Conte de méfaits : Blanche Neige et les sept nains disponibles

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Le combat qui oppose les auteurs à la loi léonine sur les oeuvres indisponibles se poursuit toujours – pour connaître les tenants et les aboutissants de ce mécontentement, le site du collectif Le Droit du Serf propose communiqués, analyses et points de vue. Mais il y a encore plus simple : ce conte noir et parfaitement didactique, comme tous les bons contes, par Ayerdhal, publié après l’annonce d’un accord au contenu secret entre Google et le Syndicat National de l’Édition.

Je vais vous narrer une histoire. Si vous ne comprenez pas tout, c’est normal, c’est une histoire vraie.

Au début, dans le merveilleux monde du livre numérique, régnait Google. Il y avait bien quelques roitelets de ci de là qui s’agitaient en vain et de manière désordonnée, mais le seul qui imposait sa loi était Google.

Un jour, de petits barons de la sous-préfecture de France s’écrièrent tous en chœur « Google, c’est le mal ! ». Nous étions en 2006 et, sous l’impulsion du baron de la Martinière, les autres barons du livre en papier, regroupés sous la bannière du SNE, bientôt rejoints par leurs gens de la société de lettres, sonnèrent la révolte et assignèrent Google en justice pour parasitisme et contrefaçon.

En effet, depuis 2005, Google numérisait à tout va des ouvrages (20 000 000) sans se soucier des droits auxquels étaient soumis lesdits, à commencer par ce qu’il est convenu d’appeler le droit d’auteur.

« Sus à l’ennemi qui spolient nos auteurs » se mirent à hurler les baronnets hexagonaux et leurs sujets, appuyés par l’État de la sous-préfecture de France car le patrimoine culturel de la patrie des nobliaux et le patrimoine tout court des baronnets étaient en danger.

Et voilà-t-y pas que les champions de l’exception hexagonale obtinrent la condamnation du grand méchant Google, qui fit évidemment appel, mais on s’en fout, c’est l’intention qui compte et il est rassurant de savoir qu’une irréductible sous-préfecture résiste encore et toujours à l’envahisseur.

Tout est bien qui finit bien.

Ah ben non, en fait, car c’est justement là qu’on n’a pas fini de se foutre de notre gueule (écrit l’auteur qui crève en moi dans un français d’une littéralité irréprochable).

Ce n’est peut-être même pas là que ça commence, mais, à moins d’une improbable trahison de Darth Vader (en hexagonal : Dark Vador), on ne saura jamais vraiment quand les baronnets et leurs gens ont entamé les tractations avec l’Empereur.

Ce qui est certain, c’est que Philippe Colombet, régent pour l’Hexagonie du côté obscur de la Force, affirme que la réflexion est poursuivie depuis deux ans, tandis que le baron Antoine Gallimard opine, prenant soin toutefois de préciser que la présentation de l’accord-cadre secret découlant de cette réflexion n’est que pur hasard avec le calendrier de la loi sur la numérisation des œuvres indisponibles du XXe siècle, découlant elle-même de l’accord-cadre tout aussi secret du 1er février 2011 entre le SNE qu’il préside, la BnF dont il est membre du conseil d’administration, Ses Gens De La société de lettres, le ministre de la culture qui l’a nommé au CA de la BnF et le Commissariat général à l’investissement.

Au risque de maculer la pureté de son noble chantre, je dirai que le hasard prend vraiment les auteurs pour des cons, et pas que les auteurs.

Pendant que les serfs que nous sommes signaient une pétition pour réclamer l’abolition de cette loi qui spolie les auteurs d’une partie de leurs droits, pendant que les fonctionnaires du ministère de la culture nous recevaient pour discuter des aberrations de l’usine à gaz qu’est ce texte, se félicitant qu’il ait vaincu le mal, nous assurant qu’ils restaient à notre écoute, les baronnets et leurs gens signaient un accord avec celui qu’ils nous désignaient comme le Grand Méchant Googlogre pour partager avec lui les bénéfices de la gabelle et de la dîme, bref le fruit de notre travail… ce même Googlogre dont les nobliaux et leurs gens se servaient pour justifier la loi inique qui découd encore un peu plus le droit d’auteur, lui substituant un droit d’éditeur et de diffuseur en multipliant les exceptions au Code de la propriété intellectuelle, ne nous laissant bientôt plus pour tout ou partie de notre œuvre que ce que le baron Gallimard a osé appeler droit de retrait en le qualifiant d’inaliénable.

Pour ce qui est de l’inaliénabilité, Baron, grâce à vous et aux arrangements qui vous font remodeler le Code de la propriété intellectuelle au gré de vos valeurs et besoins industriels, avec le soutien incompréhensible de vos gens de lettres et du ministère auquel nous ressortissons, il y a longtemps que nous avons appris la relativité et la volatilité.

La morale de cette fable, messieurs les baronnets, sieur baron, messire le régent, valets qui confondez culture et industrie culturelle, c’est qu’il est temps de vous rappeler que, petits serfs qu’ils sont, ce sont les auteurs qui écrivent les livres.

Et, s’il en fallait une seconde, puisque, les uns comme les autres, vous venez de nous désigner un nouveau grand méchant loup, avec un nom de guerrière, de fleuve ou de forêt, et que nous avons bien retenu la leçon que vous nous avez donnée, c’est peut-être vers lui que nous devrions songer à nous tourner.

Ayerdhal

La pétition est toujours en ligne à cette adresse.