Des réponses à vos questions sur La Messagère du Ciel et « Les Dieux sauvages »

Couv. Alain Brion

Hey ! Il y a quelques semaines (je suis en retard, un peu comme toujours, pardon…) j’ai reçu un message très sympa autour de La Messagère du Ciel (me faisant part de son plaisir de lecture : merci !) avec quelques questions attenantes. Suivant toujours l’adage, quel que soit le domaine – si une personne ose poser une question, trois de plus se les posent peut-être en silence – et puis pour discuter davantage publiquement autour de la série, parce que c’est sympa, quoi, je pensais y répondre publiquement. Si d’aventure vous en avez d’autres, des questions, et si ce format d’échange vous plaît, n’hésitez pas à les poser en commentaires, c’est tout à fait une formule que je pourrais revisiter, et sinon, j’ai plein d’articles sur l’écriture et la productivité en stock, donc pas de problème.

Une lecture bien agréable ! Aux personnages bien posés. J’ai surtout apprécié le “duo” Mériane/Dieu, le caractère bouillant de celle-ci et la patience parfois exaspérée de Wer, ainsi que ses nombreux moments de sagesse (mais c’est Dieu, après tout !). Je lirai la suite avec plaisir. Si tu permets, j’ai quelques questions :

1) Concernant les Enfants d’Aska, je ne serais pas particulièrement surpris si tu me disais que ton inspiration est à chercher du côté de Warhammer ? ???? En lisant certains passages, j’avais l’impression de revivre quelques moments sur Warhammer online avec mon gros Élu de Tzeentch.

Alors, je suis content que cette question revienne, parce qu’elle fait surface de loin en loin, souvent en salon autour de la couverture de La Route de la Conquête. Du coup, cela me permet de pouvoir dire qu’il n’en est rien. Je connais extrêmement mal l’univers de Warhammer Fantasy (même si j’ai eu une boîte quand j’étais ado, mais j’ai dû faire trois parties à tout casser – je n’avais pas la patience pour peindre les figurines) et j’ai encore plus longtemps tout ignoré de 40k. (À force qu’on m’en parle, je m’y suis intéressé, et j’avoue que le douzième degré bourrin m’amuse bien.) J’ignore précisément qui est Tzeentch, par exemple, à part que c’est un des dieux du chaos. Pour les enfants d’Aska, l’inspiration se trouve avant toute chose dans l’esthétique biomécanique (employée dans le tatouage, par exemple) mais en version cauchemardesque. Je me suis aussi énormément nourri de Lovecraft à un âge probablement trop tendre (je considère qu’il a capturé l’essence de la terreur existentielle de l’homme, teintée de sublime, d’une manière peut-être indépassable) et cela irrigue pas mal mon approche de la fascination et de l’inhumain, à travers « Les Dieux sauvages » mais aussi “Léviathan” (Andrew León le cite, d’ailleurs, à la fin de Léviathan : la Nuit). Je pense que beaucoup de visions de l’horreur modernes remontent à lui : du coup, j’ai peut-être cette inspiration là en commun avec d’autres.

2) Est-ce que tu prévois d’en dire plus au sujet du Vagabond ? À moins que ce ne soit un personnage qui se retrouve dans La Volonté du Dragon (que je n’ai pas encore lu) ? Voire dans La Route de la Conquête (que j’aurais oublié) ?

Je crois qu’on a à peu près tous les éléments dans La Messagère du Ciel pour suivre les enjeux du passage en question (en tout cas c’était l’intention), mais si l’on veut en savoir plus, l’histoire de Mandre et de la cause de la chute des Mortes-couronnes est traitée dans « Quelques grammes d’oubli sur la neige », le dernier texte de La Route de la Conquête. Mettre en rapport cette histoire et La Messagère du Ciel les éclaire en principe tous les deux d’une façon nouvelle (même si ça n’est pas nécessaire pour suivre l’un et l’autre !).

3) On te l’a sûrement déjà demandé, mais peut-on s’attendre à un bouquin qui concernera la chute de l’Empire ? J’imagine déjà connaître la réponse (un truc pareil doit être tellement fun à raconter !), mais je n’ai rien contre une confirmation, huhu.

Ouiiiiiiii ! (voix emplie de frustration et d’envie à parts égales) Mais c’est probablement le projet le plus ambitieux d’Évanégyre. Genre encore plus que « Les Dieux sauvages ». Il y a donc deux aspects à prendre en compte avant de se lancer là-dedans : d’une part, une question de compétence personnelle (que je dois encore développer, à mon sens, avant d’avoir la hauteur de vision pour aborder un truc aussi vaste), de l’autre, une question toute bête de viabilité économique. Si je me lance dans, mettons (ce n’est pas une promesse, c’est un chiffre en l’air) une série de 10 bouquins d’un million de signes pièce, il faut que l’éditeur comme moi nous assurions de pouvoir la conduire à son terme, et cela implique notamment d’avoir assez de lecteurs pour. Donc, il faut que l’univers continue à s’implanter, à fédérer l’intérêt, et cela se joue à la fois à mon niveau (en proposant les meilleurs récits possibles) et à celui du temps (avec un effort pour faire connaître l’univers et, espérons-le, susciter l’envie auprès de plus de monde, en montrant – c’est important – qu’on peut faire confiance : l’auteur ne va pas s’évaporer en laissant la série en plan). En tout cas ta question est un encouragement très net et très agréable à faire ce projet un jour : merci !

4) Concernant Chunsène, est-ce que ça t’a ennuyé de la désigner comme l'”adolescente” pour être à même de la distinguer de Nehyr aux yeux du lecteur ? Sachant que ton histoire est d’inspiration médiévale et qu’au Moyen Âge, on passait plus ou moins de l’enfance à l’âge adulte ? Ou bien t’en avais rien à cirer et cette question est débile ? ???? (Je la pose parce que je sais que, moi, ça m’aurait ennuyé).

Bonne question. Alors, déjà, je triche un peu : « Les Dieux sauvages » est certes d’inspiration médiévale, mais pas entièrement. L’Empire d’Asreth/ia était bien plus proche de nos sociétés, il y a donc un passé moderne à ce monde médiéval, comme on a pu le voir dans La Volonté du Dragon et La Route de la Conquête. Certains termes employés le trahissent : on parle par exemple de “citoyens” des royaumes, ce qui est anachronique, en fait (mais volontaire de ma part). Mais ça, c’est la réponse facile : de manière plus intéressante, ta question pose le rapport dialectique de la fantasy avec la contemporanéité du lecteur. Même si l’on admettait que « Les Dieux sauvages » se déroulaient dans un monde purement médiéval, la fantasy dépeint rarement un Moyen-âge entièrement authentique, et fait toujours quelques petites entorses de bon aloi pour rendre l’histoire plus intéressante et/ou digeste (c’est aussi pour cela qu’on écrit de la fantasy et pas du roman historique – lequel, d’ailleurs, triche aussi : c’est du roman). Quand je parle d’adolescente dans le cas de Chunsène, clairement, je me place dans le référentiel du lecteur au XXIe siècle ; c’est à lui/elle que ma narration s’adresse. Mon devoir d’auteur (et le devoir de la littérature en général) consiste à créer une illusion de réalité, quelque chose auquel on puisse croire et qu’on vive avec plaisir, d’accès aussi aisé que possible. Parler de Chunsène comme d’une adolescente est une entorse en toute rigueur, mais elle rend la narration suffisamment efficace à mon sens pour valoir le coup, et de toute façon, son comportement rend tout ambiguïté impossible : elle est clairement plus adulte que quelques adultes de l’histoire. Et on pourrait même dire que même aujourd’hui, y a plus de jeunesse, mon bon monsieur, alors…

5) Que penses-tu de l’Église de Wer ? (dans sa forme actuelle en tout cas, quelque chose me dit qu’elle est appelée à évoluer) Est-ce que tout est à jeter selon toi, ou est-ce qu’il y a des éléments que tu apprécies ?

Je pourrais te dire que ma voix n’a aucun intérêt, que ce qui compte, c’est ce que l’histoire raconte (et je le pense), mais je ne vais pas esquiver ta question : dans la réalité, je ne pourrais absolument pas cautionner quoi que ce soit dedans à cause de son traitement des femmes. Mais c’est aussi pour ça que je l’explore : pour chercher et essayer de comprendre où peut bien se trouver l’humanité, malgré l’hostilité viscérale que me cause ce genre d’intégrisme, lequel existe et a existé hélas (dans la fiction comme dans le réel ; mes années de catéchisme m’ont bien servi pour « Les Dieux sauvages »…). Et ce qu’on peut “sauver” de cette humanité au-delà des ravages du patriarcat. Les morales dogmatiques et leur rôle social sont des questions d’une immense complexité qu’il est impossible de dissocier du contexte qui leur a donné naissance. J’espère m’approcher un peu de ces questions à travers « Les Dieux sauvages », et ce que je peux dire, c’est que je vais m’attacher à refléter cette complexité, justement, à travers les différents points de vue (ne serait-ce qu’entre Leopol et Maragal, on a deux conceptions assez différentes du werisme). Pour partager avec le lecteur toutes les questions que ces sujets m’évoquent, et non des réponses (ce qui n’est pas le rôle de la fiction). Bref, j’espère donc que les facettes du récit traiteront de la complexité du sujet mieux que moi en tant qu’individu limité.

6) Au sujet de la ponctuation des dialogues. L’utilisation des guillemets est plus avantageuse selon toi (et pourquoi), ou c’est uniquement par goût esthétique ?

Je crois résolument que les guillemets offrent infiniment plus de flexibilité dans la gestion du rythme, oui, au point que j’aurais du mal à travailler avec un éditeur qui m’impose les tirets seuls. Tu peux faire des incises claires dans ta narration sans introduire de confusion, par exemple :

« Vous êtes très belle ce soir, Anita », dit Bob. Il s’accouda au piano. « Martini ? »

Avec des tirets, tu es obligé de rajouter une précision, sinon on ne sait plus qui cause, ça casse le flux, et sinon tu colles tes didascalies entre parenthèses, bref, c’est super moche à mon goût et vachement plus contraignant alors que les guillemets résolvent tous ces problèmes avec élégance. J’en ai parlé en détail ici.

7) est-ce qu’on peut considérer que les Enfants d’Aska sont les vrais metalleux d’Evanégyre ?

Nan. Bien des métalleux sont en réalité de vrais gentils. :p

2018-07-05T21:03:37+02:00mercredi 11 juillet 2018|Entretiens|6 Commentaires

« Le mois de » chez Book en Stock (7) : ordre de lecture, fantasy nostalgique, religion dans « Les Dieux sauvages »…

Le septième volet de ce “Mois de” est à lire chez Book en Stock ! Pour mémoire, il s’agissait d’un mois entier de discussion à bâtons rompus sur les livres, l’écriture, et n’importe quoi d’autre. La discussion est à présent terminée, mais je répercute peu à peu ici les articles qui en sont issus pour archive, et pour rappel !

Dans ce septième volet, on parle de

  • Synesthésie
  • Ordre de lecture pour Évanégyre
  • La fantasy, un genre nostalgique ?
  • Personnages de « Les Dieux sauvages » (Darén et Leopol en particulier)
  • Religion dans « Les Dieux sauvages » et éventuelle critique d’icelle…

C’est à cette adresse.

2017-07-22T23:40:54+02:00jeudi 27 juillet 2017|Entretiens|Commentaires fermés sur « Le mois de » chez Book en Stock (7) : ordre de lecture, fantasy nostalgique, religion dans « Les Dieux sauvages »…

« Le mois de » chez Book en Stock (3) : religions, organisation, musique des mots…

Le troisième volet de ce “Mois de” est en ligne chez Book en Stock ! Pour mémoire, il s’agit d’un mois entier de discussion à bâtons rompus sur les livres, l’écriture, et n’importe quoi d’autre, et tout le monde peut intervenir et participer (il suffit de poser sa ou ses questions en commentaires).

Dans ce troisième volet, on parle de :

  • Religions et leur traitement dans La Messagère du Ciel
  • Organisation des journées de travail, comment les méthodes de productivité me permettent de garder le cap
  • Musique des mots
  • Poésie
  • La mer dans Léviathan
  • Inspirations chez certains grands noms…

C’est à cette adresse, et n’hésitez pas à rejoindre la discussion !

2017-06-15T18:45:40+02:00lundi 19 juin 2017|Entretiens|Commentaires fermés sur « Le mois de » chez Book en Stock (3) : religions, organisation, musique des mots…

La Science du Disque-monde : troisième acte à paraître

Couv. Paul Kidby

Couv. Paul Kidby

Il y a quelques semaines, je parlais d’une traduction en cours qui devrait faire plaisir aux amateurs… La sortie du livre étant annoncée chez l’Atalante, je suis heureux de m’en faire l’écho : avec Patrick Couton, traducteur talentueux de Terry Pratchett et des “Annales du Disque-monde », nous planchions depuis quelques mois sur le troisième volume de la série La Science du Disque-monde, co-écrit par Pratchett, Ian Stewart et Jack Cohen, qui se propose de mêler les aventures typiques du Disque à une vulgarisation scientifique à la fois claire et fouillée.

Comme le sous-titre de ce volume le laisse-entendre, L’Horloge de Darwin parle beaucoup d’évolution, de manière claire et didactique, démontant les idées reçues pour les remplacer par les dernières percées dans le domaine – et bien sûr, il n’évite pas le débat du créationnisme, en fournissant brillamment des arguments raisonnés et clairs pour aider le lecteur à forger son opinion. Mais ce n’est pas tout : on y parle aussi de culture, de collectivité, de machines à vapeur et même de voyage dans le temps.

Très humblement, à titre très personnel, je suis heureux d’apporter ma modeste participation à la dissémination de cette série d’ouvrages en langue française, qui me semblent fortement salutaires en cette époque où des fanatismes religieux absurdes voudraient s’emparer à nouveau de nos vies, de nos esprits, de notre morale. La réponse est simple : lisez, amis, et forgez-vous simplement votre propre opinion.

Le livre sortira le 25 avril 2014. Toutes les informations sur le site de l’Atalante.

2014-02-23T15:32:30+01:00lundi 24 février 2014|À ne pas manquer|21 Commentaires

Les gros cons

Ouin, ouin. La théorie du genre (qu n’existe pas) ferait perdre des repères à notre tendre jeunesse, est responsable de la destruction de l’Occident (comme l’ont été l’imprimerie, l’instauration du divorce, le droit de vote des femmes).

Finalement, de quoi est-il question ? Simplement d’interroger la construction de l’identité et de reconnaître le poids du social, qui est peut-être plus fondateur – en tout cas aujourd’hui dans nos sociétés post-modernes fortement dématérialisées, industrialisées, intellectualisées – que le biologique chez Homo sapiens. De dire : oui, gamine, tu veux être cosmonaute, eh bien, ton patrimoine génétique ne s’y oppose pas, oui, gamin, tu veux être instit’ de maternelle, eh bien, ton patrimoine génétique ne s’y oppose pas. Gamine, tu veux porter les cheveux courts, pourquoi pas, gamin, tu préfères faire de la gym que jouer au ballon, pourquoi pas.

Fille, tu peux pousser une gueulante et boire de la bière si ça te chante. Garçon, tu es malheureux, tu n’es pas obligé de verrouiller ton coeur au titre de l’idéal fantasmé du cow-boy Marlboro.

Admettez que ce sont quand même des idées hautement compliquées, n’est-ce pas ? Les gens pourraient être libres de se décider eux-mêmes, et, du coup, heureux. On comprend pourquoi les religieux descendent dans la rue. Ça sape le fond de commerce. Le salut, c’est après la mort, quoi, merde.

J’en ai plus que marre de lire sur les réseaux sociaux une bien-pensance, teintée de conservatisme religieux peu réfléchi, qui ne sait pas trop quoi faire de ces idées, les trouve un peu malvenues, se rassure avec trois articles mal branlés de stagiaires en “philosophie” du Figaro pour s’assurer que, ouh là là, il vaut bien mieux que les choses restent comme ça, on ne sait pas trop ce que c’est comme ça, mais c’est mieux. Il faudrait “comprendre” les arguments des opposants, faire preuve de tolérance, de gentillesse, un bisou sur la joue, là, là ça va aller, la liberté des uns ne va pas menacer la tienne, mon chéri, prends ton gelsémium.

J’ai juste envie de vous demander, les mecs (car ce sont souvent des mecs, des pater familias où tout rentre bien droit dans les cases) : de quoi avez-vous peur ? Sérieusement ?

Homme et femme, quelle importance dans un débat ? Un entretien d’embauche ? Une orientation professionnelle ? (Dès lors qu’il ne s’agit pas d’entrer au GIGN) Un loisir ? Expliquez-le moi donc. Clairement.

On différencie les genres parce qu’on le souhaite, pas parce que c’est un impératif, une “loi naturelle” comme disent les fondus de la Manif contre tout le monde. (L’espèce humaine n’est pas naturelle, elle ne l’a jamais été ; elle était déjà responsable d’extinctions de masse il y a 10 000 ans.) C’est un consensus social, une construction (qu’étudient les gender studies). Comme toute construction, elle s’étudie, se questionne, s’observe.

Mais moi, je sais ce dont vous avez peur. Je suis un mec, hein, on peut se parler entre nous. Vous avez peur que votre domination soit sapée. Que la domination masculine, dont vous jouissez tant que vous ne la voyez pas, qui est tant intégrée à votre mode de vie que vous êtes incapable de considérer le monde autrement, vacille.

Vous êtes de petits garçons.

Vous savez, vous en avez, de la chance, de vivre dans vos douillets cocons où vous vous trouvez incapables de la voir, cette domination. C’est si confortable. Vous avez bien de la chance d’ignorer que les filles se font siffler dans la rue ou traiter de salopes parce qu’elles refusent de donner leur numéro, de ne pas voir qu’une victime de viol se voit répondre qu’elle n’avait pas à s’habiller court et que c’est de sa faute, de ne pas voir les inégalités salariales, de ne pas voir les mutilations génitales à la naissance, de ne pas voir les femmes voilées qui restent cloîtrées à la maison, de ne pas voir les conjointes qui meurent tabassées par leurs maris, de ne pas voir les filles à qui l’on explique que l’informatique c’est pas pour elles pourquoi ne pas faire esthéticienne ou marketing, etc.

Pourquoi parle-t-on de cela à l’école ? Parce qu’elle est un enjeu important. Elle reflète la société. Et elle se veut républicaine ; si ces crétins de parents sont incapables d’instiller ces valeurs d’égalité (je précise pour ceux qui ont séché les cours de français : l’égalité, ce n’est pas l’identité), alors on n’a pas le choix, il faut bien que la république essaie de rattraper le coup. Pour que vos gosses soient un peu plus malins que vous. Pour que l’espèce vise un peu plus haut, un peu plus loin, à la nouvelle génération.

Parce qu’en ce qui vous concerne, d’un homme à un autre, hein, on est entre nous : vous êtes plus que de petits garçons. Vous vous cachez derrière des impératifs moralistes et l’égocentrisme.

En conséquence de quoi : vous êtes de gros cons.

2014-02-19T18:00:55+01:00mardi 11 février 2014|Humeurs aqueuses|34 Commentaires

Charte de la laïcité, dieux de porcelaine

moral-choiceOmagad ! L’État rappelle le principe de laïcité dans les écoles ! Les religieux se sentent visés ! Tout cela est encore une attaque des vilains athéistes pour détruire la foi et la morale (et les musulmans, qui se sentiraient visés d’après cet article).

On se calme.

Qu’on aille la lire, cette charte de la laïcité à l’école, dévoilée hier par Vincent Peillon. C’est facile, c’est une liste à puces d’une demi-page, et elle se lit ici.

Qu’est-ce qu’elle met en avant ?

  • Que toutes les croyances sont respectées. (Justement.)
  • Mais que la croyance est une affaire personnelle à l’école, et non de prosélytisme. Qu’il s’agisse des élèves comme des personnels.
  • Que filles et garçons sont sur un pied d’égalité.
  • Que l’enseignement est le même pour tous, convictions personnelles ou pas. (Ça s’appelle une culture commune, et c’est fondateur d’une société.)

(Oui, elle mentionne également la loi sur les signes religieux ostentatoires. Sachant que c’est dans la loi, c’est difficile de le passer sous silence. Laissons ce point de côté.)

Pourquoi, grands diables, les religieux se sentent-ils autant menacés par des principes que – au XXIe siècle – on pourrait quand même considérer comme relevant du bon sens ? 

Pourquoi laisser entendre que la foi est une expérience intime constitue-t-il une telle injure alors que tout système de croyance fondé sur l’idée de révélation personnelle le soutient activement ?

Et l’égalité des sexes ? Est-ce un principe si délirant ?

La religion, la croyance est une affaire personnelle. La relation que l’on a avec dieu (ou l’absence d’icelui), le grand architecte, le grand tout ou le PDG de l’univers, quel que soit le nom qu’on lui accorde, est une affaire de foi, et la foi est par essence incommunicable. Un système, un ensemble de rituels, une culture de croyance se partage certes avec une congrégation, mais pas l’expérience du sacré (le numineux) ; la culture religieuse peut toutefois viser à guider l’adepte vers cette expérience.

Tout ce que cette charte affirme, c’est : l’école n’est pas le lieu du partage de cette culture. À l’école, on est républicain, parce qu’on n’est pas tout seul chez soi. Donc, chacun croit ce qu’il veut en foutant la paix au voisin, merci. Pour ma part, je suis ravi de voir qu’on tente noir sur blanc d’éviter les absurdités du créationnisme et apparentés comme aux États-Unis ; l’enseignement est le même pour tous. C’est ça, la République.

La République, en même temps, te garantit que quelle que soit ta marque de religion, on te foutra la paix, et même, on te protégera. Rappelle-toi juste que tu n’es pas tout seul, et que tu seras sympa d’être gentil avec le voisin, parce que c’est comme ça qu’on marche quand on cherche à s’entendre. À vivre en communauté. Donnant-donnant. Chacun y met du sien. On ne pique pas les cubes du voisin. Tout ça.

J’ai du mal à ne pas déduire de ces cris d’orfraie que, justement, cette charte empêche ses adversaires de conduire leur prosélytisme, de préserver l’inégalité, bref, de maintenir le citoyen sous le boisseau d’une autorité morale qu’il devrait être libre d’accepter ou non. J’aimerais comprendre comment, au XXIe siècle, dans le pays des Lumières, on peut s’offusquer de principes aussi simples et respectueux de la liberté de chacun. Si les religieux qui s’opposent à ces principes voulaient démontrer par A+B qu’ils s’opposent justement à l’égalité, au respect, à l’esprit critique, à la liberté de choisir, bref, qu’ils ont laissé leur repères moraux échoués quelque part au Néolithique, ils ne s’y prendraient pas mieux. (Et, sur d’autres fronts, il y a des éléments pour le confirmer.)

Ils ne s’y prendraient pas mieux non plus pour démontrer brillamment la terreur intime dans laquelle ils se trouvent ; celle que leurs idéaux ne puissent survivre à des principes d’égalité et de partage – pourtant curieusement écrits en toutes lettres dans quantité de leurs livres sacrés.

Quoi, pensez-vous que si vous respectez l’autre, votre dieu disparaîtra ?

Est-il vraiment si faible, si fragile qu’il ne supporte pas le partage avec autrui ? Le dialogue ? L’ouverture d’esprit ? La confrontation des opinions ? D’écouter d’autres idées, des points de vue divergents, pour apprendre l’indéniable complexité du monde ? Laquelle est certainement plus divine, car plus totale, qu’une vision étriquée, parcellaire ? Car n’y a-t-il pas dans toute divinité l’idée de totalité et d’absolu ?

S’il est vrai, sans mensonge, certain et très véritable, alors il durera et vous aussi.

Rendez-vous, rendez-nous service : si vous y croyez sincèrement, à votre divinité, faites-lui confiance, pour changer.

Peut-être pourrait-elle même vous le rendre.

2013-09-12T10:17:16+02:00mercredi 11 septembre 2013|Humeurs aqueuses|27 Commentaires

Tu seras une case, mon fils

FLASH INFO SPÉCIAL BREAKING NEWS ULTIMATE : Petit rappel pour dire que je serai en dédicace ce dimanche à Elven au Salon du Roman Populaire, avec Thomas Geha et David S. Khara. Venez nombreux me coller un bourre-pif pour l’article d’hier, youkaïdi youkaïda.

Diane laissait ce commentaire à propos de l’article d’hier :

Est-ce que tu pourrais développer un peu plus le dernier paragraphe s’il te plaît ? Notamment les propos sur les conventions, les catégorisations, la maîtrise du lien causal et de la cohérence.

Wow.

Bon, impossible de répondre correctement à ça sans y consacrer en article entier. Je vais m’efforcer de faire au mieux sans – caveat – m’emmêler les pinceaux dans la fatigue du vendredi, et en prenant soin de préciser que je ne suis ni sociologue ni psychologue, mais c’est mon avis et je le partage avec moi-même.

La narration chez les petits

J’ai eu des discussions passionnantes avec des instit’ qui proposaient à leurs élèves de travailler l’imagination par l’invention d’histoires. Il ressort que les enfants n’ont que rarement le souci de la mesure ou de la plausibilité : par exemple, dans une situation désespérée, tout se résoud d’un coup de baguette magique par l’arrivée de la police qui débarque comme par magie (soit, techniquement, un deus ex machina). Cela ne leur pose aucun problème, comme de faire des sauts abracadabrants (la princesse devient un papillon puis un Canadair pour éteindre l’incendie de forêt). Encore une fois, écouter des enfants jouer à construire des histoires le prouve amplement.

Le lien cause à conséquence est ipso facto plus difficile à faire comprendre – je me rappelle au collège de certains rudiments de logique que mes profs ont dû rattraper chez certains élèves, la chaîne de causalité n’étant pas inuititivement saisie par tous (A implique B ne veut pas dire que B implique A). La distinction réel / virtuel est donc très claire, mais les structures logiques purement formelles sont plus difficiles à maîtriser.

Parce que c’est comme ça

Les parents opérant un véritable travail critique sur les a priori (j’ai placé quatre locutions latines, c’est bon, je me la pète officiellement) sociaux sont extrêmement rares et, pourvu qu’on y fasse attention, on le repère partout : il y a une ligne très fine entre propogation du savoir culturel et endoctrinement dû à une absence totale de remise en cause du savoir établi. Trois exemples (pas très subtils, j’avoue, mais indiscutables) au pif.

  • Les tabous culturels et notamment la religion : combien d’enfants baptisés, par exemple, sans réflexion qui sorte du référentiel de la tradition ? Combien élevés dans la stricte observance des traditions religieuses, dont une infime partie (comme ne pas mentir, ne pas piquer le pain du voisin, ne pas le tuer à coups de pelle et abandonner son cadavre dans un fossé) sert réellement la vie en communauté ?
  • L’orientation sexuelle et, plus largement, le rapport à l’autre : la cellule familiale hétérosexuelle et monopartenaire reste la norme, non pas parce qu’il a été prouvé rationnellement que c’est “mieux”, mais parce que, pour beaucoup de gens, c’est comme ça et ta gueule. De même, le rôle fondamental du couple reste la procréation pour une quantité écrasante de monde et vivre kid free n’est pas quelque chose d’aisément concevable.
  • Les rôles des genres. Feuilleter les catalogues de jouets pour Noël est une expérience qu’on peut qualifier soit d’instructive, soit de terrifiante : les petites filles ont des fers à repasser en plastique rose, les garçons des jeux de guerre (ou pire : des jeux de réflexion, parce qu’ils sont assez intelligents pour, eux). Là encore, c’est “comme ça”. On peut éventuellement concevoir qu’au Moyen-Âge, il y avait une raison sous-jacente à cette ségrégation, mais aujourd’hui ? Pour un bon coup de déprime ou de révolte, jeter un oeil au blog Vie de Meuf.

Évidemment, on est forcé, dans nos rapports à l’autre et plus particulièrement dans l’éducation, de transmettre ce qu’on est, ce qu’on pense, et c’est une richesse dès lors que c’est réfléchi et raisonné. Mais une quantité invraisemblable de présupposés foncièrement inutiles à la vie en groupe et à l’épanouissement de soi enrobent les identités et ne font que ligoter l’enfant et le jeune dans des attitudes considérée comme évidentes, alors qu’elles sont, à mon humble mais ferme avis, sclérosantes pour lui comme pour la société toute entière. Rares sont ceux qui y ont réfléchi deux secondes.

Quand les parents n’ont pas résolu tout le sédiment qu’il charrient dans les profondeurs de leur éducation, cela ne peut que se reporter sur la génération suivante ; plus grave, ces sédiments sont souvent confondus avec une forme de clairvoyance, et leur confusion vient brouiller les cartes de leur progéniture. Sérieusement, comment un enfant peut-il bien réagir quand il découvre que le père Noël n’existe pas et que ses parents lui mentent depuis des années comme un arracheur de dents (et dieu sait qu’on flippe du dentiste à cet âge-là) ? Réflexion en amont sur les conséquences : nada. C’est “ce qui se fait”, ça doit donc être bien.

Nietzsche

Mais bon, c’est quand même le vieux fou qui en parle le mieux dans Ainsi parlait Zarathoustra, “De l’enfant et du mariage”, et je vais me faire plaisir en le citant :

J’ai une question pour toi seul, mon frère. Je jette cette question comme une sonde dans ton âme, afin de connaître sa profondeur.

Tu es jeune et tu désires femme et enfant. Mais je te demande : es-tu un homme qui ait le droit de désirer un enfant ?

Es-tu le victorieux, vainqueur de lui-même, souverain des sens, maître de ses vertus ? C’est ce que je te demande.

Ou bien ton vœu est-il le cri de la bête et de l’indigence ? Ou la peur de la solitude ? Ou la discorde avec toi-même ?

Je veux que ta victoire et ta liberté aspirent à se perpétuer par l’enfant. Tu dois construire des monuments vivants à ta victoire et à ta délivrance.

Tu dois construire plus haut que toi-même. Mais il faut d’abord que tu sois construit toi-même, carré de la tête à la base. Tu ne dois pas seulement propager ta race plus loin, mais aussi plus haut. Que le jardin du mariage te serve à cela.

Tu dois créer un corps d’essence supérieure, un premier mouvement, une roue qui roule sur elle-même, – tu dois créer un créateur.

La suite (et tout le texte) ici.

Photo : Jouet Smoby Baby pécho sur Pixmania.

2010-12-03T17:23:08+01:00vendredi 3 décembre 2010|Humeurs aqueuses|13 Commentaires

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