J’étais parti pour faire une entrée de blog sympa, et tout, m’efforçant de me tenir à mon rythme minimum d’un article par semaine. Promis, ça aurait été super génial, y aurait eu des images, et puis des blagues nulles, et puis des infos. Sauf que.
Sauf que j’avais commencé par prendre des notes sur l’affaire Polanski et la nécessité de considérer que toute morale reste subjective, quelle que soit l’ignominie d’un crime. Que les lois qu’une société fixe ne sont pas des impératifs moraux suprêmes (comme on semble beaucoup le penser à écouter et lire les réactions), mais des choix volontaires, ce qui, à mon sens, permet de les affirmer avec encore plus de force et d’intelligence. Et puis voilà que la fille du condamné pour banalisation de crimes contre l’humanité (excusez du peu) s’est mise à accuser le ministre de tout un tas de trucs atroces. Le centre de l’affaire s’est déplacé, mon argumentation sent le réchauffé et n’a plus de rapport avec la choucroute : je la balance.
Je me suis mis à penser à faire un bilan de la nouvelle mouture du site sur les six mois passés, à vous présenter mes projets pour continuer à l’améliorer, et puis, je me suis dit, autant commencer par faire la petite rénovation que je projette depuis un mois ou deux d’abord et vous demander votre avis dessus avant de continuer. Du coup, plus rien à dire : faut commencer par faire.
J’avais fini par me rédiger à moi-même une lettre de réclamation scandalisée signée de l’Office de la Langue Asrienne, lequel se serait plaint que je n’aurais pas respecté scrupuleusement dans ma dernière entrée les règles de translittération en réalisant mon fac-similé des plaques trouvées sur les flancs des cuirassés et chars à cristaux, lesquelles portent la devise impériale. Le « e » du verbe Cayléann porte-t-il un accent ? (C’est vrai, quoi, c’est vachement important, non ? Si si, je vous assure, si je ne pas prête attention à chaque détail, comment puis-je espérer être cohérent sur le récit à vaste échelle ? Hein ? Hein ? Lââââchez-moi je ne veux pas retourner dans la cellule avec les matelas aux murs au secours)
Et puis j’ai revérifié mes notes grammaticales. C’est que, vous voyez, en asrien, la règle dicte que toute voyelle suivant un « l » est fermée. Or, le « e » de Cayléann est ouvert. L’accent signale donc correctement l’irrégularité du verbe. Je ne m’étais pas planté. Encore une entrée de blog qui s’envole, et on est déjà mardi soir.
Dehors, il fait froid.
La grammaire asrienne ? M’en parlez pas mon brave monsieur ! Elle est terriblement compliquée. Surtout l’emploi des accents, je suis bien d’accord 😉
Mon Dieu.
J’ai un peu peur, maintenant.
Nan mais faut pas. Il se trouve que la langue est simplement un excellent outil pour créer une culture – pourquoi les gens s’expriment d’une façon donnée, ce que cela nous apprend sur leur vision du monde et leur histoire – et, au fil de ces questions, cela m’a juste amusé de la développer vraiment entre moi et moi-même. Mais je ne l’imposerai à personne (pas de chansons en asrien dans le texte toutes les dix pages, promis).
Cela dit, elle est effectivement assez compliquée. 😉
Oui, c’est très vrai et très intéressant ce que tu dis. Fiction mise à part, je pense souvent que les différences de « mentalités » d’un peuple à l’autre sont *aussi* (pas seulement) provoquées par la langue. Je pense que la pensée est moulée par le langage, en quelque sorte. Pour prendre l’exemple de l’anglais et du français, on ne peut pas penser de la même manière quand on ne met pas les mots dans le même ordre ! Et quand les jeux de mots ne sont pas les mêmes, on n’a pas tout à fait le même humour. Enfin, je crois…
Qu’en dites-vous monsieur l’auteur-traducteur ?
Question supplémentaire pour ma vieille interview : le fait d’être traducteur vous donne-t-il envie de créer des langages ? De la traduction à la philologie, de la linguistique à la création de langues…
Mais tout à fait d’accord avec toi Lucie. 🙂 En revanche, je dirais que les différences sont un peu plus insidieuses et moins mécaniques que ça, mais elles colorent clairement la vision qu’on a du monde.
Pour comparer l’anglais et le français, le français est une langue beaucoup plus « exacte » et précise dans son vocabulaire, alors que les significations des mots anglais sont moins fermement délimitées. Résultat, l’anglais est forcé de préciser beaucoup de détails dont on se passe sans aucun mal en français et qui, à la traduction par exemple, basculent dans le hors texte, car elles sont automatiquement déduites par le lecteur. Le japonais repose énormément sur le contexte pour tirer le sens de mots parfois très anodins. Tout cela entraîne certainement une façon de voir le monde, mais ce n’est pas un filtre très marqué non plus, cela relève plutôt des subtiles différences culturelles, du parfum d’étranger.
En fait, je crois que ça m’a toujours amusé ; quand j’étais ado et que je créais de vagues jeux de rôle, je m’efforçais toujours de respecter une certaine cohérence phonétique dans les univers dont il était question. Et puis j’ai jeté les bases de l’asrien il y a une dizaine d’années, soit un an avant de commencer mon activité de traduction, donc je ne pense pas qu’il y ait un rapport de cause à effet – ou, alors, dans l’autre sens 🙂
En revanche, la traduction a clairement aiguisé mon envie de jouer avec les mots et m’a beaucoup aidé à « voir sous le capot ». Surtout, cela m’a encore plus sensibilisé à l’impératif de vraisemblance des constructions linguistiques et à quel point on a une vision du monde différente quand on parle une autre langue. Or, je pense que la construction de cultures cohérentes et crédibles est une part importante des littératures de l’imaginaire. Je plaisantais l’autre jour sur Facebook en disant que j’en avais marre de croiser de la fantasy avec des elfes appelés Moonglitter et Silversword qui vont vaincre le vilain seigneur maléfique Darken Dark Darker dans sa forteresse maléfique de Kor’gork dans la lande de Grük. 🙂
Je dois quand même préciser que si la théorie est intéressante, je n’ai pas forcément envie d’en avaler des tonnes pour ces jeux de création, je préfère y aller à l’intuition et à l’envie – dans le cadre de l’écriture, ce sont seulement des jeux, des outils d’exploration où on a tôt fait de se perdre, alors qu’il ne faut pas oublier le plus important : l’histoire qu’on raconte !
(Pour info, l’interview à laquelle fait référence Lucie est ici. Pfouh, c’était déjà en 2003 ?)
Oui, 2003, ça ne nous rajeunit pas, tout ça ;-D