OKAY YEAH YEAH Internet en 2025 c’est la clickbait rageline – 

Mais la clickbait rageline c’est aussi le résumé de ce qui suit, alors on développe.

L’énorme problème Jared Leto

On commence par le plus important : Jared Leto incarne un problème qu’il est quasiment impossible de dissocier de la licence en 2025. Non pas parce qu’il est supposément « maudit » au box-office (on s’en fout), mais parce que neuf femmes ont révélé son comportement dégueulasse, en particulier alors qu’elles étaient mineures. Or il est un énorme fan de la licence Tron et, sans lui, le film n’aurait sans doute pas existé.

Tout avis informé sur Tron : Arès ne peut pas faire l’abstraction des deux points sus-nommés, que j’ignorais quand je suis allé le voir à sa sortie, mais sorti du film très enthousiaste, j’ai fait mes recherches pour en parler, recherches qui se sont soldées par un « mais putain, quoi ! »

Donc voilà, on a une licence moribonde, chère à plusieurs générations (qui ont grandi avec le film de 1982 ou Legacy), qui est aujourd’hui maintenue en vie par un type accusé d’être un prédateur sexuel. Ce qui donne un gros goût de cendres parce que…

Tron : Arès est le meilleur des trois films

… dans le contexte d’une licence basé sur, soyons honnêtes, admettons-le, un prédicat crétin. Et oui, Arès est le meilleur des trois films – rangez vos fourches. J’ai revu les deux précédents juste avant d’aller voir Arès. J’ai adoré le film de 82 quand j’étais môme, je jouais à la Videopac+ (qui a connu ?), j’étais un geek de première génération, je le regardais en boucle.

Mais c’est un prédicat crétin. Ce n’est pas parce que c’est un prédicat crétin qu’on ne peut pas passer un fantastique moment. (J’ai dévoré les romans Doom quand j’étais ado. Allez-y, jugez-moi.) Le problème de Tron : Arès et donc de la licence en 2025 s’appelle Jared Leto. En termes de narration, la licence s’est coincée avec Tron : Legacy. Mais on l’a kiffé quand il est sorti, y a Daft Punk avec une BO qui tabasse et globalement, Disney n’a pas complètement chié cette remise au goût du jour près de trente ans plus tard, et c’était suffisamment un miracle pour qu’on pousse un soupir de soulagement collectif, qui s’est transformé en adulation au fil du temps.

RANGEZ VOS FOURCHES J’AI DIT. Hear me out.

Ce sont des films d’action fondés sur des effets spéciaux visuels. Faut pas en attendre du Shakespeare. Je ne crache pas sur le genre – c’est hyper cool et fun, surtout en IMAX 3D, j’ai passé un super moment avec Avatar 2 tout en reconnaissant la minceur et l’absurdité du scénario – mais il faut se mettre d’accord. Call of Duty n’est pas Outer Wilds, et il y a un moment pour chacun.

Voilà ce qui se passe : Tron 1982 parvient à être suffisamment elliptique dans sa mise en scène et ses explications pour laisser tout juste penser que la Grille est un genre de représentation métaphorique ou une projection rendue explicite à la psyché numérisée de Kevin Flynn (et à celle du spectateur). Les programmes sont représentés par des agents humains, mais ce ne sont pas des humains, ils n’ont pas de désirs humains autres que les aspirations fondamentales d’une conscience – typiquement, ne pas finir derezzed. Les lightcycles, les recognizers chers à la licence sont des transpositions directes des jeux vidéo présentés dans le film. Les programmes qui se trouvent projetés dans les jeux ont été cooptés par le MCP1 ; l’un d’eux, un programme de compta, dit d’ailleurs qu’il ne sait pas faire grand-chose à part calculer des intérêts cumulés. On étire la vraisemblance, évidemment – les programmes ont un sacré libre arbitre pour 1982 – mais si on prête attention, presque tout peut se ramener à un équivalent informatique (comme le voilier solaire figurant une antique – pour nous – connexion entre réseaux).

Le problème, c’est que Legacy fait de la Grille un véritable monde virtuel avec des rues, des ports, où les programmes portent du Jean-Paul Gaultier avec grandiloquence et où les jeunes programmes (dans la série animée Tron: Uprising qui se passe juste avant) se draguent et se matent comme de jeunes adultes découvrant la joie des hormones. (Mais pour quoi faire, fichtredieu ? Se désaper et inventorier leurs différences avec un diff ?) Or, ça n’est pas censé être un monde virtuel, un monde virtuel, c’est un monde virtuel, la SF en propose des tas ; c’est censé être une représentation mentale des agents et influences électriques d’un réseau numérique. La base de Legacy – que CLU déraille totalement en voulant créer un monde parfait, en agissant donc comme un programme, alors que personne, nulle part, ne se comporte effectivement comme un programme (sauf peut-être les sirènes, et encore) – est une contradiction fondamentale. Et on parle des ISOs, la forme de vie de spontanée sortie de… quoi ? Tout ça est mal foutu, mais bon, oui, d’accord, les recognizers mis à jour sont splendides et y a Daft Punk, donc on a pardonné, avoir un nouveau film et qu’il ne pue pas était miraculeux. (et c’est quand même rigolo de voir combien la Grille de l’époque est influencée par les paradigmes d’interface de l’époque, tout en verre et en transparence… même si what is old is new again)

Entre Tron: Arès. Tron: Arès prend l’état vraiment bancal du lore dans lequel Legacy l’a laissé et parvient à faire quelque chose avec. Okay, c’est super beau, les bastons sont chorégraphiées façon 2025 en mode Cirque du Soleil davantage que j’essaie de frapper efficace, mais vu qu’une partie d’entre elles se déroule dans la Grille et qu’on est déjà dans une espèce d’onirisme virtuel, ça passe.

Mais surtout, Tron: Arès (ah oui, tiens, j’ai oublié de parler de l’histoire – un programme guerrier de cybersécurité appréhende émotion et humanité – le scénario est archi-classique – tout ce qui compte c’est qu’il y a plein de néons rouges et du Nine Inch Nails) parvient à prendre l’état du lore, à l’honorer dans son intégralité, acceptant et incluant tous les éléments bancals pour en faire un truc qui tient debout (ce qui n’est pas si courant en notre époque, n’est-ce pas Star Wars – Star Trek – Doctor Who), et se paie même le luxe de balancer une petite dose de philosophie dans le mélange, ce que je n’aurais vraiment, mais alors vraiment jamais vu venir dans un film Tron. Alors attention, petite, la dose, et simple, mais quand même, elle est là, et cadre super bien avec le zen très inattendu et, soyons francs, total parachuté de Kevin Flynn dans Legacy.

Alors oui, y a pas Bruce Boxleitner (donc Tron), y a pas de lien direct avec Legacy à part une réutilisation respectueuse du lore, clairement la fin appelle un quatrième film qui devrait sans doute arriver quelque part vers 2174. Mais c’est un film à grand spectacle bien foutu sur une prémisse un peu pétée, qui arrive à la respecter et l’honorer de façon presque émouvante, et utilise intelligemment la tentative de grain de discours existentialiste qui formait plus qu’autre chose un prétexte narratif dans Legacy pour donner de la substance à l’arc très classique du personnage principal, alors c’est bienvenu, hein ? Si vous regardez les trois à suivre, vous verrez que c’est le meilleur des films.

Mais il y a dorénavant un vrai problème avec cette licence, et ce problème s’appelle Jared Leto.

  1. Vous avez capté, d’ailleurs, que le protocole fondé par Anthropic porte le même acronyme ? Haha… aaargh.