Y a-t-il un ghost dans le film ?

Ghost in the Shell, c’est LA référence du cyberpunk – on serait tenté de dire même du post-cyberpunk, puisque l’œuvre traverse allègrement les âges sans rester ancrée dans la fin des années 1980 qui l’a vue naître (une des caractéristiques sur laquelle certains critiques définissent, et bornent à présent le genre). À ce jour, peu (voire aucun) de récits ont traité avec une telle profondeur et une telle totalité l’évolution de l’humanité dans le cadre de sa fusion avec la machine, abordant avant tout la transcendance (notamment à travers la notion de ghost, qui définit l’humain), mais aussi la politique internationale (dans la série Stand Alone Complex) et la vie privée. Ghost in the Shell, c’est un monument, et quand l’annonce d’une adaptation en prise de vues réelles a été annoncée sérieusement en 2008 (après une rumeur tenace impliquant que James Cameron s’y collerait au tournant des années 2000), on était en droit de frémir.

L’œuvre d’origine est foisonnante, profonde, visionnaire et carrément métaphysique par moments – comment cela allait-il résister à la moulinette d’Hollywood ?

Cette adaptation retrouve le futur proche où la cybernétique est reine. Mira Killian a été sauvée d’une noyade mortelle par Hanka Robotics et cybernétisée totalement : seul son cerveau survit dans un corps augmenté. Elle travaille pour la Section 9 du gouvernement, un groupe d’intervention anti-terroriste semi-secret avec une immense latitude de moyens. Or, un certain cyber-hacker nommé Kuze s’en prend aux hauts responsables d’Hanka ; Mira Killian, devenue le Major, apprendra les secrets de ses origines et de sa fabrication à travers une enquête qui la conduira aux plus hauts échelons de la compagnie.

Là où cette adaptation est une réussite incontestable, c’est dans le domaine visuel. La Hong-Kong ? Tokyo1 ? du futur est impressionnante, avec ses tours démesurées, des hologrammes publicitaires de dizaines de mètres de hauteur. On serait quand même tenté de glisser que le film n’invente rien (Blade Runner est passé par là il y a 35 ans), mais l’aspect poisseux, bondé, interlope de ce futur sombre va un cran plus loin que tout ce qu’on a pu voir. Plus impressionnant à mon sens, c’est la fidélité aux personnages : on a amplement critiqué le fait de donner à une Occidentale (Scarlett Johansson) le rôle d’une Asiatique, mais il faut avouer qu’elle est parfaite dans le rôle du Major (au moins sur le plan de l’esthétique), dans ses poses et son jeu toujours à la limite de l’uncanny valley. (Même si un peu trop sérieuse, mais c’est le scénario qui veut ça – voir plus bas.) Takeshi Kitano en Aramaki est un délice, coupe de cheveux improbable incluse (et parle en japonais dans le texte), et Batô (joué par Pilou Asbæk) est splendide, même si son rôle est un peu mineur. Le film montre résolument les corps cybernétiques en construction, réparation, etc. ce qui suscite bien cette étrange distance avec la chair mise en avant notamment dans le premier long-métrage de 1995, et les scènes d’action sont impressionnantes – comme on est en droit de l’attendre en 2017.

Si je commence par là, auguste lectorat, c’est que tu te doutes qu’il y a un “mais”. Le “mais”, et il est de taille, et il est fort regrettable quand on dispose d’un matériau aussi puissant que Ghost in the Shell, c’est le scénario. Avec cette toile de fond magnifique, ces concepts passionnants comme le ghost dans la trousse à outils, le film ne nous pond qu’une histoire des origines du Major totalement convenue vue et revue y compris hors science-fiction (coucou, Jason Bourne), et dont le spectateur un tant soit peu réveillé (et surtout le passionné par la licence, qui a déjà navigué sur des mers conceptuelles autrement plus audacieuses) aura vu venir la fin à douze kilomètres. Que dis-je, la seule bande-annonce (“où suis-je, qui suis-je, que m’ont-ils volé”) suffit à comprendre ce qu’il en sera. Sur ce plan, le premier Matrix (qui a déjà… 18 ans) frappait cent fois plus fort et plus juste.

Et c’est là qu’on entre dans des choix qui deviennent franchement incompréhensibles et qui poussent sincèrement à s’interroger sur les forces présidant à la narration dans l’industrie cinématographique aujourd’hui. Ce film avait à sa disposition plusieurs épais manga, quatre longs métrages, trois séries télévisées pour puiser concepts et histoire : et le réalisateur / les scénaristes ont indubitablement fait leur boulot de recherche. On ne compte plus les scènes culte reprises verbatim du premier long-métrage : la construction du corps cybernétique du Major ; sa plongée dans le vide du haut du gratte-ciel ; le combat dans l’eau en camouflage optique (repris à l’identique ou presque) ; la plongée dans le port et j’en passe. Jusqu’à des plans entiers, comme l’envol d’oiseaux / le passage de l’avion vus dans le ciel depuis une rue étroite des quartiers populaires ou la sémantique des reflets, mais hélas, tout cela se trouve tiré hors contexte et sans la force symbolique de base, et sonne comme un simple décalque non compris. Le jeu avion / oiseau traite de l’évolution du biologique vers le mécanique, mais l’ordre est bêtement inversé dans ce film et ça ne signifie plus rien ; à la base, le jeu sur l’image vient du fait que le Major est, du moins sur l’apparence extérieure, un modèle courant et donc peut croiser ses propres copies dans la rue, d’où la signification du miroir. Or, si le Major, dans cette version, est unique en son genre, l’image perd son sens…

Le fan service est également omniprésent : les interfaces informatiques en cercles viennent directement des représentations de la matrice de Stand Alone Complex ; on trouve parmi les chiens errants un basset, le chien favori de Mamoru Oshii qu’il colle dans tous ses films dont, notamment, le premier long-métrage de 19952 ; le dactylographe fou à vingt doigts fait une apparition éclair ; on a un Saito (le sniper apparu dans Stand Alone Complex) qui a droit à une ou deux secondes à l’écran ; le thème immortel de Kenji Kawai (UTA) fait son apparition…

Et tout ça pour… pour… une origin story totalement Batô (alors là, pardon, mais ça fait vingt-cinq ans que je rêve de la caser).

Pourquoi, grands dieux, avoir repris l’esthétique, les codes (sans forcément tous les comprendre), des scènes entières du premier film, et n’avoir pas calqué le scénario – encore puissant aujourd’hui – du premier long-métrage3 ? Trop “audacieux” pour les pontes du cinéma ? Quand comprendront-ils qu’à jouer la prudence – sur une licence éprouvée depuis bientôt trente ans, grands dieux ! – ils ne conduiront au mieux qu’à des résultats tièdes ? Je suis sûr qu’un jour, quelqu’un sur YouTube va remixer toutes ces scènes esthétiquement bluffantes et coller dessus les dialogues du film de 1995…

Bon, je coupe court aux diatribes4, mais sincèrement, que reste-t-il de cette adaptation ?

Passées les cinq premières minutes qui feront s’exclamer “WHAT THE PINNIPÈDE ?” au connaisseur de la licence, avec l’avertissement qu’il ne faut pas en attendre un “vrai” scénario à la Ghost in the Shell, on passe un moment correct. L’aficionado que je suis a éprouvé un plaisir sincère à voir, tournées en images réelles, toutes ces scènes devenues mythiques. Mais l’impression de creux, de manque, restera, y compris à celui ou celle qui découvre l’univers. On sait depuis longtemps que l’univers de Ghost in the Shell fonctionne un peu comme une licence de comics : les récits ne se succèdent pas forcément, il s’agit plutôt de versions parallèles reliées par les mêmes personnages et les mêmes problématiques. Dans ce cadre, ce film forme un récit parallèle de plus, probablement le plus impressionnant visuellement, et l’un des moins profonds conceptuellement. (Mais après tout, comparé au globiboulga du manga Man-Machine Interface, ce film ne s’en sort pas si mal.)

Des images plein les mirettes, avec l’enthousiasme de retrouver cet univers que j’adule, une fois sorti de la salle, je n’avais qu’une seule envie, me remettre devant le film de 1995 pour retrouver justement toutes ces scènes, mais AVEC la profondeur.

 

  1. Probablement Tokyo, vu qu’un morceau de la bande-originale fait référence au quartier d’Aokigahara, même si Ghost in the Shell se déroule classiquement dans une ville inspirée de Hong-Kong et que l’esthétique du film y correspond davantage.
  2. Et aussi, notamment, Avalon.
  3. L’arc narratif du Marionnettiste, bien sûr.
  4. Il faudrait encore parler de l’attitude sous-jacente des œuvres respectives vis-à-vis du transhumanisme, le film jouant plutôt la carte de l’angoisse de la transformation alors que toutes les versions précédentes jouaient, au pire, celle de l’inquiétante étrangeté, mais exhibaient plus souvent un sincère positivisme – mais je pense qu’il y aurait là carrément matière à un article universitaire…
2017-04-18T16:52:08+02:00mardi 18 avril 2017|Fiction|12 Commentaires

Space Battleship : l’Ultime espoir

Ou comment faire le titre de SF le plus générique et cliché de l’histoire.

Sorti l’été dernier directement en DVD, ce Space Battleship est l’adaptation en film live de Space Battleship Yamato, manga du célébrissime Leiji Mastumoto, créateur d’Albator et Galaxy Express 999. Il y a donc de quoi s’attendre à quelque chose d’assez graphique et nerveux, et le film ne déçoit pas.

Résumé : c’est bien simple, la Terre est fichue, voilà. Space Battleship dépeint une humanité désespérée, en train de perdre une guerre contre les vicieux Gamilas, et notre planète n’est plus qu’un désert radioactif à la surface inhabitable. Même Battlestar Galactica est plus riant.

Susumu Kodai est une tête brûlée, un ancien pilote qui a quitté l’armée, et se trouve réduit à récupérer divers déchets dans le désert en scaphandre anti-radiations pour gagner sa croûte. Quand une ogive extraterrestre percute la surface juste à côté de lui, endommageant son scaphandre, il croit sa dernière heure arrivée… sauf qu’un miracle se produit. La radioactivité redescend à des niveaux normaux autour de lui. Qui plus est, l’ogive transporte les plans d’un moteur supraluminique et d’une arme nouvelle. Ainsi qu’un message : quelque part dans les étoiles, il y a du secours. Les habitants de la planète Iskandar invitent l’humanité : ils disposent de la technologie nécessaire pour soigner la planète.

La Terre lance alors un ultime effort de guerre pour construire le Yamato, le croiseur de la dernière chance, embarquant cette technologie extraterrestre mal connue afin de rallier Iskandar. Kodai reprend du service, mais il a plus d’un compte à régler, non seulement avec le capitaine du Yamato, mais aussi avec ses anciens équipiers. Talentueux mais indiscipliné, Kodai va devoir assumer son rôle de meneur pour conduire la mission du dernier espoir à bien.

La parenté entre Yamato et Battlestar Galactica est évidente, sans qu’il soit possible de dire qui a influencé qui (le manga et la série originale datant tous deux de 1978). En tout cas, le fan de BSG retrouvera sans mal un ton qu’il affectionne : Kodai ressemble à une Starbuck en plus positive et moins suicidaire, mais avec tout autant de problèmes envers la hiérarchie. Ici aussi, il est question d’avenir de l’espèce humaine, de sacrifices pour le bien commun, de reconstruction. Mais, et c’est très certainement ce qui a rebuté le public français, il y a une épaisse couche d’imagerie manga et de mélodrame à la japonaise par-dessus. Il n’y a pas de place pour la modération dans Yamato : tout le monde est toujours très énervé, très triste, très rancunier ou très discipliné – mais surtout , surtout très énervé, notamment Kodai qui a de gros problèmes de nerfs et va nous claquer un AVC à 50 piges s’il ne lève pas le pied sur la caféine (ou la coke).

Et là, forcément, comme dans nombre d’adaptations de manga (pensons à Crying Freeman), c’est simple : soit on adhère, on rentre dans le trip grandiloquent à la japonais, soit on décroche en refusant de bouger de l’esthétique occidentale. La plupart des spectateurs décrochent (Space Battleship reçoit une note moyenne de 2,1/5 chez Allociné, totalement imméritée à mon avis, même si elle s’explique). Personnellement, j’adhère à fond – VO sous-titrée obligatoire, bien sûr.

Alors oui, l’arme ultime gros canon de la mort du Yamato est manipulée sur la passerelle avec… un flingue et il convient de viser. Oui, les uniformes de vol ont l’air d’une démonstration en vinyle pour une palette Pantone. Oui, ça crie beaucoup, ça en a gros sur la patate, ça brandit le devoir et la patrie (ici, la Terre) dans tous les sens. Mais bon, je ne sais pas vous, mais si j’étais à bord du seul vaisseau à pouvoir sauver la planète traversant la galaxie vers l’inconnu, moi aussi j’aurais besoin d’un câlin.

Bret, tout ça, ça fait partie du truc, c’est le jeu : c’est une adaptation de manga. Et surtout, c’est un blockbuster qui s’assume, une sorte de transposition des grosses productions hollywoodiennes remixées par un oeil japonais.

Et c’est probablement là que réside la meilleure surprise de ce Yamato : c’est du grand spectacle, alors on s’attend à connaître le déroulé de l’intrigue, la fin, les rapports entre personnages. Sauf que non. Ce n’est pas un film américain, ça n’en a que l’emballage. Sans vendre la mèche, les relations, les coups de théâtre appartiennent à une logique narrative légèrement différente de ce dont on a l’habitude, qui s’adapte très bien à cet univers, et c’est grâce à cela que ce film parvient à créer quelques surprises et une impression durable.

En résumé, il faut voir ce Yamato en s’attendant à un film à grand spectacle et en garant à l’esprit qu’il s’agit d’une adaptation moderne d’un manga de la fin des années 70. Dans ce cas, excellent moment garanti, encore plus pour les fans de space op’. Par contre, si vous n’adhérez pas au trip et gloussez bêtement chaque fois que vous entendez une phrase en japonais, faites une faveur à tout le monde, à vous comme aux autres : passez votre chemin. Sérieusement. Et laissez les gens que ça émeut sincèrement en profiter tranquilles.

Non mais.

2012-09-13T11:35:21+02:00jeudi 13 septembre 2012|Fiction|8 Commentaires

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