Question : Comment faire des textes longs ?

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Une excellente question reçue par mail, qui me parle d’autant plus qu’elle me ramène à un problème que je rencontrais il y a une petite dizaine d’années quand je cherchais à allonger mes récits au-delà de la nouvelle pour aborder le roman :

Concernant ton statut sur ton prochain livre qui va dépasser le million de signes… Je me demandais s’il y avait un truc pour parvenir à faire long ? Je constate depuis longtemps que mes romans ont une certaine tendance à la brièveté ce qui a une légère tendance à me frustrer. Atteindre péniblement les 400.000 signes pour constater que le fichu machin est lu en deux jours, c’est une scène familière. Alors est-ce que c’est une question d’affinité naturelle ? Est-ce que certains sont plutôt prédisposés au court et d’autres au long ? Ou bien est-ce simplement une question de méthode de travail ? D’expérience ?

Ma première réponse immédiate est : une histoire fait la taille qu’elle doit faire. Il n’y a pas de mérite à la longueur ; même si les gros bouquins sont prisés aujourd’hui, de Game of Thrones à Harry Potter, c’est en fait une tendance assez récente (que certains attribuent au changement des outils d’écriture, au passage à l’informatique). Les grands classiques de l’imaginaire sont dans l’ensemble des livres plutôt courts ; même Le Seigneur des Anneaux en entier fait à peu près la taille d’un volume en VO de Game of Thrones.

Donc, si l’histoire est réglée en 400 000 signes et qu’il n’y manque rien, c’est qu’elle a la bonne taille. La vitesse de lecture n’est pas fonction de l’impact laissé sur le lecteur. Des Fleurs pour Algernon ou 1984 sont de petits bouquins (par rapport aux standards actuels), pourtant ils ne laissent personne indifférent. La qualité, l’inventivité, la richesse, la profondeur priment évidemment de très, très loin sur la longueur – sinon les auteurs de nouvelles ne marqueraient jamais leurs lecteurs. Et je dirais même que voir son bouquin dévoré est un excellent signe ! C’est voir le lecteur ramer et mettre des mois à le finir qui devrait plutôt susciter l’angoisse…

Mais, pour ne pas esquiver la question – de façon purement mécanique, qu’est-ce qui fait la longueur d’un texte ? L’affinité de l’auteur, oui : sa tendance à décrire plus ou moins en détail, à imprimer un rythme plus ou moins soutenu, va jouer – et, tout simplement, son goût pour une forme ou une autre ; certains auteurs sont plus nouvellistes ou romanciers, certains sont les deux, certains se plaisent davantage dans certains formats ou d’autres. Sortir de cette zone de confort va nécessiter donc du travail (et une réelle envie ainsi qu’un peu d’introspection : pourquoi cette exploration ? Y a-t-il une réelle volonté créatrice ou bien s’agit-il juste de suivre la mode ?). Il n’y a aucun mal à faire court ou long. Personne ne reproche à Amélie Nothomb la brièveté de ses livres, cela fait partie de sa patte.

Après, si “faire plus long” cache en fait le désir de “faire plus complexe, plus ambitieux, plus épique” – alors la question est toute autre. Quand je souhaitais passer de la nouvelle au roman, et à la série (parce que j’aime les séries qui me plongent dans un univers qui m’accroche, et aussi parce que j’aime avoir la plus grande palette d’outils possible à ma disposition), la question m’est réellement apparue en ces termes : il ne s’agissait pas d’une question de longueur pure, mais d’un désir de complexité et d’ampleur, ce qui n’est pas du tout la même chose. Et n’entraîne pas du tout la même approche. Davantage de points de vue, davantage de complexité, un trajet plus long et difficile pour les personnages (qu’on parle de cheminement interne et/ou externe) entraînent mécaniquement davantage de longueur pour rendre le récit crédible. Il y a un échange constant entre longueur et complexité, entre densité et ampleur. En gardant bien à l’esprit, encore une fois, que plus complexe ou plus dense ne signifie pas nécessairement meilleur (pour le lecteur ou l’auteur). Il y a une force dans certains haïku que ne contiennent pas d’épais volumes contemporains.

La complexité entraîne aussi un risque très réel : celui de voir le projet s’effondrer sous son propre poids. De lancer trop d’assiettes en l’air et de ne pas les rattraper. De perdre des fils narratifs, d’oublier de payer des promesses narratives, et, tout simplement, de se noyer dans le projet avant de le mener à terme – sur La Messagère du Ciel, le premier tome des “Dieux sauvages”, certes, j’ai dépassé le million de signes à l’heure actuelle mais il faut considérer que j’écris 20 000 signes par jour en moyenne depuis environ quatre mois (je triche, j’y travaille à plein temps) et que j’avais une trame assez aboutie avant de commencer. Plus le projet est long, plus les risques de perdre l’élan (voire, carrément, la foi) sont importants. Et un projet inachevé, personne ne le lit jamais.

Quand j’ai attaqué La Messagère du Ciel, j’avais aussi, déjà, une trilogie complète à mon actif. Par son envergure et sa complexité, je n’aurais jamais pu attaquer un projet tel que « Les Dieux sauvages » à mes débuts1. Quand j’ai voulu passer de la nouvelle au roman il y a une petite dizaine d’années, j’ai procédé par étapes – des novellas, des projets progressivement plus vastes (sachant, encore une fois, que la qualité n’a rien à voir avec la longueur, ni même avec la complexité) – pour être capable de voir de plus en plus loin et, surtout, de me faire confiance. Les créateurs réapprennent et réinventent sans cesse leur métier : que ce soient les outils en soi (plan ou non ? notes détaillées ou pas ?), mais surtout la maturation de la personne quant à son rapport à l’écriture, à sa façon de travailler, à ce qu’elle désire explorer et comment ; trajet qui évolue toute une vie.

Tout cela pour dire quoi ? Qu’encore une fois, il n’y a pas de prime à la longueur – la seule prime concerne la satisfaction du lecteur – un lecteur hypothétique qui peut correspondre à l’œuvre en cours, qui plus est. Rallonger pour la simple satisfaction d’avoir de gros livres a toutes les chances de conduire à un projet impubliable. La longueur émerge mécaniquement du nombre d’enjeux, de l’envergure du récit, du trajet à parcourir. Ce qui nécessite un peu d’expérience et/ou bien du temps et de la motivation pour être mené à terme, mais qui, encore une fois, n’est pas forcément corrélé à la qualité. Le Vieil homme et la mer est un livre court, à la narration simple (en apparence), mais ô combien profond. Il faut parfois beaucoup d’expérience pour arriver à écrire simplement et avec concision… Mais c’est un autre débat.

Pour prolonger la question, notre podcast, Procrastination, consacre son 4e épisode à la longueur des récits et à l’importance (ou pas) de celle-ci.

  1. Et encore, rien n’est publié pour l’instant. J’en parle, mais je suis dans cet état curieux, avant la toute première lecture par qui que ce soit, où je n’ai aucune idée de la réelle valeur de mon projet – qui est peut-être nulle. On verra.
2019-06-07T22:42:10+02:00lundi 10 octobre 2016|Best Of, Technique d'écriture|6 Commentaires

La boîte à outils de l’écrivain : focus@will, l’arme secrète de la concentration

focusatwill

Je t’en ai déjà parlé dans un article précédent, auguste lectorat, et les retours d’utilisation ont été excellents parmi ce-ux-lles qui s’y sont essayé : pour ce mois-ci dans la boîte à outils de l’écrivain, je te propose de découvrir (si ce n’est pas déjà fait) focus@will.

A quoi ça sert ?

Du mal à te concentrer, auguste lectorat ? Du mal à te mettre à un projet d’envergure (genre écrire la prochaine décalogie adaptée par HBO) ou à rester focalisé dessus au lieu de vérifier des photos de chats sur Twitter ? L’écriture est un travail au long cours, comme toute pratique artistique, mais la narration peut-être plus que toute autre se nourrit de longs moments de concentration pour faire surgir les bonnes idées, pour se plonger dans l’histoire et l’atmosphère.

Focus@will apporte la (une) réponse. Se fondant sur des travaux scientifiques de haute volée, le service se propose de diffuser de la musique spécialement calibrée pour aider à la concentration. Ca a l’air d’un bullshit new-age néoproductiviste, mais ça marche.

L’idée est la suivante (autant que je puisse la résumer) : notre cerveau a évolué pour repérer les lions tapis dans les herbes hautes de la savane africaine, pas pour boucler en open space le rapport comptable de la Cogedip pour hier soir. A l’échelle évolutive, seul un clin d’œil sépare la Cogedip et la savane africaine. Il en résulte qu’une certaine périphérie de nos facultés intellectuelles reste en éveil même devant Excel, attendant que surgisse le lion (ou bien Monique de l’accueil, afin de lui proposer un café). Il est assez rare d’atteindre l’état d’immersion totale dans une tâche, état dit de flow et décrit par Mihaly Csikszentmihalyi (en savoir plus ici) (oui, je n’ai pas été capable de taper son nom, j’ai fait un copier-coller).

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Ce que fait focus@will, c’est diffuser de la musique ou des ambiances spécialement calibrées et mixées (avec un rythme de basse calme, par exemple) pour apaiser cette part toujours éveillée de nous-mêmes, en la récompensant. Elle se trouve donc non seulement occupée, mais contente, ce qui aiguise et facilite la concentration à la fois. La barrière d’entrée dans une tâche complexe s’abaisse, la durée de travail augmente, et s’instaure une dynamique vertueuse qui accélère la productivité, par exemple le nombre de pages écrit en une journée.

Au début, j’ai pensé comme tout le monde en voyant les avis éberlués et enthousiastes des utilisateurs du service : ils parlaient d’une telle révolution, d’un tel bouleversement, que j’ai cru au discours marketing bien calibré – et, en fait, tellement dithyrambique qu’il en devenait abusif.

Sauf que ça marche, du feu de dieu. J’ai ouvert mon compte d’essai gratuit, et en une semaine, je sortais sans sourciller la carte bleue pour cracher un abonnement à vie. Ce truc est le hack mental le plus impressionnant que j’aie jamais rencontré.

Comment on s’en sert ?

C’est extrêmement simple (à tel point que c’en est suspect) : le service fonctionne sur abonnement et propose un gros lecteur ultra-simpliste dans un onglet web (ou une application mobile). Un gros bouton play, un sélecteur de canal, quelques trucs en plus qu’on va voir, et c’est parti :

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C’est volontaire : vous n’êtes pas censé-e remarquer la musique qui passe. Vous êtes censé-e l’oublier au plus vite pour vous permettre de vous concentrer. Ne cherchez pas un genre qui vous plaît, le but n’est pas de faire le mélomane mais au contraire, de ne rien remarquer. Le service diffuse la musique en streaming (il faut donc une connexion Internet, navré).

focus@will propose 21 radios, proposant soit de la musique, soit des atmosphères pures (ambiance de café, bruits d’eau…). Pour chaque canal, trois niveaux d’énergie (bas / moyen / intense) sont proposés :

FAW-musicenergylevel

Quand vous ouvrez votre compte, le service vous envoie un petit questionnaire pour cerner vos habitudes et vous aider à choisir les canaux vous convenant le mieux, mais il est judicieux de les essayer un peu tous et voir ce qui correspond le mieux en fonction de vos habitudes : c’est-à-dire, ce que vous remarquez le moins et vous rend le plus efficace.

L’interface se complète d’un minuteur (pour fixer une session de travail d’une durée déterminée) et d’un bouton « skip » pour passer la piste en cours. Ce bouton sert à éliminer intégralement de la liste de lecture du service le morceau qui passe : vous ne l’aurez plus jamais. A utiliser quand, à force d’utilisation, un morceau vous rentre dans la tête et attire votre attention, ce qui est contraire à la finalité de l’outil : sortez-le donc. Pas d’inquiétude, focus@will rajoute en permanence de nouvelles pistes.

C’est à peu près tout, et ça suffit très amplement.

Quelques conseils pour maximiser l’expérience

Ne passez pas la musique trop fort. Surtout si vous êtes mélomane ou musicien-ne, vous risquez de vous intéresser davantage au son que la moyenne des utilisateurs-rices. Focus@will fonctionne au mieux quand la musique effleure votre esprit, pas quand elle y rentre de plein fouet : baissez donc le volume, potentiellement à l’excès, pour dissuader votre conscience de l’analyser.

Changez de canal. Prêtez attention à vos rythmes, à votre humeur, à votre état d’esprit et n’hésitez pas à adapter votre programmation. Par exemple, j’utilise Alpha Chill comme canal par défaut, mais, quand j’écris, j’ai besoin de choses plus texturales encore : je passe sur Ambient. J’ai souvent un petit pic de stress en milieu d’après-midi quand la journée avance, je me mets un petit coup de Up Tempo pour me calmer. Si je dois bosser le soir, bizarrement, Baroque Piano se prête bien à une atmosphère nocturne. À vous de tester et de voir.

Calquez l’énergie de la musique sur la vôtre. En gros, le réglage « énergie » va influer sur la vitesse des morceaux, mais aussi la présence des basses, et la programmation de façon générale. Petit piège contre-intuitif : ne cherchez pas à changer de force votre propre énergie avec ce réglage. Si c’est le matin et que vous avez du mal à vous réveiller, ne vous collez pas un Up Tempo en High pour vous donner un coup d’adrénaline, ça ne fonctionne pas comme ça ; calquez au contraire la programmation sur votre état, avec Alpha Chill ou Focus Spa en Low. Rappelez-vous que focus@will est fait pour vous accompagner, en s’adaptant, et suivre votre énergie du moment fonctionnera bien mieux. Vous pourrez passer à Mid un peu plus tard, une fois que le café / whisky / kérosène aura fait effet dans la matinée. Up Tempo en Mid ou en High, en revanche, est justement indiqué pour les moments de stress.

J’essaie où ?

C’est évidemment sans risque, puisqu’on peut ouvrir gratuitement un compte d’essai pour deux semaines ici. (Rappel, si vous avez aimé cet article et souhaitez soutenir le blog, n’oubliez pas de passer par mon lien, pour ces raisons.) Ensuite, focus@will demande un abonnement mensuel, ce qui peut paraître cher payé, mais essayez, et je vous assure, vous avez toutes les chances d’entrer dans la secte et de hurler à votre tour au miracle comme je le fais depuis bientôt un an.

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2019-08-28T21:36:46+02:00mercredi 14 octobre 2015|Best Of, Technique d'écriture|39 Commentaires

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