Lionel Davoust
Tuning Jack
Nouvelle
Extrait de L’Importance
de ton regard
Recueil de nouvelles publié en mai 2010 par les éditions Rivière Blanche
(ISBN 978-1-935558-20-0)
http://www.riviereblanche.com/importance.htm
http://lioneldavoust.com/livres/limportance-de-ton-regard/
Première publication in Univers et Chimères n°1, http://univers.chimeres.org, 2004.
Nouvelle finaliste du prix Rosny Aîné 2005.
Licence Creative Commons By-NC-ND-2.0
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http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/
Dire que le milieu artistique et culturel traverse une crise est un truisme : avec la généralisation des échanges sur Internet, tous les modèles classiques de distribution vacillent et même s’effondrent. La musique, puis le film ont subi de plein fouet ces assauts et, alors que le livre électronique s’apprête à déferler, on ne saurait douter que l’édition connaîtra à son tour ces mutations importantes.
Tout le monde s’accorde à peu près pour affirmer que les anciens modes de pensée sont caducs, que la commercialisation doit évoluer et s’adapter à cette nouvelle donne.
En revanche, si les donneurs de leçons ne manquent pas, personne n’est capable de dire ce qu’il faut faire – ni même de brosser un vague tableau de l’avenir.
Face à ces bouleversements, deux attitudes.
Ou bien s’enterrer la tête dans le sable, résister avec l’énergie du désespoir face au changement, dans l’espoir de le contrôler ou même de l’anéantir.
Ou alors, expérimenter avec ces nouveaux modèles, prendre des risques, s’y plonger pour comprendre ce qui s’y joue et participer à dessiner cet avenir que nul ne sait encore entrevoir.
Je pense résolument que la complexité et l’aspect international d’Internet rendent les tentatives de contrôle parfaitement vaines et, qui plus est, contre-productives. D’autre part, l’idée de vivre dans un monde où l’information n’appartient plus au citoyen, qu’il s’agisse de la sienne ou de celle qu’il s’est légalement procurée, m’est absolument insupportable. C’est pourtant l’avenir que pouvoirs publics et compagnies privées s’échinent actuellement à construire.
Par conséquent, puisque je suis tout aussi incapable que les autres d’imaginer des solutions à cette mutation, il ne me reste qu’une chose : expérimenter avec les nouveaux modes de diffusion afin de mieux les apprivoiser. Je n’ai pas d’entreprise à faire tourner, de responsabilité autre que mon propre travail (et mon estomac, d’accord). Je peux prendre des risques, me tromper, apprendre.
Et, très franchement, pour un créateur, c’est passionnant.
C’est pourquoi j’ai décidé de distribuer gratuitement et librement une partie de mes histoires. Le fichier que vous détenez est entièrement à vous. Il est diffusé sous une licence dite « Creative Commons » : pour résumer, vous avez le droit de le reproduire, de le partager, de le mettre à disposition d’autrui, à condition, bien entendu, de ne rien changer au contenu et de ne rien exiger en échange.
J’irai plus loin : n’hésitez pas à le faire, car c’est le but !
Il est bien évident que j’espère toucher un plus large public par ce biais. Depuis l’adolescence, je n’ai jamais autant découvert d’artistes que par la copie privée, entre copains, sur recommandation, par échange de vieilles cassettes ou de MP3. Et je m’aperçois que j’ai toujours fini par suivre et acheter le travail de ces créateurs. Les deux plus graves dangers de ce métier sont mourir de faim et disparaître. Or, aucun inconnu n’a jamais rien vendu. C’est donc un pari : j’espère bien que, si mes efforts vous ont plu, vous aurez envie de les partager autour de vous, d’en découvrir davantage et de m’accompagner.
Un auteur n’est rien sans lecteurs. Contrairement à beaucoup de créateurs présents sur Internet, je décline les dons (même si l’attention me touche) car cela m’inspire un désagréable arrière-goût de mendicité : or, si je mets un fichier en ligne, c’est qu’il est offert. Sinon, je ne l’offre pas, tout simplement. Qui diantre fait payer ses cadeaux après coup ?
Non, la meilleure façon de soutenir un créateur, c’est tout simplement d’acheter son travail. Et cela tombe bien, car je ne veux rien vous demander d’autre que de faire ce que vous souhaitez déjà : continuer à lire. Et justement, j’ai des livres imprimés sur du bon vieux papier, réalisés avec des éditeurs passionnés. Si mon travail vous a plu, les acquérir est la meilleure rétribution qui soit… et c’est aussi la seule que je souhaite.
Cette nouvelle est tirée d’un épais recueil intitulé L’Importance de ton regard, paru aux éditions Rivière Blanche. Il s’y trouve dix-sept autres récits de science-fiction, de fantasy, de bizarre, dont un court roman. Si ce texte-là vous a intéressé, il n’est pas déraisonnable d’espérer que le reste de ma production vous plaise !
Et si vous n’êtes pas encore convaincu(e), je propose d’autres nouvelles distribuées gratuitement, selon le même mode, à la page suivante :
http://lioneldavoust.com/telechargements/
Que je vous invite à récupérer joyeusement. :-)
Je tiens évidemment le blog / site qui va avec : http://lioneldavoust.com
Bonne lecture,
Lionel Davoust, 15 avril 2010
Body tuning.
Passez à l'Existence.
Un
corps non tuné ressemble à un appartement témoin : tout y est de série.
On peut aimer son volume corporel mais préférer néanmoins l'équiper à
sa façon.
Alors oubliez les peaux monochromes, les silhouettes
ordinaires, les visages quelconques. Osez les équipements multimédia,
les kits animaux, les finis métalliques. Essayez. Trouvez votre style.
Constituez votre ligne de conduite.
C'est la différence entre être, et Exister.
Putain, ils ont grave raison ces cons-là. C’est pas que je veuille acheter chez eux, hein. Le catalogue Trois Suisses c’est pour les blaireaux. Mais y a toujours des idées à choper. Et puis j’ai rien d’autre à foutre.
« T’as pas cours, Jacques ? »
Ma mère. Elle passe dans le salon avec sa vieille robe qu’elle met pour le ménage, celle où les fleurs sont presque aussi grises que les murs du salon. J’aime pas quand elle m’appelle Jacques. C’est quelconque.
« Mmm », je fais.
Elle me gonfle.
« Mets pas tes pieds sur la table. »
Je les enlève en soupirant. Ouais, peut-être que j’ai cours cet aprèm’, je sais plus, mais de toute façon Michael – pas oublier de prononcer à l’américaine, « Maïkeul » – y sera pas non plus. Il est allé chez Tyger, voir pour nos pièces.
Je pose mes pieds. C’est des Nike. J’ai assuré là-dessus. J’ai fait l’install’ moi-même, tout, le tatouage du logo qui remonte jusqu’à la cheville, la fixation des semelles AirTM sur la plante. Et pas avec de la colle biologique, hein. Les broches remontent dans les os. Comme ça, plus besoin de lacets. Plus besoin de grolles non plus, d’ailleurs.
Bon, c’est de la merde, ce catalogue. Que de l’accessoire de série – du grand public comme on dit. Kits de pigmentation de l’iris, de scarification luminescente – avec des motifs déjà vus cent fois. À quoi ça sert de se tuner si c’est pour avoir la même chose que tout le monde ?
Ma vieille commence à me lourder. Le temps d’enfiler mes cheveux, et je m’arrache.
Ayez le regard d’Inger Rasmussen…
Vous êtes sur le point d’avoir une révélation.
Souvenez-vous du regard incroyable d’Inger Rasmussen, la bombe danoise d’Isolés sur la plage. Comme vous, des millions de spectateurs ont été transpercés par ces yeux inimitables.
Inger vous le révèle à présent : elle doit son regard à Afflelou.
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(Sur le côté du texte, gros plan sur le visage sans défaut d’une superbe blonde. À l’arrière-plan, une plage de sable crème, et la mer lisse des Caraïbes, d’un turquoise si pâle qu’il en est presque blanc.
La couleur des yeux de la fille et celle de l’eau sont exactement les mêmes.)
Je sors de l’appart et j’allume mon pète. Je descends les escaliers sans me presser et je souffle la fumée sur les détecteurs. Ils sont niqués depuis longtemps de toute façon.
En sortant, je sais pas trop si je vais aller me poser pour terminer mon joint tranquille à côté du lac, ou si j’essaie de toper Michael. Il avait dit qu’il m’appellerait, donc ça sert à rien d’aller le choper, mais en même temps je suis pas trop motivé pour me taper de plus près la puanteur de la flotte. Je sais pas ce qui s’est passé dans ce lac, s’il y a un connard qui a déversé des saloperies, ou s’il y a un troupeau de buffles qui est mort dedans, mais dès qu’il fait un peu chaud, ça sent l’œuf pourri dans tout le lotissement. Pendant juillet-août, on aura bientôt le choix entre vivre fenêtres fermées et crever de chaud, ou avoir de l’air, mais qui pue. Mais y a des gamins à qui ça fait pas peur. La bande du pont, ils viennent se baigner presque tous les jours. Ils sont couverts de pustules, et comme ils ont pas une thune et qu’ils se démerdent comme des manches dans la vie, ils osent appeler ça du body tuning. Encore des mecs qu’ont rien pigé.
Bref, en tout cas, moi, cet été, j’échapperai au lac pendant au moins une semaine : quelques plans, un peu de boulot pendant les cours, un peu de chance aussi, et je me suis dégagé de quoi me barrer une semaine à la côte.
Justement, faut bien que je me tune si je veux lever de la touriste. Ça marchera pas sinon.
Je prends le chemin de chez Tyger. J’y vais à pattes, sinon je perds l’habitude de mes pieds. Les broches frottent et s’enfoncent dans l’os sous mon poids, alors, si je reste longtemps sans marcher, ça fait plus mal ensuite quand je m’y remets.
Nintendo GameBody®
The game enters.
Démodé, le plastique.
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Michael est black. Mais à la base il était blanc, comme moi. Son burning a été son premier body tuning. Il a presque tout fait lui-même, avec une lampe-tempête sur laquelle il a bricolé un laser russe et un projo UV. Les raccords sont pas terribles aux endroits qu’il avait du mal à atteindre, mais il avait douze ans à l’époque, alors c’est du super boulot. J’aurais bien aimé être aussi habile à cet âge-là. Tout ce que j’avais réussi à faire à cette époque, c’est à m’installer une radio contre le tympan, mais elle s’était bloquée sur France Culture et voulait plus s’éteindre. J’ai super mal dormi pendant une semaine, le temps que je m’habitue. Ils causent vraiment de trucs super chiants sur Culture. Enfin, je dis ça, mais j’écoute pas vraiment. Je pigeais que dalle à douze ans, mais à dix-neuf, je pige toujours pas plus. D’ailleurs, maintenant que le conduit est plus large, faudra vraiment que je me prenne une après-midi pour la sortir. Mais bon, je m’y suis habitué. Parfois ça cause même de body tuning.
« Respect, Jack, me fait Michael.
— Respect, Michael. » Maïkeul. Ma-yeu-keul. Il s’appelle Laurent en fait mais il devient fou furieux si on l’appelle pas Maaaaaa-yeuuuuu-keuuuuul.
« Je suis over désolé, Jack, je voulais t’appeler mais mon com est mort, je sais pas ce qu’il a », il me dit. Michael a la boule à zéro et il se passe toujours la main sur le crâne, comme maintenant, quand y a un truc qui l’emmerde. Les seuls poils visibles qui lui restent, c’est sa moustache courte mais drue. Il a viré le reste avec des mini-électrodes.
Je fais :
« Dur. »
Le com, c’est le seul truc que reconnaissent les serialz – les mecs qui se tunent pas. Ça indique le statut, par ici. Bon, si t’es tuné c’est moins vrai, là c’est la qualité de ton tuning qui indique ton statut.
« Tu m’étonnes, reprend Michael. Anyway la batterie commençait à déconner. C’est l’occase de changer. » Ouais, j’aurais bien aimé que les piles de la radio que j’ai dans l’oreille elles déconnent, ça m’aurait un peu foutu la paix. Manque de pot, elles se rechargent par les mouvements de la tête. « Enfin bon, donc j’ai vu Tyger. Il a ta plaque de torse et mes rallonges de jambes. Il est free ce soir si on veut se les faire poser.
— Trop d’la balle. Moi ça le fait, je voudrais la mettre vite pour prendre l’habitude. »
Michael fait deux têtes de moins que moi, c’est vachement emmerdant pour jouer au streetball quand on est nain. Là au moins, pour ça, ma mère a pas déconné : je fais mon bon mètre quatre-vingt-cinq. Mais le streetball c’est pas mon truc.
Michael, lui, il est à fond dedans : qu’il fasse chaud ou froid, il est en short, baskets et maillot des Wizards – toujours le numéro 23. Michael fait dans le cult. Il est un peu vert que sa demande de changement de nom ait été refusée (« Vous n’avez pas de raison valable de demander le nom “ Jordan ” », ils lui ont dit, ces trous du cul) mais pour le reste, il assure.
Moi je fais dans le plasticisme. Chacun son trip.
« Quelque part, je te pige pas, me fait Michael. Tu vas péter what mille thunes pour aller à mille kilomètres alors que tu pourrais te contenter de ce que t’as ici. »
Faut qu’il arrête, qu’est-ce y me raconte ? « Z’y va, t’as maté ce qu’on a ici ? C’est trop pourrave. Et puis le tuning, c’est ton trip, mon frère, comme moi. Viens pas me faire la morale, t’es gentil.
— Je te parle pas de tuning, bouffon, et la cité, c’est trop de la merde, on est d’accord.
— Tu me traites pas de bouffon. » Ouais, on me traite pas de bouffon.
« Je te parle de Laure, dit Michael.
— Commence pas à me chauffer là-dessus », je réponds. Je veux être agressif, mais en fait je me rends compte que je lui cause normalement.
J’essaie d’expliquer.
« Moi je veux de l’exotisme, tu vois ? Comme L’île de tous les fantasmes, sauf que c’est pas une île.
— Ça empêche. Laure, elle te kiffe, et fais pas style t’es pas au courant.
— Lâche-moi. Laure c’est une copine, point barre. Et encore. Quand elle est pas reulou. »
Marylin ? Claudia ? Loana ?
C’est du passé. Du siècle passé.
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France Culture cause de L’appart de tous les dangers. J’adore cette émission alors je fais un peu gaffe à ce qu’ils racontent, mais ils vont encore dire des conneries, comme d’hab’. Ils pigent rien aux bonnes émissions. Seize célibataires, filles et mecs, filmés 24/24 dans un appart’ immense truffé de pièges qui changent tout le temps, c’est pas mortel comme idée ? Enfin, là ils sont plus que neuf. Ils ont voté de virer Charlène, celle qui a une peau à paillettes – c’est dingue le nombre de meufs qui se sont fait des peaux à paillettes depuis que L’appart’ a commencé. Normalement, chaque semaine, on donne à chaque joueur l’emplacement d’un piège super violent ; et là, elle a fait exprès de pousser Nathalie, celle qui draguait Kévin – le mec que Charlène, justement, s’est tapé dans le vivarium – sous la douche acide. Le problème, c’est que les colocs ont su que c’était pas un accident, que Charlène connaissait l’emplacement du piège. Même Kévin a voté contre elle quand il a su ça.
On arrive vers le bahut. On ira peut-être au cours de 16 heures, mais à 17 heures faudra qu’on s’arrache pour aller chez Tyger. Apparemment c’est la pause, tout le monde est dehors. On entre dans la cour.
« Yo », nous fait Laure qui discutait avec deux-trois copines. Laure est plutôt mignonne : elle a le teint mat – il me semble que son père est Algérien –, gabarit menu, yeux noirs. J’aime bien.
« Yo Laure, dit Michael.
— Yo », je réponds. « Encore à discuter avec tes serialz ? » Elle aime pas quand je parle comme ça des gens qui se tunent pas.
« Il y a pas de quoi être fier d’être tuné quand on voit BTP », elle me balance. « Elle a encore changé de seins. »
BTP, à la base c’est les initiales de Body Tuning Prestige. Parce que, hein, attention, y a le body tuning prestige : c’est les gens qui se donnent des airs de bourge. Ils se font tuner dans des « Instituts », chez des mecs qui sont même pas des vrais shapers, et ils font tout pour que leur tuning se voie pas. Quand Jolene Escondida ou Inger Rasmussen font du tuning prestige, je dis pas. C’est des stars, c’est pas pareil. Mais BTP, elle a vingt-deux ans, et elle s’est jamais installé quoi que ce soit elle-même. Par contre, elle se fait poser un truc nouveau toutes les semaines. Nous, on installe tout nous-mêmes, sauf les trucs qu’on peut pas, parce que c’est pas humainement faisable, ou qu’il faut être anesthésié complètement. Ou quand on fait appel à un vrai shaper, un artiste comme Tyger. Là, c’est pas pareil non plus.
Résultat : BTP ressemble à rien. Elle, c’est du ravalement de façade, des travaux publics qu’il faudrait lui faire, justement, et encore ça doit être trop tard. Elle s’est tellement fait refaire le nez que la partie du dessous s’est nécrosée, elle est obligée de porter une prothèse pour pas que ça se voie. Elle a les lèvres tellement grosses, on dirait un canard. Et puis avec tous les traitements antirides qu’elle a faits, elle a la tronche d’une momie, du coup. Bon, OK, elle est bonne à tomber par terre, elle filerait la gaule à un mort, mais en même temps, je sais pas… J’aurais l’impression de me taper une grappe de ballons.
Elle passe sur des talons hauts qui lui mettent le pied quasiment à la verticale.
« Je vois pas de différence, dit Michael. Pour ses seins.
— La forme a changé, nous assure Laure.
— Tiens, au fait, je me fais installer ma plaque de torse ce soir. »
Elle répond pas. Elle regarde ailleurs.
« Eh, j’te cause.
— Oui, je t’ai entendu ! »
Holà. J’aime pas le ton de voix qu’elle a.
« Eh, tu me parles meilleur !
— Je te parle comme je veux. Si t’as pas mieux à faire dans ta vie que de dépenser de la thune dans ces conneries, j’ai pitié de toi ! » Elle hurle.
« Putain, tu commences pas sinon j’t’éclate, t’entends ? »
Elle bouge pas. Elle regarde en l’air.
Ma main est au-dessus d’elle. Je me rappelle pas l’avoir levée. Je regarde le visage de Laure. Bon, ça va, je l’ai pas frappée. Je suis pas un violent, mais faut pas me chercher.
Elle dit tellement doucement que j’entends presque pas :
« Et puis merde, je me demande pourquoi je m’inquiète pour toi. »
Là, elle s’en va.
Elle fait chier, elle peut pas me foutre la paix un peu, putain ?
« Retourne dans tes bouquins si c’est tout ce qui te fait bander dans la vie ! »
Elle se retourne même pas, la conne.
(Page de gauche.)
Il se croyait immortel.
(Photo d’un vieillard ridé comme une vieille pomme, dans un fauteuil roulant. Un goutte-à-goutte lui entre dans le bras et une couverture dissimule les moignons de ses jambes. Son regard totalement apathique semble fixé au-delà du lecteur.)
Il a seulement vingt-cinq ans.
Sachez distinguer le body tuning légal de l’illégal. Les interventions cosmétiques sont en général autorisées par la loi.
Mais l’altération des caractéristiques génétiques, l’induction de mutations locales, l’implantation d’armes naturelles ou de systèmes à base de substances ou de matériels illicites sont particulièrement dangereuses pour la santé, et fermement punies par la loi.
Ne jouez pas avec votre vie. Votre corps connaît des limites.
(Page de droite. Un basketteur immense, taillé comme un bloc de marbre noir antique, fait un dunk. La contre-plongée donne l’impression qu’il vole, et que le panier est à une dizaine de mètres de hauteur.)
(Slogan en travers de l’image, grosses lettres jaunes.)
Il n’y a aucune place sur Terre pour les petits joueurs.
Just Do It.
Avec la chaleur qu’il fait, personne va rentrer à l’intérieur quand le cours recommencera. Y en a qu’un seul qui risque pas d’avoir chaud. Il est sous le préau, Michael le voit en même temps que moi, mais il nous a repérés aussi et c’est trop tard pour faire style on l’a pas vu, ou pour filer en douce.
Iceman. Ce mec est un monstre. Il fait deux mètres de haut et presque autant de large à cause de sa machinerie. Il est couvert de systèmes de refroidissement Peltier, de grilles d’échange thermique, de bouteilles d’air liquide et de fumigènes dans tous les sens. Du coup, il est constamment entouré par un brouillard froid, et quand les conditions sont bonnes, une vraie pellicule de glace se forme sur tout son corps. En hiver, il neige autour de lui. Faut ajouter à ça qu’il s’est teinté la peau en bleu et qu’il a des néons ultrafins sur tout le long de ses tuyaux. De loin, on dirait vraiment un mec en glace.
Il vient vers nous. Le bruit de ses réfrigérants devient de plus en plus fort, on dirait le bourdonnement d’un congélateur qui se serait tapé une abeille géante. Il a été viré du lycée il y a trois mois à cause du boucan qu’il faisait en cours. Je vois pas pourquoi, c’est pas comme s’il y allait souvent de toute manière. Mais quand il allait, c’est vrai que c’était commode, comme les radiateurs sont presque tous morts et que les fenêtres ferment presque pas, avec les plaques de ses échangeurs thermiques, il chauffait la salle à lui tout seul.
Il a trois potes qui restent derrière, des mecs en cuir noir. Leur style, c’est punk années 70 : ils se sont tunés avec des clous, des trombones et des épingles qui les traversent de partout, ils ont des bottes cloutées aussi, et gardent tout le temps leurs lunettes noires. Ce qui attire les yeux chez eux, c’est leurs cheveux à l’iroquoise qui changent de couleur en permanence. Ils poussent même le souci du détail jusqu’à fumer de vraies clopes, pas des pètes. Ces mecs-là sont assez dangereux il paraît, mais ça m’empêche pas d’admirer le super boulot avec un œil de connaisseur.
« J’ai bien vu, là ? » nous fait Iceman. Il a l’air super énervé.
« Heu, vu quoi ? » je lui dis. J’essaie d’être prudent.
Ça marche moyen, il me pousse avec ses deux mains énormes et je tombe en arrière, sur le cul. Les trois punks nous matent de loin, l’air de rien.
« Eh, qu’est-ce qui te… »
Iceman avance et me pose un pied énorme sur la poitrine. Et il appuie, ce con. Si seulement j’avais déjà ma plaque thoracique… Enfin, il m’a pas abîmé la mâchoire, c’est déjà ça. J’ai un renfort de mâchoire inférieure en titane, des plaques externes qui font tout le tour. Du coup je peux pas avoir la tronche plus carrée, ça le fait grave, mais faudrait pas que l’autre con me la nique, elle m’a coûté assez cher.
« Si tu frappes Laure, je te fais la peau, t’entends ? » me sort Iceman. « Tu t’approches plus d’elle. »
Si j’avais pu respirer, ça me l’aurait coupé. J’aurais pas su quoi dire mais bon, là je peux pas parler alors ça fait pas trop de différence. Iceman qui défend Laure… J’aimerais pouvoir rire, mais en fait non, ce serait pas une bonne idée.
Iceman, il passe sa vie à glander et à tuner avec sa bande qui vole et deale pour lui, alors que Laure, elle bosse le soir, révise la nuit, et va en cours le jour. En plus, elle a bien la haine contre le tuning, déjà moi et Michael elle veut pas nous en parler. Iceman l’avait déjà abordée, et ça avait rien donné, même s’il continue à lui tourner un peu autour, comme ça. Je pensais pas qu’il était morgan à ce point. C’est flippant. Mais qu’est-ce qu’il croit, que Laure c’est le genre à vouloir se taper un esquimau ?
Michael intervient. Mauvaise idée.
« C’est bon, Ice, laisse-le. »
Iceman éternue (il est constamment enrhumé, ce bouffon) et se tourne lentement vers Michael. On est grave mal barrés.
« Qu’est-ce que vous êtes en train de faire ? »
Putain ! Je reconnais la voix, c’est Maurin, le proviseur adjoint. Ben j’aurais jamais cru être content de tomber sur ce mec-là.
« Rien, m’sieur », fait Iceman qui me libère et recule. Je tousse un peu et j’arrive à reprendre mon souffle. « On joue, m’sieur. » Derrière, les punks ricanent, et puis ils se barrent.
Dans mon oreille, France Culture continue.
« … télé poubelle. Il y a aujourd’hui L’appart’ de tous les dangers, mais ce n’est que la suite d’une longue et triste série – on se souvient de Le juge, c’est vous ou de Ibiza Love Exchange. Je voudrais poser la question aux pouvoirs publics : comment peut-on imaginer que l’exemple donné soit… »
REF. 987/410/015. Uniq rég. Paris. Tyger instal auth. moustaches, fibr optiq. Garant. imposs. à arraché. Util. kit félin : panthèr, cha, lion etc. Discrét. oblig. tyger_bt@hotmail.com
J’ai la haine.
J’ai encore grave la haine contre ce con d’Iceman. Et contre Laure qui s’est bien mise devant en cours – nous on est au fond comme d’hab’ – et qui nous a traités de haut. C’est pas le cours d’éco qui nous a changé les idées. J’ai eu 7 à la dernière interro où je suis allé, le prof m’a sacqué parce que j’ai fait des fautes de calcul partout. C’est trop un bouffon, et en plus il a pas le droit de me sacquer pour des fautes de calcul. Y a que le prof de math qui a le droit de corriger les fautes de calcul, je le sais, c’est une directive ou un truc comme ça. C’est comme les fautes en français, c’est que le prof de français qui corrige, les autres ils ont rien à dire.
Enfin, je m’en fous un peu quand même. De toute façon le prof de math il est jamais là, ou c’est des remplaçants.
Tyger crèche pas à côté du bahut, y a bien une demi-heure de marche mais pas grave, faut toujours que j’entretienne mes pieds. Il a tout le rez-de-chaussée d’un squat près du fleuve, sur un grand terrain vague où il y a les meilleurs meetings de tuning, et des matches de streetball aussi.
Chez Tyger, c’est un bordel incroyable. C’est un dieu de la récup’ : il a des étagères jusqu’au plafond couvertes de pièces de tout et n’importe quoi. Il dit qu’on sait jamais quand une pièce peut servir pour un kit. Tous les gens qui ont des demandes un peu strange ou qui veulent de l’unique, installé par un pro, vont chez lui. Oh, c’est pas le genre de BTP, hein, elle elle va pas chez des shapers. Mais ici c’est un endroit pour les passionnés, les vrais.
On avance dans l’entrepôt mais y a personne. Au milieu, une vieille chaise de dentiste rafistolée, avec à côté du matériel médical chinois (aucune idée de comment il a chopé ça) sert à faire les plus grosses installs, celle où il faut une anesthésie. Évidemment, y a des catalogues de body tuning dans tous les coins. Dans toutes les langues aussi, y compris dans des écritures qui ressemblent à rien. Je sais pas comment il fait pour les lire.
Tyger surgit d’un coup de derrière une pile de cartons apparemment neufs, au fond.
« Grrrr ! » il rugit – enfin, essaie de rugir – crocs retroussés, les mains comme des serres. Michael et moi, on sursaute, comme si on avait eu la peur de notre vie. Évidemment, on n’a pas vraiment eu peur, mais Tyger a un tuning tellement puissant que c’est notre manière d’exprimer notre respect à l’artiste génial qu’il est. Sur lui, il a tout fait lui-même, enfin presque, évidemment.
Il est toujours en short. Au début, on croit que sa peau est teintée, comme chez la plupart des gens qui se font des kits animaux, mais non, lui il a une vraie fourrure, orange à rayures noires sur le dos, plus claire sur le ventre. Il nous avait un peu raconté comment il avait fait, une fois : d’abord il a fait le traitement standard (brûlures électriques, laser) pour se faire tomber tous les poils et les cheveux. Pour la fourrure, il a chassé pendant trois mois suffisamment de chiens et de chats errants, en complétant avec des rats pour les poils plus courts, afin de rassembler toute la matière première. Après avoir décoloré tout ça, il a placé des bulbes artificiels sur les poils. Bon, évidemment c’est pas vraiment des bulbes, c’est juste des petites boules qu’on attache en bas du poil : on fait un trou dans la peau, on enfonce le poil, et on passe une fréquence radio pour que le bulbe artificiel se déplie dans le derme, comme une ancre : et après ça tient le poil en place, pour éviter qu’il ressorte. J’imagine même pas comment ça a dû gratter avant qu’il s’habitue. Ensuite, il a fait la teinture des poils lui-même, sur son corps. C’est un artiste, un vrai.
Y a pas que ça, évidemment : il a les moustaches en fibre optique, sa spécialité ; le nez re-sculpté pour ressembler à un museau ; les oreilles taillées en pointe ; la queue (qui bouge vraiment, avec un petit moteur inséré à la base de sa colonne vertébrale, il peut même faire varier la vitesse avec une télécommande) ; et les griffes – en fibre de carbone, hein ! – insérées sous les ongles.
Il vient vers nous, une caisse en bois sous le bras.
« Michael, Dvack. Falut les gars, v’ai votre matériel. »
Ah ouais, il s’est rallongé les canines supérieures, aussi. Elles font dix centimètres de long et passent au-dessus de sa lèvre inférieure. Il a pas fait celles du bas parce qu’il avait peur de baver tout le temps. Ça lui a un peu changé la manière de parler, au début faut s’accrocher pour piger mais bon, on fait plus gaffe au bout d’un moment.
On se serre la main.
« Alors, la touche finale, hein Michael ? Fa vient d’Amérique, hein, comme des vraies » dit Tyger.
Il fait un peu de place sur un établi et pose la caisse. Il prend un pied-de-biche pour faire sauter le dessus, et Michael va lui filer un coup de main. Normal, c’est son matos, quand même.
Les jambes de Michael, c’est un modèle classique : un tube imitation peau, qui ressemble à une moitié de tibia avec un pied au bout. Il les sort du polystyrène et met son pied dans le tube, verticalement, comme pour une chaussure de gonzesse. Sous la plante de son pied, des vérins transmettent ses mouvements au pied artificiel à l’extérieur.
« Tu voudras une fixfafion définitive ? demande Tyger.
— Tu m’étonnes ! » répond Michael. Ouais, tu m’étonnes, il a attendu ça toute sa vie ! Maintenant qu’il a sa taille définitive, il peut s’offrir la touche finale de son rêve.
Il fait quelques pas lents. C’est bizarre de le voir aussi grand. J’ai toujours eu l’habitude de voir le sommet de son crâne d’œuf, maintenant c’est lui qui va me regarder de haut. Il a pas l’air à l’aise.
« Fuck, ça fait mal aux pieds. Et puis ça pèse une tonne, ces machins.
— Tu t’habitueras », je réponds. Les pieds, je connais, c’est clair.
« F’est vrai. Fa fait travailler des mufcles qui ont pas l’habitude. »
Tyger se lève de l’établi où il s’est assis.
« Bon, Michael, faut que tu marches avec, autant que tu peux. Les vérins vont fe caler fur tes mouvements. Fa donnera le réglave définitif pour la fixfafion. Du coup, ve vais faire Dvack d’abord.
— Tyger », je fais, « tu pourras jeter un œil à ma mâchoire aussi ?
— Elle est mal réglée ?
— Je sais pas, j’ai l’impression que quand je bouffe, les broches jouent dans l’os. Ça fait pas trop mal, mais si tu pouvais resserrer les vis, ça serait cool.
— Okay. »
Il va vers une étagère, et se hausse sur les pattes arrières pour prendre un emballage qui ressemble à un carton à pizza, mais en plus long. Il l’ouvre et écarte les enveloppes à bulles.
« Refu hier, direct de Ruffie. En titane, comme tu voulais, et affortie à ta mâchoire. »
Putain, elle est trop belle, pile comme j’avais rêvé. Je passe la main sur le métal, qui est frais en comparaison de la chaleur du dehors. Elle ressemble au devant de l’armure d’un gladiateur, avec les pectoraux, les abdos et tout qui ressortent, comme dans ce vieux film, Gladiator, sur lequel on était tombés un soir avec Michael. Je vais trop être puissant avec ça. Je suis un peu gras, normalement, mais là… !
Je caresse la plaque, mais un truc m’attire l’œil sur la droite, pendant que Michael continue à marcher en se tenant à moitié aux étagères. Dans un carton à demi-ouvert, au milieu du plastique et du polystyrène, il y a un fatras de tuyaux gris avec des fils très minces, du genre de ceux qu’on trouve dans les sonos de bagnole.
« Tyger, c’est quoi ce truc-là ? » Je montre du doigt.
« Fa ? Ah fa, fa déchire fa rafe. (Il appuie sur la télécommande à sa ceinture pour accélérer le rythme de sa queue. Il fait toujours ça quand il trippe sur du matos.) Fa vient de l’underground des body tuners aux États-Vunis. F’est une idée tellement conne que ve comprends pas pourquoi perfonne y a penfé avant. (Il se penche et sort le truc de la boîte. On dirait une toile d’araignée sale.) Ve crois que ve fuis le premier à en avoir en Franfe. F’est un kit pour les teufs. Une férie de tubes luminefents implantés fous la peau, alimentés par une petite pile que tu plafes où tu veux fur ton corps. Le truc qui tue, f’est que f’est fenfible au fon : fa clignote en foncfion des fréquenfes graves, des baffes quoi, un peu comme les fpots lumineux dans les clubs. Tu deviens un ftrobofcope vivant. Felui-là… (Il vérifie l’étiquette.) … f’est du bleu clair.
— C’est trop terrible ton truc ! Fais voir ? »
Je laisse la plaque pour aller voir le kit. Alors là, j’ai de la moule : je tombe sur la pièce que le meilleur shaper du coin, de la ville, a en exclu. Il me la faut.
« Il t’en reste combien ?
— V’ai prefque tout revendu aux shapers de provinfe. V’en ai plus qu’un de difponible, felui-là. Tu vois, comme f’est pas très légal comme truc, f’est très demandé. » Il rigole, c’est-à-dire qu’il grogne à répétition en bougeant la tête, ce qui fait valser ses moustaches dans tous les sens.
« Combien ?
— Prix d’ami. Fept fents. »
REF. 771/414/015. Avis bt teuf ! Meeting + teuf + shapers. bt jeune uniquemt, prestige s’abst. TOUT EST PERMIS. Matches streetball joueurs tunés. Défilé bt danceuses.
Mail btt_440250@aol.com sujet: “où est la bière?” pr conn lieu RV.
Je me réveille, un peu vaseux. J’ai à peine senti les coups de perceuse dans mes côtes et les os de ma hanche ; du vrai travail de pro. Je baisse les yeux ; les quatre broches, aux quatre coins de la plaque, sont cachées par des vésicules de régénération tissulaire. J’en ai d’autres un peu partout, probablement pour les tubes du kit américain. C’est les vésicules qui coûtent le plus cher dans une install’, avec les pièces évidemment.
Putain, je tue ma race. Je suis trop puissant. J’ose à peine effleurer mon torse. C’est presque un miroir. La touche qui tue, c’est au-dessus du sein gauche, le nom « TitaniumTM » gravé en gros, avec la signature de Tyger en-dessous. Ha. Va peut-être falloir que je change de nom, moi, eh.
J’entends courir lentement sur ma gauche (dans mon oreille droite, ils passent un truc chiant, du crin-crin, ce qu’ils appellent de la « grande musique », mais je vois pas en quoi). Je me tourne, et je vois Tyger qui regarde Michael faire un peu de jogging. Il a la banane.
« T’as l’air content.
— Ah, c’est clair, mon pote ! Fuck, ce que je vais leur mettre, aux players tunés ! Ça y est, je suis vraiment comme lui.
— Vous venez au meeting de famedi ? nous demande Tyger. C’est l’occavion de jouer, y aura des parties, ftreetball et tout. V’aurai un ftand, hein. La teuf . » Je remarque que sa queue est revenue à son rythme normal.
« C’est clair, faut que je montre les deux merveilles que tu viens de m’installer ! » je dis.
Finalement, je me lève. Ouch, putain, la plaque pèse une tonne, je manque de me péter la gueule en avant. J’ai trop du mal à respirer, aussi. Je vais m’y faire. Michael s’arrête de courir.
« Pas trop mal ? » je demande à Michael.
Il sourit toujours comme un débile.
« Ah si, trop mal, clair. Et c’est trop, trop lourd à porter. Grave plus lourd que des shoes. Mais rien à foutre. »
On paie Tyger en liquide, comme d’hab’. Il nous dit de laisser les vésicules de régénération tissulaire en place jusqu’à vendredi soir. Et puis on va vers la sortie. Michael et moi, on marche lentement, lui parce qu’il a mal au pieds, et moi parce que je suis à moitié scotché du réveil, encore.
Tiens, du coup j’avais jamais vu que Tyger avait un poster au-dessus de la porte. On dirait une peinture de gamin avec un truc d’écrit. Un poème, un truc chiant. Je suis vaseux, je lis quand même les premières lignes mais sans rien piger.
Tyger ! Tyger ! Burning bright
In the forests of the night
What immortal hand or eye
Could frame thy fearful symmetry?
Qu’est-ce qui est le plus beau, à votre avis ?
Qu’est-ce qui s’entretient le mieux, à votre avis ?
Qu’est-ce qui est le plus cher, à votre avis ?
Choisissez.
Vous pourriez faire un régime draconien, c’est-à-dire vous priver de tout ce que vous aimez. Vous pourriez passer des heures, des journées entières en salle de gym, à suer sang et eau. Vous pourriez décider de vous lever deux heures plus tôt tous les matins pour entretenir votre ligne.
Sans garantie de résultat.
Ou bien, vous pourriez choisir les muscles Ana StarTM. La gamme Ana StarTM met à votre disposition tous les muscles de l’anatomie humaine, adaptables sur tous les gabarits. En véritable mousse de polyéthylène, pour un prix défiant toute concurrence, devenez en quelques heures l’athlète ou la Vénus dont vous avez toujours rêvé.
Une silhouette parfaite. Facile à entretenir. Sans effort.
Alors… à votre avis ?
(Plus bas, caractères minuscules.)
Restriction d’usage : Utiliser avec modération. Les prothèses musculaires ne peuvent remplacer un exercice physique régulier (Art. L. 1026-55 du code de la santé publique).
Elle nous accompagne et putain, je sais pas pourquoi. Elle s’est calmée vite fait. Pourtant, elle a horreur du body tuning, je sais bien. Alors qu’est-ce qu’elle fout là ?
« C’est toi qu’elle veut. Ou peut-être qu’elle va s’y mettre ? », m’a dit Michael.
Mouais. Ben voyons.
En tout cas Laure est là et nous aussi. Tyger a sorti son bordel pour l’occase : il est au milieu d’une série de tables avec des trucs de dingue dessus, et des tas de mecs tunés, dans tous les styles, examinent la marchandise. D’autres gars, comme lui, venus de toute la ville, exposent leurs mains, leurs yeux, leurs kits. Des artistes. C’est le pied.
Y a bien mille personnes. C’est trop la teuf. Du body tuning dans tous les coins. Je vois des kits animaux hallucinants. Un mec avec la peau noire et blanche, des dents taillées en pointe et un pif pointu : ça doit être un orque, je connais parce que j’en ai vu en graff. Une fille-chat, avec des moustaches à la Tyger (c’est lui qui a dû lui faire son kit). Un mec avec écrit sur le front « Mes autres yeux sont des Pentax. » Putain, j’hallucine, y a même un Kévin et une Charlène comme dans L’appart’ de tous les dangers. Quelques serialz qui connaissent pas trop les meetings leur causent en croyant que c’est des vrais. Les cons. Enfin faut dire qu’ils leur ressemblent trop. Un moment je me demande si c’est pas vraiment les vrais. Mais non.
Bon, évidemment y a aussi du tuning de base, simple mais efficace : des peaux à paillettes partout, c’est le grand truc, et puis des cheveux à couleurs cycliques, du façonnage de silhouette. Un mec avec un surf sous le bras, en bermuda avec des dreads blonds épais comme des bras, et les pieds palmés.
Y aussi des cracheurs de feu qui illuminent le fleuve, des hash bars, des joueurs de streetball (je sens que Michael va pas tarder à se barrer). En fond, ils passent un peu de rapcore sur une sono géante ; ça danse déjà bien, la nuit est chaude. On s’approche de la masse.
Et là, j’ai un flash. Je m’arrête. Encore. Encore un. Michael et Laure me regardent.
Michael sourit.
« Yeaaaah, c’est déééééélire ! » il me fait.
Je mate ma main, mes bras, mes jambes : à chaque coup de basse, je suis parcouru de veines minuscules qui flashent. L’effet est hallucinant. Dans les coins de mon champ de vision, ça flashe aussi : Tyger a dû m’installer des tubes tout autour des yeux, pour que je profite du spectacle moi aussi. Je flashe. Je flashe.
Laure fait la tronche mais ne dit rien. Michael me tape sur l’épaule. Ça me coupe un peu le souffle à cause du poids de la plaque mais je le montre pas.
« Yeah, brother, ce soir tu es le seul projecteur de la soirée ! »
Je rigole.
Il finit effectivement par se barrer vers le terrain de streetball. Des tas de mecs blacks qui font tous dans les deux mètres dix sont déjà en train de jouer. Je vais pour le suivre mais Laure me retient :
« J’ai pas trop envie d’aller voir ça. Je préfère les vrais matches. »
Oh, elle fait chier.
« C’est parce que ces mecs ont du tuning illégal que tu flippes ? »
Elle me regarde comme si j’avais sorti la mauvaise explication pour un truc simple. Elle me dit :
« Non. C’est juste qu’ils ont l’air de joueurs pro, mais ils jouent horriblement mal.
— On s’en fout », je réponds. « Le sport, c’est du spectacle, c’est tout. »
Mais bon. Je suis pas un enfoiré, je vais rattraper ma connerie de l’autre jour dans la cour du bahut. On va lui faire plaisir. Du coup on va vers le dancefloor, près de l’eau. De l’autre côté, sur la gauche, il y a une estrade avec trois poteaux en fer.
Le DJ enchaîne pour descendre vers la techno. Apparemment, ses cheveux sont en alu, ou un truc comme ça. Classe.
On traverse la foule ; partout, des peaux colorées, des kits lumineux, des animaux dansent sur le beat. Avec mes tubes qui flashent, je comprends mieux pourquoi les gens disent que la techno est hypnotique. Je vais tripper à donf’ ce soir. Je m’allume un pète et je commence à me bouger. La TitaniumTM pèse un peu mais elle fait miroir pour les tubes lumineux de Tyger. Yes, c’est terrible mon kit américain. Je flashe. Je vais vivre la zique comme jamais. Je vibre avec. C’est ultime.
Des filles body tunées pour booster leurs mensurations montent sur la scène en soutif et string fluorescents, et commencent à onduler sur le pattern de techno.
Ouch. Du vrai spectacle. Des vraies danceuses. Des pros. Chacune s’enroule autour d’un poteau. Celle du milieu est la mieux foutue. Elle monte et descend le long de la barre en métal, jambes écartées, mais sans la toucher. Elle a un regard dingue, j’ai l’impression que c’est moi qu’elle fixe. Je danse plus fort. Elle se lèche les lèvres et se passe un doigt entre les seins. La s…
Oh putain.
« Laure ! Mate un peu la meuf du milieu !
— Je… Oh merde, c’est BTP !
— Mais qu’est-ce qu’elle fout là ?
— Eh bien elle bosse, je dirais. »
La vache. Avec la tenue, le maquillage, probablement un peu de tuning récent, je l’avais pas reconnue. Je suis scié. Elle continue à se bouger. Là elle nous montre son cul…
Je regarde ailleurs. Le spectacle m’attire plus. Je sais à quoi elle ressemble dans la vie de tous les jours et je sais pas pourquoi, ça casse le charme. Tant pis. Le dancefloor m’appartient !
De la techno, le DJ passe à la trance. J’enchaîne un autre pète. Ça allège le poids de la plaque. Deux meufs s’approchent et me regardent de haut en bas, en matant bien mon torse en titane. Y a une brune avec le kit vampire complet, et une rousse en sirène. Celle-là a du mal à danser, la queue de poisson lui comprime les jambes. La brune s’avance. Laure lui jette un regard mauvais, mais elle s’en aperçoit pas. Pas maintenant. Pas maintenant : j’entraîne Laure plus loin. Je me réserve pour le grand jeu, sur la côte. Ce soir, c’est qu’une répétition. Je perds les deux filles de vue. Je m’en fous. Je me réserve. Je suis une bête.
Le rythme s’accélère. Ça passe au hardcore. À chaque coup de basse, j’ai la vue qui saute. C’est trop délire. Encore un pète. Je commence à tripper sérieux. Je bouge. Je pulse. Je sais pas combien de morceaux passent. Je flashe. Trop bien, le DJ. Il enchaîne à fond. Laure est pas danceuse, mais elle sait s’amuser. Elle se prend un pète aussi. Elle ferme les yeux. Partout, ça ondule.
Sans trop que je m’en rende compte, on arrive sur la black trance. De la trance ultra répétitive à plus de 260 bpm. Toujours la même note, super vite. C’est l’hallu. Il n’y a plus que moi et les basses. J’y vois presque bleu flash en continu. Je bouge tellement vite que j’ai l’impression de trembler. Je bouge je bouge je bouge je bouge je flashe –
La plaque me pèse d’un coup, j’ai grave du mal à respirer. Laure danse plus, elle se penche pour me dire un truc, elle a l’air bizarre.
Je me penche en avant pour écouter. Je…
Et on retrouve le bilan de la semaine avec John-William Castaldi.
Une semaine reeeelativement tranquille dans l’appart’ de tous les dangers. Les colocs se sont habitués aux pièges routiniers du Maître des Lieux – vous les connaissez tous, les seaux d’eau en équilibre sur les portes, le café salé, les insectes venimeux dans les tiroirs, par exemple. Seule Jennifer s’est cassé la cheville en tombant dans l’escalier en marchant sur, vous la connaissez tous, oui, c’est ça, c’est la marche piégée.
(Travelling sur le public, jingle, public hurlant.)
Mais – vient l’heure de la, sélection. Or comme vous le savez tous, après l’incident de la douche acide, Nathalie a été défigurée, défigurée c’est terrible, on voit les images. Mais, mais, mais… Mais elle a. Elle a su, rassembler autour d’elle, plus. De. La moitié des colocataires restants ! Malheureusement Kévin a commis une erreur stratégique, oui, stratégique, en se confiant à Jean-Patrick. Les images, pour vous.
(Logo de l’émission, jingle.)
Kévin. – Ouais mais tu vois, bon. Nath et moi, c’est non, quoi… Enfin je me vois pas sortir avec une nana que je pourrai pas regarder, tu comprends ? L’amour, c’est pas ça. L’amour, faut que ce soit beau. Dans l’amour, faut qu’on puisse se regarder. Et puis tu te rends compte, ma position ? Je pourrai pas la sortir.
Jean-Patrick. – Ouais, je vois.
(Travelling sur le public, jingle, public hurlant.)
Les colocs ont donc tous, voté, et le résultat va, donc, tomber, sous vos yeux, en, direct. Donc. Vous voyez derrière moi-sur-le-mur-dimageslenomducolocéliminé – et c’eeeest Kééééviiiiiiin !
Kévin est éliminé ! Nathalie apparaît définitivement, comme, la femme forte de l’appart’… Vos réactions ? Tout de suite après ça !
(Travelling sur le public, jingle, public hurlant.)
… me réveille dans un lit d’hôpital. C’est quoi ce délire ? Les murs sont blancs, ça pue la javel. Tout de suite, je flippe. Je pose mes mains sur mon torse.
« Elle a pas bougé, ta putain de plaque. »
Laure. Je me redresse. Elle est au bout du lit. J’ai un voisin de chambre, tiens. Michael. Je vois qu’il dort. Qu’est-ce qu’il a ? Laure suit mon regard.
« Cet abruti s’est pété les deux jambes, si tu veux savoir. D’après les mecs qui l’ont sorti du terrain, il a joué sans s’arrêter pendant plus d’une heure et demie. Et puis ses muscles l’ont lâché. Il est tombé en arrière mais ses fausses jambes sont restées en place, les vérins ont pas accompagné le mouvement. La fracture est bien nette, si tu veux savoir. »
C’est des choses qui arrivent. Elle reprend :
« Quant à toi, déjà que te faire installer ces tubes et cette plaque à la con, ça frise la débilité mentale, j’espère que tu ne savais pas que tu avais une prédisposition à l’épilepsie. »
Je crois même pas savoir ce que c’est alors je réponds :
« Non. »
Elle soupire et se lève.
« Michael va rester cloué là pendant un bout de temps. Mais toi, tu peux sortir maintenant. En fait, tu le dois, la chambre est pas gratuite. Et il va au moins falloir que tu te fasses enlever ces tubes de merde. »
Plutôt crever. Je réponds rien.
Elle dit rien non plus.
Votre enfant est unique.
Donnez-lui toutes les chances.
Le Cours Éducatif Privé St Augustin est une institution d’enseignement catholique fondée en 2007 par le père Di Falco. Nous croyons aux vertus éprouvées d’une éducation dite « à l’ancienne », ainsi qu’elle se faisait au milieu du XXème siècle. Nous pensons que l’apprentissage doit se faire dans la rigueur, le travail et le sérieux.
Au Cours Éducatif Privé St Augustin, nous offrons à l’enfant un environnement cohérent avec cette conception, dès la sortie de la maternelle. Le pensionnat complet durant toute l’année scolaire supprime toute distraction. Le rythme soutenu de l’éducation tant intellectuelle que sportive révèle la pleine mesure des capacités de l’élève. Et l’enfant s’épanouit dans un cadre calme et sain, en compagnie de camarades en qui il se reconnaît bien vite.
Car l’éducation n’a pas de prix.
Pour toute candidature, veuillez présenter un état des lieux médical de l’enfant, et cinq années de bulletins de salaire.
Le bahut, c’est pas pareil sans Michael. Enfin, la vie reprend tranquille. Laure me colle. J’ai rien contre, comme Michael est pas là. J’ai personne à qui causer et avec qui fumer sinon. Du coup, je vais en cours. Ça fait plaisir à ma mère, comme y a le bac à la fin de l’année. En tout cas, dans les moments où elle est capable d’aligner deux phrases.
Après le meeting, Laure et BTP sont devenues super potes. Enfin, c’est ce que j’en ai pigé. Ça m’intéresse pas. Moi, BTP, franchement, je peux pas. Quand je cause à Laure et que BTP se ramène, je me tire. BTP, c’est pas une vraie tuneuse. J’ai un honneur à défendre, moi.
Un jour, comme ça, on est tous les trois côte à côte – Laure au milieu, hein, faut pas déconner. J’essaie vaguement de faire l’exo de math, c’est un exo-type du bac des annales de l’année dernière.
Exercice 1 (8 points)
Soit la formule qui donne l’aire d’un triangle : (b x h) / 2.
Soit un triangle donc la base mesure 12, et la hauteur 6 unités.
1. Recopier la formule.
2. Poser le calcul.
3. Combien vaut l’aire du triangle ?
Boarf, ça me gonfle. Trop compliqué ces histoires. J’ai envie de me barrer.
BTP se penche vers Laure. Laure se retourne vers BTP et elle parle à toute vitesse. Mais elle est sur ma droite, alors j’entends pas bien à cause de France Culture (« … poème le plus étudié de la littérature anglaise. William Blake, né en 1757… »).
Elles causent comme deux furieuses. Le prof fait pas gaffe, c’est encore un remplaçant de toute façon, le troisième, et il s’en fout. Laure se retourne vers moi.
« Jasmine » (Ouais, c’est comme ça que s’appelle BTP) « va en école de commerce l’année prochaine ! C’est super, hein ?
— Je vois pas pourquoi faut faire une école pour commercer. Moi je commerce très bien comme ça, tu vois, et j’ai pas fait d’école. »
Laure me parle comme si j’étais demeuré.
« Ça veut dire qu’elle pourra avoir une bonne place, dans une bonne entreprise, tu vois. Elle pourra avoir un bon score aux concours privés internes. Elle aura un bon boulot. Tu piges ? C’est génial, ça coûte super cher comme école, d’habitude c’est que les nantis qui y vont. »
Là, c’est obligé, j’explose de rire. Là, ça attire le prof de math :
« Alors monsieur Chevet, on rigole ?
— J’suis pas coupable, m’sieur. C’est mon tuning, ça chatouille. »
Le prof se retourne. Je me calme et je me tourne vers Laure :
« Allez, vas-y, elle la sort d’où la thune ? Elle investit tout dans ses Travaux Publics, l’autre.
— Tu sais bien qu’une danceuse doit suivre la mode, sinon elle perd tous ses contrats. C’est pour ça qu’elle se tune à donf’. Si la tendance, c’est fesses plates, elle doit se faire les fesses plates. Si la semaine d’après c’est cul bombé, elle se bombe le cul. Elle a pas le choix.
— Personne l’a obligée à être danceuse, cette conne. »
Laure se remet droit. Elle a l’air vachement raide, d’un coup.
« Comme tu dis si bien : la thune pour l’école, faut bien la sortir de quelque part. »
(TF1, 20 h 18)
… les révisions battent leur plein. À l’approche du bac, les lycéens révisent, planchent sur les exercices de math, les rédactions de français, l’histoire et la géographie. Un reportage de Marie-Claude Chazal.
92% de réussite au bac l’année dernière, c’est bien mais c’est encore trop peu pour le ministère de l’Éducation, qui a placé comme objectif à l’horizon 2020, 96% de réussite pour une classe d’âge. Ces résultats sont néanmoins en hausse, grâce à la séparation des disciplines, à la réorganisation des emplois du temps et au recentrage des programmes.
Claire, 19 ans. – Ouais-heu, c’est sûr le bac ça fait flipper mais bon-heu… Bon moi je l’ai raté une fois parce que je me sentais pas en état d’y aller, la dernière fois. Alors-heu, là, cette année-heu… Ben j’espère que j’aurai le courage d’y aller.
La baisse du nombre des mentions ne cesse en revanche de s’accentuer. Cette baisse, amorcée en 2007, est dénoncée par l’opposition qui parle de « laxisme » de la part du gouvernement.
Morad, 17 ans. – Ouais ben j’le tente, là, c’est pour maintenant, hein. Mais j’me prends pas la tête, tu vois. Y a pas que les études dans la vie. Faut savoir faire la fête, hein ! Ha ha.
Sylvie, 17 ans. – Oh moi j’ai trop trop peur. Les examens, je trouve pas ça bien, ça me fait trop trop peur. J’aime pas être jugée par quelqu’un. Je trouve qu’on devrait pas faire comme ça. Parce que la personne qui corrige la copie, elle sait pas qui on est, alors que ce qui compte dans la vie, c’est d’être bien, mais humainement, quoi, hein. Mais forcément quand on écrit, les gens savent pas.
Une chose est sûre : nos chères petites têtes blondes, déjà grandes, vont commencer mercredi par l’épreuve de Géographie Locale.
(TF1, 20 h 20)
La mode change rapidement, on le sait, et maintenant nous allons partir sur la piste d’un nouveau body tuning qui convainc tous les jeunes : la défiguration à l’acide, suivant l’exemple de la mésaventure arrivée à…
J’aurais dû me douter qu’il y avait un truc qui puait. Je voyais plus Iceman depuis un bail et j’ai cru qu’il avait fini par se barrer, ce gros con.
Même quand je suis sorti du bahut, que j’ai vu un des punks, j’ai pas tilté. J’ai dit au revoir à Laure qui traînait avec Jasmine-BTP, j’ai passé la grille, je me suis allumé un pète et j’ai mis les voiles vers le lac. Il pue toujours autant d’ailleurs. Pas pire, c’est déjà ça, mais pas mieux.
De temps en temps, pour le fun, je tape du doigt sur ma plaque, et ça fait une onde de basse qui me fait flasher. J’adore faire ça aux vieilles que je croise. Ça les fait flipper. Mais je fais rien d’autre. Je suis pas d’humeur à les chahuter. Sans Michael, c’est moins marrant.
Je finis par arriver au lac. J’avance vers la rive. Je sens de la chaleur qui monte de l’eau verte, mais je me suis mis tout à l’autre bout par rapport à mon immeuble, pour que le vent souffle dans l’autre sens, donc ça va, pour l’odeur. Il y a des bouts d’écume solide dans les friches. Des bières, des mégots et des vieilles capotes aussi. Je reconnais une broche de 12 rouillée et un emballage de vésicule de régénération.
Je m’assieds et je vais pour m’allumer un autre pète. J’entends des pas derrière mais je me doute de rien.
Quand j’entends le bourdonnement d’Iceman, c’est trop tard ; je me lève mais deux punks sont déjà sur moi et me plaquent les bras derrière le dos. Ça tire sur la plaque, je sens les broches qui frottent sur l’os. Ça fait pas vraiment mal, y a surtout un bruit bizarre dans ma poitrine, un peu comme une craie sur un tableau. Ça me fait frissonner. Le troisième punk me plaque une lame sous la gorge. Je reconnais de la fibre de carbone. Et je m’aperçois que la lame sort du prolongement de son bras, sous le poignet. Oh putain, je m’étais douté de rien jusqu’ici. C’est du super boulot.
« Bon, Jack », fait Iceman, « tu as un problème et moi aussi. On va résoudre le problème ensemble. Tu vois, Laure n’a rien à foutre avec un serialz mal tuné dans ton genre. (Il renifle.) Paraît que t’as eu un problème au meeting de samedi ? »
Le troisième punk fait courir son arme sur ma plaque. Ça grince. Il joue avec les composantes de ma mâchoire. J’ai une bonne vue de la lame. Y a la signature de Tyger à la base. Pas étonnant que ce soit du super boulot. S’ils doivent me crever, au moins ce sera pas avec n’importe quoi.
« Paraît que Laure t’a ramené de la teuf. En tout cas je sais que t’as passé beaucoup temps avec elle à l’hosto. J’ai pas été clair la dernière fois ? T’as pas compris ? Qu’est-ce que j’avais dit pour Laure, hein ? Qu’est-ce que j’avais dit ? Fallait écouter ce qu’on te dit, Jack. On pourrait peut-être te balancer dans le lac. »
Les deux punks me renversent en arrière, j’ai la tête qui touche presque l’eau. Mes cheveux tombent. Merde ! Je sais à peine nager, s’ils me balancent, ces cons-là, avec ma plaque, je vais couler !
Iceman tousse, se racle la gorge et crache par terre.
« Mais on va pas faire ça. Faut pas gâcher, hein ? »
Les deux punks me remettent droit.
« Tu fais ce que tu veux avec Jasmine. Mais Laure, je t’avais prévenu de plus t’approcher d’elle. Fallait réfléchir un peu. On va t’aider à réfléchir. »
Le punk qui me tient pas rentre sa lame dans sa main, et me colle une droite sur la pommette, au-dessus de la mâchoire.
La vache ! Il a le poing en béton ce mec… Je vois, y a pas que Jasmine à faire du tuning prestige, qui se voit pas. Ben là, à la rigueur, je trouve ça utile.
Iceman se baisse – il a du mal – et ramasse dans l’herbe une trousse à outils qu’il a dû amener avec lui.
Oh merde. Merde. Merde. Non. Pas ça. Là c’est pas cool. Putain, pas cool. C’est pas vraiment à moi qu’il en veut. Merde. Merde. Je flippe. Je flippe grave.
Le punk commence à m’enchaîner avec des poings en métal. Il fait bien gaffe à pas m’égratigner la mâchoire. Ni les petites bosses qui font le tour de ma tronche, c’est-à-dire là où il y a les tubes, sous la peau. Il frappe derrière le crâne aussi. Je me débats mais je peux rien faire. J’ai quatre griffes qui m’empêchent de vraiment bouger.
Il arrive un moment où je peux plus garder les yeux ouverts. Je sais pas trop comment, mais je sens le sol sous mon dos, avec des débris de verre qui me rentrent vaguement dans la peau. J’entends des bruits métalliques. Iceman doit chercher la bonne taille pour les broches. J’essaie de bouger mais je me rends compte que les punks me tiennent toujours. J’ose pas ouvrir les yeux. Merde, non, pas ça, pas ça.
Se tuner les pieds sous anesthésie locale, avec des vésicules de régénération tissulaire pour calmer le jeu, c’est une chose.
Se faire arracher à vif les broches par un sauvage, c’est pas vraiment pareil.
Et –
– j’ai l’impression qu’on me casse tous les os des pieds. Je hurle. Ça sert à rien. Y a personne dans les immeubles du coin qui va venir. Personne ne vient jamais. Trop dangereux.
Je sens dans mon pied – et j’entends – le raclement ignoble de la broche qu’on tire de l’os. Un bruit gluant, j’ai l’impression qu’on m’écorche, je perds le contact familier de ma semelle Nike. J’ai le pied trempé. Je dois saigner comme un porc.
Iceman recommence sur l’autre pied. Je hurle comme un malade, je rue, je bouge, mais ils me tiennent, les enfoirés. On m’arrache littéralement la plante, les os, la peau. J’arrive plus à respirer.
Iceman se relève avec mes pieds sanguinolents dans la main. Il les balance dans la boîte à outils, et il prend le pied-de-biche.
« C’était un amuse-gueule, Jack. Là, j’ai été doux. »
L’enculé insère l’extrémité du pied-de-biche entre mon aine et la TitaniumTM. Et il force. Il force, ce con. Je sens que ça tire dans l’os. Il va tout me péter. Je beugle. J’ai les yeux qui pleurent. Je crois que je me mords la langue, parce que j’ai un goût de fer dans la bouche.
Quand la broche saute, c’est comme si on m’avait coupé la jambe. Un flash aveuglant m’explose aux yeux, et c’est pas les tubes. Je sais plus qui je suis, où je suis, je sais qu’une chose, c’est qu’un malade est en train de me dépecer vivant et que je peux rien faire.
Je sais plus ce qui se passe pendant un moment. Et puis j’entends crier, on dirait ma voix, c’est cheulou. Cette voix appelle sa mère. Ma mère, elle viendrait pas, par exemple. Ça fait longtemps qu’elle est claire que cinq-six heures par jour, le reste elle le passe à pioncer et à fumer les pètes extra-forts qu’elle s’achète avec ma thune. Et puis la voix s’excuse auprès de son père. Je suis désolé ! Pardon ! Tiens, c’est marrant comme truc. Moi, mon père, je l’ai jamais vu. Il nous a abandonnés quand ma mère lui a dit qu’elle était enceinte. Je sais pas ce qu’il est devenu. Après, ma mère a commencé à dormir pas mal quand j’ai eu quatre-cinq ans.
Je pourrais dire à la voix d’appeler qui ? Les flics ? Je rigole. Ça fait longtemps qu’ils viennent plus. Qu’on les voit plus. De toute façon, les punks d’Iceman sont mineurs, je crois, alors ils risquent strictement rien.
Après m’avoir brisé la mâchoire, Iceman commence à m’enfoncer des pinces dans la peau pour retirer les tubes du kit américain.
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On m’a trouvé plus tard et ramené à l’hosto.
Ils m’ont sauvé la vie, il paraît, et ils m’ont tout refait à neuf avec le reste de thune de mes vacances.
J’ai plus rien.
Et quand je me suis réveillé, j’ai vu l’horreur. Pas une cicatrice. Que de la peau. Pas de métal, de tubes, rien. Je pleure comme une tafiole. Je me regarde dans la glace.
Je suis quelconque.
Je suis moche.
Je suis rien.
Je m’effondre sur le lit et j’essaie de m’étouffer dans l’oreiller.
Je suis plus rien. Rien.
Je voudrais crever.
Iceman aurait dû me tuer.
J’existe plus.
* * *
Je ne pouvais plus supporter de le voir comme ça. Il mérite mieux, de faire des études, d’être quelqu’un. Je ne pouvais pas le laisser se détruire. C’est pour lui que j’ai fait ça.
Maintenant, je l’ai guéri. On va enfin pouvoir se trouver… Je vais pouvoir le reconstruire, l’aider à se construire une identité. Tout ira bien, tous les deux…
Il me reste juste une chose à faire avant ça.
Laure soupire. Elle voudrait ne pas y aller. Mais elle n’a qu’une parole, et si c’est là le prix à payer pour guérir Jack de son obsession, pour qu’ils puissent enfin être ensemble, alors elle le paiera.
Elle s’avance vers l’extrémité du couloir blanc, où Iceman l’attend.
Dis-toi que c’est qu’un mauvais moment à passer…
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Dans une chambre d’hôpital, un jeune homme brisé pleure, en entendant France Culture.