Hier, pour le plaisir du partage, je postais le deuxième exercice réalisé pendant l’atelier d’écriture des Imaginales (les animateurs se plient aux mêmes consignes que les stagiaires, car il n’y a pas de raison que nous y échappions), et nous commencions par la fin. Les consignes étaient :
Terminer par la phrase « Si c’était un manche à balai, alors elle était une théière », trente minutes d’écriture.
Je suis tombé sous le texte sur mes propres notes griffonnées rapidement avant la mise à l’écriture en soi ; vu qu’elles ont subsisté, je les partage aussi, car elles me semblent, à une échelle très réduite, révélatrices d’une certaine façon de travailler ainsi que des heureux hasards de la création. Bien entendu, c’est ma propre méthode, ma propre approche, et je ne prétends absolument pas qu’elles soient universelle. Mais, en retraçant ce processus, je vous propose d’entrer un peu en coulisses – que pense-t-on quand on doit bricoler quelque chose avec une contrainte venue d’outrespace et seulement une demi-heure devant soi ?
Pour que ces notes aient un sens, deux points :
Tout d’abord, j’ai une approche plutôt structurelle de l’écriture1, ce qui signifie que j’ai besoin un minimum de savoir où je vais avant d’écrire. Il m’est très difficile de partir sans rien, sans savoir ce que je souhaite raconter, ce qui implique un minimum de réflexion en amont. Surtout qu’ici, la dernière phrase est imposée. Je me fais cependant suffisamment confiance pour décider sur l’instant des détails et, éventuellement, de suivre l’inspiration du moment si elle me semble judicieuse : c’est un perpétuel équilibre instable entre processus rationnel et liberté laissée à l’inconscient et à l’envie.
Plus techniquement sur l’exercice en question, vu que la dernière phrase est imposée (et que tout le monde la connaît), je n’ai pas envie de faire quelque chose de prévisible, et je m’ajoute une contrainte supplémentaire – plus une envie dans ce cas – qui est de rendre la dernière phrase la plus inattendue possible pour l’auditoire.
Ceci étant décidé, je coupe toute forme de raisonnement et je me mets à griffonner (ou plutôt, à taper sur le clavier) sans restriction en m’efforçant de m’expliquer ce que tout cela m’inspire. Je suis très attentif aux réactions de mon corps durant cette phase : qu’est-ce me parle, m’amuse, m’intrigue, ou au contraire me repousse, m’ennuie ? De quoi ai-je envie ? Quelle direction me parle ?
Voici ce qui se trouve à la fin de ma page OneNote :
Tout d’abord, je joue avec les doubles sens de la contrainte dans l’espoir de détourner la consigne et créer la surprise. L’idée du pilotage m’amuse, mais je ne vois pas comment la relier au reste (ni avec la théière). Cela dit, je la garde en réserve.
Je réfléchis à la théière. Je reviens fréquemment à la symbolique des échiquiers, d’où ces « pièces qui jouent entre elles », mais je sais justement que j’y reviens fréquemment, et je me surveille pour me sortir constamment de ma zone de confort. Cette direction ne me plaît pas, car je l’ai déjà fait.
« Je suis une théière » : le sens évident est celui d’une malé(diction). On pourrait donc revenir à un vrai balai, ce qui implique un conte, une sorcière. Mais là aussi, c’est trop classique à mon goût.
Qu’y a-t-il dans une théière ? De l’eau chaude. Par association d’idées, cela m’évoque une salle de bains, un endroit d’une telle banalité que je le trouve toujours un peu intrigant et amusant à détourner. Et la salle de bains me renvoie aussitôt au court-métrage surréaliste Le Conte de la salle de bains, réalisé avec deux camarades frappadingues sur 48h.
J’ai donc déjà joué avec la salle de bains et le surréalisme, mais pas tout seul, et pas autant qu’avec les échiquiers (ne serait-ce qu’avec La Volonté du Dragon et la nouvelle « Le Joueur dans l’ombre »), donc ça me va, je m’autorise à y retourner.
Je note donc : « On part dans une sale [sic] de bains » et je remarque ma faute de frappe, qui me donne le déclic et l’envie : une salle de bains sale, c’est antinomique, et ça m’amuse. D’où l’importance, dans les étapes de réflexion, de ne pas se retenir ni se corriger : tout peut alimenter la réflexion !
Et là les pièces se mettent en place : cette saleté paradoxale m’évoque la perdition, et je retombe sur l’idée du manche à balais et du pilotage ; je me figure l’idée d’une salle de bains qui s’écrase, mais c’est impossible, donc je le mettrai en scène par l’intermédiaire d’un bad trip (la salle de bains offre un bon décor pour ce faire), mais, histoire que ce ne soit pas gratuit, j’ajoute une couche psychologique pour alimenter l’aspect surréaliste, où la salle de bains représente justement l’existence de la protagoniste principale (car je décide que c’est une protagoniste, sans raison particulière, peut-être parce que je préfère imaginer une protagoniste en petite tenue dans une salle de bains, surtout après l’atmosphère lourde de la nappe cirée et de Marie-Amélie, et puis je fais ce que je veux). Je me balance des convenances syntaxiques à ce stade : la fille est paumée, c’est l’état que je souhaite représenter, alors son état sera la « paumitude », et je me comprends.
Tout le reste s’est décidé au fil de la plume (prénom de la fille, topographie des lieux, etc.) en suivant totalement l’envie du moment.
On peut aussi constater aussi que l’écriture ne satisfait pas toujours les intentions originelles et qu’un texte s’échappe parfois – surtout dans des conditions pareilles. Initialement, j’espérais parvenir à une chute où la protagoniste jurerait reprendre le contrôle de sa vie, arrêter les substances (promesse qu’elle ne tiendrait pas forcément, cela se déciderait sur le moment), mais, dans le temps imparti, cette dimension est restée… sur le carreau.
Sympa ces petits exos, ça me rappelle le bon temps d’Agrosmots… et me redonne envie d’écrire… Salaud!
« Des mystères du processus de pensée Davoustien », à vos stylos, vous avez 4h. ;p
Intéressant article, merci pour le partage !