Je crains d’avoir laissé échapper une autre question, mise de côté… Mais vu que La Route de la Conquête sort le 21 août, et que le livre a été bouclé il y a quelques semaines, la question est dans l’air du temps (en tout cas pour moi).
Comment vois-tu les réécritures suggérées/proposées/imposées(?) par l’éditeur? comme un bras de fer? une aide salvatrice et purificatrice de ton oeuvre encore brute?
Oh la bonne question. La réponse dépend énormément de l’éditeur, à vrai dire, de sa façon de travailler et de notre « compatibilité » quant à notre vision du résultat final.
De manière générale, je ne considère jamais qu’un de mes textes est achevé quand il part chez l’éditeur. Je m’efforce d’atteindre au maximum l’idéal que je me suis fixé, de faire de mon mieux, de relire soigneusement avec du recul, et je recueille l’avis de quelques relecteurs très proches dont je connais l’honnêteté, l’enthousiasme et la motivation à expliquer de façon claire ce qu’ils aiment ou non. Cela ne veut pas dire que je vais forcément suivre leur avis (je ne suis jamais automatiquement les avis extérieurs) mais cela me donne un aperçu très précieux de la réception d’une histoire, ce qui fonctionne ou non, et de là, je réfléchis à la façon dont cela affaiblit, ou sert le projet d’origine, et de quoi faire ensuite. Il peut m’arriver de rééquilibrer une faiblesse d’un récit en intervenant sur un point totalement sans rapport, mais qui restaurera, en un sens, l’harmonie des saveurs.
L’éditeur est un-e professionnel-le, qui a l’habitude de ses lecteurs (en principe), du marché. Il/elle a également une grande maîtrise de la littérature, de la narration, et va cerner avec précision non seulement d’éventuelles faiblesses, mais pourra proposer des solutions intelligentes pour y remédier. Je considère que le but de toute relecture ou correction est le suivant : tailler la pierre de manière à la rendre la plus brillante possible. Selon mon aisance avec le sujet, mon expérience sur la forme, j’apporterai une pierre plus ou moins brute ; il m’est arrivé qu’on me demande un important retravail ou bien quasiment aucun, et cela sans grande corrélation avec l’expérience. On réussit plus ou moins bien son coup en fonction d’une quantité de facteurs : l’énergie, la préparation, la connexion avec le sujet, la difficulté de l’aborder, etc. (Et, franchement, instinctivement, on devine en général à quel point on a atteint sa cible ou pas – en revanche, on ne sait pas forcément comment corriger le tir, et c’est là que l’éditeur est capital.) La seule chose qu’on ne doit pas ménager, bien sûr, ce sont ses efforts.
J’espère donc que l’éditeur sera capable de comprendre mon projet à travers le récit et d’y rentrer afin de le servir au mieux – non pas pour qu’il se conforme avant toute chose à des impératifs extérieurs comme un marché, mais pour que le récit soit le plus abouti possible dans ce qu’il doit être. Ce qui n’empêche pas de réfléchir au marché et à l’accessibilité d’une oeuvre au lectorat… mais c’est le talent et le professionnalisme de l’éditeur comme de l’auteur d’y parvenir sans dénaturer le discours ou la nature profonde de l’oeuvre. (Et comme La Route de la Conquête est d’actualité, j’en profite pour remercier Critic pour la liberté qui m’est laissée dans la création d’Évanégyre et pour la passion que l’équipe témoigne à cet univers!)
Quand ce talent est présent, quand il y a une vraie rencontre avec un éditeur, une communauté d’esprit, disons, alors il se produit une véritable émulation, tout le monde est heureux, et je pense que cela se ressent derrière pour le public qui est content aussi (et donc, si le public est content, cela se traduit en termes de ventes – dans l’édition professionnelle, il s’agit quand même, rappelons-le, de gagner sa vie). Je crois que c’est la bonne approche : toujours penser à cet équilibre, qu’on soit auteur ou éditeur, entre le plaisir, la fidélité à un projet d’un côté, et le plaisir du public de l’autre. Ne penser qu’aux premiers ou au deuxième, en général, conduit à manquer la cible qu’on visait pourtant.
En revanche, si cette rencontre ne se fait pas, si cette communauté d’esprit est absente, alors oui, cela peut se transformer en bras de fer, et là, c’est très déplaisant pour tout le monde. Dans ce cas, la maturité de l’auteur – qui s’apprend parfois dans la douleur – consiste à savoir précisément ce sur quoi il n’est pas prêt à céder, et à l’exposer avec calme et détachement. C’est un apprentissage fondamental pour l’intégrité d’un créateur. On découvre qu’on peut en général satisfaire une majorité d’exigences de correction et de retravail, même importantes, d’une manière qui soit cohérente avec son discours et son projet ; le professionnalisme consiste à faire ce travail, même s’il est vaste, et l’expérience apprend comment. En revanche, il faut savoir placer la limite au-delà de laquelle on sent qu’on trahit son instinct, son désir, le projet d’un récit. Il vaut mieux qu’un livre ne se fasse pas plutôt que regretter l’état dans lequel il sort pour avoir accepté le remaniement de trop. On peut toujours se quitter bons amis pour « divergences créatrices ». Aller au clash n’est jamais une bonne idée.
Un bon éditeur – plus exactement, l’éditeur qui vous convient – pourra vous demander un retravail que vous ne sentez pas. Votre travail consiste à y réfléchir sérieusement, mais aussi, le cas échéant, à savoir répondre « non » en votre âme et conscience – ce non signifiant : je préfère arrêter là qu’aller là où vous voulez me faire aller. Le bon éditeur saura l’accepter ; le bon éditeur sait comprendre vos forces et vos faiblesses, se couler dans votre façon de travailler, vous accompagner dans vos difficultés et vous aider à magnifier vos talents pour servir votre projet – projet auquel il croit aussi, un minimum, ou bien il n’aurait pas dû l’acheter, de toute manière, s’il voulait en faire totalement autre chose. Pour caricaturer, on ne demande pas à un roman de hard science de devenir du romantisme réaliste.
En principe, il aime ce que vous faites et c’est pour cela qu’il vous fait bosser. C’est la base de la relation. C’est aussi pour cela qu’il s’agit surtout d’une rencontre humaine. Et j’ai beaucoup de chance, parce que je suis très content de mes rencontres dans ce métier.
(Sinon, le lolcat d’illustration vient de cette très synthétique et drôle série d’articles sur l’édition du point de vue de l’éditeur, en anglais et résumée avec des chats, à lire absolument : ici, ici et là.)
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