Star Trek Lower Decks, c’est chouette (dans le calendrier de l’Avent du podcast Spoilers)

Et j’ai eu le plaisir d’en parler dans le calendrier de l’Avent du podcast Spoilers, qui propose ce mois-ci des tas de recommandations d’œuvres d’imaginaire par auteur·rices et journalistes du domaine comme Marcus Dupont-Besnard de Numerama, ma camarade Estelle Faye et beaucoup d’autres.

➡️ Spoilers est disponible sur toutes les plate-formes, voir ici.

(J’en profite pour remercier Sneed de m’y avoir mis, en insistant : tu avais raison !)

2024-01-09T08:32:07+01:00mardi 19 décembre 2023|Entretiens, Fiction|Commentaires fermés sur Star Trek Lower Decks, c’est chouette (dans le calendrier de l’Avent du podcast Spoilers)

Un point rapide sur quelques séries d’imaginaire dans le coup (Arcane, Severance, Dragon Prince, For All Mankind)

Pour ne rien vous cacher, j’ai eu un petit coup de mou avec la fiction sous toutes ses formes depuis un an – ne pas voir la mienne parvenir à son terme avant le siècle prochain m’a un peu démoralisé, mais ô surprise, une fois les horizons un peu éclaircis, la dynamique de l’élan final qui se dessine, ben ça va mieux. Alors j’ai vu des trucs, et c’était vachement bien :

Arcane

De quoi ça cause : Les évolutions de deux sœurs laissées pour compte dans les bas-fonds d’une ville à l’aube d’un faisceau de révolutions. Animation pour grands adolescents / adultes. Fantasy / steampunk.

Cette série n’a absolument pas le droit d’être aussi bien en étant l’adaptation de, MAIS GENRE, League of Legends. Le jeu où l’on termine en pleurant dans son coin sous le feu des insultes de ses ex-amis parce qu’on n’a pas su ratisser le bon corridor de cette map assommante a donné un bon Dieu de chef-d’œuvre d’animation et de mise en scène, avec une histoire peut-être un peu classique mais entièrement portée par toute une galerie de personnages costauds et intéressants, et OH MON DIEU est-ce que je vous ai déjà parlé de l’animation et de la mise en scène ? Comme quoi : quand on a de bons auteurs, peu importe la minceur du matériau d’origine. (Non, je ne suis pas du tout amer envers LoL parce que je suis nul)

Est-ce qu’on y va : Oui, absolument, c’est un ordre, merci. À voir sur Neftlix.

Severance

De quoi ça cause : Des employés peuvent choisir de voir leur mémoire et identité compartimentées pour travailler sur des projets sensibles en entreprise. Et ce qui se passe dans la dite entreprise est extrêmement chelou. Série live pour adultes. SF / thriller.

Okay, Severance est un chef-d’œuvre aussi (je sais, techniquement, on ne peut avoir plusieurs chefs-d’œuvre, c’est tout le sens du mot « chef », mais c’est pas du tout les mêmes gens à la base, suivez-moi plz). C’est bien simple : je n’ai rien vu d’aussi intelligent depuis les tous premiers épisodes de Black Mirror. Une vraie idée intrigante à la base, des mystères dans tous les sens et une ambiance à mi-chemin entre Brazil et Twin Peaks, j’ai avalé la saison 1 sans pouvoir m’arrêter (ce qui m’arrive très rarement maintenant que je suis quadragénaire, blasé et dans l’inexorable déclin de ma fugace existence). (Merci @Nimentrix de m’avoir tanné pour que je m’y mette.)

Est-ce qu’on y va : OUI, OUI, totalement plus vite que ça c’est un ordre, ça vaut un mois d’abonnement rien que pour cette seule série, c’est un des meilleurs trucs récents que je connaisse. À voir sur Apple TV+.

For All Mankind

De quoi ça cause : L’histoire de la conquête spatiale telle qu’elle aurait pu se dérouler si elle ne s’était jamais arrêtée avec l’alunissage américain de 1969. Série live pour adultes. SF / uchronie.

J’avais déjà dit tout le bien que je pense de For All Mankind dans le tour d’horizon initial des séries TV+, et nous en sommes maintenant à la fin de la saison 3. Est-ce que ça tient sur la durée ? Plutôt bien, oui. Avec quelques énormes morceaux de bravoure et une belle écriture, la série flatte parfaitement le fantasme de l’exploration spatiale, d’autant plus qu’elle est très proche de nous en termes techniques et temporels. La série prend également le parti de montrer l’entourage des pionniers de l’aventure spatiale et qui, parfois, souffre de l’angoisse, de l’éloignement, de l’absence ; la plupart du temps, c’est bien écrit et intéressant, mais à quelques occasions, ça bascule hélas dans la lenteur et le prévisible. Néanmoins, c’est une très belle aventure, unique en son genre, à condition de tolérer un ou deux personnages têtes à claques dans le décor. Personnellement, j’attends de pied ferme la saison 4 et je me jetterai dessus dès sa sortie.

Est-ce qu’on y va : Oui, puisque vous allez prendre un mois d’abonnement pour Severance, complétez votre mois d’abonnement en regardant For All Mankind. À voir sur Apple TV+.

The Dragon Prince

De quoi ça cause : L’épopée initiatique de deux jeunes frères et d’une elfe visant à préserver la paix de leur monde en protégeant l’œuf du roi des dragons. Série d’animation pour la jeunesse / les adolescents. Fantasy / médiéval-fantastique.

The Dragon Prince (également appelé dans certains territoires Sur les traces d’Aaravos) me semble tirer nettement son inspiration d’Avatar : Le Dernier maître de l’air pour les évolutions des personnages, son désir d’aborder certains sujets difficiles dans une œuvre pour la jeunesse, ainsi que son discours sur la positivité, l’amitié et l’inclusion. Malgré son univers extrêmement classique (elfes, humains, dragons, écoles de magie basées sur les éléments, monde divisé en deux) et son histoire qui ne l’est pas moins (voyage initiatique), même pour un vieil adulte quadragénaire blasé (cf supra), les auteurs réalisent le tour de force de présenter des personnages très attachants, quelques moments réellement surprenants et plusieurs twists bien sentis. La série souffre ponctuellement de quelques petites failles de scénario, lenteurs et contradictions de worldbuilding si on veut pinailler, mais on n’est pas là pour ça : on est là pour profiter d’un beau voyage avec une galerie de personnages très chouettes. Ça se savoure comme un chocolat chaud devant la télé sous la couverture alors qu’il pleut des cordes dehors, et on se retrouve à enfiler les saisons juste pour prolonger la compagnie des personnages – ce qui est pour moi un gage évident de qualité. Bon, ça n’est pas aussi bien qu’Avatar (c’est difficile d’être aussi bien qu’Avatar), mais j’y ai trouvé la même vibe positive (avec un soupçon de Lodoss War), et ça fait bigrement du bien.

Est-ce qu’on y va : Si vous avez perdu tout contact avec votre enfant ou ado intérieur capable de s’émerveiller devant une jolie histoire d’amitié et d’aventure, n’essayez pas, ça ne marchera pas. Dans le cas contraire, oui, avec le bonus que la gravité ponctuelle de l’histoire pourra ponctuellement surprendre l’adulte en vous. À voir sur Netflix.

2022-12-19T07:34:28+01:00mercredi 21 décembre 2022|Fiction|2 Commentaires

Un petit tour d’horizon aussi partiel que partial d’Apple TV+ (2)

Hop ! Seconde partie du tour d’horizon rapid fire de ce que j’ai vu sur Apple TV+, en mode subjectivité totale, et vous en faites ce que vous voulez. Aujourd’hui : For All Mankind, Mythic Quest et Dickinson. (La première partie, qui parlait de Ted Lasso, The Morning Show, Amazing Stories et See se trouve ici).

For All Mankind

L’autre série de SF ayant bénéficié d’un énorme battage médiatique : une version uchronique de la course à l’espace, qui ne se serait pour ainsi dire jamais arrêtée en 1969 quand le premier homme a posé le pied sur la Lune. Une divergence d’importance au premier épisode relance toute l’entreprise, et nous entraîne dans les coulisses de la NASA cherchant à l’emporter sur les Russes.

Verdict : OUI, GRAVE. Même si je n’ai vu que trois épisodes. Mais sur un pitch finalement peu engageant (on connaît ces événements, non ?), la série est passionnante et aussi haletante qu’un Seul sur Mars, dans un registre différent bien sûr. Au stade où j’en suis, c’est déjà vaste, ambitieux, malin et passionnant.

Je m’abonne exprès pour ça ? Si vous êtes ici, vous aimez probablement la SF : alors OUI, tout en sachant encore une fois que je n’ai vu que trois épisodes, mais tout le monde dit que ça continue sur la même lancée, donc pas de raison que ça coince, au moins sur la première saison.

Mythic Quest

La vie interne (et profondément dysfonctionnelle) d’un studio de jeu vidéo responsable de Mythic Quest, le plus grand MMORPG de l’histoire (oui, c’est un World of Warcraft fictif, mais parler de World of Warcraft fictifs, ça arrive à des gens très bien). En mode sitcom à grand budget.

Verdict : Je ne sais pas quoi faire de Mythic Quest. Ça commence bien mal, avec d’un côté des clichés déplaisants qui rappellent les sombres heures de Big Bang Theory et de l’autre, une écriture qui fait grincer des dents et va presque à l’encontre de la tentative de diversité de ses personnages, et puis, finalement, la série trouve son cœur et même quelques fulgurances là où on ne l’attendait absolument pas. C’est un objet vraiment bizarre, où se côtoient quelques morceaux d’humanité splendide et tragique comme un humour qui voudrait être geek mais tombe très souvent à côté.

Je m’abonne exprès pour ça ? Franchement, non.

Mais si j’ai un abonnement, je regarde ? Beeeen… Ça peut se tenter. Avec les énormes caveats exprimés ci-dessus. C’est un objet beaucoup trop étrange pour ce qu’il devrait être avec un pitch pareil, mais une fois les premiers épisodes franchis, c’est étonnamment imprévisible (et finalement pas du tout une série d’humour). Mais attention, possibles réactions allergiques.

Dickinson

La vie romancée d’Emily Dickinson, narrée avec un parti-pris de narration moderne et semi-fantastique, dans des décors et costumes d’époque. Sa biographie étant assez mal connue, c’est l’occasion de mettre l’accent sur le personnage de la créatrice en tant que telle et ses luttes pour se faire (re)connaître dans une société carrément arriérée pour toute sensibilité contemporaine digne de ce nom.

Verdict : Ça passe ou ça casse. La rencontre entre tropes modernes (genre dubstep pour animer les bals huppés de la jeunesse dorée de l’époque) et XIXe siècle m’a paru jurer plutôt que se mélanger harmonieusement, et le personnage d’ado gâtée qu’est Emily au début de la série hérissera le poil de toutes celles et ceux qui détestent les personnages d’ados caractériels (myself included). Mais ça vaut le coup de s’accrocher, car la série gagne en profondeur et trouve ses marques tandis qu’on s’habitue au mélange bizarre de contemporain et d’ancien. Par ailleurs : le public visé me semble plutôt la tranche 15-25, donc je suis probablement déjà trop vieux et con. Mais aussi, ça parle d’écriture de manières qui suscitent de vraies réflexions, et ça c’est drôlement chouette.

Je m’abonne exprès pour ça ? En lisant ce qui précède, vous saurez : si ça vous branche, absolument que oui, sinon, absolument que pas.

Mais si j’ai un abonnement, je regarde ? Quelle que soit votre réaction à ce qui précède, à ce moment-là, oui, complètement. En vous préparant peut-être à griffer les accoudoirs de frustration dans les premiers épisodes. Mais ça vaut vraiment la peine de persister (bien davantage que pour Mythic Quest).

2021-12-07T10:51:35+01:00jeudi 9 décembre 2021|Fiction|Commentaires fermés sur Un petit tour d’horizon aussi partiel que partial d’Apple TV+ (2)

Un petit tour d’horizon aussi partiel que partial d’Apple TV+ (1)

Alors non, je n’ai pas vu Fondation. Pas encore. J’ai beaucoup trop peur de m’y risquer, et ce que j’en ai entendu me fait encore plus peur. (On dit beaucoup que la difficulté de cette adaptation en série était l’absence de personnages forts dans l’univers : certes, mais du coup, justement, le fil narratif qu’il fallait adapter, c’était celui du Mulet. C’est le meilleur fil des trois premiers tomes, et il y avait moyen de construire des personnages autour. POP POP POP je m’en fous, c’est mon avis et je le partage.)

En revanche, j’ai profité d’un très long essai gratuit du service, et tout en freinant des pieds (c’est encore pire que traîner : essayez, vous verrez), parce que personnellement, je veux qu’Apple me fasse des bons systèmes d’exploitation et de bons ordinateurs, pas un service de streaming que personne n’a demandé, mais j’ai fini, à deux mois de la fin, à me dire : bon, quand même, arrêtons de bouder et regardons un peu de cette TV gratuite qui prétend être qualité HBO.

Un peu dans l’esprit de cet article sur les séries d’imaginaire françaises récentes (à l’époque), tour d’horizon rapid fire de ce que j’ai vu, en mode subjectivité totale, et vous en faites ce que vous voulez. Aujourd’hui : on parle de Ted Lasso, The Morning Show, Amazing Stories et See, avec une seconde partie à venir cette semaine.

Ted Lasso

C’est la série phare dont tout le monde parle, et avec laquelle les gens qui l’ont vue bassinent les gens qui ne l’ont pas vue. (Ça fait un peu comme un certain jeu vidéo, Outer Wilds, je ne sais pas si je vous en ai parlé ?) C’est le pitch le plus inintéressant du monde pour un type comme moi : un coach de football américain se trouve engagé en Angleterre à entraîner une équipe de foot européen. Je me tape littéralement de chaque élément de la phrase précédente, à part les articles (et l’Angleterre. Et l’Europe. Bon. Ça pète un peu l’effet.).

Verdict : OH MON DIEU MAIS C’EST TROP BIEN. (Sur la saison 1 en tout cas, la seule que j’ai vue.) C’est positif, vraiment feel good, sans être gnangnan. Vous voyez ces moments réjouissants de Doctor Who où le Docteur parvient à sortir par le haut d’une situation vraiment moche ? Ben c’est la même impression, en beaucoup plus fin et humain, sans tomber dans le simpliste.

Je m’abonne exprès pour ça ? Bon, je n’irais pas jusqu’à dire un grand oui. C’est chouette, mais ça n’est pas immanquable, sauf si vous avez spécifiquement besoin de ce genre de chose en ce moment.

Mais si j’ai un abonnement, je regarde ? Alors là, oui, absolument.

The Morning Show

Une autre série phare, avec le grand retour de Jennifer Anniston (Friends) dans un des rôles principaux. The Morning Show aborde de front la révolte #MeToo : dans une émission matinale américaine de premier plan mais en perte de vitesse, le présentateur, accusé de harcèlement, se trouve débarqué. Le chaos qui s’ensuit explore avec finesse, sans complaisance, toutes les facettes d’un thème particulièrement difficile y compris dans ses profondeurs les plus atroces, ainsi que les problématiques économiques liées aux médias et leurs impératifs parfois inhumains.

Verdict : De mon point de vue limité sur la question, chef-d’œuvre (là aussi, je n’ai vu que la saison 1). Prendre un thème aussi difficile et récent que celui-ci représente un risque colossal en termes d’écriture et de responsabilité car il est terriblement facile d’être maladroit, inepte, moraliste ou manichéen (ce qui peut avoir des conséquences réelles et dommageables sur le monde). The Morning Show (encore une fois, de mon point de vue probablement incomplet) me paraît éviter ces pièges en montrant les dynamiques sociétales du problème dans ce qui m’a semblé une masterclass d’écriture. On pourrait reprocher une telle densité au propos que l’histoire oublie peut-être un chouia parfois qu’elle est d’abord un objet narratif avant d’être un essai social, mais franchement, c’est un sujet tellement difficile qu’il était certainement impossible de s’en tirer autrement. Ça se regarde à un rythme lent, le temps de bien méditer tout ce que ça traite.

Je m’abonne exprès pour ça ? Absolument. Et si vous êtes un homme en position de privilège, vous regardez ça et vous réfléchissez.

Amazing Stories (Histoires fantastiques)

Continuation de la série de courts métrages d’imaginaire initialement produite par Steven Spielberg. Les cinq épisodes disponibles sur le service couvrent principalement SF et fantastique.

Verdict : Non. Aucun des récits ne dit quoi que ce soit qu’on n’ait pas déjà vu ou lu des dizaines de fois, certains parviennent à se prendre le pied dans le tapis question cohérence, et le jeu d’acteur est même parfois un peu limite. Désolé.

Je m’abonne exprès pour ça ? Non.

Mais si j’ai un abonnement, je regarde ? Non plus.

See

Pas mal de communication aussi autour de cette série post apocalyptique avec Khal Drogo dedans, Jason Momoa bien sûr : suite à une pandémie1, toute l’humanité est devenue aveugle dans un lointain passé et a dévolué vers un mode de vie tribal et superstitieux parmi les ruines héritées de notre époque. Deux jeunes gens naissent doués de vision dans un village reculé, et sont amenés à chercher leurs origines avec leur famille ainsi que le secret de leur don.

Verdict : Mouerf. Le concept de base est vraiment intéressant et surtout le worldbuilding a des trouvailles : ce n’est pas tous les jours qu’on voit une série d’imaginaire qui s’efforce sincèrement de réfléchir son univers (même si certains trucs tiennent difficilement la route, mais on va suspendre l’incrédulité bien hors de portée du scepticisme…). L’image est à couper le souffle. Hélas, tout cela est sous-exploité par une intrigue de voyage familial pas transcendante qui peine à servir l’ambition du monde dépeint, et en plus, ce n’est pas toujours formidablement bien écrit.

Je m’abonne exprès pour ça ? Non.

Mais si j’ai un abonnement, je regarde ? Puisque vous êtes là, ça s’essaie… mais clairement pas prioritaire.

À dans deux jours (à la louche) pour parler de For All Mankind, Mythic Quest et Dickinson !

  1. J’ai commencé cette série en mars 2020. C’était nickel le bon choix pour me remonter le moral.
2021-12-04T17:48:02+01:00lundi 6 décembre 2021|Fiction|4 Commentaires

Quelques séries TV d’imaginaire françaises récentes

À la Worldcon, j’ai eu l’honneur d’être invité à participer à une table ronde sur les séries télé d’imaginaire étrangères, et donc, étant le Français de service, sur les séries françaises.

Ce à quoi j’avoue que ma première réaction a été : « heu, on en a ? »

Médisance ! Mauvaise langue ! Oui, on en a (surtout grâce aux efforts de Canal+ et d’Arte, qui produit depuis plusieurs années des mini-séries de SF – vous avez peut-être entendu parler notamment de Trepalium). Et donc, je m’étais tapé un marathon de séries d’imaginaire françaises récentes pour me distraire de mon plus gros marathon (entamé en avril 2018 : me taper toutes les séries Marvel Netflix dans l’ordre, j’ai bientôt fini, mais ça n’en finit pas de finir, bientôt je vous dirai quoi penser, car j’ai forcément raison).

Alors, que trouve-t-on comme productions relativement méconnues, comparées aux rouleaux compresseurs américains ? Petit tour d’horizon d’une sélection un peu aléatoire, remontant sur les dernières années, en mode vignettes et avis rapides pour partager ce qui pourrait être intéressant ou pas1. Beaucoup ont évidemment déjà parlé de ces séries à leurs sorties, l’idée ici est seulement de partager ma session de rattrapage, si vous les avez ratées comme moi à l’époque.

Osmosis (SF)

Production : Netflix.

Le pitch : Présenté comme le Black Mirror français. Dans un futur proche, une startup française mêle la technologie des réseaux commerciaux à l’intelligence artificielle pour concevoir un implant neuronal assurant de trouver l’âme-sœur.

Ça vaut le coup ? L’idée de base est excellente, il y a des développements et arguments qui pouvaient être riches de réflexions (humanisme contre transhumanisme), mais le tout est gâché par une implémentation hasardeuse du concept (l’amour semble ici exclusivement fondé sur le physique, ce qui est absurde) et surtout par un scénario cousu d’invraisemblances, des acteurs très insuffisants et une « chute » qui ne peut plus être originale dans la SF du XXIe siècle. Je n’en garde qu’une petite tendresse pour Hugo Becker qui campe un substitut de Steve Jobs pas inintéressant. Ne pas y aller.

Ad Vitam (SF)

Production : Arte.

Le pitch : L’humanité a déjoué la vieillesse : dans un futur proche, tout le monde peut se régénérer à partir de 30 ans et connaître ainsi la jeunesse éternelle. Un flic centenaire enquête sur une vague de suicides de jeunes qui semble être un acte de protestation contre le système.

Ça vaut le coup ? L’idée est simple mais bien explorée à travers une intrigue relativement concentrée (l’enquête policière), le scénario n’est pas démonstratif ni verbeux mais laisse son univers s’établir et respirer, les acteurs sont solides. La fin pourra peut-être laisser un peu indécis – elle me semble là un peu manquer son impact par un discours trop elliptique – mais si l’on n’attend pas une chute en forme de coup de poing, il y a de quoi beaucoup réfléchir dans cet univers jeune et apparence, mais vieux dans sa tête. Si la thématique vous parle, oui, allez-y.

Les Revenants (fantastique)

Production : Canal+.

Le pitch : Dans un petit village de montagne dominé par un barrage hydroélectrique, les morts reviennent à la vie sans aucun souvenir de leur disparition. Des familles brisées se ressoudent tant bien que mal autour du retour d’un enfant mort, des conjoints pleurant des amours disparus les voient revenir, la vie du village est bouleversée et les réactions se polarisent.

Ça vaut le coup ? Les Revenants fait un tragique grand écart entre une saison 1 de haute tenue (pour peu qu’on accepte un rythme lent, très psychologique) et une saison 2 beaucoup plus bancale. Les personnages sont riches et bien campés ; la multiplicité des points de vue est maîtrisée ; les nombreuses intrigues ont toutes quelque chose à dire ; l’idée est explorée dans toutes ses ramifications et la série joue intelligemment en filigrane avec certains codes de l’horreur. Hélas, le scénario laisse entendre depuis le début qu’il va quelque part, sauf que pas vraiment. La saison 2 flirte avec quelques clichés et se termine sans les révélations qu’on attendait et avec une mystique qui n’est pas à la hauteur de tout ce qui a précédé. Si l’on aime les intrigues familiales et les ambiances de villages en huis-clos, on y trouvera son compte, mais il faudra préférer le voyage à la destination.

Transferts (SF)

Production : Arte.

Le pitch : Dans un futur proche (encore…) la technologie permet de transférer l’intégralité d’un esprit d’un corps à un autre. Un père de famille plongé dans le coma depuis des années se retrouve dans le corps d’un capitaine de la brigade spéciale justement chargée de traquer et surveiller ces « transférés ». Il doit apprendre à naviguer dans un monde qu’il ne reconnaît plus en protégeant sa véritable identité pour espérer retrouver son ancienne vie et sa famille.

Ça vaut le coup2 ? Transferts est juste assez foutraque, avec des idées dans tous les sens, une Église catholique qui retrouve son ascendant sur la société, une brigade spéciale littéralement fasciste et un personnage central complètement paumé quant à ce qui lui arrive pour que ça marche. Certaines ficelles de l’histoire sont vraiment grosses, mais il y a des idées de personnages brillantes dans un univers cohérent et bien exploité, vu à travers son relatif loser de héros qui ne sait plus du tout où il en est, et l’équilibre entre idéalisme et cynisme est ménagé de façon intéressante. Il devait y avoir une saison 2 qui ne verra probablement jamais le jour, aussi certains coups de théâtre lancés dans le dernier quart d’heure de la saison 1 ne connaîtront pas de réponse, mais en-dehors de cela, les intrigues principales sont bouclées. C’est suffisamment singulier pour vraiment valoir le coup de se lancer.

Le Secret d’Élise (fantastique)

Production : TF1 (là je triche un peu pour la France, Le Secret d’Élise étant fondé sur un concept américain, qui a donné également Marchlands en Grande-Bretagne).

Le pitch : Tout s’organise autour de l’histoire parallèle de trois familles ayant vécu à trois époques différentes dans la même maison, en 1969, 1985 et 2015. Un drame ayant eu lieu en 1969 a des répercussions sur toutes les époques, jusqu’à la découverte de la vérité.

Ça vaut le coup ? Le Secret d’Élise ne révolutionne rien, mais a visiblement fait ses devoirs et étudié les tropes pour s’en servir avec une intelligence. La série est davantage une saga familiale qu’un récit de fantastique (même s’il est fondamental au déroulement) et l’histoire est archi-classique, mais la production est absolument irréprochable. Les trois époques prennent vie à travers un intelligent jeu de décors et de colorimétrie et on se prend à s’émouvoir des drames familiaux traversés aux trois époques. C’est très classique, mais c’est exécuté avec intelligence et cœur, et donc – à condition d’être sensible au format de la saga familiale et de ne pas chercher un fantastique très poussé – cela fonctionne très bien.

Trepalium (SF)

Production : Arte.

Le pitch : Dans un monde dévolu toujours davantage à l’hypercapitalisme, le chômage atteint les 80%. Les « actifs » sont littéralement esclaves de leur entreprise et se livrent une guerre incessante de performance et de productivité, au sein d’une ville située derrière un mur qui les sépare d’une immense « zone », où sont relégués ceux qui n’ont plus rien et se battent pour survivre.

Ça vaut le coup ? Trepalium oscille sans arrêt entre le brillant et l’horripilant. La série semble très consciente qu’elle descend d’une certain archétype de l’âge d’or de la SF qui mettait davantage l’accent sur une idée, souvent à travers l’opposition entre une élite déshumanisée et une foule déshéritée, et lui rend d’innombrables hommages. Les inspirations art nouveau, la technologie bizarrement rétro, l’architecture et les costumes donnent à l’ensemble une patte graphique extrêmement réussie. Malheureusement, Trepalium tient beaucoup trop à son discours de dénonciation politique du productivisme pour laisser la place à ses personnages d’exister par eux-mêmes, à son scénario de reposer sur des piliers solides… et à son spectateur de s’investir dans le récit. L’impression d’assister à un prêche domine : l’industrie c’est mal, le travail c’est l’esclavage, l’ambition rend fou, le fanatisme vous coupera des vôtres – s’adresser avec davantage de subtilité à l’intelligence du spectateur, au lieu de lui marteler ce qu’il est censé penser, aurait probablement mieux servi le propos. À mon sens, le traitement de Trepalium est hélas trop léger pour pouvoir recommander la série sans hésiter.

  1. Je laisse évidemment de côté Kaamelott, d’une part parce que tout le monde connaît, et d’autre part parce que la licence génère pour ainsi dire sa propre catégorie : c’est génial.
  2. Donc oui, ca peut rappeler Carbone modifié, mais en uniquement en surface : à l’existence du transfert près, on pourrait tout à fait se trouver en 2019.
2019-09-23T14:59:34+02:00lundi 23 septembre 2019|Fiction|6 Commentaires

Allez quoi, c’est pas si mal, Iron Fist

Best moment de la série ever.

Attention divulgâchage, on va potentiellement basher, donc ne pas lire si vous n’avez pas vu au moins jusqu’à la saison 1 de The Defenders.

Je suis ultra déçu, auguste lectorat. Je boude, je te fais la tête. Quand on a discuté des séries Marvel sur Netflix, tu m’as promis tes grands dieux qu’Iron Fist était une bouse sans nom, une purge aussi ridicule qu’insupportable. Étant lancé dans le projet insolite de me taper toutes ces séries dans l’ordre avant leur possible retrait de Netflix au service du nouveau service (heu, répétition, pardon aux Antidotes) de streaming créé par Disney, je devais forcément y arriver, après m’être enfilé (métaphoriquement, hein, ça va quoi) Daredevil (pas mal), Jessica Jones (brillant) et Luke Cage (WTF sur les bords), venait, oui, le fatidique Iron Fist et, bordel, j’avais hâte ! J’aiguisais déjà mes popcorns en me réjouissant d’un séance nanardesque en riant cruellement, car je suis comme ça, quand je suis tout seul et que personne ne me regarde.

Eh bah je suis ultra déçu, parce que j’ai pas trouvé ça aussi mauvais qu’on me l’avait promis. Alors oui, c’est sûr, la série présente beaucoup de problèmes d’écriture, de caractérisation et de thèmes. Oui, c’est assurément la plus faible des quatre. Oui, on va dire ce qui ne va pas, ne partez pas, je vous sais méchants.

Mais commençons par nous opposer (parce que je dis « nous » parce que je suis royal, c’est comme ça) à la critique la plus fréquente adressée à cette série : le personnage de Danny Rand, supposément débile comme un clou, insupportable et mal campé. Objection, Votre Honneur, disait Matt Murdock un soir qu’il remplaçait Phoenix Wright parti chez son coiffeur. Danny Rand est certes totalement inadapté au monde moderne, mais le personnage tient (à peu près) debout narrativement, en tout cas dans les premiers épisodes de la série. Il débarque d’un monastère avec un iPod première génération (THE HORROR) en étant resté figé à dix ans d’âge et un syndrome de l’abandon gros comme le complexe de Midland Circle. On peut trouver ça gonflant en fonction de ses goûts personnels, mais moi je dis : ça tient debout, ou du moins, c’est pas plus mal écrit que Mariah ou surtout Diamondback (bordel, Diamondback) dans Luke Cage, et si on a toléré les deux premiers, moi je dis, car je dis beaucoup : tu dois pouvoir accepter Danny Rand comme il est, c’est-à-dire tout bancal dedans.

Alors par contre, oui, Iron Fist (j’ai l’esprit mal tourné de ne pas pouvoir écrire ce titre ce série sans grimacer à l’intérieur ?) a trois problèmes principaux, mais bon, si tu sais ce que tu achètes, une série basée sur un comics très grand public, donc avec les ressorts du média d’origine, tu ne peux pas décemment grogner pour deux d’entre eux, ou alors uniquement si tu veux lancer une manif’ pour que tout soit du niveau de Jessica Jones (brillant, superbement écrit, intelligemment symbolique, mais on en parlera peut-être un autre jour) et là je suis d’accord avec toi, mec ou nana, mais en même temps c’est pas la même dialectique, en fait. Bref : on est dans la tradition hollywoodienne très grand public.

Donc, les ressorts : l’écriture, le scénario, le traitement (les thèmes).

L’écriture. Bon, c’est pas compliqué, Danny Rand a visiblement trois phrases à son répertoire : « I’m fine », « We need to attack now », « We’re running out of time ». C’est presque risible quand on passe à The Defenders, ou au début, chaque personnage paraît directement découpé de son univers / série d’origine : Murdock, Cage et Jones sont égaux à eux-mêmes voire meilleurs, mais tu vois Danny Rand, et là tu ne peux que te dire : « wouah, mon pauvre, t’es toujours aussi mal écrit, toi ». Mais après, tu te rappelles ce que tu regardes : une série fondée sur un comics très grand public, et est-ce que tu peux en vouloir au média de s’exprimer ainsi ? Y a un méchant, faut aller le tataner, vite parce que New York est en danger. On est dans une situation finalement assez paradoxale et agréable : certaines productions dérivées de comics nous ont habitués à une vraie qualité dépassant les attentes (le premier Iron ManJessica Jones) et forcément, maintenant, on en veut davantage. Eeeeh ouais. C’est assurément une bonne chose. Mais quand l’écriture est « seulement » fidèle à des récits vieux de plusieurs décennies et originellement plutôt destinés à un public adolescent, du coup ça dépare un peu. Problème de narration ou de structure ? Je laisse le jury décider.

Le scénario. Manquerait pas grand-chose, mais les méchants de cet univers, Madame Gao et Bakuto en tête, paraissent un peu parachutés dans tous les sens juste pour donner l’opposition nécessaire au gentil du moment, et amener le coup de théâtre qui va bien pour sauver la situation / la retourner / donner l’information cruciale (rayez la mention inutile). Madame Gao n’aime pas Nobu. Nobu fait partie de The Hand. Attendez, Gao aussi. Ah bon ? Bakuto est chelou, mais bon, il a l’air sympa. Il emprisonne Gao. Donc c’est un copain. Attends, il est de The Hand aussi ? Et ils veulent quoi, en vrai ? Distribuer de la came ? Pour faire des sous ? DANS QUEL BUT ? Et tout ça passe sans rétribution autre que des menaces vagues (dans The Defenders, on apprend qu’ils passent leur vie à s’assassiner mutuellement, faut bien passer le temps quand on est immortel, j’imagine). Comment cette organisation a-t-elle tenu aussi longtemps avec tant de rivalités ? Mais là aussi, on est dans les règles du genre : les méchants sont tellement méchants qu’ils préfèrent céder à la méchanceté qu’à l’intelligence. Ça tient un peu du grand-guignolesque à la longue – une série comme Alias, qui jouait de ces ficelles PLUSIEURS FOIS par épisode, s’en moquait tellement à force que c’en était réjouissant et méta ; on pourrait arguer qu’il manque cette intelligence à cet univers, mais bon, encore une fois, c’est vouloir Jessica Jones à chaque fois, et pour ça je suis d’accord, dans l’absolu, hein, mais je trouve que nous ne pouvons pas être tellement plus royalistes que le roi, même en disant « nous ».

Traitement et thèmes. Là, par contre, c’est le vrai problème à mon sens en 2018. On ne peut pas faire grand-chose à l’histoire de Danny Rand, mais ça fleure quand même un peu l’appropriation culturelle : c’est l’histoire d’un blanc blondinet qui débarque dans un monastère tibétain et qui fait tout mieux que tout les locaux et obtient leur pouvoir suprême. Ça fait un peu « j’y arrive parce que je suis blanc et riche », et ça aurait pu être évité avec une écriture un peu plus maligne, en ne faisant peut-être pas tant reposer Danny le fait qu’il était juste plus têtu que les autres, ainsi que sur sa cosmoénergie et son septième sens qu’il déploie quand il est suffisamment colère (parce que ça fait vraiment ça, sérieux)… Ce n’est pas du tout le premier récit de l’histoire de la narration à faire ça, on est d’accord, mais on est en 2018, pas en 1988 où l’on commençait à se demander si l’idée d’avoir un blanc qui donne des leçons aux locaux ne rappellerait peut-être pas un chti peu le colonialisme.

On pourrait aussi parler du traitement des femmes désagréablement maladroit après Jessica Jones. Colleen Wing, une femme indépendante, une guerrière loyale et solide se transforme peu à peu en princesse Disney à mesure qu’elle côtoie Danny, à qui il donne d’ailleurs peu à peu des cours d’arts martiaux comme à une grosse noob alors que la relation partait au début sur un agréable terrain égalitaire. Joy Meachum, femme d’affaires solitaire et impitoyable, fond comme du sucre à la réapparition de Danny et si le vide psychologique de l’absence familiale est abordé, ça n’est jamais traité avec finesse ; les actes de compassion et de chaleur envers Danny sont plutôt mis sur le compte de son caractère, parce que c’est une gonzesse, tu comprends, et une gonzesse, c’est forcément fragile. (Dans le genre, Jeri Hogarth tient bien mieux debout.) Et Davos (qui n’a pas inventé les Daleks, pourtant), qui devient méchant alors qu’il n’a quand même pas l’air bien Américain comme il faut, on en parle ? (La série joue même clairement là-dessus à son apparition quand il fait des shurikens en papier d’alu – d’ailleurs pardon, mais un peu lol quand même – me dites pas qu’il ne fait pas tueur envoyé par Al-Qaïda, parce que ça me paraît clairement l’intention qu’on cherche à faire passer au spectateur.) Tout ça, c’est quand même pas très adroit.

Entendons-nous bien, auguste lectorat : je ne suis pas en train de dire que l’histoire de Danny Rand ne peut plus être racontée en 2018 ; que Joy Meachum n’a pas la latitude pour avoir une psychologie faible ; mais que, quand on s’aventure sur ces terrains, de nos jours, c’est rendre hommage à son public comme à son époque d’essayer de faire spécialement gaffe au traitement. Colleen donne un peu l’impression de s’effondrer non pas parce que l’organisation qui l’a élevée et a construit sa vision du monde est finalement maléfique (vu son endoctrinement, à part la trahison de Bakuto, elle a finalement assez peu d’éléments pour se ranger pleinement du côté de Danny), mais parce que l’amûûûûr a frappé son petit cœur et que pfiou elle sait plus trop quoi penser et que mon chéri a forcément raison. Ça aurait été bien si ça avait été un peu plus subtil que ça, si les personnages avaient tenu debout par eux-mêmes, en explorant davantage leurs forces et faiblesses en tant qu’individus, au lieu de tous se rattacher à Danny (qui dérive déjà lui-même comme un radeau sans amarres, alors on est mal).

Ward Meachum à la rescousse. Quand soudain, un inconnu vous offre des fleurs. Je vais te confier, auguste lectorat, pourquoi j’ai finalement passé un agréable moment avec Iron Fist (non, sérieux, ce nom, y a que moi qui… ?) : Ward Meachum. Ce personnage de fils, pas brillant et cornaqué par un père abusif et immortel dans l’ombre m’a semblé, pour le coup, tout droit sorti de Jessica Jones pour sa finesse psychologique et son côté torturé. Trop moyen de partout pour se débrouiller tout seul, dissimulant sa terreur et son manque d’assurance sous une allure gominée presque plastifiée, même pas foutu d’être authentiquement salaud quand il essaie de repousser sa sœur pour son bien, cherchant désespérément à quitter tout ce qu’il a bâti et sombrant dans la came, jusqu’au parricide symbolique (et inutile), son trajet m’a absolument fasciné, et la paire avec le père (arf) fonctionne particulièrement bien. Tom Pelphrey, l’acteur, me semble assurément le meilleur de toute cette série, presque au niveau d’un David Tennant (de son côté presque sous-exploité, d’ailleurs) alors que c’est un rôle secondaire, et je n’ai vécu que pour suivre son parcours : même trois minutes du naufrage terriblement humain de Ward Meachum dans ce monde de cinglés, j’étais content. Et je regarderai la saison 2 d’Iron Fist rien que pour lui, et pour voir si des mèches se rebellent dans sa coupe impeccable. Mais je crains que son fil narratif, avec la mort du père, n’ait touché à sa fin.

Donc voilà, et maintenant j’attaque The Punisher, dont tout le monde m’a dit un bien suprême, et selon toute logique, je dois en déduire que je ne vais pas aimer et vous détester encore plus, hein ? (Maiiiis non, je sais que c’est bien.)

2018-09-23T22:47:52+02:00mercredi 26 septembre 2018|Fiction|14 Commentaires

Y a-t-il un ghost dans le film ?

Ghost in the Shell, c’est LA référence du cyberpunk – on serait tenté de dire même du post-cyberpunk, puisque l’œuvre traverse allègrement les âges sans rester ancrée dans la fin des années 1980 qui l’a vue naître (une des caractéristiques sur laquelle certains critiques définissent, et bornent à présent le genre). À ce jour, peu (voire aucun) de récits ont traité avec une telle profondeur et une telle totalité l’évolution de l’humanité dans le cadre de sa fusion avec la machine, abordant avant tout la transcendance (notamment à travers la notion de ghost, qui définit l’humain), mais aussi la politique internationale (dans la série Stand Alone Complex) et la vie privée. Ghost in the Shell, c’est un monument, et quand l’annonce d’une adaptation en prise de vues réelles a été annoncée sérieusement en 2008 (après une rumeur tenace impliquant que James Cameron s’y collerait au tournant des années 2000), on était en droit de frémir.

L’œuvre d’origine est foisonnante, profonde, visionnaire et carrément métaphysique par moments – comment cela allait-il résister à la moulinette d’Hollywood ?

Cette adaptation retrouve le futur proche où la cybernétique est reine. Mira Killian a été sauvée d’une noyade mortelle par Hanka Robotics et cybernétisée totalement : seul son cerveau survit dans un corps augmenté. Elle travaille pour la Section 9 du gouvernement, un groupe d’intervention anti-terroriste semi-secret avec une immense latitude de moyens. Or, un certain cyber-hacker nommé Kuze s’en prend aux hauts responsables d’Hanka ; Mira Killian, devenue le Major, apprendra les secrets de ses origines et de sa fabrication à travers une enquête qui la conduira aux plus hauts échelons de la compagnie.

Là où cette adaptation est une réussite incontestable, c’est dans le domaine visuel. La Hong-Kong ? Tokyo1 ? du futur est impressionnante, avec ses tours démesurées, des hologrammes publicitaires de dizaines de mètres de hauteur. On serait quand même tenté de glisser que le film n’invente rien (Blade Runner est passé par là il y a 35 ans), mais l’aspect poisseux, bondé, interlope de ce futur sombre va un cran plus loin que tout ce qu’on a pu voir. Plus impressionnant à mon sens, c’est la fidélité aux personnages : on a amplement critiqué le fait de donner à une Occidentale (Scarlett Johansson) le rôle d’une Asiatique, mais il faut avouer qu’elle est parfaite dans le rôle du Major (au moins sur le plan de l’esthétique), dans ses poses et son jeu toujours à la limite de l’uncanny valley. (Même si un peu trop sérieuse, mais c’est le scénario qui veut ça – voir plus bas.) Takeshi Kitano en Aramaki est un délice, coupe de cheveux improbable incluse (et parle en japonais dans le texte), et Batô (joué par Pilou Asbæk) est splendide, même si son rôle est un peu mineur. Le film montre résolument les corps cybernétiques en construction, réparation, etc. ce qui suscite bien cette étrange distance avec la chair mise en avant notamment dans le premier long-métrage de 1995, et les scènes d’action sont impressionnantes – comme on est en droit de l’attendre en 2017.

Si je commence par là, auguste lectorat, c’est que tu te doutes qu’il y a un « mais ». Le « mais », et il est de taille, et il est fort regrettable quand on dispose d’un matériau aussi puissant que Ghost in the Shell, c’est le scénario. Avec cette toile de fond magnifique, ces concepts passionnants comme le ghost dans la trousse à outils, le film ne nous pond qu’une histoire des origines du Major totalement convenue vue et revue y compris hors science-fiction (coucou, Jason Bourne), et dont le spectateur un tant soit peu réveillé (et surtout le passionné par la licence, qui a déjà navigué sur des mers conceptuelles autrement plus audacieuses) aura vu venir la fin à douze kilomètres. Que dis-je, la seule bande-annonce (« où suis-je, qui suis-je, que m’ont-ils volé ») suffit à comprendre ce qu’il en sera. Sur ce plan, le premier Matrix (qui a déjà… 18 ans) frappait cent fois plus fort et plus juste.

Et c’est là qu’on entre dans des choix qui deviennent franchement incompréhensibles et qui poussent sincèrement à s’interroger sur les forces présidant à la narration dans l’industrie cinématographique aujourd’hui. Ce film avait à sa disposition plusieurs épais manga, quatre longs métrages, trois séries télévisées pour puiser concepts et histoire : et le réalisateur / les scénaristes ont indubitablement fait leur boulot de recherche. On ne compte plus les scènes culte reprises verbatim du premier long-métrage : la construction du corps cybernétique du Major ; sa plongée dans le vide du haut du gratte-ciel ; le combat dans l’eau en camouflage optique (repris à l’identique ou presque) ; la plongée dans le port et j’en passe. Jusqu’à des plans entiers, comme l’envol d’oiseaux / le passage de l’avion vus dans le ciel depuis une rue étroite des quartiers populaires ou la sémantique des reflets, mais hélas, tout cela se trouve tiré hors contexte et sans la force symbolique de base, et sonne comme un simple décalque non compris. Le jeu avion / oiseau traite de l’évolution du biologique vers le mécanique, mais l’ordre est bêtement inversé dans ce film et ça ne signifie plus rien ; à la base, le jeu sur l’image vient du fait que le Major est, du moins sur l’apparence extérieure, un modèle courant et donc peut croiser ses propres copies dans la rue, d’où la signification du miroir. Or, si le Major, dans cette version, est unique en son genre, l’image perd son sens…

Le fan service est également omniprésent : les interfaces informatiques en cercles viennent directement des représentations de la matrice de Stand Alone Complex ; on trouve parmi les chiens errants un basset, le chien favori de Mamoru Oshii qu’il colle dans tous ses films dont, notamment, le premier long-métrage de 19952 ; le dactylographe fou à vingt doigts fait une apparition éclair ; on a un Saito (le sniper apparu dans Stand Alone Complex) qui a droit à une ou deux secondes à l’écran ; le thème immortel de Kenji Kawai (UTA) fait son apparition…

Et tout ça pour… pour… une origin story totalement Batô (alors là, pardon, mais ça fait vingt-cinq ans que je rêve de la caser).

Pourquoi, grands dieux, avoir repris l’esthétique, les codes (sans forcément tous les comprendre), des scènes entières du premier film, et n’avoir pas calqué le scénario – encore puissant aujourd’hui – du premier long-métrage3 ? Trop « audacieux » pour les pontes du cinéma ? Quand comprendront-ils qu’à jouer la prudence – sur une licence éprouvée depuis bientôt trente ans, grands dieux ! – ils ne conduiront au mieux qu’à des résultats tièdes ? Je suis sûr qu’un jour, quelqu’un sur YouTube va remixer toutes ces scènes esthétiquement bluffantes et coller dessus les dialogues du film de 1995…

Bon, je coupe court aux diatribes4, mais sincèrement, que reste-t-il de cette adaptation ?

Passées les cinq premières minutes qui feront s’exclamer « WHAT THE PINNIPÈDE ? » au connaisseur de la licence, avec l’avertissement qu’il ne faut pas en attendre un « vrai » scénario à la Ghost in the Shell, on passe un moment correct. L’aficionado que je suis a éprouvé un plaisir sincère à voir, tournées en images réelles, toutes ces scènes devenues mythiques. Mais l’impression de creux, de manque, restera, y compris à celui ou celle qui découvre l’univers. On sait depuis longtemps que l’univers de Ghost in the Shell fonctionne un peu comme une licence de comics : les récits ne se succèdent pas forcément, il s’agit plutôt de versions parallèles reliées par les mêmes personnages et les mêmes problématiques. Dans ce cadre, ce film forme un récit parallèle de plus, probablement le plus impressionnant visuellement, et l’un des moins profonds conceptuellement. (Mais après tout, comparé au globiboulga du manga Man-Machine Interface, ce film ne s’en sort pas si mal.)

Des images plein les mirettes, avec l’enthousiasme de retrouver cet univers que j’adule, une fois sorti de la salle, je n’avais qu’une seule envie, me remettre devant le film de 1995 pour retrouver justement toutes ces scènes, mais AVEC la profondeur.

 

  1. Probablement Tokyo, vu qu’un morceau de la bande-originale fait référence au quartier d’Aokigahara, même si Ghost in the Shell se déroule classiquement dans une ville inspirée de Hong-Kong et que l’esthétique du film y correspond davantage.
  2. Et aussi, notamment, Avalon.
  3. L’arc narratif du Marionnettiste, bien sûr.
  4. Il faudrait encore parler de l’attitude sous-jacente des œuvres respectives vis-à-vis du transhumanisme, le film jouant plutôt la carte de l’angoisse de la transformation alors que toutes les versions précédentes jouaient, au pire, celle de l’inquiétante étrangeté, mais exhibaient plus souvent un sincère positivisme – mais je pense qu’il y aurait là carrément matière à un article universitaire…
2017-04-18T16:52:08+02:00mardi 18 avril 2017|Fiction|12 Commentaires

Tigre et Dragon 2 : reprise de voler

crouching-tiger-hidden-dragon-2-sword-destiny-posterOh, une chronique de film, ça faisait longtemps1.

Or doncques, la nouvelle ait gentiment fait frémir le monde du film de sabre : la suite du succès planétaire Tigre et Dragon allait être produite par Netflix et sortir exclusivement sur la plate-forme de diffusion en ligne de l’Américain. C’est chose faite depuis vendredi, et alors : ça vaut le coup ?

Longtemps après les événements du premier film, Shu Lien (jouée par Michelle Yeoh, l’héroïne du premier volet) se rend à la maison Té pour les funérailles de son patriarche. Or, la maison est dépositaire de la légendaire épée Destinée, que veut s’approprier le maître maléfique de clan du Lotus de l’Ouest, Hades Dai. La défense s’organise…

… et je peux m’arrêter là pour le pitch, en fait. Méchant très méchant (il s’appelle Hades, c’est donc écrit dessus, et en plus il est chauve) veut l’Arme Ultime, et faut pas. Wala. Même si ce qui prime dans le film de sabre moderne, c’est l’esthétique, les chorégraphies, on peut regretter un peu la minceur de l’argument ; néanmoins, on joue rapidement le jeu, car ce second volet assure un quasi sans faute sur le plan graphique. Si le premier Tigre et Dragon avait pour ainsi dire apporté l’esthétique du film de sabre au grand public occidental, ce second volet la pousse plus loin (mais c’est nécessaire, car 16 ans ont passé) et offre de très jolies trouvailles, comme un affrontement au milieu de porcelaines qui doit se dérouler dans le silence au risque de réveiller la maisonnée ou un superbe duel nocturne sur un lac gelé. On se situe dans l’excellente moyenne de ce qu’on est en droit d’attendre en 2016 au niveau de la créativité et des moyens. 

Viennent même se greffer par-dessus un personnage aux allégeances ambiguës, le retour d’un autre qui incarne un passé révolu, un quatuor de personnages secondaires avec des personnalités attachantes (presque davantage que leurs styles de combat ; on en vient à regretter qu’ils soient finalement si secondaires) et quelques dilemmes moraux qui cherchent à donner une épaisseur au scénario (sans toutefois y parvenir totalement). Michelle Yeoh et Donnie Yen sont égaux à eux-mêmes – convaincants – et on retrouve avec grand plaisir cette Chine mythique et romancée. Même si l’on voit venir les revirements bien à l’avance, le plaisir est au rendez-vous simplement parce que le film capitalise entièrement sur son action – et avec succès.

Ce Tigre et Dragon 2 sait donc ce qu’il est – un film de sabre – l’assume totalement, reste dans les codes, et remplit le contrat. Bien sûr, il ne provoquera pas le même choc qu’à la sortie de son ancêtre – le film de sabre a été découvert depuis longtemps dans nos contrées, Hollywood en a partiellement assimilé l’esthétique – et son relatif manque d’ambition scénaristique le prive d’un souffle épique qui l’aurait hissé à la hauteur du génie visuel et poétique d’un Hero où la simplicité narrative tenait rôle d’épure. Ce n’est donc pas un chef-d’oeuvre, mais une suite qui ne fait pas honte à son ancêtre, et se montre donc entièrement recommandable. 

  1. Ce n’est pas une faute dans le titre de l’article mais une blague, hein…
2016-03-10T10:16:56+01:00jeudi 10 mars 2016|Fiction|5 Commentaires

Interstellar, ou du cochon ?

Vous avez entendu les critiques, les avis tranchés, dithyrambiques ou blasés, et vous ne savez pas encore s’il faut y aller, ni même quoi penser, car les goûts de vos amis, d’habitude si faciles à cerner, semblent s’emmêler les pinceaux, se contredire par rapport aux référentiels habituels. N’ayez crainte ! J’arrive, et je vous dis tout ce qu’il faut penser sur Interstellar, et ce sans une once de modestie ni de spoilers.

Ahem, plus sérieusement…

interstellar

À moins d’avoir passé les trois derniers mois dans une caverne avec Platon, vous savez qu’Interstellar, c’est LE film ambitieux du réalisateur Christopher Nolan, connu pour Inception et les derniers Batman. (Batmen ?) Dans un Hollywood surformaté, Nolan navigue avec une aise remarquée et remarquable, mêlant avec talent effets spéciaux et scénarios plus fouillés que les standards habituels, comme en témoigne le très réussi Inception. Avec une monumentale épopée spatiale de trois heures, il est donc très attendu au tournantInterstellar sera-t-il un classique mêlant profondeur et bonne histoire ?

Le film commence dans un futur très proche, où la Terre se meurt : les fléaux environnementaux se succèdent et l’humanité a faim. Dans ce contexte de survie globale, Cooper, un ancien pilote d’essai de la NASA, tombe sur un projet spatial ultra-secret. Un trou de ver, conduisant à une autre galaxie et à des planètes potentiellement habitables, a été découvert en orbite de Saturne. Il faut y envoyer un équipage réduit pour chercher une planète candidate à la colonisation humaine, mais avec les effets de dilatation temporelle dus à la relativité, il pourrait bien s’agir d’un voyage sans retour. Cooper, déchiré entre l’appel des étoiles et l’attachement à ses enfants, finira par partir pour le plus vaste inconnu qui soit.

Interstellar connaît son ascendance, c’est visible, mais ne se contente pas de l’hommage : il y a une réelle volonté de pousser plus loin le film d’exploration spatiale prospective que le monument 2001, l’Odyssée de l’Espace, et ce en se fondant sur le savoir astrophysique, les problématiques et les moyens cinématographiques des années 2010 (odyssée deux ?). Les accords d’orgue prolongés de Hans Zimmer ramènent à Strauss, les robots assistant l’équipage rappellent régulièrement que leur obéissance est absolue (histoire qu’on ne craigne pas une resucée d’HAL 9000). Et c’est clairement sur le niveau visuel, sur la grandiloquence et la splendeur des plans spatiaux, sur leur lenteur (relative, nous sommes au XXIe siècle) et leur vraisemblance (pas de bruits dans l’espace ; tous les corps sont physiquement isolés) qu’Interstellar est le plus réussi. Le vertige de l’immensité spatiale, son hostilité, sa froideur, les distances incommensurables que l’univers met en jeu, tout est palpable pour le spectateur, le prend aux tripes, le colle à son siège, le déracine de ses repères familiers et il peut entendre un écho de ses propres pensées quand l’un des explorateurs déclare en tremblant : « nous ne sommes pas faits pour venir ici. » Sense of wonder, vertige cognitif, Interstellar est un bijou de ce point de vue ; et très peu de films y sont parvenus avec un tel brio (il faut dire qu’ils sont rares à s’y être essayés).

La production martèle qu’un astrophysicien, Kip Thorne, a été associé à l’écriture afin de proposer une représentation aussi réaliste que possible des phénomènes dépeints (trou de ver, trou noir) et de garantir la fidélité à la relativité générale, notamment aux effets de dilatation temporelle dus à l’accélération d’un corps1. Oui, c’est (globalement) cohérent, mais de là à qualifier Interstellar de hard science comme je l’ai vu ici ou là, il ne faut pas pousser, on n’est pas chez Bear ou Benford. Il faut toutefois louer l’effort de didactisme, invisible, accompli dans l’écriture, pour porter ces notions au grand public, et elles sont mises en jeu de manière assez juste. On pourrait en revanche s’interroger sur le fait que la relativité générale, une théorie âgée d’un siècle et fondamentale à notre compréhension du monde, soit aussi méconnue du grand public, au point que les critiques généralistes se renversent de l’intelligence du film.

Le trou noir du film. Grandiose, incompréhensible, presque lovecraftien.

Le trou noir du film. Grandiose, incompréhensible, presque lovecraftien.

Parce que c’est un peu là que le bât blesse. Interstellar est un beau film ; Interstellar est un film vertigineux : Interstellar est un vibrant plaidoyer pour l’exploration spatiale, en nous ramenant à la nécessité fondamentale d’explorer ce qui nous entoure (et peut-être de sauver notre peau en nous trouvant une planète neuve au lieu de nous éteindre bêtement sur celle que nous avons abîmée) ; rien que pour cela, il mérite un profond respect. Mais s’il y a une chose qu’Interstellar n’est pas, c’est un film intelligent.

Il n’est pas question de fustiger la potentielle vacuité des réflexions philosophiques sur la survie, sur l’amour, sur la cohésion de l’espèce, sur les impératifs évolutifs qui gouvernent encore les pulsions humaines ; il me paraîtrait bien ingrat de le faire, dès lors qu’on se rappelle qu’un film tel qu’Interstellar est avant tout une oeuvre de narration et non philosophique, et que les questions qu’il pose sont de toute façon très efficacement véhiculées par l’image et le scénario seuls. Interstellar est un film long, mais il n’est pas ampoulé par ses dialogues, par la tentative de pensée qu’il s’efforce d’introduire, et qui, bien que superficielle, tient la route. 

Interstellar patine hélas à cause de stupides erreurs narratives, de facilités et surtout d’occasions manquées qui sont regrettables quand on voit l’envergure du film par ailleurs. Sans dénaturer l’intrigue, si la production a embauché un astrophysicien pour bétonner le scénario, il aurait été judicieux d’ajouter un agronome et un océanographe. La famine subie par la Terre est soit mal expliquée, soit ne tient pas debout ; quant aux vagues hautes du plusieurs kilomètres qui traversent régulièrement une planète-océan qui semble profonde de vingt centimètres, et ce sans provoquer le moindre ressac, euh… Et passons sur la mécanique des communications dans le trou de ver qui change en fonction des exigences du scénario, des décisions parfois absurdes prises par l’équipage…

Mais admettons tout cela au nom de la volonté de l’histoire. Plus dommage, et plus décevant, alors qu’Interstellar s’efforce d’offrir une réflexion poussée sur la place de l’homme dans l’univers, les personnages qui la portent dégénèrent à grande vitesse en des clichés tout juste bons à servir d’antagonistes ponctuels, au cours d’effets narratifs qu’on sent venir à cent mètres. Tous ces astronautes, scientifiques de haut vol, triés sur le volet, volontaires pour leur mission, craquent de façon un peu trop systématique : d’accord, on a compris, l’espace, c’est grand et ça fait peur, mais il aurait été bien plus émouvant de voir ces gens lutter pour garder leur sang-froid et se fissurer peu à peu qu’exploser régulièrement comme des divas. Et là, alors que c’est une pierre angulaire du discours, c’est rageant. Et nous éviterons de regarder de trop près les dix dernières minutes, qui tiennent probablement à ce stade de la figure imposée par le cinéma moderne à gros budget, mais regrettons-les un peu quand même, discrètement, là, comme ça.

De façon plus vaste, le défaut majeur d’Interstellar est peut-être sa conclusion, sa chute, le gros PAIEMENT de la promesse narrative du début du film. Soit je deviens blasé, ou bien intellectuellement surpuissant (oui, voilà, c’est forcément ça), mais je peine à comprendre comment un spectateur vaguement attentif, et surtout passionné d’imaginaire, ne pourra pas la voir venir dès le premier quart d’heure, conclusion appuyée lourdement par des mises en place, répliques disséminées ici et là avec la subtilité d’un monolithe noir. Interstellar place le spectateur dans une drôle d’oscillation continuelle, entre « ouaaaah c’est beau, c’est grand, j’ai peur » et « ah, bon, ça y est, merci, j’ai compris depuis une heure : la suite, svp ».

Suis-je assassin ? Suis-je en train de te dire, auguste lectorat, qu’Interstellar est un gros pavé bouffi sans intérêt et que la SF vaut mieux que tout cela ?

Eh bien, certainement pas, et même tout le contraire. Interstellar est un film majeur, peut-être un futur classique – ce qu’il mérite. Mais attention, ce n’est pas un grand film, comme le sont Bienvenue à Gattaca, Blade Runner ou L’Armée des douze singes. Mais c’est un film marquant, notable, un jalon de l’histoire de la science-fiction. J’irai jusqu’à affirmer qu’on peut le désigner comme successeur au trône symbolique occupé par 2001.

Sacrilège ? 2001 était un jalon marquant, longtemps inégalé, qui a atteint le statut de culte, et donc, par là-même, considéré inégalable par beaucoup. Mais – au risque d’égratigner la statue – descendons un peu de nos piédestaux de hauts intellectuels. Franchement, sérieusement ; à sa sortie, qui a pigé la fin de 2001 ? Qui, avant que les big dumb objects comme le monolithe noir ne deviennent un trope répandu du genre, avait instantanément pigé le lien entre l’os lancé en l’air par le primate et le fondu vers le vaisseau orbital humain ? Soyons sérieux deux minutes. 2001 est un classique, une oeuvre majeure, mais nous savons tous que, quand on en parle à un non-spécialiste, il dira qu’il n’a pas très bien compris ce qu’il a vu (en termes plus ou moins châtiés). 2001 – en tout cas son dénouement – est incompréhensible sans explication de texte ou sans avoir lu le livre de Clarke. La vénération de l’oeuvre, dirais-je, découle aussi de ce plaisir d’initié : 2001 est un chef-d’oeuvre, parce que moi, je l’ai compris, et c’était tellement en avance, vous comprenez.

2001 est donc, à mon humble avis (qui me vaudra peut-être le bûcher2), une oeuvre majeure, splendide, puissante, mais aussi puissamment imparfaite.

Interstellar l’est aussi, quoique pour d’autres raisons. Interstellar pousse plus loin le vertige spatial, le réactualise, offre une oeuvre d’une grande cohérence (jusqu’à ses défauts) et présente l’immense avantage de l’intelligibilité. Ergo : allant plus loin, c’est un successeur, moderne, à la hauteur de 2001. Et un film qu’on peut montrer à quasiment n’importe qui pour parler d’espace, de l’importance de son exploration, pour le faire voyager et frémir, sans qu’il vous regarde à la fin avec un air mi-bovin mi-contrarié. Interstellar est une grande contribution à la science-fiction et à son accessibilité. C’est un film majeur. 

Mais, eh bien, cela n’en fait pas un chef-d’oeuvre pour autant. Et c’est, malgré tout, un peu dommage.

  1. Si vous n’êtes pas au top, lisez les livres de la série La Science du Disque-monde, tout y est très bien expliqué et de façon plus drôle que chez Stephen Hawking, et oui, je sais, je les ai traduits, mais c’est bien pour ça que je peux en parler.
  2. Et je rappelle, pour mémoire, ma grille de lecture critique : parte ouane, parte tou.
2014-11-14T17:02:35+01:00vendredi 14 novembre 2014|Fiction|39 Commentaires

Albator : le film (chronique sans spoilers)

albator_lefilmIl sort le 25 décembre, tout vêtu de cuir, avec un ballon de cognac, assis sur un trône qui ressemble à celui du Roi-Liche, il possède un vaisseau à la symbolique suspecte notamment dans son rapport intime à l’éperonnage, c’est bien sûr Albator (le ca-pi-taine-cor-saire-ta-dadaaa), ou Harlock en V.O.

Le film est passé en avant-première (une sacrée avant-première) aux Utopiales cette année, un superbe cadeau pour les visiteurs. Adoptant la 3D, l’image de synthèse, le format long-métrage, est-ce que cet Albator vaut le déplacement, retrouve-t-on l’esprit de la série original mis à jour au XXIe siècle, Albator est-il encore plus sombre que jamais ? (Est-ce que cet article a un sens quelconque sachant que vous irez de toute façon de le voir ?)

Tout commence sur une planète perdue, où Yama attend désespérément le passage de l’Arcadia, le mythique vaisseau du corsaire de l’espace, afin de se faire recruter à son bord. Albator est un renégat, un hors-la-loi dont la tête est mise à prix ; en effet, il s’oppose seul à la coalition Gaia, une organisation qui protège, et interdit tout accès à, la Terre. Car, au terme de son expansion dans l’univers, l’humanité, avide de retrouver ses racines, est revenue en masse vers la planète bleue, au point de s’étriper dans une guerre sans précédent afin de se l’approprier. Les hostilités n’ont pu cesser qu’avec l’instauration de la coalition Gaia, qui fait de la planète un sanctuaire interdit. Mais Albator est décidé à rendre la Terre aux siens…

Sauf que Yama comme Albator cachent bien des secrets, et ni l’un ni l’autre n’est ce qu’il prétend être.

Le facteur « wouaaaah » est définitivement présent dans cet Albator ; l’animation, les modèles sont de toute beauté (on est peut-être au-dessus de Final Fantasy : Les Créatures de l’Esprit), en particulier les scènes spatiales, qui sont à basculer de son siège en bavant d’extase. Le film réussit la prouesse de restituer le côté totalement baroque du design spatial d’Albator, en particulier l’Arcadia qui est simplement sublime, mais dans un espace dont on sent l’immensité, la froideur et l’indifférence.

Tous les personnages sont là, fidèlement restitués : l’énigmatique Miimé (Clio en VF, l’extraterrestre verte sans bouche), Kei (Nausicaa), la seconde d’Albator, Yattaran (Alfred, le gros pirate), et bien sûr Albator, plus emo que jamais, avec une grosse voix en japonais qui vous prend aux tripes pour vous murmurer : « tu as vu comme je suis classe ? » Le scénario, sans bouleverser les canons du genre (on voit venir un renversement de la fin dès les dix premières minutes), tient debout, avec des personnages doubles et un peu tourmentés, des coups de théâtre prévisibles mais espérés, et les messages d’espoir, au milieu de toute cette mort, qui vont bien. Et en même temps, c’est ce que l’on attend d’un Albator. 

Alors, Albator : le film, chef-d’oeuvre, hein ?

Eh bien… j’aimerais bien, mais non.

J’ignore si c’était dû aux sous-titres de la projection, provisoires et visiblement incomplets (à ce que j’en sais dans les passages en anglais), mais, si cet Albator adapte avec fidélité mais aussi créativité l’univers 2D des séries, il lui manque totalement deux facettes qui, à mon sens, faisaient toute la profondeur d’Albator 78. 

La première, c’est la dimension politique. Il faut revoir (si on supporte l’animation en 3 images / seconde et le dessin daté) Albator 78 aujourd’hui pour constater – avec un ahurissement certain – combien Matsumoto était subversif à l’époque. La Terre qu’il y dépeint, et qu’Albator combat, est un ramassis de politiciens véreux et incompétents plus intéressés par leur prochaine élection et la partie de golf en cours que par le sort de l’univers. La population est esclave des médias, toute pensée critique est découragée, et c’est contre ça, c’est avant tout pour restaurer une part de rêve, qu’Albator se bat. Cette dimension, assez impressionnante dans une oeuvre pour la jeunesse (et encore plus à l’époque), est parfaitement absente du film, et on regrette ce manque de profondeur, qui, pour moi, fait l’âme de l’oeuvre.

La deuxième, c’est l’ambiguïté amoureuse / sexuelle. Les rapports d’Albator avec les femmes de son équipage, Kei / Miimé sont notamment troubles1, ne sont jamais vraiment élucidés (à ma connaissance) et c’est tant mieux, parce que cela place sur le spectateur la responsabilité de toutes ses interprétations ambiguës, et cela participe du mystère du personnage. (« Heuuuu… il a bien voulu dire ça ? Ou c’est moi qui ai l’esprit mal tourné ? » se dit-on plus d’une fois devant la série.) Or, rien de tout cela dans cet Albator-là. Du statut d’icône charismatique, sombre et sexy, il devient juste une figure archétypale, à la fois trop torturée et trop tranchée moralement, et finalement trop propre. Alors okay, on voit Kei à poil faire un salto dans sa douche anti-gravité, mais WTF ? C’est LA scène de fan service du film que je n’hésiterai pas à qualifier d’honteuse et d’idiote (comme il n’était pas nécessaire, très franchement, de lui faire gagner une ou deux tailles de bonnet). Cette pauvre Kei, femme forte et volontaire dans la série, qui tient son équipage de malfrats avec fermeté et tact, ne devient guère plus dans ce film qu’une bimbo qui passe la moitié de son temps à battre des cils comme une sotte devant un Albator qui ne la calcule pas, et c’est vraiment dommage, et même rageant, d’avoir réduit le personnage ainsi.

Donc : film à revoir, peut-être avec des sous-titres définitifs. En l’état, il ne faut quand même pas bouder son plaisir. Cet Albator offrira des images à couper le souffle, un capitaine Harlock au sommet de sa badass attitude, parmi les plus belles scènes spatiales du cinéma (sense of wonder, nous sommes là), un scénario comme on l’attendait. Il vaut définitivement le coup d’être visionné sur grand écran. Mais il manque d’un tout petit supplément d’âme pour emmener avec une vraie fidélité la licence dans le XXIe siècle. On peut s’attendre à être transporté, à en prendre plein les mirettes, à repérer une foule de détails fidèlement retransmis, à s’accrocher au siège de joie en voyant l’Arcadia pour la première fois. Mais pour la transcendance, ce ne sera quand même pas, hélas, pour cette adaptation.

  1. Et même, certains dialogues avec Mayu / Stellie, la gamine qu’Albator protège dans 78, m’ont, pour le coup, notablement mis mal à l’aise.
2013-12-10T10:22:53+01:00mardi 10 décembre 2013|Fiction|21 Commentaires
Aller en haut