Un jour, je m’achèterai une conduite et je ferai des titres d’articles sérieux. Demain. Ou l’année prochaine.
Ça date terriblement (deux mois, honte !) mais je voulais revenir sur la journée très agréable que Thomas Geha et moi avons passé au lycée agricole de Pontivy, accueillis chaleureusement par son personnel et l’équipe du Complexe Régional d’Information Pédagogique et Technique de Bretagne (CRIPT). En effet, afin d’encourager la lecture et l’esprit critique chez les élèves, le CRIPT organise tous les ans un concours d’écriture et de réalisation d’affiches auprès des ados, concours qui est primé. Une belle initiative qui sait susciter l’intérêt et la motivation, puisque plus d’une centaine de productions furent proposées par les participants.
Le thème retenu cette année était la science-fiction, à travers quatre livres :
- Nouvelles re-vertes, Collectif, Edition Thierry Magnier
- Espaces insécables, Sylvie Lainé, Edition Actusf
- Le chant des lunes, Gudule, Edition Thierry Magnier
- Le bâtard de l’espace, Colin Thibert, Edition Thierry Magnier
Thomas et moi étions donc invités à parler d’imaginaire au cours d’un débat animé par Hervé Belvaire. Je me suis rendu compte une nouvelle fois de la difficulté qu’il y a à définir et introduire les dites « littératures de l’imaginaire » auprès d’un public qui n’y baigne pas spécialement ; qu’est-ce que l’imaginaire, exactement ? À part un terme forcément un peu bancal, puisque toute littérature est imaginaire ?
Nous sommes partis à la demande de l’assistance sur la définition des trois genres, SF (comme genre fondé sur l’extrapolation scientifique), fantasy (comme genre fondé sur l’extrapolation merveilleuse), fantastique (comme genre fondé sur le glissement de la réalité), distinction qui semble emporter la faveur actuellement. Mais je ne peux m’empêcher de trouver ces définitions étroites et malcommodes. Tout d’abord, elles sont extrêmement poreuses ; le steampunk est-il de la fantasy ou de la SF ? La fantasy urbaine est-elle bien de la fantasy ou plutôt du fantastique ? Ensuite, à moins d’étirer sévèrement les termes, où placer le surréalisme et le réalisme magique ? En fantasy ? C’est flatteur, mais éminemment discutable.
Mais surtout, ce qui m’ennuie, c’est que ces définitions se focalisent sur le processus, le décor, l’artifice, au lieu de se concentrer sur ce qui fait à mon avis tout le sel de l’imaginaire : sa façon de raconter – l’histoire ; et qu’est-ce que la littérature si ce n’est une narration ? Il y a des années, sur la liste de diffusion SFFranco, quelqu’un (peut-être bien Serge Lehman) avait relevé un point fondamental des littératures de l’imaginaire : la perception de la réalité y est fondamentalement différente en ce qu’une métaphore, par exemple, peut s’appliquer strictement. Si je dis que Bob a pris racine dans un roman mainstream, il reste juste planté là (arf) ; dans l’imaginaire, tout symbolisme est un chausse-trappe potentiel – Bob est peut-être un homme-arbre qui a vraiment pris racine.
Cela, plus que tout le reste, me semble être la divergence des littératures de l’imaginaire. Je pense que Kafka et Philip K. Dick, ou bien Tolkien et Marquez, ont bien plus de choses à se raconter que Kafka et Sophie Kinsella ou que Marquez et Marguerite Yourcenar. Pourtant, il y a cette frontière invisible, totalement arbitraire, qui classe les uns dans l’imaginaire et les autres en mainstream. Dans les années 2000, la définition en vogue était de séparer simplement la littérature « mimétique » – qui cherche à mimer la réalité – de la « non-mimétique » – l’imaginaire. Cette distinction est devenue ringarde pour des raisons que je ne m’explique pas (si quelqu’un peut m’expliquer, je suis preneur) : il me semble que la façon de percevoir la réalité est au coeur de ce qui sépare « l’imaginaire » du reste. Le mainstream prend la réalité consensuelle telle qu’elle est et s’en fait un terrain de jeu ; l’imaginaire, lui, postule que la réalité est différente, autre, que les fantômes et les démons existent, que la magie veille, que demain nous nous hybriderons avec des machines ou conquerrons la galaxie, pour rêver, s’évader, réfléchir – et entrevoir ce qui, peut-être, est / était / sera possible.
Mais, in fine, bien sûr, tout cela pour nous parler de nous. La littérature – toute narration – ne peut que s’adresser à nous-mêmes pour susciter un minimum d’identification, d’émotion, d’implication. Mais l’imaginaire regarde le monde, et déclare : « il y a davantage, et cela va m’apporter quelque chose ». Je m’aperçois que ce n’est pas forcément facile à faire passer, mais, quand ça marche, ça donne par exemple Avatar, qui a fait prendre conscience à des milliers de personnes qu’il manquait dans leur existence moderne une forme d’enchantement.
Une optique que les ados ont parfaitement saisie à travers leurs productions : ils ont été incroyablement nombreux à sortir résolument de la réalité conventionnelle, à oser rêver, à faire glisser leur perception pour aller chercher ailleurs, dans les friches de l’inconscient collectif et au coeur de leurs envies, des visions qu’ils nous ont rapporté et ont partagé avec nous, tels des chamans modernes. Les nouvelles primées sont d’une très grande tenue, avec une mention spéciale pour le prix… spécial, Nuage vert, d’Alexandrine Lecompte, Tiffany Lascaud et Claire Jutel. Le premier prix de l’affiche est également d’une simplicité et d’une efficacité glaçante. Je vous invite à aller regarder les production et lire les textes vainqueurs sur le site du Prix Ados (où figure également une galerie de photos complète).
Je tiens à remercier une nouvelle fois l’équipe du CRIPT et du LEGTA de Pontivy, ainsi que les élèves, pour leur accueil chaleureux et pour nous avoir invités à cette manifestation. Nous avons passé un excellent moment, à réfléchir, à discuter avec les jeunes lecteurs, ce qui est indispensable pour un auteur (et même salutaire afin de lui éviter d’intolérables prétentions) ; et surtout à découvrir, enchantés, les oeuvres des concurrents.