Je continue à éplucher les questions sur l’écriture qui me sont arrivées depuis 1872, et auxquelles, pris par le terrible flux érosif de l’activité quotidienne, je ne pus convenablement répondre :
Est-ce que tu arrives à écrire d’une certaine façon, avec un certain style, et à rester imperméable à ce que tu peux lire à côté ? Je sais que moi, je suis une vraie éponge et quand je veux écrire un texte à la première personne, je ne peux que lire un livre écrit comme tel, sinon ça ne ressemblera à rien. Alors docteur, suis-je faible ? Ou est-ce normal ?
Il est évidemment meilleur d’apprendre à se cloisonner l’esprit, à se cuirasser tel le Bismarck, mais soyons honnêtes, nous ne sommes que des êtres de chair et de sang aspirant secrètement à des câlins le soir. Donc, tout en restant conscient qu’il vaut mieux travailler sa discipline mentale, ça n’est pas forcément la peine de se tirer une balle dans le pied. Écrire peut être assez épineux comme ça, et il n’y a rien de honteux à se sentir imprégné par ce qu’on lit, tant qu’on y prend garde. Un auteur a forcément un côté éponge, sinon comment pourrait-il se montrer sensible au réel et le rendre vivant à ses lecteurs ?
J’ai lu il y a un sacré bail un entretien d’un grand auteur (je crois que c’était Kristine Kathryn Rusch), lequel oeuvrait dans moult domaines différents, et qui confiait toujours lire dans un genre très différent ce qu’il est en train d’écrire afin de minimiser les influences inconscientes. Je pense que c’est un bon conseil qui ne coûte pas cher, j’ai tendance à le suivre par prudence, et ne m’en porte pas plus mal.
Quoi qu’il arrive, je recommande aussi de toujours prendre un temps de réflexion avant de se mettre à écrire une scène, surtout si l’on reprend un projet en cours. Une sorte de mini-méditation qui évacue les influences extérieures, et laisse l’histoire réinvestir l’auteur. Respirer un grand coup, et laisser venir à nouveau les personnages à soi. Se demander activement : où sont-ils ? Qu’ont-ils récemment vécu ? Dans quel était d’esprit sont-ils ? Et que veulent-ils à l’instant ? Ces réponses et ce petit travail, visant à se rendre à nouveau disponible à son histoire, permettent souvent de changer une séance d’écriture laborieuse en une randonnée au long cours, guidée par ses voix internes.
Pour mémoire, vous pouvez toujours m’envoyer vos questions sur le métier, l’écriture, via cette page.
pris par le terrible flux érosif de l’activité quotidienne
Oh, Lionel, comme tu écris bieeeeeen.
Merci tata, je sais que tu es une esthète.
Ayant un fonctionnement assez différent, je suis toujours surprise par cette peur des influences qu’on rencontre chez beaucoup de gens. Ça peut aussi être une bonne chose, l’influence. Quand on se laisse ouvertement influencer ou qu’on essaie d’écrire « à la manière de » et qu’on finit par retomber sur quelque chose de plus personnel, ça peut nous conduire sur des chemins qu’on n’aurait jamais empruntés en essayant d’écrire uniquement « à notre manière ». J’aimerais être capable de me laisser davantage influencer.
En fait, je pense qu’on peut distinguer deux facette à l’influence.
L’une, positive, qu’on pourrait appeler inspiration correspond à une influence qui a été digérée, assimilée, et qui agit de façon diffuse sur le style d’un auteur.
L’autre, négative, qu’on pourrait appeler mimétisme, qui peut survenir à l’insu de l’auteur et qui le conduit à reproduire des formes qu’il ne s’est pas appropriées.
Je pense que la plupart des auteurs s’appuient sur le premier plan, et que le second est plus susceptible d’affecter certains, en particulier, les moins expérimentés qui auront plus de mal à assimiler le style d’un autre.
Effectivement. J’ai pris la question dans le sens du mimétisme, mais les commentaires me semble parler davantage d’influences. 🙂
Je ne comprends pas non plus cette peur des influences. Il m’arrive régulièrement (pas très souvent) de regarder sur certaines scènes comment elles ont été abordées par d’autres auteurs. Je vois ça comme une extension de mon registre. Ce sont d’autres possibilités que je vais ensuite intégrer. Lire d’autres auteurs, c’est comme regarder des films, des séries, etc, on alimente notre propre écriture à travers ces rencontres. Il n’y a rien à craindre dans ces rencontres : on ne fait pas de copier-coller.
Autrement dit, le meilleur moyen de ne pas être influencé stylistiquement, c’est de multiplier les influences 🙂
Flûte. Je savais bien que j’avais oublié un point que je voulais aborder. Exactement ça : lire de partout, de tout, de manière à intégrer tant de processus narratifs et d’images qu’on les digère et trouve sa voix personnelle dans l’ensemble du choeur.
Idem que mes petits camarades : j’ai toujours eu beaucoup plus peur d’être terriblement semblable à moi-même — de me répéter — que d’être influencée. Je ne fais absolument pas attention à ce que je lis quand j’écris. Je suppose que cela trahit en fin de compte une forme de confiance en soi et en sa propre voix, mais il faut bien en avoir une.
Oui, et puis bon, le blindage façon Bismarck, ça ne lui a pas vraiment réussi. 😉
Sinon, les influences, c’est très difficile d’y échapper. Consciemment ou non, on absorbe, on assimile, on retravaille et ça ressort forcément.
Dans tous les domaines artistiques et depuis longtemps, les musiciens, peintres, écrivains, cinéaste, etc. se sont appuyés sur ce qu’ont fait leurs prédécesseurs, quitte, ensuite à s’en démarquer ou, au contraire, à perpétuer une lignée. Mozart s’inspirait de Haydn, par exemple, pourtant, ça ne l’a pas empêché de composer une oeuvre personnelle, les Beatles et les Stones se sont nourris du blues mais ont créé un style propre… Et tous, ensuite, ont eux-mêmes influencé ceux qui sont arrivés après eux. C’est une chaîne qui enracine les cultures… J’ai du mal à imaginer une création issue de la génération spontanée… Les auteurs de SFFF revendiquent pour la plupart des influences, qu’on doit pouvoir voir affleurer parfois, mais ils ne refont pas sans cesse ce qu’ont fait leurs aînés avant eux…