Joanne Harris sur le piratage (en français)

lolcat-planning-demiseJoanne Harris, en plus d’être une romancière reconnue, est extrêmement active et fort intéressante sur Twitter. Elle propose régulièrement des séries de tweets sur l’écriture, l’édition, et, vendredi dernier, décortiquait l’argument fallacieux que le piratage n’est pas du vol, c’est de la copie. Histoire de varier les interlocuteurs, et comme j’ai déjà parlé du sujet suffisamment récemment, je lui ai demandé si elle accepterait que je traduise une sélection de ses tweets (vu que nous sommes visiblement d’accord). Accord obtenu, les voici. 

  • L’argument sur le piratage douteux du jour : “Ce n’est pas du vol, c’est de la copie.” *se cogne la tête contre le bureau*
  • “Je vois que tu achètes une Rolex. Et si je te donnais cette copie gratuitement ?” “Vous embauchez quelqu’un ? Et si je faisais ce boulot gratuitement ?”
  • “Vous avez mis vos identifiants bancaires en ligne ? Et si je les copiais, juste pour les envoyer à toutes mes connaissances ? Ce ne serait pas du vol, juste de la COPIE.”
  • “Je sais que j’ai dîné dans votre restaurant, puis que je suis parti sans payer, mais cela vous fera de la BONNE PUBLICITÉ. Cela vous aidera à VENDRE davantage de places.”
  • “Je sais, j’ai volé cette bouteille de vin, mais, bon sang, elle était BIEN TROP CHÈRE pour que je l’achète.”
  • “Ouais, alors ce que je vais faire, c’est manger ce steak, et si je le trouve vraiment bon, je le paierai. Sinon, je l’effacerai, tout simplement. Ça va, non ?”
  • “Tout ce que j’ai fait, c’est copier votre travail et le donner gratuitement. Ce n’est quand même pas ma faute si vous avez mis la clé sous la porte.”
  • Peut-être y a-t-il une idée ici. Voler nécessite une once de réflexion. Les pirates ne sont pas des voleurs. Ce sont des PARASITES.
  • “Je sais que c’est votre boulot, tout ça, mais avez-vous lu ce site web ? Il explique pourquoi je m’y connais TELLEMENT mieux que vous sur le sujet.”
  • Pirater des livres, c’est comme fabriquer de la fausse monnaie. Au bout d’un moment, la valeur se perd. On finit par travailler pour rien. Tout s’effondre.
  • Ici, un troll sur Twitter accuse une diplômée de Cambridge d’ “anti-intellectualisme” PARCE QU’ELLE ESSAIE DE PROTÉGER LES AUTEURS du piratage…
  • “Les Kindles sont chers, alors les livres électroniques devraient être gratuits” revient à dire “j’ai acheté ma maison, alors je peux voler les plantes de mon voisin.”

… Et comme il est difficile (et un peu inutile) de vouloir rester hors de la discussion sur un réseau social, j’ai dévié avec l’utilisateur @adrianshort sur le rôle de l’économie. Je retranscris cette discussion, car elle permet de couper court à un autre argument fallacieux : celui que l’économie doit changer pour légitimer la pratique (ça ne choque personne qu’on s’attaque pour cela à l’un des plus faibles secteurs).

LD : Si seulement les gens mettaient autant d’énergie à justifier le piratage qu’à, mettons, combattre la faim dans le monde. […]

A. S. : Peut-on jamais justifier de voler à manger ou bien NE VOLE PAS À MANGER représente un principe applicable quelles que soient les circonstances ?

LD : Tu ne mourras pas de ne pas voler un livre, mais si tu le fais, l’auteur en mourra peut-être, lui. C’est si difficile à comprendre ?

A. S. : Bien sûr, parce que c’est absurde. Une vente de livre ne transforme pas un auteur affamé en auteur viable.

LD : Le manque massif de ventes nuit à l’économie. C’est aussi pour ça qu’on paie pour se nourrir. Il faut que les gens gagnent leur vie.

A. S. : D’un point de vue économique plus vaste, ces dépenses se sont décalées ailleurs, comme l’équipement informatique et l’accès à Internet. L’économie ne va pas plus mal si les gens achètent de la bière plutôt que des livres, en tout cas pas dans le sens que tu entends.

LD : Alors construis-nous une façon de gagner nos vies avec ta science économique. Pour l’instant, le modèle ne satisfait personne. Je suis tout à fait pour une économie idéale, sincèrement. Mais les gens ont besoin de gagner leur vie AUJOURD’HUI, pas dans une économie idéale.

A. S. : Un revenu de base universel créerait une énorme différence pour les créatifs aux revenus modestes. Je suis pour.

LD : Moi aussi ! Mais on n’y est pas encore, et le monde doit fonctionner dans l’intervalle. Donc, pas de piratage.

A. S. : Les éléments montrant que le piratage empêche quoi que ce soit de fonctionner, d’un point de vue économique ou autre, sont rares.

LD : C’est certainement pour cela que 90% des créatifs martèlent le contraire. Pourquoi seraient-ils au courant ; ce n’est que leur gagne-pain. D’innombrables articles le montrent. Mais je vois que je t’en convaincrai pas.

Depuis le dernier article sur le piratage, qui a soulevé beaucoup d’ire (pour un article plutôt écrit sur un ton chaleureux), il est apparu quelque chose de très net : les maisons d’édition indépendantes, qui proposent des livres électroniques à prix plancher, sans protection, avec un travail de qualité, se font pirater comme les autres. Donc, l’argument pseudo-éthique “je ne pirate que les maisons trop chères / qui verrouillent leurs fichiers / les grands groupes” ne tient absolument pas. Qu’on n’essaie donc pas de justifier le piratage avec une espèce de vague attitude de chevalier blanc ; c’est la démonstration par l’exemple que ce n’est que de la poudre aux yeux, et une malhonnêteté de plus. On pirate parce qu’on pirate, et dès qu’on consomme une œuvre de la sorte, on triche, point.

Si vous souhaitez la source de l’ensemble des échanges :

2016-09-19T23:24:37+02:00mercredi 21 septembre 2016|Le monde du livre|Commentaires fermés sur Joanne Harris sur le piratage (en français)

L’État légalise le piratage, mais que le sien, faut pas déconner

Hélas non, ce n’est pas un poisson d’avril ; l’information est tellement saumâtre, tellement absurde, que le monde littéraire s’insurge devant cet abus de pouvoir scandaleux.

Voici le topo. Imaginez que demain, le ministre de l’agriculture vote une loi qui lui permette d’entrer chez vous et de se servir dans votre frigo. Votre seul recours ? Dire “non” quand il aura ouvert la porte et posé la main sur le jambon. Et si vous étiez parti en vacances, ou tout simplement sorti à ce moment-là ? Dommage. Vous êtes fucké (à moins de sauter dans de nouveaux cerceaux administratifs pour récupérer votre bien). Et, en attendant, le frigo est vide.

Cela vous semble dingue ? C’est pourtant ce que vient de voter le gouvernement français avec la loi sur les indisponibles au XXIe siècle, dite ReLIRE. En substance : vous êtes auteur d’un livre devenu indisponible. L’État peut décider de le ressortir, sous forme numérique, de lui-même. On vous rémunère, quand même, mais là n’est pas la question : les conditions sont les mêmes pour tout le monde, pas de négociation possible. Surtout, c’est 50/50 – pour l’auteur… et l’éditeur original, qui a justement laissé le livre devenir indisponible – donc qui s’est désintéressé de son exploitation !

Epic_Facepalm_by_RJTH[1]

Il est normal qu’un livre vive son existence commerciale, puis s’éteigne. Mais le Code la Propriété Intellectuelle dicte justement que les droits peuvent revenir au créateur au bout d’un temps de non-exploitation… pour qu’il décide quoi en faire, justement. On ne les lui vole pas, et on n’en fait pas profiter un partenaire précédent !

Pour s’opposer à cette édition, il faut déterminer – en consultant une base de données qui fait honneur à la longue histoire de l’informatique d’État à la française, c’est-à-dire : au design soviétique tout en pastels administratifs et stable comme la tour de Pise – que votre oeuvre figure au registre, puis remplir un beau formulaire Cerfa pour dire en substance : “mon cher gouvernement chéri, t’es sympa, mais tu peux aller te faire fleurir avec des chardons ».

La manoeuvre est d’une énormité qui confine à la gifle. Il s’agit ni plus ni moins d’une expropriation et même de piratage, puisque nous sommes pieds et poings liés devant cette initiative.

Rappelons que l’auteur est souverain sur son oeuvre ; si on veut l’exploiter, on lui demande son avis. Pas l’inverse. Cette loi crée une exception grave, dont même les Américains, avec le régime du copyright, n’osent pas rêver. Enfin si, Google a bien essayé, mais s’est cassé les dents. Pour ajouter l’outrage au dommage, le même gouvernement français s’est élevé à corps et à cris contre la numérisation de Google Books, justement, prétextant le non-respect du droit d’auteur… pour faire la même chose deux ans plus tard.

Cerise sur le gâteau, la base, probablement vérifiée par des lolcats équipés de moufles, présente des incohérences totales par rapport à la loi. Citons par exemple

Maester_numerisation_oeuvres_indisponibles_snac_BD

Que faire ?

Pour aller plus loin :

Cette vidéo de Mediapart où Benoît Peeters qui résume simplement la situation en quelques minutes

Revolución.

2014-03-05T10:47:43+01:00vendredi 29 mars 2013|Le monde du livre|27 Commentaires

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