Les éditions ActuSF mettent un point final à leur histoire

La nouvelle est tombée pendant ma longue déconnexion d’été, et c’est important de s’en faire l’écho.

Les éditions ActuSF étaient un repère majeur du paysage de l’édition français : vingt ans d’existence, construites autour du site du même nom, qui ont sans relâche poussé la fiction francophone (Morgan of Glencoe, Estelle Faye, Isabelle Bauthian, Katia Lanero Zamora et tant d’autres) tout en réalisant un énorme travail patrimonial (Je suis Providence, l’énorme biographie de Lovecraft par Joshi ; les actes des colloques universitaires des Imaginales…) et de traduction (Aiden Thomas, Robert Heinlein, Megan Lindholm, G. R. R. Martin hors « Game of Thrones »…)

Les formules habituelles couramment employées dans ce genre de situation, « tragédie », « séisme », bien que totalement vraies, ne peuvent rendre justice à la chose ; ActuSF, c’est de la fiction adulte, jeunesse, et young adult, des essais, des anthologies mais aussi tout un volet de la collection poche Hélios, presque1 400 titres. Toute une équipe éditoriale et toute une écurie d’auteurs et autrices, à qui j’exprime bien évidemment tout mon soutien, mais on va être clair, ça doit leur faire une bien belle jambe, parce que fait chier.

La fermeture d’ActuSF met en exergue les profondes difficultés de notre secteur – l’édition francophone indépendante d’imaginaire. Quand on explique que l’édition peut être très difficile, que quand on en parle, il faut distinguer les groupes multinationaux des indépendants, voici pourquoi c’est important. Quand on milite pour défendre la littérature francophone et donc évidemment les maisons indépendantes qui la promeuvent, voici pourquoi c’est important. ActuSF faisait partie des maisons qui donnaient régulièrement leur chance à de jeunes auteurs et autrices, à des projets sortant des sentiers battus.

C’est aujourd’hui un bastion d’une création vivace et originale qui s’éteint.

Je suis très triste, mais je vous avoue que je suis aussi en colère quand je pense aux réflexions ignares qui passent constamment sur les réseaux concernant par exemple les réalités de nos métiers ou l’exigence que représente la défense d’une littérature francophone originale. Voici. Pourquoi. C’est. Important.

Comme souvent, Bleuenn Guillou a frappé le clou sur la tête (hit the nail on the head, j’fais ce que je veux), avec un thread court qui va droit au but :

Ah ouais, et puis c’est le début du mois de l’imaginaire, là. Désolé, mais la fermeture d’ActuSF c’est la réalité du terrain ; alors on se bouge collectivement pour de belles initiatives autour de nos genres et, surtout, de la création originale en se rappelant qu’en France2, on fait de superbes choses.

Dans l’intervalle, vous avez une ultime chance d’aider les éditions ActuSF en faisant une commande massive3.

  1. Estimation réalisée sur le site, corrigez-moi le cas échéant.
  2. Je ne dis évidemment aucun mal de la fiction anglophone, vous l’aurez bien compris, mais elle n’a guère besoin qu’on la défende ; le français, oui, sur son propre territoire – et c’est pourquoi il faut se battre un peu. Ou alors on lâche l’affaire, on décide que le français est déjà du grec ancien, et pour être honnête, j’ai peur que ça ne soit déjà en cours, et c’est pour ça que je suis en colère.
  3. Ah oui, au passage, cela signifie donc que les jours de l’édition Hélios de Les Questions dangereuses, signée avec ActuSF, sont comptés. Il en va de même pour les éditions numériques de L’Importance de ton regard et de L’Opéra des serrures de Bruce Holland Rogers. Si vous les voulez, c’est maintenant.
2023-10-02T01:59:37+02:00mardi 3 octobre 2023|Le monde du livre|2 Commentaires

Procrastination podcast s07e12 – Faire monter la pression

procrastination-logo-texte

Deux semaines ont passé, et le nouvel épisode de Procrastination, notre podcast sur l’écriture en quinze minutes, est disponible ! Au programme : “s07e12 – Faire monter la pression“.

Comment faire monter la pression sur les personnages ? Comment faire de leur vie un enfer, jusqu’à peut-être les pousser à dérailler – et ce faisant, stimuler la peur du lectorat pour elles et eux ?
Estelle dévoile deux volets cruciaux : d’une part une progression dramatique logique et cohérente, de l’autre des points de non-retour dans l’action avec leurs conséquences.
Mélanie renchérit sur la résonance dans le fantastique entre les événements et les éventuels traumatismes ou craintes du personnage. Toutes d’eux s’accordent sur l’empathie à placer au centre de la narration.
Lionel propose une grille de lecture recouvrant les mêmes notions mais avec une approche différente, selon la proximité avec le personnage et la difficulté de traitement des grandes catégories d’enjeux humains.

Références citées

  • Crazy Kung-Fu, film de Stephen Chow
  • Marcel Proust
  • Thelma et Louise, film de Ridley Scott
  • Dark Water, film de Hideo Nakata
  • Darkness, fim de Jaume Balagueró
  • Les Lions d’Al-Rassan, Guy Gavriel Kay
  • Elizabeth George, Mes secrets d’écrivain

Procrastination est hébergé par Elbakin.net et disponible à travers tous les grands fournisseurs et agrégateurs de podcasts :

Bonne écoute !

2023-03-15T00:10:16+01:00mercredi 1 mars 2023|Procrastination podcast|Commentaires fermés sur Procrastination podcast s07e12 – Faire monter la pression

Cela nous concerne très directement

Toutes les horreurs que les écrivains croient inventer sont toujours au-dessous de la vérité.

Balzac

À chaque fois que le monde part en vrille, je pense systématiquement à cette citation de Sartre à laquelle Ayerdhal tenait beaucoup : « La fonction de l’écrivain est de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde et que nul ne puisse s’en dire innocent. » Mais à chaque fois que le monde part en vrille, je m’interroge aussi en ces termes à peu près : “Qu’est-ce que je suis en train de foutre ?” C’est-à-dire : suis-je à la hauteur de cet aspect de la mission ? (Ne répondez pas, ce n’est pas une question à laquelle on répond, c’est un processus que l’on réfléchit à incarner.)

La littérature, l’art par extension, me semble toujours la chose la plus importante et la plus futile à la fois. L’art sauve, nous élève, nous incite à réfléchir et même, simplement, nous fait du bien. Oui, bien sûr. Mais quand le monde part en vrille et qu’on n’est qu’un humble pousse-curseur, il ne me semble pas complètement absurde de se demander : “Non mais là, en vrai, qu’est-ce que je suis en train de foutre ?”

Qu’est-ce qui me donne le droit et la volonté de croire que je fais un truc réellement important ? Personne, et c’est bien ça le truc : la création est toujours un processus imprévisible, quelle que soit la structure qu’on y injecte ; l’authenticité qu’on s’efforce d’y mettre ne parvient pas toujours à établir ce pont vaporeux avec l’esprit inconnu que l’on espère atteindre, et nul ne peut le savoir a priori. On ne peut qu’essayer, toujours, avec sincérité ; laquelle est la seule clé et la seule vraie raison de toute cette futilité.

Quand le monde part en vrille, que ce soit le monde en dehors ou au-dedans de moi (ce qui arrive aussi), je m’efforce toujours de revenir à ces paroles simples et ô combien fortes de Neil Gaiman : make good art. Le good est toujours une aspiration, une intention, un espoir. Aucun de nous ne sait si ça va marcher. Il n’est même pas un but réaliste. Il nous reste à make art, surtout ceux et celles d’entre nous, dont je fais absolument partie, qui ne savent pas faire grand-chose d’autre et en ont grande conscience. (À part aussi, bien sûr, faire des dons à La Croix Rouge, et à toutes les organisations humanitaires de réputation établie.)

Du discours de Gaiman, on a surtout retenu le make good art, mais je trouve, tout particulièrement en ce moment, ce passage beaucoup plus important, qui nous concerne tous, c’est peut-être là que notre action individuelle commence réellement, en tant que citoyens du monde : être sages, et si nous ne le sommes pas, faire comme si nous étions quelqu’un de sage, et puis agir conformément à ce que cette personne ferait. Ce qui est une nécessité vitale en cette ère de surinformation, de désinformation et, forcément, d’angoisse :

Les Stoïciens plaçaient la vertu (et l’action qui en découle) au-dessus de toute considération, l’équivalant au bien ; deux millénaires plus tard, Gandhi disant be the change you want to see in the world.

Qu’est-ce que je suis donc en train de foutre ici, là, aujourd’hui ? Je vous parle, déjà, parce que j’ai la chance d’avoir une petite tribune, et que si, pour être totalement honnête, je ne sais pas depuis le début de cet article comment aborder un sujet bien trop brut pour avoir une réaction que j’espère intelligente (si j’écris de la fiction, c’est aussi parce qu’elle m’offre le bouclier du temps, de la réflexion et de la métaphore avec l’alibi du divertissement), je ne peux pas ne pas m’en servir alors qu’une histoire terrible est en train de s’écrire et que j’ai l’impression qu’on n’en prend pas trop la mesure. Ce n’est pas la première fois ni le premier endroit où ça arrive, je sais. Mais là, il faut vraiment prendre conscience de tous les parallèles historiques, et on ne rigole plus avec ça : on a déjà, réellement, vécu ça de très près.

Lors du défilé pour la paix samedi à Rennes, des personnes d’ascendance ukrainienne martelaient aux passants : “Arrêtez-vous, les Français. Cela vous concerne.” Fichtre oui. Cela nous concerne. Les habituelles récupérations politiques écœurantes ont lieu – elles ont toujours lieu ; les figures publiques démagogiques croient toujours pouvoir capitaliser sur les crises qu’elles s’imaginent lointaines et donc inoffensives. Mais ce n’est pas cela qui nous concerne, nous, en tant que citoyens et citoyennes du monde. La vérité brute, c’est qu’une puissance a envahi militairement une nation souveraine, bombarde des cibles civiles et que son allié proche prépare sa nucléarisation tandis que l’agresseur lui-même brandit la menace atomique.

Des imbéciles et des fantoches ânonnent un relativisme criminel et irresponsable, comme quoi la Russie aurait été poussée par l’expansion de l’OTAN à réagir de la sorte. L’Ukraine est une nation souveraine apte à choisir son destin ; la personne qui met le flingue sur la tempe de son gouvernement n’est pas l’Ouest. L’invasion russe est aussi un aveu criant d’échec de la proposition portée par son pouvoir. Quelle que soit la manière dont on regarde cette crise, on ne peut pas justifier, expliquer, comprendre cette invasion, quel que soit le contexte géopolitique. C’est une fucking invasion, avec des civils qu’on arme dans les rues, des immeubles d’habitation qu’on bombarde, et un pays auquel l’agresseur a refusé explicitement le droit d’exister.

C’est extrêmement grave, ça nous concerne, c’est littéralement à nos portes. Et j’avoue que je suis juste triste de voir réseaux et figures publiques s’exciter tellement fort dès qu’un président de droite est démocratiquement élu1, se drapant dans des proclamations de Résistance (une référence historique dont je n’oserais pas personnellement me réclamer : il fallait un courage et une vertu que la vaste majorité d’entre nous ne peut affirmer posséder en toute connaissance de cause, parce que nous avons eu la chance de ne jamais avoir été mis à l’épreuve) alors que là, j’ai quand même l’impression que les affaires continuent sans guère de vague. Alors certes, les affaires doivent évidemment continuer, car c’est déjà une façon d’affirmer la vie, et affirmer la vie, c’est résister (avec un petit “r”). Mais quand même. Nous rendons-nous bien compte de la chance que nous avons ?

Mais que peut-on faire ? Pas grand-chose de concret, certes, mais commencer par refuser, protester vocalement et continuellement, car c’est aussi une guerre d’influence et de propagande (les médias russes ont interdiction de parler d’invasion, Twitter et Facebook sont coupés là-bas depuis quelques jours, les manifestations anti-guerre sont passibles d’arrestation) ; et à notre humble échelon, à chaque instant, s’efforcer (et je reviens à Gaiman) de faire preuve de sagesse dans nos actions, quelles qu’elles soient, dans notre partage de l’information, dans notre compréhension du sujet, dans nos conversations. Refuser, comme nous avons encore la chance merveilleuse de ne pas être appelés à résister. Nous montrer peut-être à la hauteur des valeurs que nous prônons porter et incarner, alors qu’elles sont justement mises à l’épreuve. En tant que citoyens, en tant qu’êtres humains.

Et le plus important, bien sûr, exprimer notre solidarité avec le peuple ukrainien qui se bat en ce moment même dans les rues de ses villes, et Résiste, lui, avec un grand “R”.

2022-02-27T16:38:58+01:00dimanche 27 février 2022|Humeurs aqueuses|Commentaires fermés sur Cela nous concerne très directement

Lundi, c’est déclencheurs, édition 2017 (4) : un drame

Ouais non mais faut cliquer pour agrandir, là.

Les règles sont ici, mais je les rappelle rapidement : un pomodoro d’écriture non stop sur le ou les déclencheurs qui t’inspirent, t’intriguent, ou même te font partir sur une tangente sans rapport – peu importe, il faut juste écrire.

Cette semaine, après avoir esquissé le besoin fondamental d’un personnage, joué avec un accessoire et un talent, nous allons plonger là où les vraies histoires se font : dans le sang, les larmes, bref, le drame, soit les germes du conflit. Car les gens heureux n’ont pas d’histoire. Ce qui me rend un peu triste. C’est pour ça que j’ai des histoires.

Voici donc une liste de drames, auguste lectorat, joue avec celui qui t’inspire, combines-en plusieurs pour un maximum de hargne, voire colle-les tous dedans, remue, et regarde si ça explose. Yippee !

Un drame

  • La mort d’un être cher
  • Un emprisonnement de longue durée
  • On envahit le pays
  • Mutilation, traumatisme physique
  • Perdre la raison
  • Perdre la mémoire
  • Un amour volé
  • Une amitié trahie
  • Le déshonneur
  • Forcé à devenir ce que l’on hait

Qu’est-ce qu’on rigole.

2017-08-15T21:53:27+02:00lundi 7 août 2017|Technique d'écriture|3 Commentaires

« Le mois de » chez Book en Stock (6) : honneur, tragédie, sortie des genres, fantasy chorale…

Le sixième volet de ce “Mois de” est à lire chez Book en Stock ! Pour mémoire, il s’agissait d’un mois entier de discussion à bâtons rompus sur les livres, l’écriture, et n’importe quoi d’autre. La discussion est à présent terminée, mais je répercute peu à peu ici les articles qui en sont issus pour archive, et pour rappel !

Dans ce sixième volet, on parle de

  • Honneur et tragédie (oui madame)
  • Poésie
  • Écriture hors genres
  • Multiplicité des points de vue dans la narration
  • Critique littéraire (et comment les auteurs la reçoivent)
  • Économie du livre et du poche en particulier…

C’est à cette adresse.

2017-07-21T09:31:46+02:00mercredi 12 juillet 2017|Entretiens|Commentaires fermés sur « Le mois de » chez Book en Stock (6) : honneur, tragédie, sortie des genres, fantasy chorale…

Les plus faibles des dieux

Par Tignous, victime de l'attaque

Par Tignous, victime de l’attaque

En préambule – guère capable de trouver des mots justes et bien tournés. Malaise physique, je me sens comme au lendemain de Fukushima, même si ça n’a rien à voir – le lendemain de la catastrophe nucléaire, l’art me paraissait insignifiant ; aujourd’hui, sa parole et sa liberté me paraissent plus que jamais capitales. Ainsi ébranlé, je n’ose imaginer ce que peut éprouver l’entourage des victimes. Il n’y a pas de mots, pas d’insulte assez forte. Je me suis longtemps posé la question de réagir ou non. Est-il pertinent de réagir à chaud ? Est-il pertinent de parler, tout court ? Et sinon, je fais quoi ? Business as usual ? Impossible. Comment ? Il est des cas où la superbe de l’ignorance est la meilleure des positions, mais ici, je crois qu’aucun libre penseur ne peut rester silencieux. Je cours le risque d’être bancal, inadéquat. Je le prends. Se taire, en l’occurrence, c’est donner raison.

Il y a avant tout la compassion et les pensées pour les victimes et leurs proches, qu’on ne connaît pas, mais auxquelles on s’identifie ; il y a un acte, et des douleurs, des vides, un choc qui dépassent l’entendement, et qui ont frappé le monde entier.

Mais qu’on ne se méprenne pas. Ce n’est pas une voix de peur. C’est une voix de solidarité. Les intentions du crime, la futile et absurde défense d’un nom qui n’est pas censé avoir besoin de cela, cela n’évoque que le plus abject mépris, le plus profond et unanime dégoût. Et ne mérite qu’une chose : qu’on redresse l’échine. Nous laisser ébranler dans l’intimité de nos pensées revient à accorder un soupçon d’ascendance à une barbarie qu’on n’oserait pas même qualifier de moyenâgeuse par égards pour le moyen-âge. On ne lui fera pas cet honneur-là.

Car bien faibles doivent être les dieux, bien fragiles doivent être les croyances, s’il leur faut redouter une simple parole, s’ils ont besoin de sang pour garantir leur existence. 

L’obscurantisme se bat avec les armes mal dégrossies de son ignorance : la violence et le dogme. Seule la faiblesse craint le doute, et emploie la barbarie pour le réduire au silence.

Nous – et ce nous désigne le collectif éclairé de l’humanité, de toutes obédiences, religieux ou non, de par le monde et l’histoire entiers, liés par une forme d’harmonie sociale fondée sur la liberté et la pensée – nous ne saurons être intimidés. Mais nous ne saurons, non plus, nous abaisser au niveau de ces criminels. Nous, collectif humain, etc. – nous, civilisation, quelle qu’elle soit, aussi perfectible qu’elle soit – valons mieux que cela.

Ne nous laissons pas diminuer, ne nous laissons pas terroriser, ne nous laissons pas sombrer dans la colère et la haine. Pleurons, mais laissons notre peine alimenter notre résolution pour défendre, plus haut encore, liberté et raison. Les victimes avaient la seule audace de s’exprimer. Ce crime veut faire taire la satire, la dissension : célébrons-la et portons-la plus haut. Les mots, la raison, ont du pouvoir. Ne laissons pas l’étincelle du débat rationnel vaciller, alimentons-la, toujours plus fort, dans la raison et le progrès. Fleurit sur les réseaux, en signe de solidarité, l’image “Je suis Charlie” – faisons honneur, ne répondons pas à la violence par la bêtise, mais asseyons davantage notre solidarité collective, l’éclat des Lumières face aux obscurantismes de tout bord, en faisant usage, à chaque instant, de notre intelligence. Je n’apprécie pas énormément l’humour du journal, mais ça n’a pas d’importance ; qu’on l’aime ou pas, ainsi qu’on l’attribue à Voltaire, il faut se battre pour qu’il puisse s’exprimer.

N’oublions pas que nous (fraternité humaine de bonne volonté et de tous horizons, de toutes obédiences, religieuses ou non, etc. – nous, gens fréquentables et civilisés) avons dépassé ces “armes” – et la notion même qu’une croyance s’impose par la force. Les Lumières, héritières des philosophes grecs et romains, la civilisation nous ont enseigné la valeur et la force du doute, du débat, facteurs de progrès. Nous nous sommes efforcés, et nous efforçons continuellement, de construire des sociétés hissant toujours plus haut l’égalité, le questionnement, la remise en question – vers l’amélioration de soi, et le progrès de la société. Sont-elles parfaites ? Aucune ne l’est, loin de là. C’est un cheminement, un processus1

Nos forces s’appellent intelligence, raison, éducation, réflexion, esprit critique, liberté d’expression. Nos cadres s’appellent lois, tribunaux, édictées au cours d’un processus démocratique, certes grandement perfectible, mais c’est encore le moins mauvais de tous les systèmes (Churchill). Nos gardiens sont les forces de police et d’enquête, mandatés par la République. Dans les jours qui viennent, dans les émotions qui nous secouent, nous agiteront au quotidien sur les réseaux, dans la vie courante, rappelons-nous l’édifice de la civilisation, en perfectionnement constant, fondé sur la raison, une force que les barbares ignorent, car ils ne savent que prouver leur faiblesse, leur stupidité et leur peur à travers la violence. Nous sommes, chacun, à notre échelon, les garants de cette civilisation, dans nos actes, nos paroles, dans l’usage de notre raison, de notre esprit critique, dans notre ouverture à la différence, bref, dans l’emploi de cet organe appelé cerveau – autant que dans notre maintien et notre défense fermes des principes de liberté qui nous gouvernent, qu’il s’agisse de la liberté d’expression et de la presse, ou de la traque sans merci des assassins.

Il convient de rappeler que le dieu faible défendu par les criminels d’hier n’est pas celui de la grande majorité des musulmans d’aujourd’hui. De la même façon que la France est héritière des Lumières avant d’être la fille aîné de l’Église, l’héritage du monde arabe, s’il est besoin de le rappeler, ce n’est pas l’intégrisme ; c’est Omar Khayyam et ses poèmes dédiés au vin, aux jeunes femmes, son scepticisme vis-à-vis de la religion ; c’est Avicenne, père de la médecine moderne, fondée sur la méthode scientifique ; ce sont d’innombrables traductions et mises à disposition d’oeuvres fondamentales (notamment de philosophes antiques, justement), pierres angulaires de la pensée contemporaine depuis un millénaire, et mille autres réalisations capitales pour l’humanité.

Nos ennemis à tous, les ennemis de l’humanité, ce sont l’ignorance, la bêtise, le silence, tous ceux qui réduisent au silence tout débat rationnel, toute remise en cause des principes établis, des autorités sans fondement. Notre ennemi n’est pas une idée.

Notre ennemi, c’est l’absence d’idées : le refus d’en voir naître, l’interdiction de les nourrir, de les exprimer, et de les soumettre à la discussion, au risque de les voir réfutées et disparaître. 

“La religion, une forme médiévale de déraison, combinée aux arsenaux modernes, devient une réelle menace pour nos libertés. Ce totalitarisme religieux a entraîné une mutation mortelle dans le coeur de l’Islam et nous en avons vu les conséquences tragiques à Paris aujourd’hui. Je me tiens aux côtés de Charlie Hebdo, et nous devons tous le faire pour défendre l’art de la satire, lequel a toujours représenté une force de liberté contre la tyrannie, la malhonnêteté et la bêtise. Le ‘respect de la religion’ est devenu une expression codée pour dire ‘peur de la religion’. Comme tous les idées, les religions méritent critique, satire, et, oui, notre irrespect, sans crainte.” – Salman Rushdie

  1. Les criminels d’hier n’en ont probablement pas bénéficié, comme hélas beaucoup d’autres. Ce qui ne rend pas pour autant leur crime ni justifiable, ni excusable. Mais il s’agit là d’un autre débat, connexe, historique, et surtout très déplacé au lendemain de la tragédie.
2015-01-08T08:57:02+01:00jeudi 8 janvier 2015|Humeurs aqueuses|9 Commentaires

La contagion ne prend pas

Contagion. Un casting de malade : Marion Cotillard, Matt Damon, Laurence Fishburne, Jude Law, Gwyneth Paltrow, Kate Winslet. Steven Soderbergh aux commandes. La menace d’un virus qui décime la planète, la promesse d’une tourmente humaine, de sentiments forts, de désespoir, de fraternité, peut-être d’une rédemption. Panique, angoisse. La perspective de se faire peur, d’être ému, choqué, bref de vibrer au premier degré de façon très assumée, et peut-être au second si le film le permet.

Sauf que non.

Contagion, c’est simple. C’est l’histoire de types, y a un virus, et puis ils meurent.

Et on s’en fout.

Le scénario tente le pari des récits croisés, chacun explorant un fil de la confrontation face à un fléau médical d’une rare violence, qu’il s’agisse du médecin confronté à sa propre déchéance, de l’OMS s’efforçant de réagir au plus vite, du père de famille mystérieusement épargné par la maladie qui décime les siens, du blogueur activiste un peu ripou sur les bords qui oppose à la voix des spécialistes celle de la multitude désinformée d’Internet. Chacun réagit à sa manière face à la menace, à la peur, à la désagrégation de la société confrontée à sa possible extinction. Le lecteur de bon goût est ramené par exemple à Spin de Robert Charles Wilson dans le traitement de cette thématique. Et Contagion propose des points de vue intéressants et d’une modernité plutôt bien trouvée, sans compter que – pour une fois – l’aspect scientifique est traité plutôt correctement.

Sauf que jamais, la mayonnaise ne prend, ne restant qu’un empilement de fils narratifs à peine ébauchés, où l’investissement ne naît jamais, où les problématiques pourtant prometteuses demeurent égratignées, et où les tentatives de tirer sur les cordes émotionnelles du spectateur résonnent à vide. Kate Winslet est evoyée évaluer la maladie sur le terrain, on la suit dans ses déplacements, et puis à un moment, elle tombe malade. Elle a très très peur, et on la comprend. Mais on s’en balance total. Marion Cotillard, autre experte, est prise en otage pour que l’acheminement d’un possible remède devienne prioritaire vers un village de la campagne chinoise. Elle s’attache aux villageois. D’otage, elle devient pilier de la communauté. Mais on n’en voit rien, on n’en sait rien, et le verdict devient en conséquence le même : on s’en balance. Comme de ses villageois, probablement très sympathiques, mais inconnus au bataillon scénaristique. Pourquoi, demande-t-on à la narration, dois-je me soucier de tout cela ? Parce qu’ils sont en danger ? Ça ne suffit pas. Les personnages sont en carton-pâte, sans attaches – ou éventuellement stéréotypées – ce qui suscite rarement plus qu’un “ah ben c’est quand même moche” quand les victimes commencent à s’entasser.

En fait, à son corps défendant, Contagion est une parfaite démonstration d’un travers honteux mais réel de la nature humaine, exprimé avec une clairvoyance d’une cruauté glaciale par Staline : un mort, c’est une tragédie, un million, c’est une statistique. C’est scandaleux, c’est détestable, mais c’est vrai. Et la fiction porte des drames, pas des statistiques. Sans personnages, sans discours, sans fils narratifs forts, Contagion échoue là où un film comme Collision réussit magnifiquement avec une envergure bien moindre dans les enjeux. Le récit de Soderbergh aurait mérité une ou deux trames narratives de moins, un parti pris clair sur les thèmes à traiter, un choix, pour sensibiliser le lecteur au propos qu’il voudrait tenir. Si seulement il en avait un.

Mais à vouloir être partout, Contagion n’est nulle part. On n’en ressort pas scandalisé, mais pas ravi non plus. On se dit qu’on a vu un récit sans âme, pas tellement creux, mais pas tellement consistant quand même. Contagion, finalement, c’est ça : pas tellement grand-chose.

2011-11-23T12:13:35+01:00mercredi 23 novembre 2011|Fiction|Commentaires fermés sur La contagion ne prend pas

La Volinter du Dragon

EDIT 14 avril : Certaines personnes m’ont signalé des difficultés techniques pour écouter l’émission. Vous devriez pouvoir télécharger le MP3 directement à cette adresse (clic-droit, enregistrer sous).

Eh non, je n’en ai pas fini avec mes jeux de mots pourris…

Cette nuit, Didier Daeninckx et moi étions les invités de Serge Le Vaillant pour son émission Sous les étoiles exactement, diffusée sur France Inter. J’y cause en longueur de La Volonté du Dragon et surtout de fantasy. L’émission est disponible une semaine en podcast à cette adresse : stock limité, offre rare, téléchargement collector ! J’espère avoir réussi à ne pas dire trop de bêtises – du moins, pas trop d’imprécisions…

Bon, je dis cette nuit, mais, la vérité, c’est que nous avons enregistré il y a deux semaines. J’avais voulu parler de ce voyage sans en trouver le temps : comme je cite L’Aiglon en exergue de La Volonté, je m’étais dit que le moment était bien choisi pour le relire. Ce fut l’occasion de tester la lecture sur e-book, laquelle fut une véritable révélation (je prépare un petit test de la chose).

(suite…)

2010-04-14T15:40:46+02:00mardi 13 avril 2010|Actu|4 Commentaires

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