Je suis arrivé à New Quay à la mi-juillet par un temps traditionnel gallois, qui est également le temps traditionnel breton : une bonne pluie froide sous un ciel plombé, mais qui laisse néanmoins filtrer l’éclat du soleil d’été. La plupart des touristes, sur la côte d’Émeraude, détestent ; nous, locaux, aimons, car c’est aussi cela qui fait le caractère de la région, ces gouttes claires et lourdes semblables aux sources qui ont sculpté les reliefs des côtes.

Le pays de Galles, c’est aussi ça.

Je suis descendu du bus sur une place minuscule, légèrement perdu, avec une simple copie d’écran imprimée de Google Maps en poche pour trouver l’endroit. Tournant à droite, descendant une allée pentue entre des maisons colorées, elle m’a sauté directement au visage :

La mer.

New Quay est un petit village de 500 habitants accroché à flanc de colline. Quatre rues à peine s’y étagent, parallèles, à peine reliées par des chemins abrupts. L’hiver, il n’y a personne ; New Quay est pour ainsi dire moribond, m’a confié à grands renforts de fuck A., un des marins en service sur les navires de dolphin-watching, activité qui constitue une part importante de l’économie locale. « Tu vois le village ? Tu vois la moitié de droite ? Que des putains de maisons de vacances. D’accord, tu vois la moitié de gauche ? Tu vois les trois rues du dessus ? Des putains de maisons de vacances aussi. C’est mort l’hiver, mec. Y a que votre rue où des gens habitent. C’est putain de mort. Tu peux te balader le soir pour aller au pub et ne croiser personne dans les rues. Pas comme maintenant. »

Pas comme maintenant, non. Car maintenant, c’est l’été ; New Quay vit en grande partie de son tourisme, comme en témoigne l’immense parc de caravanes installé aux portes du village, et qui héberge vacanciers comme saisonniers. Les plages sont constamment occupées par les familles profitant de l’abri offert par le petit port de plaisance, et des hauts-fonds régnant dans presque toute la baie de Cardigan. Hauts-fonds qui constituent un habitat privilégié pour les dauphins, donc : « ces sales petits bâtards« , me confie A. avec son accent gallois et ses r roulés, « tant qu’ils sont dans le coin, ces sales petits bâtards, les gens sont contents, ils viennent sur mon bateau, et donc, je suis content aussi. Donc, j’aime pas qu’on leur fasse du mal, à mes sales petits bâtards. Si j’en vois un qui les harcèle avec son putain de bateau de merde, il a intérêt à courir vite une fois rentré à terre, mec, crois-moi. »

La baie de Cardigan abrite la plus grande population de grands dauphins du Royaume-Uni, et l’une des rares au monde à n’être pas en déclin. Un site d’implantation tout désigné pour la Sea Watch Foundation, donc, qui a estimé à plus de 250 individus la population résidente grâce à ses travaux de photo-identification et pour laquelle ton humble serviteur, ô auguste lectorat, est actuellement volontaire, parcipant aux relevés et aux travaux. Tous les jours, les éco-touristes partent en mer et reviennent parfois chanceux d’avoir pu croiser un groupe de dauphins, quelques timides marsouins ou encore des phoques se reposant au pied des falaises et dans les grottes entourant la ville. New Quay abritait autrefois un nombre non négligeable de contrebandiers qui y cachaient leurs marchandises et les déménageaient à l’abri de la nuit.

Mais il suffit parfois même de s’installer sur la grève et, avec un peu de chance, une dorsale ou une caudale signalent un cétacé en train de se nourrir en liberté, directement sur les hauts-fonds du port, parfaitement visibles depuis la digue où nous-mêmes conduisons nos observations éthologiques et enregistrons la réaction des animaux aux activités humaines – principalement la circulation soutenue des navires de plaisance.

L’âme d’une ville, c’est ses habitants, bien sûr, et le charme de New Quay est en immense partie dû aux siens, habitués avec une certaine philosophie à assister, tous les ans, au ballet des saisonniers et des volontaires locaux, mais pourtant immédiatement accueillants, et qui vous font sentir, après deux jours à peine, comme faisant partie depuis toujours de la communauté, de la famille, qu’ils soient ouvriers à l’usine de poissons qui domine le cap au sud du village, chercheurs à domicile de la SWF ou héritiers d’un des plus gros armateurs du coin. Très vite, vous n’êtes plus un touriste, un étranger, un volontaire de passage ; vous faites partie des gens de mer, et c’est la mer qui borde, nourrit et berce New Quay – comme moi-même, quand le ressac battant littéralement au pied de ma rue, une vingtaine de mètres en contrebas, vient chanter jusqu’à ma fenêtre.

New Quay comporte huit pubs dans sa poignée de rues, certains favorisés par les locaux, qui, vous ayant reconnu comme appartenant à la communauté, vous invitent à vous joindre à eux, vous intègrent, tiennent à vous offrir à boire – sans jamais accepter que vous ne rendiez l’invitation – du Dolau Inn avec son billard, son juke-box heavy metal et son pub quizz du jeudi soir, au plus huppé Penwig Inn, sans oublier les concerts du week-end au Football Club – the footie, mon ! comme, m’a-t-on appris, s’exclament les Gallois.

Et, quand les nuits sont clémentes, les mêmes vous entraîneront après le last call sur la plage avec d’autres bouteilles, pour échanger des histoires entrecoupées de « yachida » (prononcé « yarida »), soit santé, en gallois, jusqu’à ce que l’alcool ferme les yeux de l’assistance et invite chacun à rentrer d’un pas lourd, mais heureux, empli d’amitié – jusqu’au lendemain soir, bien sûr, car l’on ne se repose pas d’une soirée arrosée, ici.

A., le marin du navire de dolphin-watching, connaît certainement mieux sa ville que moi et je ne lui disputerai certainement pas son expérience quand je n’aurai qu’un seul été intimiste derrière moi, mais je ne peux croire que New Quay meure à ce point en hiver. Sur le mur du Dolau, des photos d’un réveillon neigeux montrent chercheurs et musiciens se lançant des boules de neige dans la rue déserte devant le pub. Ici, les conflits existent, comme partout ; les petites communautés cristallisent les camps et les gens de mer ont la rancune âpre et longue ; il ne faut pas longtemps pour apprendre où se tracent les frontières. Mais les liens forts qui règnent ici, ceux d’une ville côtière et retirée (Aberystwyth, la première gare ferroviaire, se trouve à une heure de car), ne se tissent pas dans le tumulte d’une saison, mais justement au long cours. Dylan Thomas est tombé amoureux du village et y a connu l’une des périodes les plus productives de sa vie d’écrivain. Je n’en prétendrai pas autant (ni être Dylan Thomas, ni être productif ici), mais une chose est certaine : l’alliance de la mer omniprésente, des dauphins qui livrent leurs secrets et d’habitants au coeur immense ne peut que faire tomber amoureux.

Photos : licence CC-By-NC-ND, Lionel Davoust.