Rappel des règles du jeu : il s’agit d’écrire pendant vingt minutes sur un, ou plusieurs éléments, remaniés ou non, de la liste ci-dessous. L’article initial de la série se trouve ici.
Déclencheurs : que veut le méchant de l’histoire ?
- Sauver le monde
- L’amour
- Détruire
- Je veux me venger de mon passé
- J’en veux particulièrement au protagoniste principal
- Je veux la même chose que le protagoniste principal
- Pouvoir
- Argent
- Sexe
- Renommée
David se laisse aller
J’aime faire de longues marches en ville. Je porte des chaussures à semelle de crêpe et des vêtements sombres pour ne pas me faire remarquer. On m’a conseillé de porter une arme pour me défendre, mais je n’en ai pas besoin. Mes amis me répètent que je ne suis pas invulnérable, qu’il ne faut pas croire que je peux faire face à n’importe quelle agression parce que je fais des arts martiaux depuis des années.
Je ne saurai certainement pas faire face à n’importe quelle agression. C’est peut-être pour ça que j’agresse.
Oh, il ne faut pas croire que j’attaque des vieilles dames ou des gens plus faibles que moi ; non, moi j’aime surtout mettre la pâtée à plus grand et plus fort que moi. Je rétablis l’ordre social, en quelque sorte. Les grandes baraques à qui je fais mordre le bitume éviteront de se la jouer, après moi.
C’est leur expression que je préfère. Tordre le bras, écraser la cheville, mettre un coup de pied dans les parties sensibles, tout cela, c’est de l’ordinaire. Je sais parfaitement doser ma force entre la rue et l’entraînement, d’ailleurs. À me voir en salle, on ne dirait jamais toute la force que je peux mettre dans un combat de rue. La nuit, dans mes promenades, je peux me laisser aller à jouir du visage des forts vaincus, la surprise qui cède la place à la douleur, puis à l’humiliation. Rien de plus beau qu’un visage dépouillé de son orgueil, de son assurance même la plus basique, sous la lumière orangée des réverbères.
Je me ferais virer du dojo, si mes maîtres savaient. Ils ne sauront pas. Et d’ailleurs, je n’enfreins pas tant que ça les consignes. Je donne leur revanche à tous les faibles. Je rétablis, en écrasant les forts, un certain équilibre. Ainsi, j’offre au monde une miette d’harmonie.
Dans sa demeure de corail et de chair, l’Impératrice Tokiko rêve.
Elle se souvient de la trahison, de ses seigneurs qui se sont rebellés contre elle, contre lui, contre l’Empereur. Les carcasses des traîtres jonchent le sol de la mer au milieu de ceux qui leur sont restés fidèles. Ils sont morts depuis bien longtemps, mais certains ont survécu, et ce pays pour lequel elle est morte attend son retour. C’est la dernière ancre de son humanité, ce qui la définit : la vengeance, le sang et l’honneur.
Le corps de ses sujets des abysses tressaillent, la conscience de la reine morte s’éveille. Elle repense à ce jour, au jour de la bataille, aux eaux de Dan no Ura, à la trahison de ce chien de Shigeyoshi Taguchi. Les cris, le chaos. L’identité du navire contenant l’empereur étant connue, la bataille était perdue. Les tirs des archers ciblent les rameurs et les hommes de barre du vaisseau impérial selon les indications du parjure. Ses guerriers fidèles se suicident, se jettent dans les flots, certains s’ouvrant le ventre, d’autres se lient aux ancres des vaisseaux pour une plongée salvatrice dans les abîmes. Plus qu’au reste, elle songe à l’ingratitude de son petit fils.
Elle se souvient, comment en vêtement de deuil elle monta sur le pont, portant le Trésor impérial. Les trois dons de la Déesse : le miroir bouclier de bronze, l’épée Kusanagi no tsurugi et le joyau, le magatama. Une dernière responsabilité, les instruments du pouvoir ne doivent pas se trouver entre les mains des Minamoto. Alors elle prend le petit enfant dans ses bras, elle s’avance, elle luit dit : « Au fond des profondeurs océanes nous avons une capitale ».
Le pas en avant, la chute. L’étreinte des flots, la pression des eaux. L’attraction de l’ombre, l’enfant qui se débat dans ses bras. Quand le souffle commence a lui manquer, l’enfant terrifié qui échappe à son étreinte. Une dernière déception terrestre. Ingratitude, manquement à sa nature divine : même âgé de six ans il est l’Empereur, il aurait dû comprendre, accepter la voie qui s’imposait.
Et puis alors que la mort l’enserre cette Voix. Ce dieu qui lui propose la vie, la vengeance.
Les yeux de l’impératrice morte s’ouvrent. Elle évite le miroir. Elle sait ce qu’elle y verrait. Le prix du changement pour perdurer et restaurer ce qui doit être : des traits émaciés, blanchâtres, vague semblance d’humanité. Sur son trône d’ivoire dans son temple de chair et d’os la Reine caresse l’épée sur ses genoux. Et puis elle porte la main à la protubérance sur sa poitrine, sa conscience se tend vers ses soldats, le peuple des abysses. Vers les pantins soumis à sa volonté, ceux qui seront les instruments de sa vengeance, les Samibito qu’elle a asservi. Elle caresse du regard sa demeure. Car comme ses chairs la lient au trône, tout le palais, palpitant au rythme de son cœur, tout le palais n’est qu’elle.
Parcourant son corps tentaculaire, l’Impératrice sourit, satisfaite. Ce pays qui n’attend plus son retour connaîtra son châtiment mérité. Au centre de sa toile arachnéenne de chair et de domination, elle lance les armées serviles des hommes requins à l’assaut des terres.
Dans son sommeil, un jeune pêcheur s’éveille. La pierre sur sa poitrine semble palpiter. Une fois encore il s’interroge sur sa forme : un croc, une virgule percée, un fœtus peut être. Quand il y porte la main le joyau aux semblances d’ambre prend des teintes de jade.
(j’ai dépassé un petit peu, six minutes pour le premier jet et pris ensuite en plus 25mn plus tard pour la relecture, tripatouillage et le dernier paragraphe)
Merci Sabine, joli texte et vous m’avez donné une clef qui me manquait pour deux textes avec ce passage « C’est leur expression […] assurance même la plus basique ». Doublement merci donc 😉
Bravo à vous pour votre participation ! Et c’est encore mieux comme ici, quand l’émulation se crée entre les textes et les auteurs 🙂 Il n’y a pas de problème à dépasser le temps imposé, contrairement à un exercice en atelier, ici vingt minutes, c’est le minimum. Si vous voulez vous la jouer Philip K. Dick et déborder sur 72h, il n’y a aucun problème 😉
Elle se revoyait le jour de leur rencontre et les mois d’un semblant d’amour qui suivirent. Le jour où le premier coup est venu et le deuxième.
Elle était trop fière d’elle pour s’avouer prise sous son pouvoir. Il l’avait détruite au fur et à mesure, chaque jour un peu plus, chaque jour un peu plus fort. Elle se relevait toujours, la tête droite, le défiant du regard. L’amour n’existait plus, seul son envie de vengeance la tenait debout. Elle lui en voulait d’avoir violer ses rêves, d’avoir fait de son passé un poignard. Il s’en servait dès qu’il voyait une brèche, par petits mots, par des propositions insidieuses.
Elle s’était dit que sa mort sera son ultime vengeance, il irait croupir en prison, il n’aurait plus de liberté, plus l’occasion d’anéantir les autres. Une façon de sauver son monde, le monde, de ce personnage issu des polards les plus noirs.
Un jour, ses proches lui firent comprendre que son combat la plaçait sur le même niveau que son tortionnaire. Ce fut le choc, elle ne s’en était pas rendu compte. La destruction de l’un entrainait l’autre sur le même pied d’égalité. Elle comprit qu’il voulait qu’elle devienne comme lui. Un être sans scrupule, un être assoiffé de pouvoir, de domination.
Sur la pas de la porte, elle leur dit : « si nous partons, nous ne pourrons plus retourner en arrière, votre décision ? » Ils lui répondent : « nous partons »
Ils montent dans la voiture. Elle démarre en trombe,10 km pour arriver dans un endroit où ils seront à l’abri. Et après ..L’amour des siens lui redonnerait sans doute ses ailes qu’elle avait perdu au fil des combats ou était il trop tard…
En 35min.
« Ces hommes ne comprennent pas… Ne comprendront donc jamais… Quel intérêt de sauver ce qui ne peut plus l’être ? De vouloir résister à tout prix ? L’inéluctable ne leur saute donc pas aux yeux ? Ils me traitent de fou, mais eux ne le sont pas moins ! »
Ainsi pensait le Diable dans son antre, attendant que ceux qui avaient juré sa perte ne viennent essayer de le tuer, une fois de plus. L’éliminer pour quoi ? Parce que représentant tous les travers de l’existence, la démesure, l’ambition, l’arrivisme, le pouvoir ? Une menace constante sur chacune de leurs vies ? Une promesse de tyrannie sanguinaire que rien ne parviendrait plus à arrêter une fois en place ?
« Moi, un tyran ? Quand le monde marche sur la tête, que la raison a déserté les esprits – si tant est que ces derniers existent encore –, qu’une foule envisage de prendre le pouvoir sans y connaître quoi que ce soit, pour mieux retomber dans l’enfer ensuite ? Et sanguinaire, de surcroît, quand seules la légitime défense et la recherche du Bien justifient mes actes ? Non, ils se méprennent ! Je ne vise la destruction de ce monde et de ses règles que pour en instaurer d’autres plus justes ! Mais ils n’y entendent rien ! Ils ne voient que la destruction dans ce qu’elle a de barbare, de cruel, d’irrémédiable ! La destruction amène la reconstruction, quand se résoudront-ils à accepter cela ! »
Ainsi pensait le Diable en écoutant les pas des hommes armés courir dans les allées menant à son antre. Ils allaient trouver le passage, le débusquer et le tuer, lui, le seul en mesure de les aider ! Il n’était pas comme tous ces soi-disant Seigneurs de la Mort, détruisant des mondes et des vies pour le plaisir, ou dans une certaine visée artistique qu’eux-seuls semblaient à même de conceptualiser et de comprendre. Non. Lui cherchait à rendre une utopie réelle, un univers dans lequel chacun aurait sa place, au somment duquel il gouvernerait, mais toujours avec le Bien et le bonheur collectif en ligne de mire.
« Pas une démarche égoïste et égocentrée, cela, jamais ! Je dois les convaincre, tous, que je peux les aider, que nous poursuivons le même but, que seuls nos moyens diffèrent ! Ce monde est mort, on ne peut plus rien en tirer, il faut l’effacer et repartir de zéro. On ne peut définitivement pas s’en servir comme base pour le renouveau ! »
Ainsi pensait le Diable lorsque les hommes tentèrent de le pourfendre.
« N’est-il pas meilleur ainsi, ce monde, depuis que l’ancien a été éradiqué ? Tant d’efforts et de sacrifices… Mais le jeu en valait la chandelle… La folie des hommes n’existe plus… »
Ainsi pense le Diable, se remémorant son accession au pouvoir.
Ainsi pense le Diable, n’étant plus tyran que de lui-même, n’étant plus que l’unique être sur sa terre, n’étant plus que celui qui aura massacré et fait disparaître les hommes. Pour leur bien.
– « Tu veux ma mort, c’est ça ? » lança le jeune Endel au géant qui le toisait, un rictus moqueur sur les lèvres.
– « C’est une manière de voir la situation » répliqua celui-ci, sarcastique. « Tu m’as surpris jusque-là, mais ça ne durera pas. Tu as encore du souffle, j’espère ? »
A nouveau ce rictus, suivi d’un rire froid et bref. Endel sentit la colère bouillonner, reprendre le pas sur sa fatigue. Il allait invectiver son tortionnaire, mais le regard gris, insondable, posé sur lui l’en dissuada. Sans détourner les yeux, l’homme déplia son bras immense et claqua des doigts.
Endel prit une courte inspiration, fit le vide. Il décela les grognements, le bruissement d’une masse menaçante à sa gauche, et aussitôt se mit à courir, sans plus d’analyse.
Danger, danger, hurlait une sirène lancinante sous son crâne, alors qu’il franchissait les épaisses fougères et s’attaquait à la pente abrupte qui s’élevait devant lui, seule issue apparente à la sombre vallée. Il fit taire sa peur, se concentra sur ses foulées, sur les roches acérées et les branchages à éviter. « Reprenons » se dit-il. Derrière lui, les jappements étouffés se rapprochaient, vite, trop vite. « Je n’ai pas de biens, pas de secret à lui livrer. Il aurait pu m’écraser dix fois déjà s’il l’avait voulu. Il joue avec moi, géant cruel. Mais pourquoi moi ? »
C’était à présent des rugissements haineux qui le poursuivaient. La meute peinait aussi dans la falaise, mais elle gagnait du terrain. Il ne fallait pas faillir, il fallait à tout prix passer la barrière de rochers, en haut il serait libre.
« Pourtant, dans son regard, il y avait autre chose. Comme une reconnaissance… » Cette fois, il était au pied du mur. Il saisit une prise de calcaire, glissa son pied dans une faille, se hissa in extremis. Les chiens bondissaient à ses pieds, crocs dégoulinants. Il sentait leur souffle chaud. Il lui fallait grimper, ou mourir. « Je ne comprends pas. Que cherche-t-il, à la fin ? » La rage le reprenait, d’avoir lutté depuis des jours pour la vie, sans un indice, sans une explication. Il montait, lentement.
Il prit appui sur un piton, déporta son poids sur le côté, se lança vers la dernière corniche. Ses mains agrippées à la pierre, il allait lancer un cri de victoire, qui s’arrêta net dans sa gorge. Une poigne de fer venait de le saisir et de la hisser sur le plateau. Le géant l’attendait en haut…
– « C’était la dernière épreuve. Tu n’as pas démérité, tu feras de grandes choses. Si tu choisis de me suivre, ton apprentissage peut commencer. Mais le chemin n’appartient qu’à toi. »
Le géant se détourna, sans un mot de plus, laissant Endel ébahi, souffle court, face à la croisée des sentiers.