Je me suis attelé à un vaste projet: repiquer mes vieilles VHS en DivX pour enfin me débarrasser de ces piles de plastique noir remplissant des bibliothèques qui seraient plus efficacement peuplées par des livres. J’ai déjà fait trois cartons et j’ai un beau spindle de 100 DVD qui trône sur mon bureau. Niveau place, tu peux pas test.

Tous ces bijoux de nullité filmographique ayant été enregistrés à la télé, je tombe régulièrement sur des pubs des années 80, et je me suis vu scotché dix minutes à un écran interminable de  La 5 avec une fascination perverse mêlée d’horreur. Je n’ai pu m’en détacher qu’une fois les yeux en sang, les tympans percés, plus de cheveux et l’envie compulsive de m’acheter un carré de Samos, Samos, la portion de lait des grands. Ce que j’ai vu ce soir-là ne figure même pas sur YouTube, mes amis, car, oui, certains abîmes méphitiques du marketing télévisuel doivent rester endormis, lovés sur mes bandes magnétiques où, du fond de ma cave, défuntes, elles rêvent et attendent. Ph’nglui. Pardon.

Quel commercial laitier d’il y a vingt ans aurait pu deviner l’évolution publicitaire de son produit? Jadis, d’innocents garçonnets sauvaient des lionceaux sur une chansonnette qui donnerait même des cauchemars à une boîte à musique savante. Aujourd’hui, ils ont été supplantés par des camps de jeunes gens au regard de braise dont la lèvre supérieure porte une douteuse moustache blanchâtre.
(Les garçonnets ont dû grandir, j’imagine.)

Tout ça pour justifier mon titre débile: c’est un truisme, mais le monde s’accélère et Internet bouleverse énormément de modèles acquis parfois depuis des siècles. La futurologie a toujours été un art hasardeux, mais il est encore plus difficile aujourd’hui de composer une image vraisemblable de notre monde dans une dizaine d’années.

Or, il se déroule actuellement un des procès les plus importants, peut-être, sur le sujet. Le genre de décision qui influencera peut-être notre façon de consommer à long terme, quel que soit le
jugement rendu. LVMH a récemment gagné en France contre eBay en première instance, condamnant le site d’enchères en ligne à verser la bagatelle de 39 millions d’euros et nous en sommes, si j’ai bien suivi, à l’appel.

Les raisons du différend: évidemment la vente de contrefaçons sur eBay. Mais le noeud du problème est plus fondamental à mon sens: il s’agit la violation du réseau de distribution sélective. En deux mots, LVMH ne vend ses produits qu’à travers des distributeurs agréés (parce qu’ils ont prouvé leur efficacité, parce que leur identité correspond à l’image luxueuse que recherche LVMH, etc.).
Evidemment, eBay n’est pas dans la liste.

On pourrait brandir tout de suite la dialectique « économie classique » contre « économie du Net », mais tout cela cache surtout de profondes implications sur l’avenir de la distribution des biens de consommation. À l’heure où Internet franchit les frontières dans la plus totale transparence (à moins de s’appeller la Chine ou l’Arabie Saoudite), peut-on raisonnablement conserver un « réseau de distribution sélective »? Sera-t-il d’ailleurs possible de conserver un réseau de distribution tout court autre que « le » réseau?

Mais j’y vois surtout un retour par la bande les questions du droit d’auteur et du copyright.

On se rappellera la violente controverse portant sur la licence globale au moment de l’étude de la loi DADVSI. Un des arguments des opposants à la licence était le suivant: le fait pour l’artiste ou le producteur d’abandonner, dans les faits, tout contrôle sur la diffusion d’une oeuvre (puisque copié à l’infini en p2p) était jugé inacceptable.

Et sur ce point, le procès qui oppose LVMH à eBay n’est justement pas si éloigné, au moins dans l’esprit. Je doute franchement qu’eBay gagne, parce qu’un tel jugement casserait justement le statut sélectif des réseaux de distribution, ce qui aurait d’énormes répercussions qui dépasseraient très largement le cadre du procès. Et, dans la culture, cela irait à l’encontre de l’argument précédent des opposants à la licence globale.

Mais c’est bien là toute la question fondamentale de la diffusion aujourd’hui et toute la dialectique d’Internet. Faut-il s’efforcer de conserver le contrôle de la distribution ou l’abandonner pour
toujours?

Au-delà de l’économie, les implications éthiques et philosophiques de chaque possibilité ne sont absolument pas neutres.

Oh, et puis tiens, puisqu’il est question d’avenir, en passant, le chef de la recherche d’Intel place la singularité technologique à l’horizon 2050. Dans 42 ans (tiens), nous serons tous obsolètes. Ca va être déprimant, de perdre tout le temps aux jeux vidéo.