Le rapport à la distance en Australie

Reçu cette semaine un mail tout à fait anodin du consulat, annonçant l’ouverture d’une nouvelle antenne à Melbourne permettant la réalisation d’un certain nombre de démarches. C’est bienvenu, car autrement, il faut les faire à Sydney ou attendre une tournée consulaire (le bureau se déplace au fil de l’an d’une capitale d’État à l’autre, tel un cirque itinérant du formulaire Cerfa).

Le message stipule en passant que, si c’est plus pratique, tu peux continuer à faire tes démarches à Adelaide… 

… à 750 km d’ici.

Ce n’est pas une blague ni une bêtise, c’est normal. On parle souvent du rapport aux grands espaces des États-Unis, combien il est possible de conduire des heures sans jamais rencontrer personne, que le pays est taillé pour la voiture ou les vols intérieurs… 

Cela n’a rien à voir avec l’Australie.

Les États-Unis font environ 9,8 millions de km2 pour une population d’environ 330 millions de personnes. Par comparaison, l’Australie a une superficie de 7,7 km2… pour 26 millions de personnes. La densité de population est dix fois moindre.

Par comparaison, la France mesure 670 000 km2… pour une densité de population TRENTE fois supérieure à celle de l’Australie (plus de 100 contre… 3 habitants au km2).

Melbourne skyline
Melbourne Central Business District, sur la Yarra.

Ça n’est pas seulement parce que l’Australie comporte un énorme désert au beau milieu et que les deux centres de population principaux sont Melbourne et Sydney ; ce qui surprend réellement un Européen, c’est combien, partout, il n’y a juste rien. On peut traverser des centaines de kilomètres à travers des forêts en Western Australia sans tomber sur quoi que ce soit, alors qu’en France, on trouve un bled et trois rond-points (surtout trois rond-points) toutes les trois bornes. (Le plus comparable à ma connaissance en Occident serait le Canada.)

Le rapport à la distance et donc au temps s’étirent. À moins d’habiter dans les environs proches de Melbourne ou sur une ligne de train, le moindre déplacement exige de prendre la voiture ; nous habitons déjà trop loin du bled pour que la Poste nous livre le courrier. (Un jour, avant d’avoir une voiture, et impatient d’avoir le colis qui était arrivé, je suis descendu à la Poste à pied depuis la maison : 1h30 aller-retour. Ce jour-là, quand L. m’a demandé ce que j’avais fait de ma journée, j’ai répondu : « je suis allé à la Poste. ») Aller au cinéma ? 30’ de route, voire 1h pour l’IMAX. Faire un bowling ? 40’ de route. Tout cela est normal et extrêmement courant ; mais replacé en France, cela revient à habiter à Rennes et aller faire un bowling… à St-Malo. Quand j’ai passé mes niveaux de plongée, le seul centre offrant la formation qui m’intéressait était à Granville – habiter à Rennes et aller se former à Granville ? Quelle idée ! Mais prenant ma persona australienne, c’est devenu « seulement » une heure de route, un déplacement qu’ici, je fais parfois plusieurs fois par semaine juste pour aller faire un truc.

Wallaby

L’étirement de la population entraîne nécessairement un étirement des infrastructures ; dans notre banlieue de Melbourne, la 5G vient seulement d’arriver ; la « fibre » à l’australienne (NBN) est en réalité un ADSL glorifié (la fibre arrive quelque part dans le coin et tout le monde tire dessus, parce que tout est tellement étendu que cela ne semblait pas pertinent de fibrer chaque baraque1). Et nous sommes bien servis, avec 90 mégas réguliers (ce qui fera glousser sans aucun doute les citadins parmi vous). Tout est adapté à cet étirement : les coupures de courant dans les banlieues de Melbourne sont légion, surtout en cas de tempête : un site web permet de pister en temps réel l’état du réseau et l’heure (ou la date…) de retour estimée. Le risque de feu de forêt en été est extrêmement important et là aussi, des applications permettent de suivre l’évolution des feux ou de recevoir des instructions d’urgence du gouvernement local. Je suis en train d’écrire cet article avec un câble USB de 5m pour attraper du réseau mobile dans la maison, notre Internet fixe étant en rade en raison des vents violents de cette semaine.

La photo satellite de Melbourne montre à quel point, très rapidement, il n’y a juste… plus rien.

Échelle en bas à droite. Photo Google Maps.

Alors on prend les réflexes, petit à petit, sans s’en apercevoir. On organise son temps différemment, voir un film ou un concert devient l’occupation de tout l’après-midi. On fait le plein de sa voiture largement avant d’approcher la réserve (les pompes automatiques 24/24 n’existent pas en-dehors des grands centres de population). On télécharge cartes routières et musique en avance parce qu’on ne peut pas compter sur le réseau cellulaire hors des villes. On s’assure de bien avoir un Melway (atlas routier de Melbourne) dans la voiture en cas d’urgence, si le réseau mobile devient indisponible.

Rentrer en France me montre combien le rapport à l’espace est, bien sûr, fonction du temps, mais aussi du médium de transport. La France est suprêmement bien desservie en train, mais la complexité nécessaire du réseau hyperlocal des transports (métro, bus) engloutit en même temps des parenthèses de temps vide en correspondances, attentes, changements qui deviennent ici plus rares. Impossible ici de se poser dans un train et bosser quelques heures pour aller quelque part, mais la quasi inexistence des autoroutes ou quatre voies rend le moindre déplacement d’envergure à la fois long et intéressant. La nature et la route sont omniprésentes, le moindre café te propose toujours de prendre ta commande « here or take away » parce que tout le monde peut être au milieu d’un road trip, même s’il s’agit juste d’un artisan faisant 30km pour son prochain chantier. Tu es en rade avec ta voiture planté sur le bord de la route, tout le monde s’arrêtera pour te proposer de l’aide, parce que, par défaut, tu es loin de tout, et ça peut vite devenir compliqué. Prendre un vol intérieur avec Qantas est à peine plus compliqué que le TGV en France. Alors que la Boîte à Pizza de Rennes Sud refusait de me livrer à Rennes Ouest parce que « j’étais beaucoup trop loin », la pizzeria du coin australienne, c’est la pizzeria qui se trouve à deux bleds de toi. Les supermarchés livrent à peu près partout, parce que si on ne livre pas partout, on ne livre personne2.

Et quand tu reviens à Roissy et que tu remets le pied dehors pour la première fois, il devient inévitable de penser : « waouh, les gens sont vénères, ici… »

Plus de photos australiennes sur Flickr.

Vanishing point
  1. Ce qui est en train de revenir mordre le pays, d’ailleurs – le déploiement du NBN est un désastre politique.
  2. Le rapport à l’espace doit quand même être modéré par rapport à une crise du logement absurde – avec tant de place, on ne devrait pas manquer à habiter – et pourtant, c’est le cas, pour des raisons trop complexes à détailler ici et que, pour être honnête, je ne crois pas maîtriser de toute façon.
2024-09-04T02:29:40+02:00mercredi 4 septembre 2024|Carnets de voyage|3 Commentaires

Vivre en Australie : les coupures de courant

Pouvoir faire l’expérience de ça… 

Cute visitor
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… implique accepter l’expérience de ça.

L’Australie, c’est grand. On mesure difficilement à quel point quand on vient de l’Europe : il faut imaginer un territoire dont les échelles sont comparables aux États-Unis, mais avec une population DOUZE fois inférieure. (Certes, il y a beaucoup de désert au milieu, mais il n’y a pas grand-monde non plus qui vit dans la Vallée de la Mort.) Cela implique une conséquence toute simple : c’est très, très vide. Même pour l’agglomération générale de Melbourne (voir article ici), qui mêle certes le centre des affaires (CBD) à de vastes quartiers résidentiels à l’Américaine (pavillons + jardins) ; c’est très vite une succession de petits villages, puis plus rien. Là où, en France, il est quasiment impossible de conduire plus d’une poignée de kilomètres sans se taper un rond-point, l’Australie laisse très rapidement la place à de grandes routes traversant (en Victoria) la forêt, sans rien dedans (rappelant le nord du Québec). C’est vraiment difficile à appréhender pour un Européen, mais ici, dès qu’on s’éloigne des grandes villes, il n’est pas rare de conduire UNE HEURE sans rencontrer davantage qu’une station-service et une poignée d’arrêts de bus pour des fermes invisibles.

Cet étirement de la population implique nécessairement un étirement des infrastructures. Et même chez nous, à pourtant moins d’une heure de Melbourne, considérés comme faisant partie de la ville de Melbourne, un des désagréments avec lesquels il faut apprendre à vivre, ce sont : les coupures de courant.

Case in point : j’écris ça lundi 8 janvier à 11h46 heure australienne, parce que c’est à peu près tout ce que je peux faire en ce moment – les pluies diluviennes d’un nouvel été humide ont visiblement fait se toucher les câbles quelque part et il n’y a plus un électron qui circule dans la maison, ce qui implique forcément : plus d’Internet, et dans mon cas spécifique : plus de Mac fixe avec Scrivener dessus. La capture d’écran ci-dessus est tirée de Vic Fires, une des applications permettant de surveiller les urgences du pays ; de la pointe sud à Shepparton au nord, il y a environ 200 km à vol d’oiseau, et toutes les bouées symbolisent des demandes d’assistance des services de secours – ça donne une idée. Les panneaux « danger » quant à eux représentent les avertissements plus ou moins graves d’inondations reliées ; en ce qui nous concerne, nous sommes accrochés à flanc de colline en hauteur, ce qui nous place à l’abri, heureusement. Notre désagrément se limitera à une journée sans électricité, avec une estimation de remise en service vers 17h ; me voilà condamné à prendre mon portable (non synchronisé, ça serait trop simple…) sous le bras et bosser la journée dans un café. On a connu pire ; et nous nous en tirons très bien.

Mais ce qui serait une occurrence nationale et un événement unique en France représente ici plus ou moins l’habitude. Non pas qu’on s’inonde toutes les semaines (ne pas sortir cette phrase de son contexte), mais ce genre de choses est suffisamment fréquent pour ne pas nous surprendre (même si moi, ça me frustre, étant sous deadline).

On contourne, on fait avec, et on se dit qu’on rattrapera la journée à un autre moment. En tout cas, si je ne suis pas autant en ligne que je le voudrais en ce début d’année, tu sais pourquoi, auguste lectorat.

2024-01-08T02:08:18+01:00mardi 9 janvier 2024|Carnets de voyage|2 Commentaires

À Melbourne

Me voilà arrivé à bon (aéro)port, avec pas tout à fait les yeux en face des trous (8h de décalage horaire, qui deviennent 10 quand les saisons s’inversent), mais ça va se tasser, comme toujours – arrivé donc à Melbourne, capitale de l’État de Victoria, considérée aussi comme la capitale culturelle et sportive du pays, et l’une des villes où la vie est la plus agréable au monde. Le Parisien repenti que j’étais jadis ne peut qu’être d’accord.

L’Australie est un État fédéral, comme les États-Unis, quoique avec beaucoup moins de parties constituantes : six États et dix territoires. Melbourne est située en Victoria, au sud-est ; et, contrairement à l’idée reçue, il n’y fait pas une chaleur à crever. Car l’Australie, c’est GRAND – à peu près la taille de l’Europe, d’Oslo à Rabat du nord au sud, de Brest à Moscou d’ouest en est. Vous savez qu’il ne fait pas le même temps en Norvège et au Maroc, et comme nous sommes dans l’hémisphère sud, les saisons sont inversées – Melbourne étant au sud, il y fait un temps beaucoup plus proche de la Bretagne (pluies incluses) que des chaleurs désertiques.

Melbourne, située sur la terre ancestrale des Wurundjeris, était à l’origine une région marécageuse qui a été drainée par les colons. La ville s’organise en quartiers qui sont en réalité autant d’agglomérations semi-indépendantes, comme sur le modèle londonien ; les zones urbaines s’articulent autour de Port Philip Bay, où se mêlent des plages très prisées comme à St Kilda, des parcs naturels à part entière comme celui de Point Nepean vers Sorrento et des quartiers résidentiels en plein développement comme dans la région de Cranbourne, vers le sud-est.

Dans le Central Business District (CBD), le “downtown” de Melbourne, sur le fleuve Yarra
Point Nepean
Point Nepean national park

Vers l’est et le nord-est, le paysage change radicalement, au point qu’il est difficile de croire qu’on se trouve dans la même ville (pour tout dire, c’est surtout une commodité administrative) : ce sont les hills (collines) où les forêts, parcs naturels et champs rendent l’urbanisation à la fois ardue et peu intéressante en comparaison des vastes plaines entourant Port Philip Bay. Les agglomérations, séparés par des kilomètres de bush et de retenues d’eau douce, y deviennent là des villages à part entière, dont la plupart se résument à quelques rues commerçantes rassemblant le bureau de poste, la bakery locale, le fish and chips (il y a toujours un fish and chips) et le comptable (il y a toujours un comptable). Rayonnent alors des rues résidentielles dont la plupart ne sont pas goudronnées, aux maisons de plus en plus isolées, voire en autonomie complète. Les hills montent progressivement en altitude vers le parc national des Yarra Ranges, où s’amorce la chaîne de montagnes qui remonte sur des milliers de kilomètres le long du flanc est du pays, en passant notamment par les Australian Alps dans le nord de Victoria.

Emerald, dans les hills

Après y avoir fait plusieurs adresses, c’est dans les hills que nous avons eu la chance de pouvoir nous installer à demeure, ce qui nous place en pleine nature, mais nous situe néanmoins à portée d’à peu près tout. Le centre de Melbourne se trouve à 1h30 de route, la mer aussi, la montagne à 4-5h, le désert à 10 – cela semble beaucoup pour la France, mais à l’échelle de l’Australie, ce n’est rien du tout ; tout est tellement vaste qu’à moins de vivre en plein cœur de Melbourne, la voiture est obligatoire pour le moindre déplacement, et les pickups et gros 4×4 sont omniprésents. Dans notre village, la poste australienne juge que nous vivons trop loin pour qu’on nous livre le courrier ; n’ayant alors pas de véhicule, j’ai un jour décidé de descendre à pied pour récupérer un colis, ce qui m’a demandé… 1h30 de marche aller-retour.

2023-06-19T08:36:32+02:00lundi 19 juin 2023|Carnets de voyage|10 Commentaires

Richard Container

Et voilà – la plupart de mes affaires ont été emballées et sont en route vers leur transport maritime, pour une arrivée prévue dans quatre mois à Melbourne. 247 colis, dont 160 de livres. Les émotions sont évidemment intenses cette semaine – c’est leur absence qui serait inquiétante ; quitter une ville où l’on a passé vingt-cinq ans, où l’on a été étudiant puis où l’on est devenu adulte, qui est devenue, sans s’en apercevoir, une partie de soi, et où, surtout, résident des cercles d’amis phénoménaux (énormes cœurs sur vous toutes et tous) ; s’éloigner de tout son entourage et de sa famille, tout cela est appelé à brasser beaucoup de choses. Ambiance charge émotionnelle cumulée des épisodes finaux de toutes tes séries préférées. Mais la vie me donnera moult et fréquentes occasions de revenir, et, pour tout le mal que j’en dis aussi, je suis infiniment reconnaissant à la communication instantanée de notre époque pour maintenir des liens par-delà l’autre bout de la planète : bref, je réitère, mais que personne n’imagine être débarrassé.e de moi (sorry not sorry).

Je déteste les entre-deux – j’aime être posé à un endroit, posséder mon “territoire” – mais c’est par conséquent une intéressante leçon de patience à recevoir. Et surtout, de splendides voyages m’attendent dans les mois à venir, de magnifiques aventures avec ma chère et tendre avec qui nous allons enfin pouvoir vivre sans l’épée de Damoclès du prochain avion, et de nouveaux défis, de nouveaux apprentissages attachés à l’établissement permanent dans une autre nation.

Puissé-je conserver toujours l’intelligence et la passion de m’y ouvrir, et de ne pas voir l’inconnu qui se dresse devant moi, mais tout le potentiel qu’il recèle !

Citations fixées au-dessus de mon bureau depuis des années (j’en ai depuis longtemps perdu les sources).

Peut-être documenterai-je mon établissement là-bas, partagerai-je à quoi la vie en Australie ressemble vraiment, à présent que c’est concret. (Ça vous branche ou bien pitié, non, t’en parles assez comme ça ?)

2023-06-11T23:09:20+02:00lundi 12 juin 2023|Carnets de voyage|4 Commentaires

À venir : The Draw, un documentaire sur les orques d’Islande

En 2018, lors d’une rare période de répit, j’ai eu la possibilité de dégager un mois pour une nouvelle mission de volontariat avec la fondation Orca Guardians en Islande ; une expérience fantastique (qui manque d’autant plus enfermé entre quatre murs) où j’ai probablement vu le plus d’animaux de toute ma vie (le récit complet est là). À ce moment, la fondation tournait un documentaire sur les orques de la péninsule du Snæfellsness ; comment, notamment, leur venue a transformé les communautés locales, et développé une activité de tourisme et d’observation scientifique.

Le documentaire va sortir cette année, intitulé The Draw, et à voir le teaser, j’avoue qu’il me tarde énormément de me replonger dans ces ambiances. Les plans aériens du Kirkjufell (la célèbre montagne en forme de flèche dans “Game of Thrones”…) sont splendides. Cinquante secondes d’images splendides1, à voir ici (c’est du Facebook watch, mais ça se voit sans compte) :

➡️ The Draw, premier teaser

  1. Je ne dis pas ça parce que j’apparais brièvement, hein, oh, alors vous hein huhuhu.
2021-01-15T13:51:47+01:00lundi 18 janvier 2021|Carnets de voyage|Commentaires fermés sur À venir : The Draw, un documentaire sur les orques d’Islande

La photo de la semaine : La rive perdue

Le parc national du lac Mungo (Australie) fait partie d’une région plus vaste où des lacs affluaient jusqu’à il y a 20 000 ans environ. Les Aborigènes ont commencé à vivre sur ces rives il y a 40 000 ans.

Quarante mille ans.

Essayez d’imaginer ce que cela peut représenter quand l’Occident peine déjà à garder la mémoire d’un siècle ou deux.

Ces lieux demeurent sacrés aujourd’hui et font partie des sites où l’on trouve les plus anciennes traces d’occupation humaine.

The Lost Shore
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2020-12-03T11:02:11+01:00vendredi 4 décembre 2020|Carnets de voyage, Photo|2 Commentaires

Quelques souvenirs de la 47e convention française de science-fiction

Rentré hier soir un peu fatigué mais enchanté de cette 47ème convention : encore merci à toute l’organisation d’avoir tenu bon ce navire en ces eaux houleuses pour toutes et tous ! Et merci à tous les participants, camarades et intervenants pour ces quatre jours extrêmement agréables (c’est difficile de revenir au boulot après ça !) Je n’ai jamais été très doué pour les compte-rendus, donc je préfère vous laisser avec quelques photos souvenir.

Ugo Bellagamba (mod.), François Manson, Xavier Dollo et Laurianne Gourrier parlent des finalistes roman du prix Rosny-Aîné 2020
La salle des expositions
Laurianne Gourrier (mod.), Pierre Gévart, Jérôme Vincent et Simon Pinel débattent de l’exportation de l’imaginaire français à l’étranger
Sylvie Denis, conférence sur David Bowie et la SF
Claude Ecken, conférence sur l’écologie et la SF
Remise des prix
Jean-Daniel Brèque, lauréat du prix Cyrano pour tout son travail de passeur et de traducteur de l’imaginaire
2020-08-31T09:37:54+02:00lundi 24 août 2020|Carnets de voyage|2 Commentaires

Worldcon 2019, jours 4 et 5

Je jure que lundi midi, quand un ami a reçu ses gyôzas au restaurant, je me suis dit : « mon cerveau doit ressembler à ça ». Ce qui méta-décrit mon état de cramitude : ce n’est pas tellement l’image qui compte que le fait que j’aie simplement pu la concevoir…

Bref ! Gros coup de bleu (de blues) à la cérémonie de clôture tandis que cette 77e Worldcon touche à sa fin et que symboliquement, le flambeau a été remis à l’équipe de l’année prochaine, ConZealand, à Wellington. Entre les tables rondes et les belles rencontres toutes reliées par notre passion commune, ces cinq jours sont passés extrêmement vite.

J’ai été frappé (comme à chaque fois) par le pragmatisme à la fois simple et décomplexé de l’approche de l’écriture dans le milieu anglophone. On adore encore, en France, se raconter des contes comme quoi le « talent » ou la « vocation » doivent primer sur toute autre considération ; que l’écriture (ou la création) restent la chasse gardée d’une classe mystérieuse d’élus mystiques qui « l’ont » (le truc) ou pas. Dans une culture qui s’est toujours proclamée égalitaire, cela me laisse drôlement songeur.

Rien de tout cela à une Worldcon. Tu veux écrire ? Bosse. Bosse, encore, encore et encore. Et puis davantage que ça. Ne lâche pas ; prends-toi des portes dans la tronche, marche sur les râteaux, c’est inévitable, cela fait partie du chemin hélas, mais quoi que tu fasses, n’oublie pas : ne lâche pas. Le travail est ta seule variable d’ajustement, et ce qui différencie ceux qui « y arrivent » (arrivent à publier, jouissent d’un certain lectorat, pour faire connaître leur travail au monde) c’est avant tout la persévérance, la volonté d’évoluer et d’apprendre sans cesse. C’est dur, oh oui. Mais tu veux ? Alors donne tout et même le reste, et tu pourras probablement y arriver, même si cela doit prendre dix ou vingt ans. Au fond, il n’y a qu’une seule vraie métrique : l’expérience. Et une seule pulsion : une niaque tellement invraisemblable qu’elle confine à la mégalomanie, l’inconscience, ou un mélange des deux. (Au passage, je repose ça là)

Tu te doutes, auguste lectorat, que je souscris entièrement au discours, parce que c’est celui que j’ai biberonné depuis plus de vingt ans, et j’oserais dire que c’est celui qui m’a conduit où je me trouve (soit, timidement, un peu plus loin qu’il y a vingt ans, c’est-à-dire : j’ai publié quelques trucs et des gens ont aimé), avec l’immense conscience que j’ai à peine commencé à vaguement accepter le chaos non-euclidien doublé de résolution indispensable qui semble apparemment former l’essence de ce métier. On apprend toujours, et c’est ça qui est merveilleux. On en a parlé il y a un an tout juste dans Procrastination, d’ailleurs (« Talent Vs. Travail »).

Non, ça ne sera pas plus simple ou plus facile, mais au bout d’un moment, tu finiras par comprendre intimement que c’est normal. Le talent existe peut-être. Mais vu qu’on ne peut pas y faire grand-chose, on s’en balance un peu, et tout ce que tu peux faire, c’est travailler sans relâche à cette chose qui compte pour toi ; et la seule personne à qui tu rends des comptes, en définitive, c’est toi-même. (Coucou, Steven Pressfield.)

Authentique, et il fallait que je reparte avec. Attention : peut contenir également des larmes de directeur d’ouvrage.

Sinon, ça fait tout drôle, j’ai mesuré le jour même que c’était la première fois que j’étais invité à intervenir sur une table ronde avec ma casquette musicale, aux côtés de Sam Watts (compositeur entre autres de la bande originale de Sarah Jane Adventures !), et pouvoir discuter avec le public de bandes-son légendaires (en replaçant au passage celle de Babylon 5 par Christopher Franke) a constitué un des grands plaisirs de cette convention.

George R. R. Martin sera toastmaster de ConZealand.

Ma plus grande erreur aura certainement été d’emporter une grande valide vide. En pensant que je rapporterais DES TRUCS. Ben forcément, hein. Je cherche, aussi. Les livres, c’est comme les gaz parfaits. C’est curieux, ça finit toujours pas occuper tout l’espace disponible.

2019-08-19T22:14:53+02:00mardi 20 août 2019|Carnets de voyage, Le monde du livre, Technique d'écriture|17 Commentaires

Worldcon 2019, jours 2 et 3

C’est chouette et étrange d’entendre parler gaélique dans la rue : je jurerais que ça sonne comme du valyrien. J’ai regardé le ciel au cas où. Dracaris, toussa.

Donc, auguste lectorat, un article ! Un dimanche ! Woah ! Ben oui, parce que sinon lundi je parlerai de trois jours d’un coup, et la nature a horreur de l’asymétrie, ou pas.

Je passe devant tous les jours et J’AIMERAIS VRAIMENT COMPRENDRE POURQUOI PAPA LAPIN EST NATURISTE

J’avoue une certaine fatigue en ce moment, due à tous ces trucs chouettes que je laisse entendre mais qui ne sont pas prêts à être révélés tel le Necronomicron (un livre maléfique mais vraiment imprimé très, très petit) et aussi ça va prendre un peu de temps pour se décanter mais, ça viendra, disais-je.

Je ne nierai donc pas que j’ai fait la connaissance relativement prolongée des moquettes du Centre de Convention de Dublin à certains moments, histoire de regarder intensément le vide, mais à part ça :

C’est génial d’être ici. Les festivals de manière générale me font cet effet (sortir de l’isolement de l’écriture pour s’apercevoir que a) oh y a des gens en-dehors de mon bureau b) on aime tous la SFF c) ooooh DES LIVRES RETENEZ-MOI) mais la Worldcon, avec son aspect organisé par les fans, pour les fans, ajoute une facette communautaire assumée très agréable. Je parlais de mon sac avant-hier (ma vie est passionnante), il ne m’a pas fallu longtemps pour y coller tous les badges de SF du monde sans me dire que j’allais passer pour un gros naze, et bon dieu, ça fait du bien de se plonger dans sa sous-culture. (Sous au sens de : sous-courant, pas inférieure, bien sûr.) Et voir tous les pros du monde entier dans le même esprit, sans gêne, y compris ses idoles secrètes, ça fait tellement plaisir !

Speaking of which, un aspect me frappe particulièrement pendant cette Worldcon, c’est le soin apporté à l’inclusivité. Alors je vois évidemment ça de l’extérieur, donc c’est difficile de juger si c’est suffisant, mais le nombre de sujets et de mentions au code de conduite me semble remarquable ; ces questions n’ont jamais été éloignées de l’esprit des panelistes que j’ai vus, et c’est vraiment chouette. Il y a de quoi reprendre un peu espoir et se dire qu’un jour, peut-être, on n’aura plus besoin de mettre d’accent sur rien, parce que ce sera entré dans les mœurs de, en résumé, foutre une paix simple et sincère aux gens sur ce qu’ils sont ou désirent être. De la SF ? Beh, c’est pour ça qu’on est là.

Speaking of which, encore, je suis allé voir la table ronde sur les auteurs « problématiques » : que fait-on des oeuvres majeures, mais dont on découvre que le créateur n’est pas aussi fréquentable qu’on peut l’espérer (ce qui est parfois un euphémisme) ? Les Lovecraft, Céline, ou même, beaucoup plus proche de nous, les apparences de diversité rentrées un peu au forceps de J. K. Rowling ? J’ai des idées, mais je trouve que ça mérite un article à part.

Le concert symphonique que je ne voulais absolument pas rater, avec du Game of Thrones, du World of Warcraft, et un chef d’orchestre qui dirige Star Wars avec une baguette lumineuse verte en mode sabre laser. CLASSE ULTIME

Je m’efforce forcément de garder un peu l’oreille sur les rails quant à la traduction de littératures étrangères (genres francophones, AU COMPLET HASARD) vers d’autres langues ou évidemment l’anglais, et il semble que peu à peu, la diversité gagne du terrain là aussi, grâce notamment au travail de personnes comme Francesco Verso – éditeur italien de Future Fiction, qui réalise un énorme travail de découverte et de traduction vers l’italien mais aussi l’anglais. Il a récemment compilé, au terme de cinq ans de dur labeur, une anthologie de science-fiction mondiale (avec notre Ugo Bellagamba) en langue anglaise, intitulée World Science Fiction, avec un des meilleurs slogans que je connaisse : « préserver la biodiversité de la science-fiction ». Car c’est l’essence même de la traduction : nourrir la richesse des cultures. Le livre était lancé à cette Worldcon et les stocks sont déjà vides, ce qui est génial (j’ai eu le dernier !)

Les consciences semblent progresser lentement mais sûrement sur la conviction que la diversité mondiale représente la clé de la vitalité des genres, mais il faut pour cela des volontés en béton armé (c’est un travail de titan et de longue haleine) et des financements (de traduction). Cependant, je pense que si les genres réussissent à se développer au sein de leurs marchés intérieurs, qu’ils s’y pérennisent et se renforcent grâce à une forme de projet d’ensemble et (soyons dingue) de collaboration, j’ose croire que cela donnera à chaque culture de quoi s’affirmer un chouïa davantage face au géant anglophone, principalement américain bien sûr.

Le Centre de Congrès de Dublin me paraît tout droit sorti de L’Âge de Cristal (et il y a autant d’escalators)

En tâche de fond, je réfléchis toujours aux réseaux commerciaux et ce qu’ils peuvent apporter, ou enlever, aux interactions et communications. Je me suis fait un programme nourri sur le sujet, de manière à avancer de mon côté sur la manière juste d’utiliser ces outils. Voir certains exemples et entendre certains discours m’alimente beaucoup sur les aspects positifs de la chose (que je ne nie pas !), sur une approche potentiellement différente qui me permettrait de me réconcilier avec mon but premier (contribuer de la valeur à la discussion), bref, j’en reparlerai probablement.

2019-08-17T23:55:26+02:00dimanche 18 août 2019|Carnets de voyage, Le monde du livre|5 Commentaires