On sait super bien compter, à la BNF.
Y a comme un souci

En voyant diverses réactions pas forcément bien informées ici et là, il me paraît important de rappeler, de façon très résumée, pourquoi les auteurs du SELF et du Droit du Serf (entre autres) s’opposent au registre ReLIRE.

Tout d’abord, qu’est-ce que ReLIRE ? Ce registre vise à numériser des œuvres littéraires publiées au XXe siècle et devenues indisponibles faute d’édition, puis à les diffuser de manière marchande.

Pourquoi y sommes-nous opposés ? 

Plusieurs raisons, mais la première et la plus simple : parce qu’on ne nous demande pas notre avis. L’État décide des œuvres qu’il veut ainsi diffuser, et c’est à l’auteur de signaler son refus, moyennant

  • La surveillance d’une base de données sur son propre temps (il n’est pas prévenu des intentions publiques) ;
  • Une procédure longue et infamante (il lui faut prouver qu’il est l’auteur de ses propres livres !)

C’est une expropriation pure et simple. Nous disposons des droits sur le fruit de notre travail, c’est à nous qu’on doit demander l’autorisation, pas l’inverse ; or l’État entend en disposer comme il le souhaite, dans le plus pur mépris de la personne. Dans le même genre, le registre Google Books, vivement combattu par l’édition française il y a quelques années, semblait plus civilisé… Mais à l’époque, ces lobbies qui aujourd’hui imposent ReLIRE brandissaient le droit d’auteur comme rempart, pour inverser totalement le discours à présent qu’ils ont la certitude que l’argent tombera dans leur poche et pas celle de Google.

Deuxième raison : l’éditeur d’origine est rémunéré par les ventes à parts égales avec l’auteur, ce qui est un comble, puisque si l’oeuvre est indisponible, c’est justement que l’éditeur d’origine a laissé l’oeuvre s’épuiser – donc qu’il a abandonné toute exploitation commerciale. Ce qui est parfaitement compréhensible – mais dans ce cas, pourquoi est-il à nouveau rémunéré ? Il a choisi d’abdiquer son travail d’exploitation. D’autre part, l’auteur n’a pas son mot à dire sur le prix d’exploitation de sa propre oeuvre par l’État !

Troisième raison : la loi méconnaît (et piétine) la nature de la culture et de l’art, contrevenant de manière flagrante à la convention internationale de Berne, dont la France est pourtant signataire. Une oeuvre de l’esprit est par nature immatérielle ; elle ne peut pas être inféodée à une fixation sur un support matériel (cela signifie, en substance, qu’on ne fait pas de différence entre le fait que j’imprime un livre sur du papier, produis un fichier, ou fais une lecture publique : c’est la même oeuvre, ce qui relève du bon sens). Or, ReLIRE se focalise sur la première édition papier (et se trompe tout le temps sur le périmètre, voir l’image en illustration), ce qui est totalement opposé à un principe que la France a signé depuis… 1886 (date de la convention de Berne). Cela a pour conséquence fâcheuse de nuire très sévèrement à une reprise commerciale par un éditeur équitable, ou même à la diffusion libre par l’auteur lui-même. C’est un véritable hold-up public, qui ne va pas dans votre intérêt, les lecteurs.

Quatrième raison, qui vous concerne encore plus directement, amis lecteurs : les exigences de correction des fichiers numérisés sont ridicules (on va se retrouver avec des bouquins truffés de coquilles) et il est plus que probable qu’ils seront verrouillés par DRM (pour une initiative publique, c’est gonflé).

Je passe sur les détails, comme les limites chronologiques non respectées, le financement ubuesque, la concurrence déloyale, le caviardage des pages Wikipédia dédiées au projet… Il s’agit seulement d’un rapide résumé pour ceux qui découvrent le dossier. Pour en savoir plus : voir les sites du SELF et du Droit du Serf.

(J’aurais bien fait une BD, mais c’est à peine si je sais dessiner un bonhomme bâton.)