aventure brève mais intense, poétique et hautement recommandée (mais attention, ça peut secouer, à vous de voir si c’est bien le bon moment).

2020-03-22T11:07:54+01:00jeudi 26 mars 2020|Brèves, Geekeries|Commentaires fermés sur Journey est un classique du jeu vidéo poétique

Bulletin de santé numérique et digital (4 mars)

(Rappel des épisodes précédents.)

Encore merci à toutes et tous pour vos bons vœux de rétablissement au fil du temps ! C’est simplement incroyable de voir tant de suivi et de prévenance quand, parfois, on ne s’est rencontrés en vrai que deux ou trois fois (mais qu’on communique largement en ligne – et c’est, vraiment, l’aspect positif des réseaux commerciaux, que j’ai pu retrouver ces derniers temps :).

Merci.

Je refais un peu surface, aussi me disais-je qu’il était grand temps de donner des nouvelles.

La situation est maintenant, en fait assez simple car stabilisée et… longue. J’ai clairement franchi le pire : les médecins sont contents de ma jolie cicatrice en forme de Z à la Harry Potter sur toute la longueur du doigt (et qui me permettra probablement de sentir la présence de Voldemort). L’opération s’est déroulée aussi bien que possible, les points sont enlevés, bref, ça suit son cours.

Sauf que maintenant, le cours est long. Déjà, ça reste diablement pas pratique au quotidien : le doigt est quand même raide comme une brindille toute sèche, mais surtout, le fait d’avoir un nerf sectionné vous rend donc toute la zone insensible, comme une anesthésie qui refuserait de passer. Sauf que c’est sur le côté du doigt, donc toute l’autre zone reste normale – et à la confluence entre les deux, c’est le bordel. Exercer une pression (genre, sur une touche de clavier) envoie toute une foule de signaux d’alerte hyper contradictoires : “cerveau, cerveau, c’est pas normal, on est en train de se brûler / se retourner l’ongle / se couper / ah en fait probablement pas mais steuplaît arrête de faire ce que t’es en train de faire plz plz parce que c’est chelou.” Sans parler du fait qu’il est difficile de jauger de la juste pression dans un effort aussi simple que de lever son verre de whisky pour oublier tout ça, et que parfois, tu te rends compte que tu touches un truc depuis trente secondes avant de t’en rendre compte. Et évidemment, il y a comme un programme en tâche de fond qui s’est installé dans ta tête contre ton gré et qui te rend empoté parce que qu’il te dit : “jamais plus tu ne devras utiliser ta main pour faire quoi que ce soit de plus dangereux qu’un coucou à distance flegmatique façon Elizabeth II”.

Bref : ça se passe aussi bien que possible, mais c’est diablement chiant. Pour vaincre le diablement chiant, il n’y aura d’autre solution que

  • Se faire violence (j’ai mentionné dans un article précédent une embûche psychique au long cours, donc il se trouve que ça je sais à peu près faire, j’y arriverai)
  • Attendre, pour voir à quel point le câblage nerveux se retisse (avec un horizon de 6 à 12 mois), pour voir quelle mesure de sensibilité reviendra.

Ce que cela signifie pour les projets en cours

J’ai donc perdu du temps avec ces conneries, entre autres parce que, eh bah, ça m’a un chtipeu chamboulé quand même, pour tout avouer, et avec le recul, j’ai mis une dizaine de jours à m’en rendre compte et à pouvoir me secouer ensuite. Cependant, selon toute logique, les projets planifiés (principalement L’Impassible armada et L’Héritage de l’Empire) sortiront aux dates prévues (juin et automne, respectivement), même si on a dû un peu jongler avec les calendriers en interne.

Je reviens timidement sur les réseaux commerciaux et espère pouvoir reprendre une activité plus fournie sur le blog sous peu. Cependant, cette absence forcée a eu un effet bénéfique : comme je ne pouvais alimenter ni l’un ni l’autre, j’ai pris de la distance et me suis donc reconcentré sur les activités de réflexion et production. Ce qui, ô attention surprise et révélation que personne n’a jamais eue avant moi, m’a finalement libéré pour penser à l’écriture, à l’organisation, et me remettre à envisager des choses que je repoussais toujours parce que, eh bien, 168h par semaine.

Cette capacité de concentration a drôlement bon goût, pour tout avouer. Et pour tout avouer, je n’ai pas envie de la perdre. Je préfère prendre deux heures pour produire un épisode de Procrastination, réfléchir à une nouvelle, que de m’écharper en ligne avec des imbéciles qui ont de toute façon décidé qu’ils ne seraient pas d’accord juste pour faire monter leur e-réputation. Encore une fois, merci, Captain Obvious !

Quelque part, j’ai suivi le régime sec technologique recommandé par Cal Newport dans Digital Minimalism, et je suis à présent en situation de réintroduire, petit à petit, les choses dont j’ai été forcé de m’éloigner. Honnêtement, je jette bien moins la pierre aux réseaux commerciaux, qui m’ont offert ce mois-ci les plus belles interactions que j’avais pu avoir dessus depuis belle lurette – merci encore. Par contre, une chose est certaine, je ne reprendrai probablement pas le même niveau d’engagement que j’avais auparavant, parce que, eh bien, les tweets s’envolent, les bouquins restent, et encore une fois, 168h par semaine : où les investissons-nous ? Dans des projets qui nous tiennent à cœur et des interactions de qualité, là voilà la réponse, duuuuh.

(Était-ce la leçon violente que mon corps voulait me donner avec cette blessure, constatant mon incapacité à lâcher-prise, cf l’embûche mentale plus haut citée ? J’évite de faire du finalisme ou de croire à un grand plan ; en revanche, je m’efforce de transformer les pépins en occasions et en leçons qu’ils offrent.)

Ce qui va donc se produire :

Le blog va doucettement reprendre un peu de publication en-dehors des actualités strictes, à commencer par les photos (ça demande moins de doigts en état de marche). En revanche, je ne vise plus, à terme, un article par jour. J’ai lancé ça en 2012, je n’y ai quasiment jamais dérogé, c’était une expérience amusante, et cela m’a permis de constituer un corpus qui pourrait certainement composer trois-quatre bouquins sur l’écriture. Mais il faut savoir évoluer, et j’ai trop de projets en stand-by qui me font envie, qui pourraient toucher un plus vaste public que même un blog en accès libre, pour continuer à m’astreindre à un tel rythme. Le blog ne va nulle part. Mais je vais me réduire à peut-être un article réellement construit et fouillé par semaine, et autrement me décaler davantage vers des choses plus éphémères, parler de processus en cours, peut-être plus adaptées au format du blog proprement dit. L’énergie récupérée partira dans des projets plus construits, davantage de fiction ou même d’ateliers et de cours. Peut-être adopterai-je ici un ton plus intimiste et personnel qu’avant (au sens : utiliser le “je”, ce que je m’étais toujours plus ou moins interdit de faire).

Concernant les réseaux commerciaux. Cela fait un moment que je traite Facebook comme un mail – c’est-à-dire, j’y vais deux fois par jour, je réponds, je poste, j’interagis strictement avec les bonnes nouvelles ou pour répondre à des questions si ça peut aider, et c’est fini jusqu’au soir. Je lève maintenant le pied sur Twitter de la même manière. Je ne vais nulle part, mais, malgré ce que ces compagnies essaient très très fort de nous faire croire, le côté “social” du réseau n’implique nullement une disponibilité en temps réel. Je sais que je sors la même rengaine tous les six mois1, mais j’ai, comme vaguement évoqué plus haut, un petit souci avec l’investissement de mon attention2. En résumé : je reste disponible, présent, mais bien moins impliqué. Je disais précédemment que j’avais un nombre limité de mots à ma disposition par jour depuis l’accident ; j’ai aussi un nombre limité de mots à ma disposition dans ma vie tout court – comme nous tous. Ce n’est pas que je snobe le monde – je serai toujours dispo pour discuter avec plaisir et longueur, hors de question que ça change, et pour aider quand je peux – mais il faut choisir ses batailles, et le gros des miennes consiste à raconter des histoires, pas à avoir des histoires, see what I mean.

Gros bisous / hugs / coucous d’Elizabeth II selon notre degré de connaissance / proximité / consentement,

Prenez comme toujours soin de vous, pour de vrai,

Et à très vite pour la sortie progressive de l’ermitage, en vous remerciant comme toujours pour votre patience et votre soutien !

  1. Pssst, tous les dix jours.
  2. Ce n’est pas l’ADHD.
2020-03-04T01:54:40+01:00mercredi 4 mars 2020|Journal|15 Commentaires

Titre

Aller en haut